Anselm Kiefer
Centre Pompidou
16 décembre 2015- 18 avril 2016

affiche-anselm-kiefer

C’est à une traversée inédite de l’œuvre de l’artiste allemand, Anselm Kiefer que le Centre Pompidou nous invite. Elle retrace l’ensemble de sa carrière, de la fin des années soixante à aujourd’hui. Cette exposition est un événement à ne manquer sous aucun prétexte ! Kiefer est un titan dont l’œuvre est singulière, prolifique autant que monumentale. Il n’a pas d’autre but que de vous forcer à réfléchir sur l’histoire (celle de l’après deuxième guerre mondiale) et sur la mémoire. Il invente un nouveau langage qui convie en permanence les poètes, les penseurs et écrivains et affirme que la mélancolie est au cœur du processus créatif.

L’artiste Anselm Kiefer, un titan

Un homme solitaire

Il naît en Allemagne, dans le Bade Wurtemberg, entre Forêt Noire et lac de Constance en mars 1945. L’Allemagne n’est déjà que ruines de même que la maison dans laquelle il est né. En 1965 il entre à l’Université de Fribourg- en- Brisgau, où il étudie les lettres romanes. Il se rêve poète, mais le dessin est sa seconde passion. Après avoir lié amitié avec Le Corbusier et admiré son œuvre, il se lance finalement dans une formation artistique, puis installe son premier atelier à Karlsruhe.

C’est son propre portrait qu’il introduit dans le tableau ci-dessous.

Die Orden der Natcht [Les ordres de la nuit] 1996 Acrylique, émulsion et shellac sur toile 356 x463 cm Seattle Art Museum. Photo: © Atelier Anselm Kiefer

Die Orden der Natcht [Les ordres de la nuit] 1996 Acrylique, émulsion et shellac sur toile 356 x463 cm Seattle Art Museum. Photo: © Atelier Anselm Kiefer

Le peintre est allongé sous des tournesols géants. Il observe le firmament, ce qui lui permet de rapprocher les deux espaces : terrestre et céleste, de franchir les frontières par l’intermédiaire de son corps, membrane entre le macrocosme et le microcosme. Il investit le tournesol (plante dont le nom indique le lien direct avec l’astre) du pouvoir de transmission de la vie. Ses graines noires vont féconder le sol creux et sec.

Cette toile est immense, plus de deux fois la hauteur d’un homme. Sa palette, faite de matières aux couleurs sourdes, est identifiable à la quasi-totalité de son œuvre. L’homme et l’œuvre ne font qu’un pour Anselm Kiefer. Le monde est un tout sous le soleil noir de la mélancolie.
Un homme ambigu

Son projet de fin d’études : une série de photographies titrées Besetzungen [Occupations]. Elles vont lui valoir une célébrité immédiate, faite surtout d’hostilité.

Vêtu d’un uniforme militaire, il pose le bras levé, parodiant le salut hitlérien. Il répète la scène dans plusieurs pays européens, ceux qui étaient occupés pendant la Seconde guerre mondiale.

Quelques années plus tard, dans une nouvelle série de peintures cette fois, il reprend ce geste. Aujourd’hui encore cette provocation est perçue comme une ambiguïté.

Heroisches Sinnbild [Symbole héroïque] 1969-70. Huile et fusain sur toile

Heroisches Sinnbild [Symbole héroïque] 1969-70. Huile et fusain sur toile

Cet autoportrait a une symbolique violente. Il s’agit de réveiller l’amnésie collective allemande des années 1970 et d’endosser une responsabilité dont il considère ne pas devoir taire l’héritage. Il interroge son statut d’Allemand : « Je voulais juste savoir qui je suis, d’où je viens, le nazisme étant mon antériorité la plus proche ».

Ce tableau, a bien le regarder, trahit la dérision : ceux qui faisaient le salut hitlérien le faisaient dans des stades remplis de milliers de personnes. Ici l’artiste est seul, ridicule !

Sa solitude s’insère dans la nature : une montagne et un lac, ceux de son enfance. Mais aussi une référence directe à l’œuvre de Caspar David Friedrich, peintre romantique allemand majeur du XIX ème et dont il aime à s’inspirer. Pour Friedrich la nature est la seule voie d’accès au divin.

Un homme du questionnement

Les peintures de terre brûlée comme les livres calcinés renvoient aux paysages européens dévastés par la folie meurtrière. Elles renvoient aussi aux autodafés de la période nazie.

Nigredo (détail) 1998, plomb, acier, fil métallique, huile, sel, plâtre, résine, acrylique et pastel 320 x 160 x 100 cm Courtesy White Cube © Photo Ben Westoby

Nigredo (détail) 1998, plomb, acier, fil métallique, huile, sel, plâtre, résine, acrylique et pastel 320 x 160 x 100 cm Courtesy White Cube © Photo Ben Westoby

Les livres, superposés avec des chaises de jardin rouillées rendent compte de la précarisation des hommes par les objets qu’ils produisent. Que deviendront demain les livres, comme instruments de la connaissance ? Le livre n’est-il pas déjà mort ?

Dans les années 1970 Anselm Kiefer nourrit son œuvre des grands mythes allemands dont les nazis s’étaient emparés. Vingt cinq ans après la chute de Berlin, les Allemands ne veulent plus entendre parler de ces légendes glorieuses, ni de Richard Wagner (?) qui s’est nourri de ces Nibelungen contes venus du Nord où les dieux germains s’entretuent sur les bords du Rhin.

Siegfried vergißt Brünhilde [Siegfried oublie Brunehilde] 1975 Huile sur toile 130 x 150 cm Collection Ströher, Museum Küppersmülhe für Moderne Kunst © Photo Ströher 2012, Olaf Bergmann Witten

Siegfried vergißt Brünhilde [Siegfried oublie Brunehilde] 1975
Huile sur toile 130 x 150 cm Collection Ströher, Museum Küppersmülhe für Moderne Kunst © Photo Ströher 2012, Olaf Bergmann Witten

Ici, Siegfried, ayant bu le filtre (nazi (?) oublie Brunehilde, enfermée dans son cercle de feu. Il s’engage dans un oubli tragique justifiant ces sillons chargés de neige, qui ne mènent nulle part, si ce n’est vers un horizon sans espoir. Ce paysage désert, ces sillons dont la ligne de fuite est infinie, sont maintes fois représentés dans l’œuvre de l’artiste. Le paysage est la matrice de l’histoire, les géographes le savent bien.

Un homme de la démesure

Steigend, Steigend, Sinke Nieder [En montant, en montant vers les hauteurs, enfonce toi dans l’abîme. 2012- 2015 Tôle galvanisée, métal, plomb, photographies noir et blanc, eau. 7,80x15, 60 x 4,90

Steigend, Steigend, Sinke Nieder [En montant, en montant vers les hauteurs, enfonce toi dans l’abîme. 2012- 2015 Tôle galvanisée, métal, plomb, photographies noir et blanc, eau. 7,80×15, 60 x 4,90

Cette installation, dans le forum du Centre Pompidou est en accès libre. Six conteneurs empilés sur trois niveaux et évidés en leur centre, ménagent un puits par lequel des bandes de plomb se déversent du sommet. Elles terminent leur chute dans un bassin d’eau. Sur les bandes sont collées des milliers de photographies en blanc et noir prises par l’artiste au cours de sa carrière. Le titre, en référence au Faust de Goethe, suggère un double mouvement de montée et de descente : « en montant vers les hauteurs, enfonce toi dans l’abîme.

Vous êtes invités à emprunter l’escalier hélicoïdal et de suivre l’injonction de A. Kiefer : faites un voyage dans la temporalité de l’artiste.

L’homme des matériaux les plus divers et surprenants

Comme en réponse au champ énorme de ses références culturelles, Anselm Kiefer utilise toutes sortes de composants picturaux : peinture, ciment, fil de fer, béton, plâtre, paille, graines, argile, cendre et plomb ! Un inventaire à la Prévert.

Il ne lésine pas sur les empâtements houleux, les livres carbonisés, les objets rouillés. Et comme ses toiles sont gigantesques, il faut insister sur cette démesure, l’épaisseur des œuvres peut aller jusqu’à 40 cm ! Ceci explique l’emploi du « shellac » laque à particules de nacre, importée d’Asie dès le XVIII ème par des Hollandais. Cette matière très résistante peut-être gravée ou incrustée d’autres matériaux. Il faut insister surtout sur l’utilisation du plomb.

Il l’utilise dès les années 1970, et surtout à partir du moment où il a acheté les 35 tonnes du toit de la cathédrale de Cologne en réfection. Vous avez bien lu : 35 tonnes de plomb.

Il l’utilise autant pour sa malléabilité et son adaptabilité physique que pour ses propriétés alchimiques : métal de Saturne (dieu de la mélancolie) et matière première des alchimistes qui pensaient le transformer en or.

Un homme mondialement reconnu de son vivant.

Dès 1970, on lui offre une exposition personnelle à Karlsruhe. Il a 25 ans !

Il ne cesse depuis d’exposer dans toutes les capitales d’Europe, puis dans les métropoles des Amériques, (de New York à Sao Paulo) et enfin d’Asie.

En 1990, il reçoit tous les honneurs en Israël : exposition inaugurale dans le nouveau Musée de Jérusalem, réception d’un prix à la Knesset «  pour ses réalisations dans l’intérêt de l’humanité et des relations amicales entre les peuples ».

Depuis 1992 il vit en France. Installé dans le Gard jusqu’en 2007, il s’est depuis doté de nouveaux ateliers en région parisienne. La France l’a déjà accueilli à la chapelle Saint-Louis de la Salpetrière, à la Monumenta du Grand Palais et au Louvre en 2007. En 2010, il enseigne au Collège de France où il occupe la chaire de création artistique. Il intitule son cycle « L’art survivra à ses ruines ». Aujourd’hui deux expositions simultanées lui sont consacrées : celle du Centre Pompidou et aussi une exposition à à la BNF François Mitterrand, intitulée : « Anselm Kiefer. L’alchimie du Livre ».

Jusqu’à ce jour, homme infatigable, il arpente le monde, accumule les voyages, les photographies et les distinctions honorifiques.

Parcours de l’exposition

Près de 150 œuvres, peintures, installations, vitrines, premiers livres de l’artiste sont déployés sur 2 000 m 2 dans des salles espaces / temps spécifiques. S’y succèdent la question de l’histoire allemande, la réactivation de la mémoire, la dialectique de la destruction et de la création, le deuil de la culture yiddish.

Visiteurs, ne soyez pas pressés, donnez du temps au temps. Les œuvres se regardent dans un va et vient incessant, de loin puis de près. Le temps de l’émotion, le temps de la compréhension ou de l’interrogation. Il faut se préparer à affronter un géant.

L’exposition, à la fois thématique et chronologique se déroule sur 13 salles.

Tentons, à travers quelques exemples d’aller à l’essentiel de cette œuvre foisonnante, déroutante, passionnante.

Les ateliers du peintre

 Notung, 1973 Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

Notung, 1973
Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

A partir de 1973, Kiefer peint une série d’œuvres dans l’atelier qu’il a installé dans les combles d’une école, dans l’Odenwald. L’artiste réunit, dans de grandes scènes d’ateliers en bois, l’Histoire, la religion et les grands mythes germaniques. Ainsi l’épée de Siegfried (épopée des Nibelungen du XIII ème siècle) est plantée au cœur de cette toile. Wagner se l’était appropriée, puis les nazis. Kiefer montre sa fascination pour les héros germaniques qui participent de l’identité nationale, érigés en dieux tout en étant faillibles : l’épée n’est-elle pas tâchée de sang ?

Barjac

Barjac

En 1992 l’artiste s’installe en France, dans le Gard, à Barjac. Le domaine de La Ribaute s’étend sur 25 ha…..c’est un lieu de vie autant que de création. Il rénove le bâtiment principal (une ancienne magnanerie des Cévennes) puis creuse des tunnels, construit des passerelles et des tours de béton. La démesure fait partie de la vie même de l’homme.

L’équilibre précaire des tours est celui des constructions qu’il échafaudait enfant avec les briques des maisons détruites par la guerre. Il voulait que çà penche un peu puisque, dit-il : « les sciences ne sont exactes qu’un certain temps et à un certain degré de connaissance. Puis une autre théorie détruit la précédente. Les sciences ne parviennent pas à articuler macrocosme et microcosme. Einstein n’y est pas parvenu et a cherché toute sa vie ».

Un autre atelier, encore plus géant est acquis à Croissy, en région parisienne en 2008. Kiefer garde tout et voit toujours plus grand.

La forêt germanique

Il n’y a de sens que dans la nature nous dit Kiefer. Elle est l’essence du divin. Il reprend à son compte les peintres romantiques allemands comme Caspar David Friedrich. Mais il y ajoute le poids de l’histoire.

Varus 1976, huile et acrylique sur toile de jute, 200 x 270 cm Collection Van Abbemuseum, Eindhoven © Photo Jochen Littkemann, Berlin

Varus 1976, huile et acrylique sur toile de jute, 200 x 270 cm Collection Van Abbemuseum, Eindhoven
© Photo Jochen Littkemann, Berlin

Dans ce paysage de neige sanglant, fermé par la forêt, Kiefer convoque Varus (son nom est inscrit au premier plan du tableau). Varus était le gouverneur Romain placé à la tête des légions en l’an 9. Il fut défait à la bataille de Teutobourg par Arminius (devenu Hermann). Ce mythe est fondateur de l’identité allemande. Il fut remis à l’honneur au XIX ème avec l’unification allemande. Kiefer inscrit ensuite dans la neige ou sur la cime des arbres le nom des lettrés qui se sont emparés de ce mythe, tous liés par une ligne blanche qui figure les liens culturels complexes d’une nation.

La valeur des ruines

Au début des années 1980, l’histoire allemande hante toujours Kiefer. Il représente alors une série d’architectures néo-classiques érigées par les architectes du III ème Reich. Le plus connu, Albert Speer a écrit « Théorie de la valeur des ruines ».

La ruine est présente dans la peinture romantique allemande (encore elle) mais aussi dans l’œuvre de Speer. Il veut donc construire des édifices grandioses, qui seront encore admirés lorsque le temps les aura ruinés, tout pareil que les ruines Antiques !

Dem unbekannten Maler 1983, huile, acrylique, émulsion, shellac et paille Collection Ströher, Museum Küppersmülhe für Modern Kunst, Duisburg © Photo Prudence Cuming Associates LTD, Londres

Dem unbekannten Maler 1983, huile, acrylique, émulsion, shellac et paille
Collection Ströher, Museum Küppersmülhe für Modern Kunst, Duisburg © Photo Prudence Cuming Associates LTD, Londres

Dans ce tableau Kiefer représente les ruines de la Chancellerie du III ème Reich, construite par Speer. L’édifice a été bombardé par les Alliés. Tout est carbonisé et chacun sait que le feu est rédempteur.

Kiefer est ici parfaitement ambigu car il admire cette construction. En même temps il dit que pour construire il faut d’abord détruire, ce qui est commun aux artistes (il faut tuer le père pour exister).

Enfin, le titre du tableau mérite que l’on s’y attarde. Kiefer signe : «Dem unbekannten Maler », soit  « le peintre inconnu ». C’est pour rappeler que l’œuvre de Heinrich Heine, « Die Lorelei », était devenue sous les nazis l’œuvre du « poète inconnu ». Petite précision, Heine était juif.

Les vitrines ou l’alchimie du verre

La salle compte une quarantaine de vitrines sur les thèmes de l’alchimie et de la Kabbale, réalisées spécialement pour cette exposition. Dans ses ateliers de Barjac et de Croissy, il est allé puiser dans une « réserve des possibles » un arsenal d’objets en attente de rédemption.

Son œuvre conceptuelle fait directement référence à celle de Joseph Beuys (1921-1986), autre chantre de la culture germanique. Comme Beuys, Kiefer veut abattre la frontière entre l’art et la vie, « éduquer » ceux qui souhaitent s’approcher de l’art comme un moyen de libération personnelle et sociale. Comme Beuys (l’un des fondateurs du parti allemand des Grünen (Verts), Kiefer le disciple affirme sa volonté de dialoguer avec la nature.

Saturn – Zeit [Temps de Saturne] 2015, verre, métal, argile, acrylique, plomb, cuivre, résine, encre 152 x 180 x 70 cm Collection particulière © Photo Georges Poncett.

Saturn – Zeit [Temps de Saturne] 2015, verre, métal, argile, acrylique, plomb, cuivre, résine, encre 152 x 180 x 70 cm Collection particulière © Photo Georges Poncett.

Sous verre, ces objets mettent en jeu l’univers disloqué et saturnien d’un âge industriel révolu : vieilles machines, ferrailles rouillées, photos, plantes, objets de plomb.

Les vitrines, dit-il sont réalisées avec des objets qui réagissent l’un avec l’autre et me donnent des idées.

Margarethe & Sulamith : hommage à l’œuvre de Paul Celan

Les deux tableaux qui suivent, acquis par les collectionneurs Doris et Donald Fisher, sont les deux faces de l’Allemagne : ici se joue une situation de domination entre la geôlière à l’aryanité symbolisée par les cheveux d’or et sa victime juive aux cheveux de cendre.

Margarethe 1981 Huile, acrylique, émulsion et paille sur toile 2, 80 x 400cm The Doris & Donald Fisher Collection at the San Francisco Museum of Modern Art © Anselm Kiefer / photo Ian Reeves

Margarethe 1981 Huile, acrylique, émulsion et paille sur toile
2, 80 x 400cm The Doris & Donald Fisher Collection at the San Francisco
Museum of Modern Art © Anselm Kiefer / photo Ian Reeves

Le nom de Margarethe est inscrit au pinceau au centre du tableau. Elle est représentée par des tiges de paille dressées, entre ciel et terre et qui se transforment en cierges irradiants. C’est l’Allemagne prospère et dans la lumière.

Sulamith 1983 huile, émulsion, gravure sur bois et paille sur toile 290 x 370 cm Collection Doris & Donald Fisher San Francisco Museum of Modern Art © Photo Ian Reeves

Sulamith 1983 huile, émulsion, gravure sur bois et paille sur toile 290 x 370 cm Collection Doris & Donald Fisher San Francisco Museum of Modern Art © Photo Ian Reeves

Sulamith est la femme juive, au cheveu de cendre, sous terre, dans cette sorte de tombe en brique au fond de laquelle on perçoit le feu. Elle représente la face perdue de la part d’identité yiddish détruite par l’Allemagne nazie.

L’idée de résurrection

Pour ce tableau, Kiefer a inventé un mot Resumptio.

Il s’agit d’une ode au peintre inconnu, thématique déjà utilisée.

Resumptio 1974 Huile, émulsion et shellac sur toile de jute, 115 x 180 cm Collection particulière Photo: © Atelier Anselm Kiefer

Resumptio 1974 Huile, émulsion et shellac sur toile de jute, 115 x 180 cm Collection particulière
Photo: © Atelier Anselm Kiefer

Sur une tombe abandonnée s’élève une croix vacillante. Trois tas de cendres noires la recouvrent. A l’arrière un paysage désertique se perd dans le ciel. Un ciel chaotique dans lequel s’inscrit la palette du peintre, transformée en ange. Kiefer souligne ainsi le pouvoir rédempteur de l’art, son rôle d’éveil des consciences. Enfin, une lueur d’espérance surgit dans l’œuvre du peintre !

Seraphim ou l’échelle de Jacob

Dans les années 1980 Kiefer voyage beaucoup au Moyen orient et en Israël. Il s’y imprègne de la culture yiddish et de la Loi orale du Talmud pour poursuivre son travail de deuil, devenu obsessionnel.

Seraphim 1983-1984 huile, paille, émulsion et shellac sur toile 320, 7 x 330, 8 Solomon R. Guggenheim Museum, New York © Photo Atelier Anselm Kiefer

Seraphim 1983-1984 huile, paille, émulsion et shellac sur toile 320, 7 x 330, 8
Solomon R. Guggenheim Museum, New York © Photo Atelier Anselm Kiefer

Le titre renvoie aux séraphins, anges qui montent et qui descendent une échelle dans Le songe de Jacob. Le tableau, gigantesque, est divisé en deux : la terre sur laquelle règne le serpent (dont le corps forme le signe de l’infini) et le ciel sombre et angoissant. Une échelle vacillante les sépare. La matière du tableau est épaisse, les couleurs sourdes.

Fleur de cendre

Plus les années passent et plus la taille des œuvres s’accroît. Un mur entier d’une maison ordinaire ne pourrait accueillir ce tableau. Si vous ne la voyez pas vous-même vous ne pouvez pas imaginer son étrangeté autant que son pouvoir de fascination

Für Paul Ceylan Aschenblume [Pour Paul Celan : Fleur de cendre] 2006 Huile, émulsion acrylique, shellac et livres brûlés sur toile 330 x 760 x 40 cm : Collection particulière. Photo © Charles Duprat

Für Paul Ceylan Aschenblume [Pour Paul Celan : Fleur de cendre] 2006
Huile, émulsion acrylique, shellac et livres brûlés sur toile 330 x 760 x 40 cm :
Collection particulière. Photo © Charles Duprat

La citation, omniprésente dans l’œuvre de Kiefer, s’affirme comme l’instrument de la mémoire, unifiant passé et présent. Ici encore le paysage n’est que cendre, de même que les livres brûlés qui surgissent de la toile. Là où on brûle les livres, on finira par brûler les hommes disait Heinrich Heine. Ici encore les sillons tracent une ligne de fuite vers un horizon incertain. Cette vaste étendue, vide de toute présence humaine, attire avec force le spectateur.

Du noir à la couleur

Arrachez-vous à la noirceur des cendres et allez à présent respirer au grand air, dans un champ de fleurs multicolores.

Le dormeur du val 2013-2015 acrylique, émulsion, huile, shellac et résidu d’électrolyse sur toile 280 x 570 cm Collection particulière © Photo Charles Duprat

Le dormeur du val 2013-2015 acrylique, émulsion, huile, shellac et résidu d’électrolyse sur toile 280 x 570 cm Collection particulière © Photo Charles Duprat

« C’est un trou de verdure où chante une rivière » écrit Rimbaud dans Le dormeur du val.

Cette toile vient être achevée, Anselm Kiefer vient d’avoir 70 ans. Le peintre voit-il la vie en rose aujourd’hui ? Faut pas rêver !

Ce tableau rappelle à Kiefer que le secrétaire d’Etat américain au trésor, du temps de Théodore Roosevelt, un nommé Morgenthau, a présenté un Plan pour interdire à l’Allemagne de redevenir une puissance industrielle après guerre. Il voulait que l’Allemagne redevienne un Etat agricole et rien d’autre : que des fleurs et du blé…

Ultime citation de Kiefer : « Aujourd’hui on est inquiet des changements, des bouleversements de la nature… Pourtant il y a trente millions d’années, une météorite a fait périr les ¾ des espèces existantes. C’était une perte de presque tout le vivant et cependant une autre évolution commençait, dont nous ignorons tant de choses… »

Le dormeur du val (détail) 2013-2015 acrylique, émulsion, huile, shellac et résidu d’électrolyse sur toile 280 x 570 cm Collection particulière © Photo Charles Duprat

Le dormeur du val (détail) 2013-2015 acrylique, émulsion, huile, shellac et résidu d’électrolyse sur toile 280 x 570 cm
Collection particulière © Photo Charles Duprat

 Maryse Verfaillie – Janvier 2016

 

Bibliographie
– Revue Beaux Arts
– Dossier de Presse du Centre Pompidou