Dessin du géographe n°45
Sans questionnement géographique particulier, je croque des lieux de vie, de passage, de mémoire. Lors d’un voyage entre Split et Sarajevo, le temps d’un détour touristique, je sors mes crayons et dessine sur une feuille de papier volante d’un café le pont de Mostar, d’une hauteur de 20 mètres au dessus de la rivière. Ce sont finalement les touristes sur ce pont qui accrochent mon regard : ils sont nombreux malgré le mauvais temps et la pluie fine qui les fait glisser sur ce pont vouté, et le multiculturalisme les caractérise.
Le pont de la ville de Mostar est le symbole d’une histoire ancienne, d’une guerre récente des Balkans qui a conduit à sa destruction en 1993, d’une volonté de réconciliation entre des communautés bosniaque et croate par sa reconstruction et un symbole politique fort par une reconnaissance internationale au patrimoine mondial de l’Unesco en 2005. D’ailleurs le toponyme de Mostar vient de most, le pont dans la langue qu’on appelait serbo-croate.
La ville de Mostar est construite sur les rives de la Neretva, et est un point de passage stratégique dès le 12ème siècle pour les voyageurs et les commerçants se déplaçant de l’Adriatique vers les riches régions intérieures. L’influence des communautés turques ottomanes, la proximité méditerranéenne et de l’Europe Centrale est encore visible dans le paysage architectural de la vieille ville. Mais la guerre de Bosnie Herzégovine (1992-1995) a elle aussi profondément marqué ce paysage et délié les communautés habitant de part et d’autre du pont. La ville renait de ses ruines à partir de 1998 à grand renfort d’aides internationales pour la restauration des bâtiments de la vieille ville. Le pont est reconstruit à « l’identique » en 2004. En revanche les grands bâtiments publics de la période de domination de l’Autriche-Hongrie (1878-1918) n’ont pas été reconstruits et leurs façades sont béantes. La vieille ville est habitée par les Musulmans bosniaques et la rive opposée par les Bosno-croates : un clocher majestueux y a été construit, qui flanque l’église catholique.
Aujourd’hui, la ville de Mostar est un lieu touristique de renom en Bosnie-Herzégovine. A quelques kilomètres de la frontière Croate, les touristes à destination de la Croatie sont invités à faire un détour dans ce lieu, les tours opérateurs organisant des visites à la journée. Les visiteurs profitent du paysage remarquable du site et des petites rues commerçantes à proximité du pont de style ottoman. A cette forme de tourisme « classique » peut s’associer un tourisme de mémoire, pour qui veut bien porter son regard sur les murs au dessus des commerces et restaurants, entrer dans le musée situé dans la tour qui domine le pont, être attentif aux blocs de marbres sur les rives de la rivière, remarquer le message discret posé sur une pierre « Don’t forget »… autant de stigmates d’un passé douloureux que certains tentent d’oublier, d’autres de faire reconnaître par la patrimonialisation.
Anne Cadoret (Pôle Géographie Aménagement Environnement, Aix Marseille Université)