Café Géo animé par Jean-Baptiste BAHERS (Doctorant au LISST-Cieu, Université Toulouse II le Mirail) et Daniel VIALELLE (Vice-président du Conseil général du Tarn, membre de la commission Territoires et Développement Durable)

Présentation problématique :

Présentation de J.-B. Bahers :

La prévention dans tous ses états ! Du principe juridico-politique à la création d’un dispositif ad hoc territorial, en passant par des stratégies technologiques d’éco-conception et par une définition dans l’arsenal législatif européen, la prévention des déchets est bien d’actualité.

Si tout le monde connaît le problème des déchets, ils sont moins nombreux à être capables d’identifier l’apport de la prévention. D’abord confondue avec sa fausse sœur, la « précaution », elle est souvent oubliée au profit de ses cousins « recyclage et valorisation ». Pourtant, la prévention est au cœur de cette idée nouvelle de créer plus en utilisant moins. Elle est une source d’innovation vers des solutions durables de gestion des ressources. Elle bouleverse notamment la relation du déchet à l’homme, qui se contente de fermer la poubelle pour ne pas voir ce qui se passe après. Cependant, la prévention est aussi une excuse renvoyée aux échecs des politiques publiques des déchets depuis les années 1970 et se heurte à la nécessaire croissance de la consommation. La territorialisation de ce principe est sans nul doute une opportunité importante, mais est-ce suffisant pour espérer découpler croissance économique et gisement des déchets ?

En conclusion, la réduction des déchets interroge le métabolisme des sociétés, dans une perspective d’écologie industrielle et territoriale où les questions de la dématérialisation et du bouclage des flux de matière et d’énergie sont posées. Comment penser la prévention sans une certaine sobriété qui remettrait en cause les fondements néolibéraux de la gestion irraisonnée des ressources ?

Présentation de D. Vialelle :

Augmentation des tonnages de déchets produits, insuffisance et inégalité des capacités de traitement sur le territoire, fiscalité inadaptée, etc. : dans son dernier rapport sur le sujet, la Cour des comptes a pointé du doigt les problématiques de la gestion des déchets en France.

Avec les Trente Glorieuses, le développement économique et le changement de mode de vie se sont accompagnés de pratiques telles que l’obsolescence programmée et ont favorisé une consommation faisant une place plus grande au « jetable ». La prévention des déchets est une des réponses qui peut être apportée à ces problématiques, par les entreprises qui mettent les déchets sur le marché, par les collectivités qui les gèrent, par les citoyens à travers leurs choix de consommation.

Comme le tri dans les années 1990, la prévention bouleverse l’approche des déchets : il s’agit pour les collectivités locales d’accompagner un changement dans les comportements dont l’enjeu majeur est la maîtrise du coût environnemental et économique que l’augmentation constante de la production de déchets fait peser sur la collectivité.

Le Conseil général du Tarn, qui a intégré les objectifs du Grenelle dans le Plan départemental d’Élimination des Déchets Ménagers et Assimilés, révisé au printemps 2011, et qui compte cinq collectivités porteuses de programmes locaux de prévention sur son territoire, s’engage dans le dispositif prévu par l’ADEME à son échelle : un Plan départemental de prévention. Il s’agit, dans un souci de mutualisation des efforts, de soutenir ces collectivités dans leur démarche et de participer à atteindre les objectifs fixés par le Grenelle.

« Le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas. » La priorité donnée à la prévention aujourd’hui pose un double défi aux collectivités : il s’agit d’abord d’accompagner le changement des comportements dans le sens de la prévention, ce qui nécessite, au-delà de l’apprentissage de gestes préconisés, d’interroger et de faire évoluer nos modes de productions, de consommation, d’usage des biens et produits ; il s’agit également de combiner les solutions de prévention et de traitement des déchets dans une logique de maîtrise des coûts environnementaux et économiques de la production de déchets.

Compte-rendu :

Compte-rendu réalisé par Lucie BOGDAN et Paul GOURDON, étudiants en géographie au Centre universitaire J.F.Champollion, sous la direction de Thibault COURCELLE et Mathieu VIDAL, enseignants-chercheurs, co-animateurs des Cafés Géo d’Albi.

Éléments de la présentation

Premier intervenant : Jean-Baptiste BAHERS

Introduction : Si le traitement des déchets et le recyclage apparaissent aujourd’hui comme importants et sont relativement bien connus et médiatisés, la question de la prévention est moins visible dans le débat. Du point de vue des entreprises spécialisées dans le recyclage des déchets on pourrait se dire que la question de la prévention n’a pas de sens car elle représenterait une baisse d’activité correspondant à la diminution de la production des déchets, identifiés ici comme ressources. On peut aussi retrouver ce paradoxe chez les industriels qui produisent des biens et n’ont pas forcement intérêt à diminuer leurs rejets. Néanmoins, la réduction de la production de déchets industriels est effective depuis plusieurs années déjà ; d’abord du fait des phénomènes de désindustrialisation, ensuite, du fait des coûts des traitements qui peuvent être dissuasifs. Au départ, la question de la prévention des déchets était principalement traitée par des organismes financiers tels que les éco-organismes. Aujourd’hui, il semble important que les collectivités territoriales, qui ont un intérêt direct à une diminution de la production de déchets, soient au cœur de la mise en place de dispositifs de prévention.

La question est bien d’actualité car si tout le monde connait le problème des déchets, ils sont moins nombreux à connaître et identifier l’apport de la prévention vis à vis de ce problème. L’identité de la prévention est diffuse, c’est à la fois une principe juridico-politique, un dispositif territorial, une stratégie technologique d’éco-conception, et ce sont de multiples définitions dans l’arsenal législatif européen et français. Elle est souvent confondue avec sa « fausse sœur » : la précaution ; et parfois oubliée au profit du recyclage et de la valorisation. Pourtant la prévention est au cœur de cette nouvelle idée de créer plus en utilisant moins.

Définitions : prévention vs précaution.

Le principe de précaution est défini clairement depuis la convention de Rio en 1992 : on parle de précaution dès lors qu’il y a une absence de certitudes scientifiques et techniques. La précaution concerne d’avantage des thématiques comme les risques sanitaires et environnementaux du traitement des déchets. En revanche, la prévention se fonde sur l’adage « mieux vaut prévenir que guérir ». Cela correspond à l’ensemble des actions et des mesures qui s’effectuent en amont, dans les domaines de la conception (réflexion sur cycle de vie du produit), de la production (procédés propres), de la distribution et de la consommation (habitude de consommation, éco-labels) d’un bien. On retrouve alors deux volets de la prévention : la prévention quantitative, visant à réduire la quantité et le volume de déchets produits ; et la prévention qualitative, visant à diminuer leur nocivité et à améliorer le caractère « valorisable » des déchets. On voit ici apparaître deux problèmes sous-jacents, d’abord celui de la consommation et du gaspillage des ressources (directement lié à la question de la prévention quantitative) et celui de la capacité et de la nocivité du traitement des déchets (lié à la question de la prévention qualitative). Le principe de prévention est amené par le rapport Meadows du Club de Rome au sujet des limites de la croissance publié en 1972. La consommation de ressources apparaît alors comme non soutenable. C’est aussi la naissance du concept de « facteur 4 » : produire deux fois plus en consommant deux fois moins. On voit nécessairement apparaître la notion de découplage entre le PIB et la production de déchets car jusqu’ici on observe une croissance parallèle entre ces deux données. C’est aussi la naissance de la notion de dématérialisation de l’économie (définie par Suren Erkman) qui correspond à la réduction des quantités de matériaux utilisés grâce à une diminution des pertes liées à l’extraction des matériaux en amont, et à la tentative d’éviter les rejets de toutes natures en aval. En France ce principe de dématérialisation est peu effectif, d’une part car la consommation de matières n’a presque jamais diminué depuis dix-sept ans, d’autre part il y a l’existence de ce que l’on appelle des « flux cachés » qui correspondent à l’importation de matières qui implique une utilisation des ressources à l’étranger.

L’insertion dans les politiques publiques.

La réglementation sur les déchets est fortement liée aux directives européennes. On peut noter trois phases importantes dans l’histoire de cette réglementation : les directives de 1975, de 1991, et de 2008. En 1975, la prévention est presque absente du débat, seule l’idée du réemploi est incluse dans une partie sur la valorisation des déchets. C’est en 1991 qu’apparait la notion de priorité à la prévention. Enfin, c’est à partir de la directive-cadre de 2008 qu’on trouve une ambition assez importante avec une redéfinition plus claire prenant en compte la nécessité de réduire la production de déchets, y compris par l’intermédiaire du réemploi et de la prolongation de la durée de vie des produits, et de réduire les effets nocifs et la teneur en substance nocives des matières et produits.

À l’échelle nationale, il existe un plan de prévention depuis 2004 qui mobilise les différents acteurs impliqués avec des chantiers emblématiques et des campagnes de sensibilisation. La loi « Grenelle I » amène des objectifs chiffrés : il faut réduire la production d’ordures ménagères de 7% par habitant sur les cinq prochaines années. Le « Grenelle II », associé au décret du 11 juillet 2011, permet de « territorialiser » la question de la prévention avec de nouveaux objectifs. Notamment avec la mise en place de filières REP (Responsabilité Élargie du Producteur) liées à des produits comme pour les DASRI (Déchets d’Activité de Soins à Risques Infectieux) ou les DDD (Déchets Dangereux Diffus). Mais aussi avec des objectifs de prévention à la source pour les plans départementaux et un plan départemental pour la gestion des déchets de la construction (BTP).

Néanmoins les questions de prévention sont souvent renvoyées à la responsabilité des consommateurs et il est difficile pour les acteurs privés ou publics de demander à la population de consommer moins.

Quelles stratégies pour quels acteurs ?

Les collectivités disposent de certains outils comme la tarification incitative efficace et les plans territoriaux de prévention (départementaux et locaux) qui aident à la mise en place des pratiques de compostage individuel des déchets organiques, de la distribution des autocollant « stop pub » ainsi que celle des sacs réutilisables, et enfin des politiques de sensibilisation. Les citoyens sont aussi impliqués, ils doivent essayer de réduire le volume de leurs déchets ménagers. Les expériences (avec des foyers témoins) qui ont été menées dans ce domaine montrent que la réalisation de gestes simples au quotidien a un impact réel sur la production de déchets. Les entreprises se tournent principalement vers des stratégies d’éco-conception, en réalisant des analyses de cycle de vie des produits qui permettent de connaître leur consommation d’énergie et leurs rejets au cours de leur vie. Les éco-labels poussent les industriels à répondre à des cahiers des charges.

Conclusion

La prévention est renforcée car le rôle des collectivités est enfin sollicité. La prévention pose la question majeure du gaspillage des ressources que ce soit au niveau de la réglementation ou dans les activités économiques. Il y a donc une interface avec la dimension socio-professionnelle qui est à investir, à développer et qui est trop peu importante par rapport à ce qu’elle pourrait représenter aujourd’hui.

Deuxième intervenant : Daniel VIALELLE

Introduction :

Après une enquête publique menée à la fin de l’année 2010, le Conseil Général a révisé et adopté le 15 avril 2011 un Plan Départemental d’Elimination des Déchets Ménagers et Assimilés (PDEDMA). Il s’agissait, à l’origine, d’une compétence préfectorale qui a ensuite été transférée au Conseil Général depuis l’Acte II de la décentralisation. Ce plan est alors défini comme un outil de planification et de gestion des déchets, obligatoire pour chaque département. Il fixe les objectifs et les moyens d’une gestion des déchets durables respectueuse de l’environnement pour les dix années à venir. Si ces objectifs doivent être remplis par la collectivité, le plan va au-delà des limites du département du Tarn : une partie de la Haute-Garonne (Revel, Caraman) est inclue dans ce plan, ainsi qu’une partie du département de l’Hérault (Saint-Pons), puisqu’ils sont adhérents de Trifyl [syndicat mixte départemental pour la valorisation des déchets ménagers]. Il est aussi important de préciser que le département du Tarn, à travers Trifyl, traite de manière provisoire les déchets du département de l’Aveyron.

Le PDEDMA, quels sont les nouveaux objectifs ?

Il est clair que la priorité première de ce plan est la prévention ; il ne s’agit pas de « consommer moins » mais de « consommer mieux ». Le Conseil Général s’engage sur cinq ans dans un Plan Départemental de Prévention (PDP) avec comme objectif de couvrir 80% de la population du département avec un programme local de prévention. Cet objectif est déjà atteint pour le département du Tarn grâce aux efforts des cinq collectivités porteuses de programmes locaux de prévention des déchets : Trifyl, le SICTOM de Lavaur, la communauté d’agglomération Castres-Mazamet, le SIPOM de Revel et la Communauté de communes Tarn Dadou, qui couvrent près 82% de la population tarnaise. Seule la population de la Communauté d’agglomération de l’albigeois n’est pas encore couverte par un programme local de prévention, mais elle le sera bientôt puisque ce programme devient obligatoire l’année prochaine. Le second objectif de ce plan de prévention est aussi de contribuer à l’objectif national de réduction de 7% de la production d’ordures ménagères et assimilées sur le territoire. C’est un objectif déjà très convenable et atteignable.

Qu’est-ce qu’un déchet ? Sans remonter au préfet Poubelle en 1884, on s’aperçoit que les comportements évoluent très rapidement. Il y a encore peu de temps, il était difficile de gérer les déchets, la seule préoccupation était de les évacuer, c’est-à-dire de les entasser dans un coin. Depuis la première loi sur les déchets en 1975, on a commencé à les éliminer. L’État a ensuite mis en place une TGAP (Taxe Générale sur les Activités Polluantes) en 1992, amenant les collectivités locales à réfléchir à la problématique et à essayer de valoriser et recycler les déchets ; mais aussi à faire de la prévention avec le Grenelle. Ainsi, en quelques années, et ce depuis la création d’Eco-emballage dans les années 1990, les déchets sont de mieux en mieux gérés. La prévention a alors pour but de réduire la quantité des déchets produits et collectés (les emballages), mais aussi de réduire leur nocivité et d’améliorer le caractère « valorisable » des ressources en privilégiant les matériaux recyclables. La gestion durable des déchets repose essentiellement sur la complémentarité des solutions propres et adaptées au territoire ; il n’existe donc aucune solution unique meilleure qu’une autre.

Quels sont les enjeux de la prévention ?

On compte aujourd’hui près de 375 kg d’ordures ménagères et assimilées par habitant et par an en France, dont 150 kg qui peuvent faire l’objet de gestes de prévention : 125 kg peuvent en effet être compostés parmi lesquels 20 kg résultent du gaspillage alimentaire (dont 7kg de nourriture encore emballée, non entamée). Dans le Tarn, on observe que les publicités et les journaux gratuits représentent environ 43 kg par foyer et par an, soit 5 500 tonnes par an pour le département. La Communauté de communes Tarn et Dadou qui regroupe le secteur de Gaillac et Graulhet compte 328kg produits par habitants d’ordures ménagères et assimilées en 2010, se situant ainsi un peu en dessous de la moyenne nationale de la production de déchets. Mais d’après une étude, les poubelles de Tarn et Dadou seraient tout de même composées de 29 kg/an/hab de gaspillage alimentaire (dont 9kg de pain), ainsi que 17kg de couches jetables. Le territoire tarnais est un peu particulier puisque l’état d’avancement des programmes locaux de prévention des déchets diffère selon la zone. En effet, le secteur de Lavaur avec le SICTOM est très en avance car il s’agit de leur seconde année de prévention, tandis que la zone de l’agglomération d’albigeois reste marginale, sans programme de sensibilisation encore défini.

Quelles sont les actions concrètes de prévention des déchets ? Les cinq programmes locaux de prévention en place dans le département portent surtout sur des actions de prévention auprès des habitants et des professionnels. De ce fait, à travers un certain nombre de foyers témoins dans le département du Tarn – et non de foyers exemplaires – on s’est aperçu des quantités de déchets produites et que l’objectif des 7% de réduction pouvait être atteint essentiellement grâce au compostage domestique. Les programmes mis en œuvre vont permettre un meilleur suivi grâce à un réel travail en réseau, notamment avec des jardiniers. Le SICTOM de Lavaur a surtout misé sur l’éducation à la prévention et les comportements moins générateurs de déchets à travers des actions culturelles telles que des spectacles comiques sur le tri, la distribution de gourdes pour promouvoir l’eau du robinet, ainsi que des distributeurs de « Stop pub » afin de réduire les imprimés non sollicités en visant surtout les publicités.

La redevance incitative n’est pas encore mise en place dans le département du Tarn. Des études ont montré que le problème aujourd’hui est que les citoyens paient cette redevance en fonction de leur logement et non en fonction du nombre d’habitants ou de la quantité de déchets ménagers produite. Une redevance au poids ou au nombre lors de la levée du conteneur serait une bonne solution mais n’est pas facile à mettre en œuvre. La prévention est déjà un bon geste alors que la redevance incitative paraît difficile à mettre en place. En effet les actions de prévention avec des restaurateurs (même Mc Donald’s), la communication et les relations avec les gens prouvent que le travail de prévention est toujours payant.

Le Conseil Général du Tarn anime et mutualise aujourd’hui les outils au niveau départemental, et développe aussi son aspect éco-exemplarité. Il résulte de ce travail, des outils de communication comme le « Rudoscope » – une grande exposition interactive qui vise essentiellement les écoles, les collégiens et les lycéens – ou la participation à la semaine européenne de la réduction des déchets du 19 au 27 novembre 2011. Le Conseil Général a également réalisé un guide de la prévention des déchets destiné aux élus et organise des réunions d’informations sur la problématique.

Éléments du débatAntoine DELAUNOIS (Saint Juery) : On a parlé beaucoup ici du principe de pollueur-payeur, de la redevance incitative, d’éco-emballage, et je me disais que l’aspect financier était quand même un aspect clé dans tout ça, parce que la taxe sur les ordures ménagères augmente régulièrement. Donc il y a un aspect environnemental, un aspect information et aussi un aspect coût ; et tout ça va ensemble. Par exemple, au niveau du compostage, vous avez dit que cela a un impact important, c’est vrai que personnellement je composte et je trouve ça facile, mais je comprends que pour des personnes qui ne sont pas sensibilisées, ça n’est pas facile. Mais le fait de payer ses déchets, c’est une façon de se sensibiliser et d’y être intéressé. Je lisais un article de « UFC Que choisir ? » qui vient de paraître sur les ordures ménagères et ils montraient que justement ce principe de pollueur-payeur était très peu appliqué en France. Il y a par exemple les industriels qui ne paient que 50% de la pollution ; au niveau des citoyens, des communautés de communes, vous avez dit que la redevance incitative n’était pas appliquée dans le Tarn, donc on n’est pas incité à faire des économies de déchets. De même au niveau des hôpitaux ou bien des professionnels – des magasins par exemple dans les villes – ne paient pas à la hauteur des déchets qu’ils produisent. Toujours d’après l’article, les déchets non triés coûtent 60 ou 100 euros la tonne, et si on les trie, ça coûte 200 euros la tonne. Et donc je me disais que cet aspect « coût des déchets » est un aspect essentiel qui nous concerne tous, puisque nous sommes des citoyens, mais qui concerne en premier lieu le gouvernement par les décisions sur l’éco-emballage, mais aussi les élus locaux puisque la redevance incitative dépend en fait des élus locaux.

Daniel VIALELLE : Sans revenir sur la redevance incitative car ce n’est vraiment pas facile à mettre en œuvre et cela demande trop de conteneurs individuels ; mais au sujet de l’article ; « plus vous triez, plus c’est cher », justement les plans mis en place avec le département et notamment avec Trifyl, le bio-réacteur et les usines de tris : c’est l’inverse. Plus les collectivités de base qui collectent les déchets en donnent à traiter à Trifyl, plus le prix du tri demandé baisse. Face à cela, le prix des ordures ménagères dans les sacs noirs augmente. En effet, toutes les recettes des déchets des sacs noirs sont affectées au bio-réacteur dont on extrait le méthane, qui produit de l’électricité et donc de la chaleur. Tous les bénéfices sont alors attribués au tri plutôt qu’aux déchets, de façon à avoir une politique incitative de tarif. Dans le département du Tarn, celle politique incitative de tarif est bien appliquée vers les collectivités. Effectivement, vers la population, il y a la TEOM (la taxe d’enlèvement sur les ordures ménagères), et celle-ci n’est pas incitative, je le reconnais. Certains citoyens considèrent alors que payer cette taxe les dispensent de trier les déchets.

Anonyme : Il y a plusieurs collectivités de communes, et en fin de compte un plan départemental. On s’aperçoit que chaque collectivité gère son problème de collecte à sa façon. Il y a par exemple un problème de collecte individuelle qui est en train de se mettre en place sur Tarn Dadou alors que la communauté de communes de Réalmont s’engouffre dans la conteneurisation ; ce qui est à l’inverse du but recherché. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Daniel VIALELLE : Effectivement, les syndicats ou les communautés de communes et d’agglomération de collecte ont toutes leur politique. On a du mal pour l’instant à imposer, faute de pouvoir sur une autre collectivité. Comme je l’ai dit précédemment, sachez qu’il n’existe pas de moyen unique. Les conteneurs sont une bonne chose en zone rurale car on s’est aperçu qu’il n’y avait pas de dérives de cette méthode, et cela réduit le coût. Sur la communauté d’agglomération Castres-Mazamet, la collecte était deux à trois fois par semaine pour les conteneurs noirs et deux fois par semaine pour les conteneurs jaunes, mais cela risque de passer à une fois par semaine pour les conteneurs noirs et une fois toutes les deux semaines pour tous les déchets propres et secs. On s’aperçoit alors que l’on fait de grosses économies car une tournée, une collecte avec deux agents et un camion, d’abord cela pollue mais surtout coûte cher.

Nous allons mettre en place, en ville, sur d’autres collectivités, des conteneurs individuels, gérés et lavés par les personnes qui ne le sortiront que lorsqu’il est plein. Je pense qu’on y arrivera, à faire payer ne serait-ce qu’un euro ou deux, par exemple la onzième fois que les personnes sortent leur conteneur, après dix fois gratuites, à l’aide de petites puces qui reconnaitraient chaque conteneurs. Cela existe notamment du côté de Chenonceau ou Blois dans le Val de Loire ou en Franche Compté. Mais c’est un système qui n’est pas évident à gérer puisque certains vont profiter des poubelles du voisin. Il reste beaucoup de travail à faire quant à la réduction du nombre des collectes.

Antoine DELAUNOIS :Il faut préciser que la collecte individuelle, en région parisienne et en Alsace, a mené à un résultat de 110kg d’ordures ménagères par habitants et par an, ce qui est pratiquement deux fois moins que nous.

Daniel VIALELLE : C’est vrai qu’on peut tirer des leçons des Alsaciens, et dans beaucoup de domaines.

Jean-Baptiste BAHERS : On peut aussi apprendre des leçons des Lotois qui ont les meilleures performances de collecte sélective en France. Il y a de toute façon des spécificités territoriales importantes et notamment la politique des conteneurs en zone rurale semble particulièrement bien adaptée là-bas.

Daniel VIALELLE : Le problème en matière de déchets (et ce dans plusieurs endroits), c’est que les messages passent une fois, puis on a du mal à les changer. Les Lotois sont partis sur un très bon principe mais qui paraissait dangereux au départ : « si les habitants ne savent pas trier, qu’ils mettent tout dans le sac jaune et le plus possible, puisque derrière, les collectivités ont les outils pour trier ». Face à cette politique, nous avons plutôt précisé aux gens ce qu’il faut mettre dans les sacs jaunes, et ce qu’il ne faut pas. Pour les bouteilles d’huile par exemple, on ne savait pas les récupérer et on demandait aux gens de les jeter dans la poubelle noire. Depuis, on est sûr que ces bouteilles peuvent être jetées dans le sac jaune, mais les gens ont gardé l’habitude, et le message reste difficile à faire passer. C’est pour cela que l’on vient à demander aux habitants de mettre le plus de déchets possibles dans les sacs jaune et bleus. Nous avons de plus en plus d’outils informatisés, avec des capteurs pour re-trier les déchets de ces sacs. Avec ce raisonnement, le Lot obtient les meilleurs résultats et de très loin. Les pots de yaourt, aujourd’hui, nous ne savons pas les traiter et normalement ils vont avec les ordures ménagères dans le sac noir, mais le message que nous tentons de faire passer est de les mettre tout de même dans le sac jaune car dans six mois peut être, ou deux ans, nous arriverons à les recycler. Il s’agit d’un travail avec les industriels, mais aussi de prévention : un déchet qui n’est aujourd’hui pas recyclable peut le devenir demain, et cela allègera le nombre de déchets non recyclables.

Thibault COURCELLE (Enseignant-chercheur en géographie à l’Université Champollion) : Vous avez parlé notamment du compostage qui était un des enjeux forts par rapport à la réduction du nombre de déchets, mais avez-vous des campagnes de sensibilisations différentes entre les zones urbaines et les zones rurales ; puisqu’il est très difficile de faire du compostage dans les zones urbaines, comme lorsque l’on habite dans un appartement, sans jardin. Alors peut-on imaginer la mise en place d’un système de collecte pour déchets végétaux ménagers, comme il en existe déjà pour les jardins ?

Daniel VIALELLE : Nous travaillons en réseau et c’est pour cela qu’avec le département, nous essayons de piloter, de communiquer mais nous n’avons pas nos propres camions ; ce n’est pas nous qui collectons mais les syndicats, cités précédemment. C’est vrai qu’au niveau du compostage, ont été distribués beaucoup de composteurs mais sans aucun suivi. On s’aperçoit aujourd’hui que l’on ne composte pas n’importe comment et en mettant n’importe quoi. Effectivement, il nous revient en charge de faire de la communication ; on se prépare à aller plus loin dans ce domaine-là, et à relancer des campagnes de composteurs, et de pouvoir ensuite mesurer les résultats, puisque toute politique doit être évaluée avec des objectifs, des points d’étape et des points d’arrêt intermédiaires. Par contre, en ville, effectivement, vous avez raison, nous avons ce souci-là, et aujourd’hui je n’ai pas forcément de réponse à votre question puisque la réponse est que les habitants mettent leurs déchets verts dans le sac noir. Les collectivités vont-elles aller jusqu’à faire des collectes de porte-à-porte ? Ce n’est pas évident car plus on collecte les déchets verts et plus on multiplie le nombre de déchets. Chacun doit alors évacuer un peu chez lui, brûler ses feuilles mortes, le laisser chez quelqu’un qui a de quoi composter. C’est vrai qu’en appartement, ce n’est pas évident d’avoir un composteur. Cela fait partie du travail que l’on doit faire.

Jean-Baptiste BAHERS : On peut y mettre un « lombricomposteur » aussi. A Barcelone, ils ont une collecte pneumatique des déchets organiques. Le problème de ces déchets, c’est en effet la putréfaction. Il existe de toute façon deux méthodes opposées pour les zones rurales et les zones urbaines ; les habitants en zone rurale ont tout intérêt à faire du compostage individuel et en zone urbaine, il faut miser sur d’autres solutions. De plus, le compost peut être contre-productif lorsqu’il est mal fait ; il peut y avoir des émanations de méthane qui auront des effets plus nocifs que le but recherché. Il faut bien mélanger les azotes et les carbones.

Nelly (étudiante du Master Diagnostic et environnement de l’Université Champollion) : L’exemple de Trifyl avec le bio-réacteur montre que si tout le monde fait du compostage il n’y aura plus de « méthanisation » possible et donc que le bio-réacteur ne servira plus à rien…

Daniel VIALELLE : Nous avons encore de la marge mais effectivement vous avez raison sur le fond. Aujourd’hui je crois que le réacteur fonctionne avec 140 000 ou 150 000 tonnes avec les déchets du Tarn et de l’Aveyron. Si cela diminue, cela laissera plus de temps de vie au réacteur, même si actuellement il y en déjà encore pour cinquante ans au moins. Mais c’est vrai qu’on peut se demander pourquoi Trifyl se lance dans la prévention, cela pourrait paraître anormal. En réalité c’est parce que même si le site fait 65 hectares, à un moment donné, il aura une fin.

Nous avons aussi intérêt à mieux trier pour que le bio-réacteur soit efficace. Car comme je vous l’ai dit la prévention c’est moins de déchets, ou des déchets moins toxiques, ou des déchets moins lourds, il ne s’agit pas uniquement du retraitement et de la suppression. Il y a donc encore un travail à effectuer en terme de réduction et de valorisation, avec des « recycleries » par exemple, ainsi des choses qui aujourd’hui partent en déchet, demain n’y arriveraient pas. Il y a de nombreux objets dans les déchetteries qui pourraient repartir dans le cycle en ayant une deuxième vie (Emmaüs le fait déjà par exemple).

Anonyme : j’ai toujours entendu dire que le site de Trifyl n’avait qu’une capacité de 1,5 millions de tonnes. La durée de vie de ce projet n’est pas un peu courte ?

Daniel VIALELLE : Oui pour le bio-réacteur actuel mais il y a la possibilité de faire d’autres casiers. Je ne dis pas que c’est ad vitam eternam mais ça nous permettra d’avoir mené cette expérience. D’ailleurs il faut lever la chapeau au sénateur car il a su convaincre les élus. Ce qui se passe c’est que souvent les gens ne veulent même pas d’une déchetterie à côté de chez eux, alors qu’une déchetterie c’est propre. Pour trouver le site de Trifyl, acheter soixante hectares avec enquête publique et que cela se passe sans soucis, c’est quand même bien, plutôt que de faire un four qui aurait créé certainement beaucoup plus de dégâts à l’environnement. Là au moins on réutilise à travers l’électricité, à travers le chauffage, à travers le gaz. Le bio-réacteur est donc un outil performant en la matière. Le Tarn est donc en avance et traite au mieux les déchets, maintenant c’est vrai que moins on en aura mieux on se portera.

Mathieu VIDAL (Enseignant-chercheur en géographie à l’université Champollion) : Nous le faisons de manière symbolique mais à chaque fois que nous achetons un matériel électrique ou électronique comme un réfrigérateur, une télévision ou un ordinateur, nous payons une taxe. On se demande parfois à quoi elle sert mis à part faire un prix rond tellement elle est symbolique. Par qui est-elle donc prélevée ? À quoi sert-elle ? Est-ce qu’elle est suffisante ? Est-ce que finalement elle va vraiment à ce pour quoi elle est prévue au départ ?

Jean-Baptiste BAHERS : Il s’agit d’un système d’organismes collectifs qui gèrent ces filières REP (Responsabilité Élargie du Producteur). Donc le consommateur paie une éco-contribution qu’il reverse au producteur qui reverse lui même cette éco-contribution à ces éco-organismes qui sont donc des organismes de gestion financière de ces filières. Ces derniers doivent normalement reverser ces contributions collectées à des prestataires logistiques, des prestataires de collecte et aux prestataires de traitement final. Par exemple éco-emballage reverse un peu d’argent aux collectivités. Ce système est un peu comme la démocratie : c’est le pire système à l’exception de tous les autres. Le problème principal, c’est que ces organismes sont encore trop entre les mains des industriels producteurs et pas assez entre les mains de collectivités qui devraient avoir un rôle beaucoup plus coordinateur, de gouvernance de ces éco-organismes. Ceci amène d’ailleurs à des situations un peu aberrantes comme les polémiques outrageantes de l’année dernière concernant éco-emballage qui avait déposé soixante millions d’euros dans des paradis fiscaux sachant qu’ils avaient perdu de l’argent des collectivités. Éco-système s’était aussi fait épinglé par le Conseil du développement durable parce qu’ils avaient reversé uniquement trente millions des soixante millions d’euros qu’ils avaient collecté, car beaucoup d’argent était passé en communication. Un rôle qui, selon moi, incomberait donc aux collectivités : la gouvernance de ces organismes doit être recentrée vers ceux qui ont un intérêt à cette gestion de fin de vie de ces produits.

Daniel VIALELLE : Oui, l’exemple d’Éco-emballage aux iles Caïman (d’ailleurs je crois que c’est beaucoup plus que 60 millions d’euros) donne une mauvaise image effectivement.

Pauline ISMAILI (chargée de la prévention des déchets au Conseil Général du Tarn) : Au-delà de toutes ces questions techniques, la prévention des déchets pose une vrai question de société, de choix de société. Je pense par exemple au système d’économie sociale et solidaire, il y a plusieurs associations qui œuvrent dans ce sens comme le relais Emmaüs à Mazamet qui récolte tous les habits que l’on dépose en container et qui leur donne une deuxième vie ici ou en Afrique. Ils s’associent aussi à des partenariat (c’est beaucoup plus vaste que ce que l’on peut imaginer) comme en soutenant des usines à Madagascar ; des coopératives apicoles au Burkina Faso. Cela montre qu’il y a bien un côté social et international à la démarche de prévention des déchets et c’est important de le souligner.

Daniel VIALELLE : Soulignez aussi les questions de gaspillage alimentaire. Vous m’aviez fait part de quelques cas représentatifs.

Pauline ISMAILI : Oui effectivement, il y a des gens qu’on appelle aujourd’hui les « déchetariens » ou en anglais des « freegans ». Ce sont des gens comme vous et moi, pas forcement dans le besoin, mais qui ont une démarche de prévention des déchets et de lutte contre le gaspillage alimentaire. Ils font les poubelles des grandes villes, le plus souvent des supermarchés ou des quartiers bourgeois, et ils arrivent à se nourrir de produits encore emballés toute l’année. Dans leur réfrigérateurs, ils ont presque aucun produit qui provient de leurs courses, et ils ont parfois du foie gras, de la salade encore emballée. C’est vraiment incroyable et il faut voir un reportage à ce sujet, je vous conseille de chercher « déchetarien » sur internet. Et il ne faut pas croire que ces phénomènes de gaspillage ne sont présent qu’à Paris ou dans les grandes villes.

Mathieu VIDAL : Juste pour compléter un peu sur les « freegans », ça vient des États-Unis au départ. Il faut quand même savoir qu’aux États-Unis quasiment la moitié de la production agricole nationale finit à la poubelle, parce qu’elle est poussée par ce qui arrive dans les rayons des magasins, parce qu’il y a des dates de péremption etc… Ce n’est donc pas étonnant que le mouvement soit venu de là car ça démontrait tout simplement que « la production pour la production » n’était pas une fin en soi et qu’on en arrivait à des aberrations.

Carte Tarn - Programmes locaux de prévention des déchets 2011

Carte Tarn – Programmes locaux de prévention des déchets 2011

D. Vialelle et JB Bahers - Photo 1

D. Vialelle et JB Bahers – Photo 1

D. Vialelle et JB Bahers - Photo 2

D. Vialelle et JB Bahers – Photo 2

Cycle de vie d’un produit

Cycle de vie d’un produit

(Première publication le 8 novembre 2011, à l’url http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=2293)