Les vins allemands et du nord de l’Europe ne sont pas très connus. Ce sont les vins les plus septentrionaux qui soient et ils se développent encore vers le Nord : des vignes sont plantées aujourd’hui à Maastricht (Pays-Bas) et les Danois commencent à s’y mettre, mais en petite quantité, donc nous n’en parlerons pas encore. Avec le réchauffement climatique, les vignes vont se développer en Allemagne, une des régions les plus peuplées du monde. Et les vins voir leur qualité s’accroître. C’est pourquoi nous conseillons de boire ce que personne ne boit encore aujourd’hui. Les gens du Nord ne vont pas se contenter d’acheter des vins à l’extérieur, ils vont en faire, de plus en plus, et à leur goût. Soyons attentifs à ce qui se passe sur les bords du Rhin et au-delà. C’est le sens de notre dégustation de ce soir.
Ici, le Rhin correspond à la frontière de l’Empire romain qui correspond à la… limite du vin. CQFD ! La vigne en Allemagne est cultivée dans la vallée en position d’abri ou d’exposition au soleil. Les vents d’ouest, dominants, entraînent l’élévation des flux, ce qui provoque des phénomènes de convection et des pluies sur les sommets : les régions qui regardent vers l’est bénéficient d’une position d’abri, avec un climat moins humide et plus chaud grâce à l’effet de fœhn. Le Massif Schisteux Rhénan, aux paysages assez pittoresques, est un massif ancien qui a été plus affecté par la tectonique que les massifs anciens d’Angleterre. Le paysage d’openfield offre des niches agricoles où s’est développée la vigne, plante assez peu exigeante. Les vins ont ici un caractère un peu nerveux, à la saveur inimitable qui marie le sucré et l’acidité (ce qui est très délicat), avec une teneur en alcool qui peut être faible (9-10 °C). Ce sont donc des vins assez transparents mais qui vieillissent bien et peuvent se garder pendant dix ans. Attention, cependant à bien choisir et ne pas boire des vins à deux ou trois euros, des vins « pour étudiants », sucrés sans acidité. Il existe beaucoup de vins doux, des vins de desserts qui servaient à faire glisser la chantilly (nous sommes ici dans des régions d’élevage, avec beaucoup de crème dans la cuisine et la pâtisserie). Depuis trente ans, les vins secs sont encouragés par le gouvernement (par exemple, vers Mainz), mais ils sont assez médiocres. Les vendanges tardives consistent à attendre que les raisins aient subi le gel (parfois – 10 °C), puis à cueillir les grains : le froid a augmenté la concentration de sucre (cf. vins et cidres e glace).
Savoir lire les étiquettes
Les étiquettes sont assez difficiles à lire. Kabinett (un mot d’origine anglaise) indique que c’est un vin à prendre entre femmes dans l’après-midi, autour d’un bridge ou, pourquoi pas, d’une partie d’échecs. (Rappelons que les femmes boivent beaucoup de vin en Allemagne, qu’il n’y a pas de sexisme comme dans les pays latins où la consommation d’alcool est mal vue chez les femmes.) Le Grosslagen est fabriqué dans des propriétés collectives alors que le Einzellagenest un vin de propriété issu de vignobles individuels. Spätlese signifie vendanges tardives. L’Auslese est un vin élaboré à partir de grappes sélectionnées, parfois avec des raisins atteints de pourriture noble. Il ne faut pas se laisser abuser par l’appellation Qualitätswein bestimmten Anbaugebiete (le mot « qualité » n’est pas nécessaire sur une étiquette de grand vin) : ce vin est assez souvent chaptalisé car il est assez acide à l’origine. Selection signifie que le vin provient d’un seul cépage. Le Landwein est un vin de pays. Le Weingut est un vin de propriété.
Les cépages
Rappelons qu’en Alsace, contrairement aux usages des autres vignobles français, ce n’est pas le terroir qui donne en général son nom aux vins, mais les cépages. Les vins d’Alsace proviennent de sept cépages principaux : Sylvaner, Pinot blanc, Riesling, Muscat d’Alsace, Pinot gris, Gewürztraminer et Pinot noir. Toujours présentés dans leur bouteille typique et élancée (la flûte d’Alsace), ils sont obligatoirement embouteillés dans la région de production.
Roi de l’Alsace, considéré comme donnant l’un des meilleurs vins blancs au monde, le Riesling est vif, racé, à la couleur cristalline, doté d’un fruité délicat, avec des nuances parfois minérales ou florales. Il allie la finesse, l’élégance et le caractère. Nerveux au premier abord, il apparaît ensuite bien équilibré et long en bouche. C’est un vin gastronomique par excellence et un magnifique vin de garde (grands millésimes et vins de terroir).
Le Müller-Thurgau, créé en 1920, a un rendement assez élevé et donne des vins à deux ou trois euros que l’on peut trouver chez les discounters. Il couvre le cinquième du vignoble allemand. Plus fin est le Sylvaner, cépage de la Rhénanie-Palatinat (au nord de l‘Alsace). Il donne un vin agréable, désaltérant, léger, au fruité discret. On y décèle parfois des arômes de fruits jeunes ou légèrement floraux. Il laisse souvent apparaître une belle vivacité. Le Sylvaner accompagne souvent un plat local de la Rhénanie-Palatinat, région d’origine de l’ex-chancelier Kohl : le Saumagen, une panse de porc farcie d’abats (dans son récent Dictionnaire amoureux du vin, Bernard Pivot nous apprend qu’Helmut Kohl préfère le vin à la bière). Dans cette région, on utilise des hybrides avec des cépages de Mongolie pour tenter de les adapter au climat (d’où l’intérêt de cette question en liaison avec le réchauffement climatique).
Le Pinot, noir, blanc ou gris, donne des rendements élevés, plus de 40 hl/ha (alors que le rendement du Pinot en Bourgogne ne dépasse pas les 20 hl/ha). Il n’existe pas dans la loi en Allemagne de dispositif pour limiter le rendement, à la différence de la France avec les appellations d’origines contrôlées (AOC). En Allemagne, la loi ne règlemente que le pourcentage de sucre à la vendange. Le Pinot blanc peut donner un vin rond et tendre, qui allie fraîcheur et souplesse pour représenter un juste milieu dans la gamme des vins d’Alsace. Le cépage auxerrois, appartenant à la même famille, est le plus souvent vendu sous la même dénomination. Le Pinot noir, seul cépage rouge d’Alsace, est vinifié en rosé ou en rouge, et, dans ce dernier cas, en foudres traditionnels ou en pièces de chêne, qui ajoutent une structure plus charpentée et plus complexe à son fruité typique évoquant la cerise. Ce vin, quoique pas très bon, se vend très cher, car c’est le vin rouge le plus septentrional : le Pinot rosé coûte plus cher que le rosé de Bandol.
Le Pinot gris, autrefois Tokay, peut donner un vin puissant, opulent, à la couleur soutenue, charpenté, rond et persistant en bouche. Ses arômes sont d’une grande complexité, fruités et parfois légèrement fumés. Ces caractéristiques lui permettent souvent de remplacer avantageusement un vin rouge (viandes blanches, gibiers…). L‘appellation Tokay est maintenant interdite en Alsace et réservée au vin hongrois.
Ces vins de vallées sont présents dans plusieurs grandes régions.
La Moselle
La Moselle coule vers le Nord (passant à Trèves – ville importante sous l’Empire romain – et se jetant dans le Rhin à Coblence) en décrivant des méandres qui offrent beaucoup d’expositions différentes sur les coteaux (est, ouest, sud), disséminées en îlots. Les cépages sont donc mélangés (par exemple, un cépage donnant de l’acidité dans un coteau exposé au sud), ce qui donne des vins très variables d’une région à l’autre et même d’un village à l’autre. Cette région n’est pas très peuplée, à la différence de l’Alsace (où les densités de population sont de 400 à 500 habitants au kilomètre carré). En France, il ne reste plus qu‘une trentaine d’hectares en production (en VDQS), alors que le vin eut un passé glorieux (il fut célébré avec lyrisme par le poète latin Ausone, voir ci-dessous). Au Luxembourg et en Allemagne, les vignes sont bien plus nombreuses. L’expression « vins de Moselle » désigne plus souvent les vins allemands ou luxembourgeois que français.
L’aire de l’appellation Côte de Toul ne couvre plus qu’une centaine d’hectares proches de la ville de Toul, à l’ouest de Nancy, alors qu’elle a culminé à plus de 10 000 ha au milieu du XIXe siècle. Les ravages causés par le phylloxéra, puis par la Première Guerre mondiale ont en effet failli faire disparaître le vignoble lorrain. La tendance s’est inversée dans les années 1950 sous l’impulsion de quelques vignerons passionnés. Les méthodes de production et de commercialisation ont été améliorées peu à peu. L’appellation Côtes de Toul, qui était en AOVDQS depuis 1951, a accédé au rang des appellations contrôlées en 1998. On compte aujourd’hui une soixantaine de producteurs. Les Côtes de Toul sont surtout connues pour leur vin gris, un vin rosé dont la robe tire légèrement vers le gris, obtenu par pressurage direct sans macération à base de Gamay et de Pinot noir. Ce sont des vins fruités et plutôt vifs. Les vins rouges sont élaborés à partir de Pinot noir et meunier, les blancs à partir d’Auxerrois, parfois complété d’Aubin. Ici, les bouteilles sont foncées car les vins sont très clairs. Ces vins sont souvent célébrés par les musiciens et les poètes, pas par les écrivains. Dans la partie allemande, les stations thermales sont nombreuses (par exemple, Bad Kreuznach) et si l’on tout perdu au casino, on peut se consoler au vin de Moselle à bas prix… La tendance est à la chaptalisation. Le Riesling de la Moselle présente, quant à lui, un goût minéral et de citron en plus de son bouquet floral.
Le Palatinat
Le Rhin peut mesurer ici jusqu’à 800 m de large, donnant des paysages magnifiques et créant autour de Wiesbaden et de Mainz un microclimat. C’est dans le Palatinat, plus riche, que les vins sont les meilleurs. C’est le grand royaume du Riesling, qui couvre de la moitié aux deux tiers du vignoble. Le Riesling du Rhin est souvent plus riche que celui de la Moselle et possède un goût fruité qui rappelle celui de l’abricot.
Les autres régions
Dans le Bade-Wurtemberg, le vin, qui pousse sur le socle, ressemble au beaujolais ; il est accompagné de fromages et de charcuterie. En Saxe, on commence à voir des vignobles autour de Dresde, du Sylvaner planté par des vignerons qui ont travaillé en Italie. Dans l’extrême sud de la Saxe-Anhalt, vers Halle, on fait aussi du bon vin, qu’on boit sous les tilleuls, devant un orchestre jouant la Sonate des paysans de Jean-Sébastien Bach…
Première dégustation
Vin de Lorraine, Septentrion, Molozay, Château de Vaux, 12,5 °C, 2004, VDQS, 11,50 euros.
Ce vin d’assemblage est constitué de deux cépages : le müller-thurgau, de médiocre qualité, et l’auxerrois, un cépage local qui va redémarrer et qui « sucre » le müller-thurgau. L’étiquette de cette bouteille d’Alsace arbore un château, snobisme français qui donne un gage de sérieux. Le mot grec Septentrion fait référence au Nord. Le nez (qui est toujours le moment le plus sensuel) évoque un jour de mariage au mois d’avril, avec des fleurs de pommiers. En Allemagne, dans les manuels scolaires, on montre souvent une carte avec la date de floraison des pommiers pour expliquer l’avancée du printemps. En bouche, ce vin se montre agréable, avec de l’acidité, du sucre (un peu de gras). Les Lorrains aiment bien manger (notamment une tourte, épaisse, avec de la crème) et savent très bien s’amuser.
Deuxième dégustation Selbach-Oster, Kabinett, Qualitätswein mit Prädikat (anno 1661), Mosel-Saar-Ruwer, Riesling, 9 °C, 2001, 16,50 euros.
L’étiquette ne propose pas de château, mais un écusson : nous sommes ici à l’intérieur de l’ancien Empire, dans une région qui fut très émiettée politiquement jusqu’au XIXe siècle. Le riesling est un vin qui se prête très bien à la cuisine, même méditerranéenne, avec tomates, aubergines, ail, champignon et deux cuillerées à soupe de vin, et qui va bien avec les préparations aux échalotes : utilisez l’ail de Lautrec et le beurre breton demi-sec. A l’œil : pâle, blondeur, intensité plus grande que le premier vin. Le nez offre des senteurs d’acacia, de champignon, de sous-bois, d’herbe fraîche, de mirabelle. Les vins allemands ne se livrent pas facilement, à la différence des vins du Midi. C’est un vin à ne pas donner en premier vin lors d’un repas. Il peut être servi avec une tourte lorraine (avec des lardons, de la crème, de l’ail). En bouche : il se révèle un peu acide mais très sucré, enjôleur, pas charpenté.
La vie était belle dans les châteaux de ces régions, comme Ludwigsburg, une sorte de petit Versailles, où furent tournés des passages de Barry Lyndon, de Stanley Kubrick, où l’on joue aux cartes et à des jeux d’argent. Les Allemands sont de gros consommateurs de charcuterie : c’est la zone du porc (la vache est utilisée pour le lait). Les Allemands aiment le sucré, qu’ils aiment marier au salé. Ils ont gardé du Moyen Âge le goût du miel (qui était jusqu’au XVIIIe siècle le seul moyen de sucrer les aliments) et on retrouve ce goût là dans le vin. Ce n’est pas une civilisation paysanne, à la différence de la Bourgogne où nous allons à la recherche d’un vin local : la double activité est très développée dans ce pays complètement péri-urbanisé. Ici, les citadins commandent largement le goût du vin. Nous avons donc un vin très travaillé pour un public pas toujours exigeant, au palais déjà sollicité par la charcuterie, un vin qui a un côté maquillé.
Troisième dégustation
Dr. Randolf Kauer, Weingut, Spätlese (vendange tardive), Bacharacher Kloster, Mittelrhein, Riesling, 9 °C, 2004, 19,65 euros.
Ce vin est plus cher car il est plus rare à Paris. Les vendanges tardives sont assez récentes car on a découvert par accident que l’on pouvait vendanger en novembre en passant plusieurs fois dans les vignes. Ce vin est souvent servi dans des verres romains (qui ressemblent à des calices), utilisés en Alsace, très étroits, colorés.
A l’œil : c’est un vin plus « complexe ». Le nez fait apparaître des arômes de fleurs, un peu d’abricot, de la confiture de fraise. En bouche : nous avons une pointe d’acidité, quelque chose de vif qui chatouille le palais (cf. le perlé de Gaillac), corrigé par le sucre. Le vin est à boire avec des viandes blanches à la lyonnaise, à la béchamel. Aussi avec une tarte aux prunes, une tarte aux quetsches, des choux à la crème, un gâteau aux amandes.
Quatrième dégustation
Gisselbucht, Alsace, Gewürztraminer, 13 °C, 2004, 13 euros.
A l’œil : bonne intensité, brillant, plus foncé que le vin précédent. Le nez révèle des arômes floraux, fruités (on sent le soleil), la cannelle (les épices), un peu de vanille. En bouche, nous avons un vin très équilibré, avec un peu d’acidité, du moelleux, de l’amertume, un peu de tanin : c’est un vin souple. Gewürz signifie « épice » et traminer fait référence à une famille assez nombreuses de cépages (dont, par exemple, le savagnin d’Arbois). Le Gewürztraminer est probablement le plus célèbre des cépages d’Alsace, reconnu pour ses caractéristiques aromatiques exceptionnelles, donnant un vin très expressif : couleur intense, complexité et variété des arômes fruités (coing, pamplemousse, litchi), floraux (acacia, rose) ou épicés (cannelle, girofle, poivre). De structure puissante, et ronde, parfois légèrement moelleux, c’est un vin immédiatement séducteur, souvent un vin de garde. C’est un vin qui a bénéficié de la présence de grandes familles marchandes, comme celle des Hugel. Cf. Roger Dion : l’Alsace est devenue riche et la richesse a enrichi le vin. La bière était en Alsace une boisson allemande après 1871 et les Alsaciens cultivaient leur amour du vin dans les winstub qui étaient interdits aux Allemands. Un vin à déboucher avec un munster, un pain d’épice tartiné d’un beurre breton demi-sel.
Ausone et les vignes des coteaux de Moselle
Né vers 310 à Bordeaux, Decimus Magnus Ausonius, dit Ausone, est un poète gallo-romain (son grand-père était éduen et sa grand-mère de Tarbes). A Trèves, alors siège de l’Empire, il servit l’empereur Valentinien et fut le précepteur de son fils Gratien. Il fut ensuite préfet des Gaules avant de tomber en disgrâce en 383, sous Maxime, et de finir paisiblement sa vie dans son petit domaine bordelais (« cent arpents de vignes au bord de la Garonne »). Il en rêvait en contemplant le vignoble mosellan de Trèves.
Voici des courts extraits de son œuvre :
« Alors l’aspect et la beauté du brillant Bordeaux, ma patrie, se sont rappelés à ma pensée par tout cet aimable paysage : habitations élevées sur des rives escarpées, collines vertes de vignobles, et, à leurs pieds le cours charmant de la Moselle, au murmure presque silencieux. Salut […] fleuve aux collines plantées de vignes au vin parfumé […] Que la vue de vignes nous amènent un autre spectacle, que les présents de Bacchus attirent nos regards errants, là où une haute crête domine une longue ligne d’escarpements, là où des rochers, des collines ensoleillées, des sinuosités et des cavités se dressent avec des vignobles en un amphithéâtre naturel. Ainsi des ceps féconds couvrent le mont Gaurus et le Rhodope, ainsi les raisins brillent sur leur Pangée ; ainsi verdoient les hauteurs de l’Ismare au-dessus de la mer de Thrace ; ainsi les vignobles colorent ma Garonne dorée. En effet les sommets tout en haut de la pente et le bord du fleuve sont unis par une ligne de vignes vertes. Le menu peuple de gais travailleurs, les paysans pressés, s’approchent tantôt du faîte et tantôt du flanc incliné des montagnes, rivalisant de cris populaciers. Ici le voyageur, foulant le sol de la rive, là le marinier passant, trompettent des brocards aux vignerons retardataires : leur voix est répercutée par les rochers, par la forêt frémissante, et par le fleuve profond. »
Idylle « A la Moselle », Œuvres en vers et en prose, traduction Max Jazinski.
Sachez apprécier et consommer avec modération.
Compte rendu : Michel Giraud.