Le dessin du géographe n°72
Quelques géographes se sont réunis sur les hauteurs du Velay oriental en juin dernier, pour fêter l’un des leurs. Ils se sont essayés au croquis de paysage pour confronter leurs analyses.
Le plaisir est d’arrêter la marche sur un sommet, de contempler un panorama et de dessiner le paysage. C’est un moment pour le géographe pour découvrir les lignes, l’agencement des surfaces, les marques d’une vie sociale, passée ou actuelle. Le dessin tentera de leur donner une valeur relative, propre à chaque observateur quelle que soit son habileté au crayon. Les dix croquis réalisés montrent la diversité des approches, sur un même paysage. Car le dessin implique le choix d’un angle de vue, d’un cadrage, puis une restitution variée des éléments auxquels chaque géographe donne une importance ou une signification.
Ces hauteurs offrent de vastes plateaux vallonnés surmontés de bosses volcaniques et entaillés à l’Est par les vallées ardéchoises. Le sommet du Suc de la Lauzière (1582m), offre un panorama superbe sur le Mézenc et le Mont Gerbier de Jonc sur leur haut piédestal, puis vers le versant oriental profondément incisé. De ce point haut, le regard s’ouvre sur la géométrie convexe des sucs, sur de larges berceaux verdoyants et des écrans forestiers.
Samuel Etienne a croqué le groupe de géographe à l’œuvre devant le paysage.
Un micro-paysage minéral
L’idée de Raphaël Paris de frotter le crayon sur la feuille posée sur une dalle rocheuse, donne l’image d’une surface rugueuse des phonolithes qui constituent la montagne. Il double son dessin d’un croquis du Mont Gerbier de Jonc constitué par la même roche. Il fait un raccourci entre les blocs sur lesquels le groupe est assis, et le point central du paysage.
Deux panoramas vers le Gerbier de Jonc
Le large paysage dessiné par Marc Calvet s’étend sur deux feuillets. Un trait léger détache les plans lointains sous les nuages. Le cœur du dessin trace les silhouettes des sucs volcaniques, le suc de Sara, le Gerbier, l’entablement des Coux, puis le Sépoux aux pentes reboisées. Les premiers plans ébauchent une ferme, les prairies et les ensembles boisés dont les grisés composent des modelés nuancés. L’idée originale est de faire apparaître en tirets le profil d’un grand volcan daté de 7 millions d’années et disparu depuis fort longtemps. Elle fait ainsi entrer l’évolution à long terme sur un paysage qui semble figé dans son siècle.
Le panorama composé sur trois feuillets par Dominique Sellier ouvre une large perspective à partir du belvédère rocheux. Le trait est d’une grande sobriété. Il suit les lignes du paysage : des lointains presque imperceptibles mettent en valeur la série des bosses volcaniques. Les vallonnements sont juste esquissés. La ligne épurée suggère des modelés sans écraser le dessin.
Des vues plus serrées vers le Mont Gerbier de Jonc
Julie Morin trace la silhouette du Gerbier de Jonc et esquisse les échines fuyantes de l’arrière-plan. Elle s’attache à figurer les parcelles reboisées autour des praires. Quelques grosses fermes dans un bocage arboré, se répartissent dans un vallon. Sur le devant la scène, les rochers de phonolite du suc de la Lauzière.
Dans une mise en perspective, Jean-François Pastre saisit la protubérance du Gerbier devant le lointain des montagnes d’Ardèche. Les rochers du premier plan forment une ligne dentelée évoquant les rochers, tandis que les bosses tourmentés offrent des textures variées entre prairies et échines boisées.
Marie Chenet ouvre son dessin sur le panorama, négligeant les blocs rocheux de son observatoire élevé. Elle s’attache à bien distinguer les plans successifs du paysage dans un cadrage légèrement plongeant. Les lignes sombres des échines de la montagne ardéchoise ferment l’horizon. Elles mettent en valeur la bosse plus claire du Gerbier de Jonc, souligné de bancs rocheux verticaux. Le regard se précise vers les plans rapprochés où apparaissent la route, les bâtiments de ferme, quelques limites de parcelles herbagères, le ruisseau qui draine le vallon. Des figurés symboliques indiquent les espaces boisés. La vie rurale s’esquisse dans ces moyennes montagnes.
Un regard vers le Mézenc
Le dessin du Mézenc réalisé par Marie-Françoise André s’apparente à un croquis d’analyse des faciès paysagers. Elle utilise une perspective raccourcie, un trait bien défini pour figurer les lignes directrices de chaque plan, des figurés symboliques pour opposer les surfaces d’éboulis au loin, les reboisements et les prairies. Cette représentation simple est très parlante. Elle montre avec une grande vigueur les répartitions spatiales calées sur un relief contrasté.
Charles Le Cœur construit son dessin entre la masse du Mézenc et les pentes ardéchoises. Un ciel nuageux annonce les orages de l’après-midi. Un premier plan de rochers est rejeté sur la gauche. La silhouette de la montagne avec ses couloirs d’éboulis, les hauts replats et les bosses du bassin des Boutières forment des plans successifs. Les reboisements s’agencent en taches sombres sur les échines séparant les prairies.
Emmanuelle Defive, familière de ces paysages, tourne son regard plus au nord, vers le Mont d’Alambre et le Mézenc. Un premier plan affirme les roches du point culminant. Les lignes successives tracent l’organisation des crêtes et les vallonnements. Les textures et les pentes sont figurées avec finesse, pour laisser voir les petits bâtiments de ferme au milieu des prairies.
Ainsi, chacun a choisi son angle et sa perspective. Tous les géographes réunis ce jour n’ont pas la même familiarité avec le crayon, mais leur dessin traduit un regard construit autour d’éléments majeurs du paysage. La moyenne montagne du haut Velay est ainsi regardée comme un décor géomorphologique, comme un assemblage de milieux plus ou moins pentus ouverts ou boisés, comme le cadre d’une vie rurale dans un espace de marge.
Charles Le Cœur
*Le site du géoportail 3D de l’IGN-France permet de retrouver l’image numérique aérienne dans les couleurs du visible, traitée en relief, pour les deux sujets panoramiques DESSIN2S par nos collègues géographes du sommet du Suc de la Lauzière (l’horizon paraît redressé car le point de vue virtuel de l’image se trouve au dessus du niveau du sol : 1593 m d’altitude totale pour la vue sur le Mézenc, et 1594 pour celle sur le Gerbier de Jonc).
Vers l’Est, le Mont Gerbier de Jonc, petite pyramide grise en haut de l’image
A quelques degrés Ouest dans le Nord, le Mont Mézenc, et le Meygal un peu plus loin.
Ma maîtrise de la navigation dans l’image 3D du géoportail n’est pas à la hauteur de l’enjeu, les échelles ne sont pas les mêmes et ce panorama est plus proche que le précédent.
Roland Courtot