Avant les attentats de Boston, l’actualité médiatique était « monopolisée » par la Corée du Nord : les annonces du nouveau dirigeant, Kim Jong-Un, concernant l’escalade de menaces contre les Etats-Unis ont amené beaucoup d’articles de presse, plus ou moins éclairés, sur la possible attaque du territoire étatsunien. Parmi les commentaires, les photographies officielles dévoilées à la presse du monde entier ont fait couler beaucoup d’encre. Si certains médias ont eu la décence d’utiliser un point d’interrogation1, d’autres2 seront nettement moins prudents, et titreront, sans point d’interrogation, combien « la Corée du Nord dévoile des secrets militaires sur des photographies officielles ». Pourtant, la source commune de tous ces articles de presse, l’AFP (dont la dépêche titrait avec le point d’interrogation), avait déjà publié, deux jours plutôt, sur son blog Making-of, un décryptage des photographies nord-coréennes présentant le matériel militaire, montrant combien les dites photographies n’étaient que d’évidents montages.
L’Histoire a, pourtant, montré les usages et les mésusages des montages photographiques à des fins de propagande. Leçon qui semble oubliée dès lors qu’il s’agit de la menace nord-coréenne… La géographie de l’enfermement joue ici un rôle particulier : peu d’informations filtrant de Corée du Nord, où peu d’étrangers sont autorisés à entrer (et surtout sont « invités » à ne pas sortir du chemin qui leur est tracé pendant leur séjour). La fermeture du territoire nord-coréen « autorise » ici quelques approximations… Nous ne pouvons que recommander à ces journalistes la lecture de géographes pour comprendre les logiques territoriales en jeu en Corée du Nord.
Et le géographe de se heurter plus violemment face aux conclusions que tirent les médias d’une autre photographie, où l’on voit Kim Jong-Un écrivant à son bureau, avec derrière lui une carte intitulée « Plan de frappes des forces stratégiques sur le continent américain ». La presse s’empare de la carte : des « secrets militaires » sont dévoilés ! Ce qui paraît peu probable pour la presse n’est pas la carte et son utilisation, mais le potentiel de tirs nord-coréens. Mais, la carte, elle, dévoilerait les intentions du gouvernement nord-coréen. Une carte dit « nécessairement » la vérité. Nous voilà replongés des décennies en arrière, quand nous apprenions que les cartes des manuels scolaires disaient la « réalité » du terrain : oubliés les choix du cartographe qui, même lorsqu’il tend vers l’objectivité, ne peut représenter toutes les réalités spatiales sur une carte. Et que dire des intentions d’une telle mise en scène ! Quant à l’échelle, il serait absurde de croire que l’on peut dévoiler des « secrets » militaires sur une telle carte. Oubliées les leçons de géographie qui expliquent combien la carte est un discours sur l’espace. Et il semblerait que l’état-major et le gouvernement nord-coréens aient bien davantage compris combien la carte est un outil de manipulation.
Et, pourtant, si nos médias ne l’ont pas « révélé », cette même photographie, à défaut de dévoiler des « secrets militaires », est un instrument géopolitique qui dévoile bien des mystères : à défaut de la carte et de Kim Jong-Un, intéressons de plus près à un intriguant objet : l’ordinateur3. Si la photographie publiée par l’AFP ne permet pas de voir la pomme (de la discorde), l’ordinateur ressemble à s’y méprendre à un iMac de la firme étatsunienne Apple, souvent associée à la puissance étatsunienne. Certes, il ne s’agit pas du tout dernier modèle (sorti à l’automne 2012), mais l’embargo contre la Corée du Nord ne semble pas si « total » que le laissent penser les annonces de la diplomatie étatsunienne. L’un des produits de la puissance étatsunienne est ici utilisé pour mettre en scène les menaces nord-coréennes. A tout prendre, plutôt que de s’intéresser à une carte-discours qui apprend bien peu de choses, la géopolitique circulatoire de la firme transnationale4 Apple semble bien plus intéressante sur cette photographie !
Bénédicte Tratnjek
1 Par exemple, Libération, Le Point, Le Parisien, 7 sur 7…
4A, ce propos, voir notamment :
- « Firmes, géopolitique et territoire. Vol. 1 », Revue Géographique de l’Est, vol. 50, n°1-2/2010 (sous la direction de Michel Deshaies).
- « Firmes, géopolitique et territoire. Vol. 2 », Revue Géographique de l’Est, vol. 50, n°3-4/2010 (sous la direction de Michel Deshaies).
- « Firmes et géopolitiques », L’espace politique, n°15, n°3/2011 (sous la direction de Yann Richard).