Ce dossier s’intéresse aux « Terres », thème du Festival international de géographie de Saint-Dié en octobre 2024.

Parmi les articles, nous retrouvons ceux d’amis des Cafés géographiques comme Amaury Lorin et Gilles Fumey. Le premier nous avait fait le plaisir de traiter au Café de Flore le sujet évoqué ici, La Birmanie : pivot stratégique entre l’Inde et la Chine, en février dernier (https://cafe-geo.net/tag/birmanie/).  Le second alerte sur le vol des terres à leurs premiers habitants dans Terres convoitées, terres accaparées. Le phénomène remonte à l’Antiquité mais prend au XXIe siècle la forme d’un accaparement dû à quelques Etats mais surtout aux firmes de pays riches dans un but financier. En France, seuls quelques vignobles de prestige sont aux mains de sociétés étrangères mais la financiarisation du foncier est défavorable à l’installation des jeunes agriculteurs. Grands acheteurs de terres dans les pays en développement, surtout en Afrique subsaharienne, la Chine et les pays du Golfe invoquent leur souci d’assurer la sécurité alimentaire à leurs populations. En fait beaucoup d’investissements fonciers servent à produire des agrocarburants. Seules des ONG cherchent à lutter contre ces spoliations, parfois avec succès.

François-Michel Le Tourneau explique quels enjeux fonciers se cachent derrière la déforestation de l’Amazonie. Il rappelle d’abord que si la baisse de la déforestation en Amazonie a été notable en 2023 (elle a dépassé 30% par rapport à 2022), ce qui a donné une image positive au gouvernement de Lula, la hausse a été très importante dans les savanes du Centre (« cerrado »). Il s’est donc agi d’un choix essentiellement politique. L’objectif d’une déforestation zéro semble impossible à atteindre car la déforestation peut être légale. Une partie du patrimoine public forestier est devenu privé au profit de ceux qui occupaient ces terres depuis plus de 10 ans. En ont profité les petits propriétaires puis les grands. La délivrance des titres de propriété est néanmoins conditionnée à la mise en valeur des terres, ce qui favorise la déforestation, souvent au profit de l’élevage bovin.

C’est à l’échelle mondiale que Paul Arnould pose la question du statut foncier de la forêt. Ce n’est pas une question marginale car la forêt occupe le tiers des terres émergées. Sur le plan juridique, le bilan est simple : 76% de la terre forestière appartiennent à un Etat, 20% à des propriétaires privés (en général, de grands groupes multinationaux, à l’exception de la France où la propriété est très émiettée), 4% n’ont pas de propriétaires identifiés. Mais en dehors du droit, les situations sur le terrain sont plus complexes. Des droits d’usage anciens sont fortement revendiqués par leurs bénéficiaires, sans être reconnus par la loi. Pour beaucoup de randonneurs contemporains, il va de soi que la forêt est un bien public où tout est permis (cueillette des champignons et des baies etc…). Trois impératifs s’opposent : rationalité économique, situation écologique, réalités sociales. Les situations des terres forestières sont donc très diverses selon les lieux.

Forêts et autres lieux ont été nommés par les hommes qui inscrivent ainsi leur pouvoir dans les paysages. Camille Escudé s’est particulièrement intéressée au « renaming » (pour « changement de nom ») des territoires autochtones. Une des formes du pouvoir colonial a consisté à supprimer les noms donnés par les autochtones aux lieux pour les rebaptiser. Ainsi Chuquiago Marka (« vallée de l’or ») en Amérique du sud est devenue Nuestra Senora de la Paz après la conquête espagnole de 1548. Supprimer aujourd’hui ces noms donnés par le colonisateur fait partie des pratiques de décolonisation et de résistance au pouvoir dominant. Le territoire autonome du Nunavut au Canada, administré par les Inuit, en donne de nombreux exemples. Frobisher Bay (nom d’un explorateur britannique) s’appelle aujourd’hui Iqaluit (« les poissons » en inuktitut).

C’est donc la diversité des approches qui fait tout l’intérêt de cette revue consacrée à un sujet fondamentalement géographique : les terres.

 

Michèle Vignaux, décembre 2024