Fondation Louis Vuitton
8 avenue du Mahatma Gandhi
75116 Paris

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Dédiée à la création contemporaine, la Fondation Louis Vuitton a ouvert ses portes en octobre 2014 à l’ouest de la capitale, dans le Jardin d’Acclimatation. L’édifice, imaginé par Frank Gehry, flotte à la lisière du bois tel un nuage de verre blanc. Qui a dit que Paris s’endormait sur ses lauriers ? Qui a dit que  « l’archi-star » Gehry, couronné par le Pritzker en 1989 n’était pas resté le maître des « constructions tordues », le maître des prouesses innovantes ?

Allez admirer ce vaisseau et ses voiles de verre et de métal. Gehry a le vent en poupe !

 

Un nouveau lieu consacré à l’art, pourquoi faire ?

La Fondation Louis Vuitton a la particularité d’être une institution privée, créée par le mécénat de LVMH (Louis Vuitton, Moët Hennessy). Mais c’est surtout le rêve, devenu réalité de Bernard Arnault, le président du groupe.

La Fondation est consacrée à l’art en mouvement, à la création d’aujourd’hui. Elle ambitionne de les mettre en perspective avec des références historiques, en partie celles de l’art moderne du XX è siècle. Sa vocation est d’abriter plusieurs activités, avec des partis pris clairement affichés.

– La collection permanente, appartenant à la Fondation ou à Bernard Arnault sera présentée, fragmentée, lors d’accrochages successifs.

– Des expositions temporaires permettront, au travers de collaborations avec d’autres institutions (privées ou publiques) ou d’autres collectionneurs, de mobiliser les artistes eux-mêmes.

– Un auditorium aux qualités modulables accueillera différentes sortes de musique.

Bernard Arnault fait siennes les paroles de Picasso : « L’art sert à laver l’âme de la poussière de tous les jours. Il faut susciter l’enthousiasme car l’enthousiasme est ce dont nous avons le plus besoin pour nous mais aussi pour les générations futures.

L’association de l’industrie du luxe et de l’art : une légitimation qui pose problème ?

Depuis trente ans déjà, en France, des fondations d’art contemporain sont financées par des maisons de luxe. La Fondation Cartier avait ouvert la voie en 1984 à Jouy-en-Josas. En 1994 elle a déménagé boulevard Raspail dans un bâtiment signé par Jean Nouvel.

Puis François Pinault, fondateur de Kering a ouvert une fondation personnelle au Palazzo Grassi à Venise. Tous ont fait des émules : Hermès, Louis Roederer, Pierre Bergé -Yves Saint Laurent, Chanel, Prada…

Les créateurs contemporains, entend-on répéter souvent, sont infiniment plus libres que ceux d’autrefois, qui étaient soumis aux commandes des monarques ou des cardinaux et devaient obéir. Est-ce si sûr ? Qu’il n’y ait plus de cours princières ne signifie pas que les artistes de cour n’aient pas disparu. On remarque que ce sont toujours les mêmes artistes qui sont exposés et qu’on fait toujours appel aux mêmes architectes, les 10 stars les plus connues de la planète.

La générosité des maisons du luxe va de pair avec des stratégies de communication. L’art permet « d’injecter du Botox » dans l’industrie du luxe ! Une fondation constitue l’apothéose, l’étape ultime qui permet de donner aux marques une dimension désintéressée, d’entrer dans l’univers du don ou de l’apparence du don. La Fondation Louis Vuitton, qui prévoit de recevoir environ un million de visiteurs par an, a un statut de fondation d’entreprise et bénéficie des avantages fiscaux qui s’y rattachent.

Cependant, une convention d’occupation du domaine public a été signée en 2007 pour cinquante ans avec la ville de Paris car le terrain acquis, d’environ 1 ha, était sur un site classé et protégé. Au terme du bail, le bâtiment reviendra à la Ville d Paris.

Un geste architectural flamboyant

Frank Gehry est né à Toronto (Canada) en 1929. Issu d’une famille d’immigrés juifs polonais, il a exercé maints petits boulots avant de pouvoir faire des études aux Etats-Unis, où il vit depuis 1941. Sa maison, à Santa Monica, banlieue de Los Angeles, est l’un de ses premiers manifestes artistiques. Elevée en 1979, dans des matériaux non nobles (contre-plaqué brut, grillages galvanisés) elle en a surpris plus d’un ! Il a aussi dessiné beaucoup de meubles et de bijoux avant de devenir une star incontournable. En France, il a déjà réalisé l’American Center (1993) devenu la Cinémathèque et Disneyland à Marne-la-Vallée. En Espagne, on lui doit Vila Olimpica (Barcelone) et le Guggenheim de Bilbao. En Allemagne il a réalisé le musée de Vitra à Weil-am-Rhein en 1989et la DZ Bank de Berlin.

C’est après avoir vu le Guggenheim de Bilbao, réalisé en 1997, que Bernard Arnault a choisi Frank Gehry pour son rêve parisien. « J’ai a cœur de concevoir pour Paris un vaisseau magnifique qui symbolise la vocation culturelle de la France ».

Gehry a horreur des lignes droites ou continues. En revanche il se délecte dans la fragmentation des masses et leur réassemblage dans des compositions arbitraires et chaotiques. Son but est de créer le mouvement et d’insuffler la vie.

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Posé sur un bassin créé pour l’occasion et alimenté par une cascade, l’édifice s’insère dans un environnement naturel entre le bois de Boulogne et le Jardin d’Acclimatation, jouant de la lumière et des effets de miroir.

L’implantation, en lisière du grand parc de l’ouest parisien voulu par Napoléon III et réalisé par l’ingénieur Alphand et le paysagiste Barillet Deschamps en 1853, lui a suggéré l’idée de la serre, invention emblématique du XIX è siècle. Mais Gehry a regardé aussi vers le grand large et la fondation est devenue vaisseau de verre posé sur l’eau et largement pourvu de voiles.

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Chaque projet de Frank Gehry est un accélérateur d’innovation !

Douze grandes voiles de verre viennent recouvrir le corps du bâtiment, assemblage de blocs blancs nommé « iceberg ». Elles lui confèrent son volume, sa légèreté et son élan.

Pour combiner iceberg et voiles de verre il a fallu trouver quelques 200 ingénieurs susceptibles d’assurer la constructibilité du tout. Si Gehry commence toujours par dessiner son projet puis par réaliser des maquettes successives, il fait ensuite appel à son agence Gehry Partners qui travaille sur le Catia Digital Project. C’est un logiciel de conception assisté par ordinateur (CAO) mis au point par Dassault pour l’aéronautique. Les architectes du monde entier font aujourd’hui appel à l’expertise de son agence. Il a fallu déposer 30 brevets d’innovation pour réaliser cet édifice !

L’iceberg est composé de 19 000 panneaux de Ductal. Il s’agit d’un béton blanc dont la peau fait songer à un biscuit de porcelaine. Il est cerné par 3 584 panneaux de verre feuilleté, tous différents assemblés par des poutres de bois lamellé collé. Le tout est arrimé à de l’acier et à un radier en béton. Le vaisseau peut assumer les variations climatiques.

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La Fondation abrite, sur deux niveaux, 11 salles d’exposition, la plupart reçoivent une lumière zénithale grâce à des puits de lumière (skylights) qui sont autant d’œuvres d’art associant le Ductal, le bois, le verre, le métal.

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Les terrasses du 3è et 4è niveaux réservent de belles surprises. On peut y admirer tous les éléments de la structure du bâtiment et la vue sur l’ouest parisien est exceptionnelle : le jardin d’Acclimatation apparaît, limité par la façades du Paris haussmannien, elles-mêmes dominées par les tours du quartier de La Défense.

L’ouverture au public du bâtiment en octobre dernier a fait l’objet d’un tamtam médiatique exceptionnel, l’inauguration étant doublée d’une exposition à la gloire de Frank Gehry au Centre Pompidou. Cela en a énervé plus d’un ! Les critiques louangeuses ont été assorties de critiques virulentes : « une mocheté, trois escargots posés ensemble, un symbole de la folie des grandeurs d’un milliardaire, une belle vitrine pour un beau Paris, celui du XVI ème arrondissement…. Un seul conseil, faites le déplacement !

Un immense vaisseau encore presque vide

Ce musée en devenir ne propose qu’un nombre réduit d’œuvres. Les œuvres présentées de façon pérenne seront rares. Les œuvres présentées lors des expositions temporaires ne devraient remplir que trois salles, mais avec seulement des œuvres majeures.

Une petite sélection s’est imposée.

Alberto Giacometti, Grande femme II, 1960, Bronze

Alberto Giacometti, Grande femme II, 1960, Bronze

C’est la plus grande sculpture jamais réalisée par l’artiste. Elle impose, hiératique, une stature d’éternité inaccessible. La femme debout fait écho à L’Homme qui marche, homme perdu, décharné, venant de très loin, d’une vie qui s’en va.

Sigmar Polke, Cloud Paintings, 1992-2009

Sigmar Polke, Cloud Paintings, 1992-2009

Cette œuvre comporte 4 toiles et un objet. Les quatre grandes peintures à la tonalité d’or, de format identique, presque monochromes, sur toile de soie semi-transparente, présentent des fragments de nuages dans des variations subtiles. L’objet, posé au milieu sur un socle est une météorite vieille de 4 milliards d’années, trouvée en Sibérie, après une chute météoritique en février 1947. Cet objet extraterrestre est un témoignage concret de la dimension cosmique inhérente à l’ensemble dont se dégage une atmosphère éthérée et immatérielle.

Thomas Schütte, Mann im Matsch, 2009. Polystyrène, plâtre et bois.

Thomas Schütte, Mann im Matsch, 2009. Polystyrène, plâtre et bois.

Cette oeuvre géante (plus de 8 mètres de haut) représente un jeune homme, jambes dans la boue, mais baguette de sourcier en mains. A l’allégorie du bourbier de la modernité et de l’échec de ses utopies, l’artiste oppose le possible dépassement de l’entrave et de l’aliénation grâce au pouvoir divinatoire de l’homme, investi d’une quête.

Olafur Eliasson. Inside the horizon. 2014.

Olafur Eliasson. Inside the horizon. 2014.

Cette installation monumentale est une commande pérenne. Elle occupe le niveau – 1 du bâtiment, le Grotto. Jouant de la lumière, de formes géométriques et de surfaces réfléchissantes, cette installation engage le spectateur dans un kaléidoscope de miroitements dorés. Tout au long de cette coursive bordant un bassin d’où émerge l’iceberg, s’aligne une série de colonnes. Les visiteurs, invités à circuler entre elles, activent un jeu infini de reflets : l’eau, l’architecture, les colonnes et leur propre image. Cet espace ne cesse de se fragmenter et de se dissoudre en mille et une facettes.

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Olafur Eliasson s’exprime ainsi : « Si nous pouvions marcher à l’intérieur de notre propre horizon, le monde nous paraîtrait aussi fermé qu’une grotte, aussi réfléchissant qu’un miroir et aussi éphémère que la lumière. Pour moi, l’horizon n’est pas une ligne : c’est une dimension. Remettre en question son propre horizon, c’est remettre en question la linéarité et se créer un nouvel horizon ».

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Le rez-de-chaussée du bâtiment est tout aussi spectaculaire que les autres niveaux. Il offre les services habituels d’un musée, dont une librairie et un restaurant. Planant au-dessus des consommateurs, des carpes géantes, mordorées, comme un pied de nez de l’architecte qui rappelle ainsi ses origines juives d’Europe Centrale et les carpes farcies cuisinées par sa grand-mère les jours de fête.

Agé de 85 ans, Frank Gehry reste un maître. De l’audace, de l’audace, encore de l’audace ! Ses ailes du désir, comme une prière vers le ciel, ne laissent personne indifférent et peuvent apporter beaucoup de bonheur.

Maryse Verfaillie – Mars 2015

Tous les clichés ont été réalisés par Maryse Verfaillie.

Bibliographie : Connaissance des arts – Hors Série – Fondation Louis Vuitton