Le FIG (Festival international de géographie) a fêté en 2023 sa 34e édition. Le thème choisi cette année m’intriguait : Urgences. Le pays invité était le Chili.


C’est quoi l’urgence ?

L’édition du FIG 2023 nous propose de réfléchir sur la notion du mot « urgences ». En cette fin d’année difficile, le choix de ce sujet était excellent !
Dans les années 1970, la planète n’apparaît pas réellement menacée par l’homme. Les planifications étatiques, les plans d’urbanisme semblent suffisants pour faire face à l’accroissement de la population mondiale. Aujourd’hui, tout s’accélère, l’anxiété des hommes s’est généralisée et on s’interroge pour savoir comment préparer le long terme.
On a longtemps utilisé le mot « transition » pour désigner les changements : la « transition démographique » est analysée depuis déjà plusieurs décennies ainsi que la notion de développement durable.
C’est la pandémie de Covid qui a provoqué la notion d’urgence sanitaire explique Clélia Gasquet-Blanchard. Transition, crise ou urgence ? Tout le monde cherche le terme le plus pertinent pour qualifier la période actuelle.

Eric Fottorino, fidèle du FIG, rappelle que le mot urgence est polysémique. Il est utilisé par exemple quand on est mis face à une catastrophe, sans capacité d’anticipation : par exemple lors des inondations récentes en Libye et à New York ou lors du séisme à Marrakech.

Dans un grand entretien avec Rony Brauman, ancien président de Médecins Sans Frontières, il est rappelé que son livre, Penser dans l’urgence, a été publié au Seuil en 2006. Déjà !
Inondations, feux de forêts, érosion du littoral, sécheresses se sont amplifiés avec le dérèglement climatique. Il y a donc urgence, pour les géographes et pour les dirigeants, à observer ce qui se passe et à agir.
L’urgence est économique, politique (urgence démocratique), sociale (face aux inégalités qui s’accroissent), environnementale. Elle est aussi « urgence créative » depuis que l’intelligence artificielle peut reproduire et peut-être produire des œuvres d’art.

Sous la direction de Florian Opillard et de Thibaut Sardier, un petit livre a été publié, aux éditions du CNRS avec pour titre « Il y a urgence ! Les géographes s’engagent ».
Florian Opillard s’interroge sur les missions de nos forces armées. « Alors qu’incendies ou cyclones s’annoncent plus fréquents et au moment où l’invasion de l’Ukraine marque le retour de la guerre de haute intensité en Europe, comment assurer toutes les missions avec des moyens suffisants ? ».
Magali Reghezza-Zitt analyse : « nous allons vivre les conséquences du changement climatique, et les premiers touchés seront souvent les précaires. S’il y a urgence, c’est parce que nous pouvons encore agir pour éviter le pire. Et pour cela, il va falloir fixer le cap démocratiquement ».
Etienne Walker écrit à propos de la crise des Gilets jaunes, mouvement social qui a débuté fin 2018 en France : « Qui décide de ce qui est urgent ? Fin du monde, fin de mois, même combat ? Peut-on réconcilier urgences écologique et sociale ?  Qualifiée de « crise », entend-on l’urgence qu’il y a pour l’Etat à gérer une contestation sociale, elle-même suscitée par l’augmentation des prix des carburants, pour faire face à l’urgence environnementale ? »
Angélique Palle évoque l’urgence énergétique. Plusieurs options s’offrent à la décision politique. « La transition énergétique est souvent présentée comme la plus efficace techniquement et aussi la moins coûteuse politiquement. Mais changer de système énergétique, c’est changer de société ».
Michel Lussault ironise : « Dans quel état nous met l’urgence ? Et si l’urgence venait d’une globalisation de la menace, à travers les grands ensembles urbains. Car aujourd’hui tout point du globe peut être touché par une catastrophe. Faut-il remettre en cause les World Cities, ou hyperlieux ?  Et si contre l’urgence, nous faisions le choix de la vulnérabilité ? ».

A Saint-Dié, Judicaëlle Dietrich s’interroge également, avec un exemple précis : y a-t-il urgence à déménager la capitale d’Indonésie ? Djakarta, « géant silencieux », agglomération de 30 millions d’habitants située sur l’île de Java, subit des inondations dramatiques. Elle est largement située au-dessous du niveau de la mer et les digues actuelles se révèlent submersibles. La pollution de l’air y est aussi énorme. L’urgence à changer de capitale est d’abord environnementale. Mais elle est aussi devenue géopolitique. La nouvelle capitale sera située sur l’île de Bornéo, plus centrale et infiniment moins peuplée que l’île de Java. La nouvelle capitale sera érigée en hauteur et se nommera Nusantara. Changer de capitale, c’est aussi vouloir oublier que Djakarta fut un comptoir créé par les colonisateurs hollandais pour contrôler le détroit de Malacca. C’est oublier le passé et devenir « un pays émergent et libre ».

Plan de Nusantara (la future capitale de l’Indonésie) présenté par J. Dietrich (photo de M. Verfaillie)

Dans son dernier ouvrage (Atlas historique de la Terre, Les Arènes, 2022), Christian Grataloup, éminent géohistorien, analyse de nombreuses cartes. Retenons celle qui présente les forêts au début du XXe siècle, puis la déforestation galopante, pour nourrir les hommes (carte p 180 de l’ouvrage). Voir ci-dessous :

La Société de Géographie dans sa revue La Géographie a publié un Dossier spécial FIG 2023 (n° 1590 juillet-août-septembre 2023). Jean-Robert Pitte, son Président, écrit dans l’Editorial : « Le pessimisme est à l’ordre du jour, la population s’inquiète de la pression démographique, de son alimentation, des inégalités sociales, mais aussi de la montée des extrémismes politiques et culturels, du « choc des civilisations ». A longueur de journée les médias ne laissent plus aucune raison d’espérer.
L’humanité a connu bien d’autres crises, poursuit-il et un minimum de culture géographique et historique permet de reprendre espoir. Mais l’optimisme ne se décrète pas, la véritable urgence est là », affirme-t-il à la cathédrale en grès rose de Saint-Dié.

Le Chili, pays invité du FIG 2023

Citons Cécile Faliès : « Bien que prévenus par Jean Dresch qu’il n’y a pas de géographie sans drame (Un géographe au déclin des empires, Maspero- 1979) les apprentis géographes ne mesurent pas toujours à quel point le choix de leur premier terrain les oblige par la suite. Le Chili est-il le miroir grossissant du monde s’interroge Cécile ? Il a connu ces dernières années des bouleversements majeurs. En octobre 2018, l’augmentation du prix du ticket de métro provoque d’immenses manifestations, l’armée est envoyée et l’état d’urgence proclamé. Les Chiliens exigent de remplacer la constitution rédigée sous la dictature de Pinochet en 1981.

A la Tour de la Liberté, Sébastien Velut propose d’étudier la situation du Chili. Pays du Cône sud-américain, à peine plus grand que la France mais trois fois moins peuplé, le Chili s’étend du Tropique du Cancer (désert d’Atacama) jusqu’au cap Horn. Il est bordé par trois océans et contraint par la cordillère des Andes sur son flanc est. Sa ZEE (zone économique exclusive) est la 10e mondiale avec 3,7 millions de km2.
Le pays a retrouvé un régime démocratique mais fragile. Son économie est extravertie, fondée sur l’exportation de matières premières minières (dont le lithium) et de produits agricoles. L’exploitation des richesses de la mer (pêche, aquaculture) n’est pas négligeable.
Ce pays, issu de la colonisation espagnole, a aussi une culture américaine par son mode de développement et s’efforce d’intégrer à présent la culture des peuples autochtones de Patagonie et de la Terre de Feu, sans oublier les Rapa Nui de l’île de Pâques.
Les urgences auxquelles doit faire face le Chili sont donc multiples : urgence politique à stabiliser la démocratie ; urgence culturelle ; urgence à recomposer d’immenses territoires littoraux menacés par le changement climatique et la montée des eaux (d’où l’urgence à relocaliser).

Carte présentée lors de la conférence par Sébastien Velut (photo de M. Verfaillie)

Le FIG a projeté de nombreux films et documentaires sur le Chili, pays invité.
Les Cafés géographiques, sous l’égide de Gilles Fumey, ont organisé plusieurs soirées dans les cafés de Saint-Dié.
Le Chili au prisme de ses vulnérabilités, une cartographie des urgences territoriales, avec Eloise Libourel,
Vins chiliens : expressions liquides de paysages multifacétiques avec Gilles Fumey et Claire Manvieux, sommelière
Le Chili, 50 ans après le coup d’état avec Sébastien Velut, Anne-Laure Amilhat Szary et Cécile Faliès.
Le paysage viticole chilien, de la conquête à nos jours, avec Gilles Fumey et Louis-Antoine Luyt, producteur de vins chiliens.

Les 25 ans des Cafés Géo, créés à Saint-Dié ont été célébrés avec Gilles Fumey, géographe, et Christian Grataloup, géohistorien.

Etaient présents à cette soirée de nombreux confrères invités à répondre à la question : Comment devient-on géographe ?

Christian Grataloup a choisi la géographie pour faire l’histoire qu’il aimait à travers les coupes topographiques.
Yvette Veyret détestait la géographie mais aimait l’histoire, Yves Lacoste l’a réconciliée avec notre discipline.
Jacques Lévy fut un enfant malade, mais on lui offrit un atlas pour passer le temps.
Emmanuel Vigneron évoque aussi son père, pédologue à Montpellier qui adorait la géomorphologie.
Roland Courtot, confie que petit il avait peur de se perdre, que son chef d’un camp de scout faisait exprès de les perdre, qu’il n’eut de choix autre que de dessiner, ce qu’il fait depuis toujours et depuis longtemps avec son ami Michel Sivignon.
Michel Lussault confie que son choix fut dicté par l’émotion, dans son enfance en Bretagne, quand un ami de son père l’invite à regarder le paysage.
Daniel Moreaux qui fut président de l’AP-Géo devient géographe parce que son père voyage souvent à l’étranger.
Olivier Godard responsable de l’Association Concours Carto, à Angers, s’affirme « historien en train de devenir géographe ».
Christiane Barcellini, présidente des Cafés géo de Saint-Brieuc, parle de son professeur du lycée Edgar Quinet, Mademoiselle Boeuf (qui fut le mien aussi) qui lui inocula le virus.
Dix jeunes étudiants en Master géo avec Myriam Houssay sont venus dire que si celle-ci était géographe, c’est parce qu’elle avait eu Maryse Verfaillie comme enseignante, au lycée Lakanal à Sceaux. Myriam était invitée du FIG l’an dernier, elle est entre autres, spécialiste des questions urbaines en Afrique du Sud.
Enfin, Christian Pierret en personne, ancien maire de Saint-Dié, à l’origine du FIG, a indiqué qu’il était devenu géographe après avoir reçu le Prix de géographie dans un lycée de la banlieue parisienne.

Le FIG a beaucoup d’autres atouts à son arc :
Le Salon du livre Americo Vespucci accueille cette année sous son pavillon plus de 60 éditeurs et plus de cent autrices et auteurs en dédicace.
L’Espace Géo-Numérique offre une vue d’ensemble des méthodes et outils utilisés par les géographes pour s’approprier la géographie de demain, à l’aide de drones par exemple.
Sous le Chapiteau Gourmand, on n’oublie pas que la géographie se trouve aussi dans l’assiette et que l’on peut y savourer des produits venus du monde entier. Une autre urgence tempère nos envies de goûter à tout : dans sa Géographie de l’alimentation, Gilles Fumey considère l’obésité qui affecte un être humain sur cinq, comme une véritable pandémie.

Hommage particulier à Olivier Godard et à son équipe, qui met à la disposition des enseignants, des étudiants et du grand public une variété infinie de cartes que vous pouvez retrouver sur les sites :
concourscarto@gmail.com ou https:///www.concourscarto.com/
Il est soutenu par Christian Grataloup, Delphine Papin, cartographe du journal Le Monde, la Société de Géographie et bien d’autres organismes.

Le Festival International de Géographie connaît un succès croissant, année après année. Dans le magazine Télérama (n° 3846), Michel Foucher recense les atouts de la géographie. Géographe, ancien ambassadeur, il a publié de nombreux ouvrages et continue d’arpenter le monde. Il explique que la géographie est une science de l’espace et que les géographes sont des « éclaireurs ». Il rappelle que de Gaulle affirmait que « la politique d’un Etat est dans sa géographie ». Et, poursuit-il, s’il est nécessaire de savoir d’où l’on vient pour savoir qui l’on est, et donc de connaître l’histoire, il l’est tout autant de savoir se situer géographiquement afin d’avoir une vision globale d’un territoire donné. « Parlons de l’horizon, mes amis, de quoi pourrions-nous parler d’autre » a écrit le poète Yves Bonnefoy.

Sur le site des cafés géographiques, lire aussi le texte sur le FIG 2021 :
https://cafe-geo.net/fig-2021-impressions-dune-geographe/

 

Maryse Verfaillie, octobre 2023