Dictionnaire géopolitique de l’islamisme, Antoine Sfeir, Collectif, Bayard Jeunesse, Études et Essai, octobre 2009, 617 p.

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La récente intervention de la France au Mali suivie de la prise d’otages d’In Amenas et aujourd’hui les attaques des Shebab somaliens au Kenya ont ouvert le champ médiatique à une invraisemblable quantité « d’experts », psalmodiant régulièrement de non moins invraisemblables vérités, erreurs grossières aux conséquences parfois lourdes, que ces « caporaux stratégiques », chers au général Krulak[1], n’auraient assurément pas commis s’ils avaient pris la peine une fois d’ouvrir le Dictionnaire géopolitique de l’islamisme, ouvrage de référence qui conjugue synthèse et précision pour ouvrir des horizons nouveaux aux lecteurs, qu’ils soient ou non spécialistes.

La lecture est assez aisée et très agréable pour le profane, qui trouvera dans une première partie, des articles traitant les concepts fondamentaux mis en avant par les islamistes, tels que la Chari’a, le Salafisme ou le Jihad, termes trop souvent usités, perdant de facto chaque jour un peu plus de leur signification.

Antoine Sfeir définit d’ailleurs dès le premier paragraphe de l’introduction ce qu’est selon lui l’Islamisme : « un concept purement français pour désigner les intégristes musulmans […] tenant à la fois de l’intégrisme catholique et du fondamentalisme protestant. Il partage en effet avec l’un et l’autre, la peur d’une modernité réputée menaçante pour l’intégrité de la foi. » p.9

La deuxième partie, quant à elle, s’articule autour de six grandes régions du monde (Afrique, Amérique du Nord, Asie, Europe, Moyen et Proche-Orient[2] ) et, se veut exhaustive quant aux différents pays, aux différents courants et leurs acteurs.
Chaque zone est divisée en sous-ensemble : l’Afrique se décline ainsi en Afrique du Nord et Afrique Noire, puis au sein de ses ensembles, les pays sont introduits par une longue description historique, expliquant le contexte d’implantation de l’islamisme, avant que chacun de  ses groupes, de ses acteurs y soient décrits et situés.
Les géographes trouveront  pour leur part des cartes en couleurs des principaux pays d’accueil de l’islamisme,  qui ont le mérite d’être intéressantes en cela qu’elles concernent pour la plupart des zones grises ( zone de non-droit au sein des États ) que l’on appréciera « d’étudier » avec un regard neuf, puisque ce sont de véritables cartes géographiques et non des infographies que l’on a plus l’habitude de voir dans la presse.

On regrettera simplement que, trois ans après la parution, l’édition n’ait pas été mise à jour, ce qui serait nécessaire pour satisfaire les lecteurs initiés. A cela s’ajoute le fait qu’il n’est nullement fait mention de l’Amérique Latine et, même si, encore une fois, il ne faut pas rentrer dans le cliché Islam / Islamisme, c’eut été intéressant d’avoir un rapide résumé de la situation de l’Islam dans cette partie du monde. Enfin et c’est peut-être le plus gros défaut de ce dictionnaire, l’index souffre de la retranscription des noms de l’arabe vers le français, il est ainsi vite agaçant de chercher les Shebab, les Shebbab, les Shabbab Al-Shabbaab, pour finalement trouver Al-Chabab.

Il faut, tout de même nuancer ces critiques puisque au-delà de son caractère encyclopédique cet ouvrage est à considérer comme une base solide sur laquelle le lecteur pourra s’appuyer pour construire et préciser sa culture de l’islamisme dans le monde. La structure des articles permet en effet de comprendre les parcours et initiatives des mouvements comme de leurs acteurs, offrant ainsi un schéma pour les décrypter : c’est là la réussite d’Antoine Sfeir et des co-rédacteurs que d’avoir su donner, plus que des idées, de véritables clés pour percevoir les interactions au sein des mouvances fondamentalistes islamiques.

Il est délicat de parler de ces sujets à l’heure où le prosélytisme s’affirme comme un mode de vie à part entière et où quiconque peut se prétendre expert à la tribune qu’offrent les réseaux sociaux et les médias participatifs mais, malgré cela, Antoine Sfeir nous offre un beau témoignage de ce que peut et devrait être le partage du savoir : « Avec l’ultime conviction que dans les pays musulmans et notamment ceux proches de nous, de l’autre côté de la Méditerranée, se joue une partie, et non des moindres, de notre devenir. » (p.11)

Benjamin Guinet

 

Pour aller plus loin :

Café Longitude Géo, Islam et démocratie : ces deux notions sont-elles compatibles dans une société occidentale comme la France ? Avec Frédéric Encel et Antoine Sfeir. Compte rendu de Guillaume Zwang, janvier 2003, site des cafés géographiques.

Café Géo  Lyon, Islam et Islamisme : une géographie culturelle. Compte rendu de Marie-Christine Doceul

[1] Le général Charles C. Krulak (né en 1942), ancien commandant de l’US Marine Corps, a abordé parmi d’autres experts le concept de « caporal stratégique » qui permet de réfléchir au nouveau rôle des chefs des petites unités de combat dans les guerres actuelles.

[2] Le Proche-Orient et le Moyen-Orient sont traités de façon distincte dans ce dictionnaire  et considérés comme deux grandes régions du monde  sur les six distinguées.