Mercredi 18 janvier 2017, 18h – Café le Beaujolais, Chambéry
Par Alexis Metzger, post-doctorant en géographie à l’Université de Strasbourg. Sa thèse soutenue en 2014 s’intitulait « Le froid en Hollande au Siècle d’Or. Essai de géoclimatologie culturelle » et il est l’auteur de l’ouvrage Plaisirs de glace. Essai sur la peinture hollandaise hivernale paru en 2012.
Alors que l’actualité de cette mi-janvier est aux températures négatives, en dessous des « normales saisonnières », dans les Alpes françaises il est surtout question des stations qui attendent la neige avec impatience… Dans ce contexte, quel serait l’hiver idéal ? Et repose-t-il seulement sur des conditions météorologiques ?
Pour répondre à ces questions, Alexis Metzger nous convie à explorer l’art et la littérature pour démontrer que l’hiver n’est pas seulement une saison inscrite sur le calendrier. C’est aussi un ensemble composé de paysages et de représentations. Et pour ponctuer son intervention, le géographe a choisi plusieurs textes qui ont été lus par le public.
Lecture : Martin de la Soudière, ethno-sociologue du climat, traduit sa passion pour une saison, l’hiver.
Alexis Metzger propose ensuite plusieurs images plus ou moins « hivernales » dans notre imaginaire. La caractéristique commune que l’on retrouve sur chacune des images est, sans trop de surprise, la présence de la neige. Ce peut-être l’exemple inopiné d’un skieur descendant les pentes enneigées de Montmartre, ou encore une image du col du Tourmalet de juin 2013 où des cyclistes cheminent entre deux immenses murs de neige. L’hiver vécu ne s’arrête donc pas aux bornes calendaires. Et les conditions météorologiques peuvent alors être associées à des conditions « hivernales ». La probabilité d’occurrence d’une forte tempête de secteur ouest qui serait plus élevée en hiver sur la façade atlantique européenne est aussi une image de cette saison. D’autres événements peuvent également y être associés, telles de fortes crues liées aux précipitations.
En fait, il convient surtout de parler de multiplicité des hivers : il y a des hivers sans neige, des hivers en ville, des hivers doux, etc. Observer l’hiver en ville permet de voir comment les sociétés urbaines s’y adaptent. À Amsterdam, par exemple, on déneige d’abord les pistes cyclables avant de déneiger les routes. De plus, certains caractères saisonniers sont assimilés à la façon de se nourrir durant cette saison, avec des légumes et des aliments d’hiver.
Il existe au sein de l’hiver une grande diversité de types de temps. Ce dernier varie selon l’ensoleillement, les températures, les précipitations, le vent, etc. ; il est perçu différemment en fonction de la présence de neige et de glace au sol. Tous ces paramètres reflètent les combinaisons potentielles d’une palette de types de temps extrêmement diversifiés ancrée au sein de bornes temporelles de l’hiver. Des préférences collectives se construisent pour certains types de temps, esquissant de la sorte un hiver idéal. Il serait vain de vouloir définir l’hiver idéal pour chacun de nous, toutefois l’idéal hivernal se caractérise peu ou prou par de la neige au sol, un ciel bleu, un bel ensoleillement, des températures froides, ainsi que l’absence de vent et de précipitations.
Lecture : Pierre Loti. Il identifie des types de temps totalement opposés à ce temps idéal de l’hiver.
La qualification du type de temps de l’hiver est très réductrice dans la mesure où le froid glacial sans neige et sans soleil est très dévalorisé ; « on » préfère un temps ensoleillé associé à un paysage enneigé, une représentation en grande partie consolidée par le développement des sports d’hiver. Par exemple, en effectuant une recherche internet pour voir les images associées à la requête « l’hiver à Chambéry », on obtient plus ou moins les résultats préférés des internautes. Ils montrent alors un type de temps hivernal idéal et des paysages de montagnes enneigées, et la ville de Chambéry qui n’est que très rarement représentée. Ainsi, on valorise l’image d’un paysage considéré comme esthétiquement beau avec la présence de neige au sol valorisée par l’ensoleillement, et non celle d’un hiver sans neige et brumeux.
Un découpage historique relatif à l’appréciation de la neige met en lumière le fait que ce goût n’était au XVIème siècle que principalement lié au refroidissement des aliments. Au XVIIème siècle, la vision de la neige gagne de l’importance pour les scientifiques qui étudient par exemple la forme des flocons. Elle est aussi davantage prise en compte par les artistes qui font de plus en plus apparaître des paysages d’hiver dans leurs peintures. Avec l’essor du ski, on assiste ensuite à une certaine passion pour le contact de la neige. Peu à peu, cela reflète un changement des mentalités : le regard sur la neige se construit et se transforme. Dans le même temps, l’historien Christophe Granger explique le goût pour le soleil par la mode de la baignade et de l’exposition du corps au soleil, auxquelles s’ajoute son appréciation en hiver.
Lecture : Pierre Barbéris. La neige est dans la littérature liée à une certaine mystification d’une enfance idéale.
Alexis Metzger a effectué avec Martine Tabeaud un travail statistique sur les représentations de l’hiver dans les affiches ferroviaires, lesquelles étaient des médias fort utilisés pour promouvoir certaines destinations touristiques. Sur une centaine d’affiches suisses publiées depuis le début du XXème siècle, il a observé l’apparition du beau temps avec une grande majorité de ciels sans nuage et des types de temps qui ressemblent à l’idéal neigeux permettant des activités sportives. Il a ensuite comparé cela avec des types de temps observés dans certaines stations : pour plus de la moitié d’entre elles, il observe la plupart du temps la présence d’une couverture nuageuse. D’où un réel décalage entre ce qui est promu et représenté subjectivement, et la réalité météorologique constatée objectivement. De plus, aucune affiche ne représentait la pluie ou la neige qui tombe, effaçant alors des images ces types de temps.
Afin de comprendre quels éléments du paysage sont représentés, A. Metzger a aussi observé les images des catalogues touristiques selon les saisons et il en a déduit que les intersaisons sont très peu visibles, à l’inverse de l’été. L’hiver, quant à lui, est toujours représenté par la présence d’un manteau neigeux et d’un ciel bleu, lié à un désir social d’activités hivernales et à une économie de la neige dans beaucoup de pays européens.
Lecture : Pierre Magnan. L’ensemble de ses ouvrages se déroulent aux alentours de Dignes, dans les Alpes, avec souvent de belles descriptions de l’hiver.
Il est possible d’affirmer l’existence d’un hiver idéal promu pour les touristes et par les médias, dans le but de nourrir un désir social de l’hiver. Cette production d’images n’est pas anodine, elle répond aussi à des impératifs économiques dans la mesure où il existe une réelle nécessité de promotion de ce type de temps pour favoriser le développement des pratiques hivernales, et donc d’une économie territoriale.
En revenant à des considérations artistiques, A. Metzger met en lumière certaines caractéristiques des représentations de l’hiver dans la peinture hollandaise du XVIIème siècle. Il explique qu’à cette époque la peinture répondait à une demande sociale, dans la mesure où les paysages étaient peints pour être exposés dans les intérieurs bourgeois. Ainsi, un imaginaire de l’hiver a évolué selon les périodes et les sociétés. En effet, les artistes du XVIIème montrent une image de l’hiver différente des formes contemporaines de par une valorisation de la glace et des nuages et non de la neige, reflétant de ce fait l’appréciation de certains types de temps hivernaux. Des caractéristiques météorologiques observées par un pasteur à cette période révèlent cependant que ces peintures correspondaient à seulement 17 % de l’hiver dans sa globalité tel qu’il avait vraiment lieu à l’époque. On peut alors observer des choix quant à la représentation qui sont différents selon les époques et les espaces.
Lecture : Georges Simenon. L’auteur effectue une description de l’hiver en ville, fait rare évoquant l’hiver rude pour les Parisiens, témoignant une certaine forme d’adaptation.
Pour conclure, Alexis Metzger revient sur le fait que la quête d’un hiver idéal repose sur une saison, un espace et une émotion. De plus, l’hiver peut être caractérisé de bien des façons selon chaque individu : nous avons tous un hiver attendu et désiré. On peut même qualifier d’hiverniste (selon la terminologie de Hamelin) une personne qui s’approprie l’hiver et qui s’y adapte. Il y a également un hiver des pays du Nord et un autre d’Europe de l’Ouest par exemple, du fait de l’existence d’autres visions latitudinales de l’hiver que la nôtre.
Borner l’hiver est un exercice très difficile. Il existe un hiver climatique qui représente l’intégralité des mois de décembre, janvier et février, puis un solstice d’hiver le 21 décembre, mais l’hiver vécu et le type de temps approprié peut durer sur la longueur. Il est de ce fait tout à fait variable.
Dans son livre Trésors du terroir, Roger Brunet fait état de tous les toponymes de France et essaye d’expliquer d’où ils viennent, comment les comprendre et comment ils ont fluctué au fil des saisons. Ainsi, il y a beaucoup de termes liés à la neige dans les massifs, mais la plupart des « Yvers » ou « Hivers » correspondent plus à des endroits où l’on observe un déficit de soleil.
Lecture : Cédric Gras. Dans L’hiver aux trousses, l’auteur prend le parti de ne pas se faire rattraper par l’hiver et compose son voyage sans jamais être dans une position dite hivernale.
Questions
Est ce que le choix de cette saison a été guidé dans vos travaux par des caractéristiques particulières, ou est ce que l’hiver se prête bien à cet imaginaire culturel et social ?
Alexis Metzger : Par rapport à l’été, l’hiver a des caractères plus facilement abordables. Tous les paysages peints étudiés dans la thèse pourraient témoigner du refroidissement climatique du XVIIème siècle, ce qui est peut-être à la source d’une création artistique. Il était alors intéressant de faire le lien entre les deux, mais l’étude pourrait être étendue à d’autres saisons.
Avez-vous travaillé avec des climatologues ? Avez-vous pu comparer vos résultats avec une analyse picturale ?
Alexis Metzger : J’ai été encadré par une climatologue (Martine Tabeaud) et j’ai pu comparer ce qui relève de la représentation avec ce qui relève du fait plutôt mesurable et observable. J’ai alors fait la part des choses entre représentations et diversité des types de temps. Il est intéressant d’étudier ces décalages entre les deux ainsi que les sous-représentations et surreprésentations de l’hiver.
Avez-vous regardé s’il y a des proverbes et dictons météorologiques dans certains recueils ?
Alexis Metzger : Non, mais Martin de la Soudière a travaillé sur des dictons et il existe de nombreux contes populaires qui sont évocateurs à cet égard.
Vous disiez que l’hiver idéal se construit à travers la recherche du beau temps, mais cela ne serait-il pas nuancé par le fait de toujours vouloir de la neige à Noël ? La notion de beau temps est-elle valable tout l’hiver ?
Alexis Metzger : Qu’est-ce qu’un beau temps, qu’est-ce qu’un mauvais temps ? Cela est subjectif car il est possible de trouver qu’un temps pluvieux est beau. L’image la plus valorisée est celle de la neige qui est tombée et qui reste au sol. Mais ce n’est pas celle de la neige à Noël qui l’est le plus.
La communication des stations de ski en ce qui a trait aux conditions en temps réel par le biais des webcams est cependant très mise en avant dans la mesure où les chutes de neige sont très attendues.
Alexis Metzger : Parce que la neige est désirée. Aujourd’hui, des webcams sont installées dans toutes les stations, ce qui permet de se décider pour partir en vacances en fonction des conditions d’enneigement.
Pourquoi met-on en avant le beau temps comme étant bénéfique économiquement ? Pourquoi le fait d’avoir un ciel bleu « vend » mieux un territoire ?
Alexis Metzger : La pluie peut être mise en avant, comme avec la verdure de l’Irlande. Mais cela est plus restreint. On peut également jouer sur le fait que s’exposer au soleil est dangereux. Mais il est possible que la valorisation des types de temps hivernaux ensoleillés soit d’abord liée à la valorisation estivale du soleil.
Il y a t-il un lien entre la représentation de l’hiver et le travail paysan du XIXème siècle ?
Réponse : Je n’ai pas trop travaillé sur ce sujet, mais Emmanuel Le Roy Ladurie a travaillé sur l’adaptation des paysans et leur sensibilité au temps qu’il fait.
Est-ce qu’on peut définir le temps ou la durée d’un hiver idéal ?
Réponse : Nous pouvons nous appuyer sur des dictons comme celui qui indique que la présence de l’hiver commence à la Saint-Martin, liant alors cette saison à des habitudes culturelles. Les vendanges marquent, quant à elles, une transition des activités et la borne la plus extrême serait celle des Saints de glace en mai. On pourrait donc l’éterniser jusqu’au début du mois de mai avec le calendrier agricole. Il existe aussi un temps économique de l’hiver qui devrait être restreint dans la mesure où il contraint les déplacements et implique un certain coût.
Pouvez-vous nous parler du livre L’année sans été, de Gillen d’Arcy Wood ?
Alexis Metzger : En 1815, l’éruption d’un volcan d’Indonésie a eu pour effet d’émettre des particules dans l’air qui sont arrivées en Europe pendant l’été 1816, créant alors des ciels aux curieuses couleurs ainsi que des précipitations répétées.
L’hiver est beaucoup représenté comme un temps de dehors, mais il exacerbe également l’espace de l’intérieur. Peut-on imaginer l’hiver au prisme de l’intérieur ?
Alexis Metzger : Il existe des travaux sur les pratiques hivernales dans l’espace de la maison et sur les sociabilités hivernales. Aujourd’hui, nous sommes plus affranchis des conditions extérieures donc cela a sans doute moins de sens, mais il serait intéressant de se pencher sur le passé de ces modes de vie.
Quelques pistes bibliographiques
Anne Cablé et Martine Sadion (dir.), Les neiges. Images, textes et musiques (catalogue d’exposition du musée de l’image d’Epinal), Epinal, 2011.
Christophe Granger, « Le soleil ou la saveur des temps insoucieux », dans Alain Corbin (dir.), La pluie, le soleil et le vent. Histoire des sensibilités au temps qu’il fait, Paris, Flammarion, 2013, p. 37-68.
Gilles Lapouge, Le bruit de la neige, Paris, Albin Michel, 1996.
Alexis Metzger, Plaisirs de glace. Essai sur la peinture hollandaise hivernale du Siècle d’or, Paris, Hermann, 2012.
Xavier de Planhol, L’eau de neige. Le tiède et le frais : histoire et géographie des boissons fraiches, Paris, Fayard, 1995.
Martin de la Soudière, L’hiver. A la recherche d’une morte-saison, Paris, La Manufacture, 1987
Martin de la Soudière, Quartiers d’hiver, Paris, 2016.
François Walter, Hiver. Histoire d’une saison, Paris, Payot, 2014.
Compte-rendu rédigé par Lucile Journot, relu et amendé par Alexis Metzger