Barbara Loyer, Géopolitique. Méthodes et concepts, collection Cursus, Armand Colin, 2019

Agrégée de Géographie, Barbara Loyer est professeur à l’Institut Français de Géopolitique qu’elle a dirigé de 2010 à 2018. Elle y est responsable de la spécialisation sur l’approche géopolitique du risque. Elle est également membre du comité de rédaction d’Hérodote. Spécialiste de la géopolitique de l’Espagne, ses réflexions portent également sur l’Europe et l’Union européenne. Elle pilote la construction d’un consortium Erasmus Mundus spécialisé dans l’analyse géopolitique pluridisciplinaire des conflits en Europe.

La géopolitique, un terme qui désigne un savoir géographique

Son ouvrage « Géopolitique » publié chez Armand Colin en mars 2019 dans la collection Cursus, se propose de travailler sur un terme qui jouit d’un véritable engouement et qui, même s’il est employé dans toutes les disciplines, désigne avant tout un savoir géographique. Conçu comme une initiation au raisonnement géopolitique, il s’adresse aux étudiants en Géographie, en master de Géopolitique et à ceux des classes préparatoires littéraires. La géopolitique faisant son entrée au lycée dès la rentrée 2019, il peut aussi être une aide précieuse pour les professeurs du Secondaire.

C’est un ouvrage très didactique, organisé en trois grandes parties : la méthode géopolitique, les concepts et les géopolitiques. Chaque partie est divisée en chapitres très facilement consultables. Les chapitres sont tous précédés de leurs objectifs et suivis d’une synthèse, d’une bibliographie et de notions clés. Les lectures conseillées (des ouvrages, des articles, des pages de revues spécialisées) apportent des références précieuses et actualisées. Une vingtaine d’exemples enrichissent les chapitres. Ils sont autant de « focus » présentés dans une police différente et qui facilitent la grille de lecture. Chaque chapitre se termine par une étude de cas (huit au total). Traitées à différentes échelles, ces études de cas renforcent la lisibilité de l’ensemble. La première consacrée aux réfugiés du Darfour et la dernière qui traite de l’évaluation des besoins sanitaires et des risques en Libye sont accompagnées de cartes, croquis et schémas.

Définir le champ d’étude de la géopolitique

L’introduction présente les divergences et différences entre les approches de géographes au sujet de la géopolitique. En France, les géographes confèrent aux travaux géopolitiques un caractère particulier, fondé sur les méthodes d’analyse spatiale. Ils ont tous pris leurs distances par rapport aux théories générales sur les facteurs de puissance des Etats, mais les polémiques sont nombreuses notamment sur l’importance que l’on doit accorder à la description des représentation géopolitiques contradictoires ou au sujet du rapport entre géopolitique et géographie politique. L’ouvrage reflète les réflexions de la revue Hérodote et d’Yves Lacoste qui ont permis l’application d’un cadre conceptuel et d’une méthodologie géopolitique maîtrisée à des champs d’études très variés.

Le terme « géopolitique » jouit d’un véritable engouement. Le mot est utilisé afin d’évoquer toutes sortes de rivalités internationales pour des ressources, des frontières, du pouvoir…Il semble supplanter la notion de « relations internationales » sans qu’on sache très bien si c’est un effet de mode et en quoi ce que l’on appelle une rivalité géopolitique est plus ou autre chose qu’une rivalité politique ou diplomatique. La diversité des questions que couvre le terme géopolitique tendrait à faire penser qu’il a vocation à parler de toutes les questions politiques internationales et contemporaines. Finalement il semble désigner tout ce qui se passe dans le monde et certains n’y voient qu’une approche superficielle des situations.

La géopolitique, définie par l’auteur Barbara Loyer, s’intéresse aux causes des conflits et rivalités de pouvoir sur les territoires. Elle désigne avant tout un savoir géographique Son champ d’étude est très singulier puisqu’il inclut des réalités à la fois objectives et subjectives. Dans un conflit, ce sont souvent des convictions qui s’opposent.

La géopolitique, c’est une méthode :

La géopolitique présentée dans cet ouvrage est en premier lieu une méthode, un mode de raisonnement pour comprendre et expliquer des événements conflictuels. Cette méthode relève d’un savoir-faire géographique : savoir penser et représenter les configurations spatiales des phénomènes. En intégrant une méthode et non un corpus de connaissances, on est plus à même d’avoir une analyse nuancée des situations qui touchent les territoires. Il s’agit de favoriser les débats contradictoires entre citoyens. La géopolitique ne consiste pas à une définition canonique de nombreux concepts dans les analyses, tels nation, démocratie, pouvoir territoire, puissance, frontière, ressources, réseau… C’est une méthode d’examen du réel, fondée sur une approche géographique, historique pour comprendre comment s’atteint, s’exerce ou se perd le pouvoir, la puissance, la paix, la prospérité, la liberté, dans des territoires concrets dans des conjonctures temporelles précises. Elle repose sur la description de nombreux exemples, sur la comparaison de ce qui rapproche divers cas et de ce qui différencie, de manière à pouvoir observer la suite des événements, la fin des batailles, le dénouement des stratégies.

La géopolitique est un savoir dérivé de la géographie et de ses méthodes de raisonnement. Ce raisonnement se fonde d’abord sur une approche spatialisée des phénomènes.

Trois problématiques majeures

  • Comment analyser les espaces réels, convoités, imaginés ?

La démarche géopolitique consiste à décrire explicitement les représentations contradictoires qui partagent une population en plusieurs groupes ou mouvements rivaux. Les convictions sont fondées sur des vérités très partielles ou même sur des mensonges et les chercheurs doivent s’écarter de ce qui les caractérisent généralement : « la connaissance dite scientifique ». Une analyse géopolitique ne cherche pas à déterminer quelle est la position « vraie » mais combien de positions différentes il y a. La question des représentations est majeure. Une représentation n’est pas seulement un point de vue au sujet d’un territoire ou d’un phénomène qui s’y déroule mais le résultat d’un raisonnement qui associe des éléments du réel pour construire ce qui apparaît comme une vérité à défendre.

L’analyse de la répartition des phénomènes sur la carte doit être menée à différents niveaux. Je cite ici l’auteur : « L’objectif est d’éviter de masquer des faits dont l’origine se situe hors du cadre de l’observation mais qui pourtant y ont une influence, ou bien d’occulter sous les causes générales des conditions locales particulières. » Yves Lacoste a proposé la notion de « niveaux d’analyse » plutôt que celle d’« échelle » afin de pouvoir systématiser la référence à la taille des ensembles spatiaux dont on parle. Il s’agit d’articuler les niveaux d’analyse.

  • Pourquoi placer les acteurs au cœur de l’analyse ?

L’étude des acteurs, la compréhension des relations de pouvoir au sein des sociétés ou des institutions, est au cœur du raisonnement géopolitique. Qui agit ? Qui n’agit pas ? Il faut analyser les conflits ou rivalités sous l’angle des acteurs mobilisés (des personnes physiques ou des personnes morales) et faire apparaître des stratégies. La description des stratégies d’acteurs, qui se développent dans des temps longs ou (et) des temps courts, est à replacer dans leur contexte géopolitique.

  • Géopolitique et démocratie : quelles relations ?

C’est à la fin de l’URSS (1991), que l’usage du mot « géopolitique » se répand. Avec la démocratisation, émerge un nombre de plus en plus important d’acteurs susceptibles d’avoir de l’influence. Là où il y a recul de l’autoritarisme, se multiplient les situations qui peuvent faire l’objet d’une analyse géopolitique. La démocratie est un terme qui recouvre des représentations contradictoires. Elle est vécue comme un idéal et elle est, de ce fait, une représentation géopolitique.

 

Conclusion : La méthode d’analyse géopolitique a pour but de comprendre ce qui a lieu et estimer la part d’incertitude des évolutions grâce à une connaissance des lieux susceptibles d’être plus affectés que d’autres. Elle accorde une place centrale aux acteurs. Comprendre pourquoi certaines personnes, groupes, partis, s’imposent ou imposent leurs idées en certains lieux et à certaines époques alors que d’autres sont écartés ou minorisés.

L’enseignement de la géopolitique devient de plus en plus pertinent à l’heure où nous sommes confrontés à une somme considérable d’informations justes et fausses, mises en vrac sur les réseaux sociaux. En conclusion, citons l’auteur Barbara Loyer :

« Former des citoyens à appliquer un raisonnement géographique à l’observation des pratiques politiques ou économiques dans des lieux précis est aujourd’hui devenu un véritable enjeu. »

 

Claudie Chantre, juin 2019