Le dessin du géographe n° 38 – avril 2013

Depuis le XV° siècle au moins les cartographes ont appris à jouer avec le dessin des cartes dans un but de satire politique. On se trouve ici au carrefour de la carte et du dessin, carte détournée de sa vision de représentation scientifique, au profit d’une prise de position partisane.

La carte présentée est une carte japonaise datant de mars 1904, c’est-à-dire des tout débuts de la guerre russo-japonaise, dessinée après la prise par surprise de la base russe de Port-Arthur, où la flotte russe d’Extrême-Orient fut décimée. Elle est antérieure à l’autre désastre naval russe de Tsushima tout comme à la bataille de Moukden en Mandchourie, qui amenèrent la Russie défaite à négocier en 1905. La carte est censée faire partie d’un « Atlas diplomatique humoristique de l’Europe et de l’Asie ».

La pieuvre russe représentée sur ce dessin ne se limite pas à l’Asie : elle a déjà détruit la Finlande, la Pologne la Bulgarie, la Serbie, la Roumanie, dont il ne reste que des ossements, en relation avec les guerres russo-turques. Un tentacule enserre la Crimée, allusion au conflit de 1855 entre Russie d’une part, France, Grande-Bretagne alliées à l’Empire Ottoman d’autre part.

L’Allemagne s’efforce de repousser un tentacule cependant qu’un autre étrangle la Perse et qu’un dernier enserre le pied de la Turquie.
Du côté de l’Extrême Orient un tentacule s’est emparé de Port-Arthur, annexé en 1898 par la Russie au détriment de la Chine après divers épisodes. Le Tibet excite
la convoitise d’un autre tentacule russe. A part la Russie représentée en pieuvre pourquoi la Grèce est-elle un crabe, alors que les autres nations sont toutes anthropomorphes. Et pourquoi la Chine est-elle représentée sous des traits bien peu asiatiques ?
Le texte en anglais qui accompagne la carte est éloquent : « Et St Petersbourg ? Wait and see ! L’horrible pieuvre noire ! Hourrah, hourrah pour le Japon ! »
Sur ce type de dessins on verra avec intérêt l’ouvrage de Laurent Baridon, « Un atlas imaginaire , cartes allégoriques et satiriques » Paris Citadelles et Mazenod 2011 199p.

Michel Sivignon