Paul Arnould, professeur de géographie à l’ENS de Lyon et chercheur à l’UMR 5600, Environnement Ville Société, évoque, le 16 septembre 2015, les « Forêts : retours en enfance. Deux BD revisitées. Tintin et Astérix écologues ? », au Café de la Cloche.
Spécialiste des forêts, il a écrit dernièrement « Au Plaisir des forêts. Promenade sous les feuillages du monde », où le sixième chapitre (sur 43) porte sur les plaisirs enfantins de la BD. De l’enfance à la BD, il n’y a alors qu’un pas. Sa jeunesse en forêt est marquée par les Vosges, les cabanes et les mini-défrichements pour faire du bois de feu. Elle est occupée aussi par la lecture des albums de Tintin et par l’abonnement au journal Pilote où paraissent les aventures d’Astérix le gaulois. Ayant lu son premier Tintin Objectif Lune a un peu plus de 7 ans, Paul Arnould, approchant des 77 ans, la deuxième date fatidique utilisée par les publicitaires pour borner le lectorat de Tintin, a décidé de revisiter Tintin au prisme de l’environnement. Y ajouter des constatations et des interrogations avec un autre héros au succès phénoménal, Astérix, permet de proposer une lecture jumelle des deux bandes dessinées.
Comment la forêt est-elle représentée par les auteurs de ces deux BD, comment les questions écologiques y sont-elles évoquées ? Tintin et Astérix peuvent-ils être considérés comme des spécialistes de l’environnement forestier ?
Tintin et Astérix sont, pour de nombreux bédéphiles, des BD un peu datées. Ces deux séries sont parmi les plus vendues dans le monde. Les chiffres sont impressionnants : 365 millions d’albums pour Astérix, plus de 230 millions pour Tintin. Le dernier Astérix « Le papyrus de César », paru en octobre 2015, a été tiré à plus de 4 millions d’exemplaires. Tintin est désormais traduit en plus de cent langues, Astérix en plus de 120.
Astérix est très lié à l’Hexagone (Le gaulois, la serpe d’or, le tour de Gaule, le combat des chefs, le bouclier arverne, le chaudron, la zizanie, le domaine des dieux, les lauriers de César, le devin, en Corse, le cadeau de César…), mais avec une forte dimension européenne (Les Goths, les Bretons, les Normands, aux jeux olympiques, en Hispanie, chez les Helvètes, chez les Belges….). Astérix est incontestablement plus européanocentré que Tintin.
Tintin s’impose au premier abord comme un chasseur non-écologue, surtout dans Tintin au Congo, livre de massacres et de tueries d’animaux ; mais d’autres représentations vont progressivement nuancer cette posture simplificatrice.
En 2001, les cafés géo parisiens avaient proposé, sur une suggestion de Jean-Louis Tissier, une « hergéographie » (http://cafe-geo.net/tintin-une-hergeographie/). Les questions posées lors de ce débat portaient sur la profession de Tintin pas si évidente que cela à cerner. Est-ce que Tintin est un journaliste ? La réponse lors de ce café était claire : pas du tout ! Il ne fait pas de reportage, excepté dans Tintin aux Soviets, où il rédige un volumineux article qu’il n’envoie d’ailleurs jamais. Est-il géographe ? Pas vraiment non plus. Il visite vingt-deux pays, mais avec une vraie concentration des espaces : sa géographie est très sélective. Il n’en présente pas les outils, n’utilise pas les cartes et ne regarde pas vraiment les paysages. Tintin est avant tout un voyageur, une sorte de routard, un globe-trotter.
Pour situer l’écologie et les écologues quelques dates repères sont nécessaires. Les premiers ouvrages précurseurs de l’écologie sont dus à Alexandre Humboldt, entre 1800 et 1860. En 1866, l’allemand Ernst Haeckel propose le terme écologie pour caractériser la science des habitats. Cette science se construit progressivement autour du biotope et de la biocénose. En 1935, l’anglais Edgard Tansley formalise le concept d’écosystème comme une unité écologique fonctionnelle avec les substrats mais aussi les êtres vivants en interrelation. L’écologie perce dans le monde scientifique dans les années 1950. Cette discipline est donc relativement jeune. Elle a pu être opposée à la géographie. Les écologues scientifiques souhaitent se distinguer des écologistes et de leurs positions politiques dans l’espace public.
Chronologiquement, l’émergence de l’écologie comme science et le début des aventures de Tintin semblent proches. Les premiers albums de Tintin paraissent dans les années 1930, avant l’affirmation de l’écologie. Le premier Astérix date de 1961 avec Astérix le Gaulois. Le Domaine des dieux de 1971 traite de la forêt, du défrichement et du déboisement, ce qui correspond à la montée de l’écologie et de l’écologisme au sens plus politique. En termes d’aménagement du territoire en France, les années 1960 sont marquées par les débats sur le parc national de la Vanoise. La BD d’Astérix apparaît alors comme en phase avec des débats de l’époque, notamment avec la création du premier ministère de la protection de la nature et de l’environnement, en janvier 1971. Robert Poujade, le premier titulaire du poste a fait le récit imagé de cette création dans « Le ministère de l’impossible ». Ces brefs rappels posent la question des lectures des auteurs des deux BD dans le champ de l’écologie. Hergé et Goscinny et Uderzo ont-ils lus des ouvrages d’écologie ou se contentent-ils d’informations de seconde main véhiculées par les différents médias presse écrite et audiovisuelle ou collectées par leurs collaborateurs ?
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Tintin, un non-écologue ? Tintin, l’écologie cette inconnue
Les premiers albums de Tintin s’attaquent aux grands biomes, espaces de vie aux caractéristiques végétales et animales bien tranchées. Pierre Birot a proposé, dans Les formations végétales du globe, des descriptions physionomiques mais aussi physiologiques de ces grands ensembles biologiques. Il s’inspire largement des travaux des auteurs allemands dans la lignée d’Humboldt, comme Grisebach, Schimper ou Walter qui décrivent les grands ensembles végétaux du globe.
Tintin chez les Soviets caricature de façon féroce le système socialiste et soviétique. Ce premier voyage offre des paysages eux aussi décrits de façon simpliste. La forêt devient décor et toile de fond. La taïga, la forêt de conifères, est représentée de façon homéopathique. Pour ce qui est de la faune, un seul animal participe au récit, il s’agit de l’ours. Il occupe de nombreuses planches dans ce premier tome des aventures du reporter du journal « Le petit vingtième ». Le traitement de l’animal est dans l’outrance et dans l’invraisemblable.
En fait dessiner la forêt pose toute une série de défis techniques en termes de représentation d’un milieu fermé et plutôt sombre. Les paysages de l’herbe et de la steppe sont bien plus faciles à représenter. La forêt est donc la grande absente de ce premier album. La deuxième étude de cas concerne le deuxième album, Tintin au Congo. Le paysage devrait être la forêt dense. Or, ce qui est représenté, c’est la savane arborée africaine : elle est évidemment plus facile à dessiner. La même logique est aussi visible en Amérique : les prairies sont préférées à la forêt pourtant très présente dans les paysages états-uniens. Il n’y a pas de vraisemblance écologique : la simplicité et la lisibilité de la représentation priment sur la véracité écologique. Les rendez-vous avec les forêts boréale, intertropicale et tempérée sont des rendez-vous manqués.
Par la suite, Hergé s’est aussi attaqué à d’autres grands biomes comme l’océan dans Le Trésor de Rackham Le Rouge. Là encore, la représentation est très partielle et partiale. La caricature et la schématisation règnent. De même, le désert et les dunes jouent un rôle important dans trois albums Tintin. Le sable écrase la représentation. Comme de nombreux auteurs l’ont constaté, à propos de l’iconographie des déserts, la représentation des plateaux rocheux, les regs, est largement sous-valorisée A l’échelle des grands biomes, la vision n’est pas écologique. Elle est simplificatrice et caricaturale.
Toutefois, si la forêt est souvent absente, l’arbre lui est toujours omniprésent. Les Dupond/t percutent ainsi un palmier en plein cœur du désert. L’arbre devient refuge, providentiel et cachette. Cette représentation s’appuie souvent sur des arbres isolés. Dans Tintin en Amérique, des cactus sont très présents, même si ponctuellement un arbre peut être vu dans la prairie ou un arbuste dans une falaise, sauvant Tintin puis Milou. L’arbre est fondamentalement un arbre à tout faire. Dans Tintin au pays des soviets, le héros utilise un arbre pour tailler en toute invraisemblance, avec un canif, une hélice suite à un accident. Les dialogues sont alors fondés sur un humour de pacotille. L’arbre sauve in extremis. Mais l’arbre peut aussi être synonyme de danger. Ainsi, Tintin est pendu à un arbre, notamment dans Tintin en Amérique. Enfin, l’arbre devient source de gags, à l’origine de nombreux accidents. Là encore, l’écologie est absente. Arbre décor, arbre mobilier routier, arbre providentiel, arbre à gags… composent le registre constant de la plupart des albums de Tintin.
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Tintin converti à l’écologie ?
A partir du Lotus Bleu, sous l’influence de son ami Tchang, Hergé se documente davantage sur les milieux et les sociétés qu’il décrit.
Curieusement des références à la science écologique peuvent être trouvées dans L’étoile mystérieuse de façon prémonitoire. Dès 1942, Hergé anticipe, comme pour le voyage sur la lune, la mise en place par Robert Mac Arthur et Edgard Wilson, en 1967, de la théorie de la biogéographie insulaire, autour de la colonisation des îles par des espèces. Cette théorie est fondée sur un bilan apport/extinction des espèces, fonction de la taille de l’île, de son âge et de sa distance au continent… On trouve ces processus dans L’étoile mystérieuse. La pomme, croquée par Tintin, donne naissance à une forêt de pommiers. Cela témoigne du peuplement d’une île. Une autre théorie écologique forte est sous-jacente : l’endémisme qui est lié à des populations confinées. Ici, les espèces ont des caractéristiques particulières dans un isolat. Ainsi, les champignons qui grandissent à une vitesse folle proposent une espèce avec un rythme biologique accéléré. Ces deux questions ont fait l’objet de nombreux articles scientifiques. Hergé n’a évidemment pas conscience ni connaissance de cette littérature, mais fait preuve de véritables qualités visionnaires.
Dans Tintin au Tibet, la marche d’approche vers l’Himalaya est figurée sur plusieurs planches. Les difficultés du capitaine Haddock, parti en tête, puis rétrogradant progressivement dans la file des membres de l’expédition prêtent à sourire. Greffé sur cette description malicieuse de la témérité du capitaine, la description de l’étagement est implicite. Des parallèles avec les Alpes sont dressés. Tintin s’exclame «On se croirait vraiment dans une forêt des Alpes ». Cette référence à un modèle alpin est un classique des travaux biogéographiques. La description de l’étagement a été formalisée pour la première fois par Alexandre de Humboldt dans les Andes, lors de l’escalade du volcan Chimborazo. Pourtant malgré cette naissance et cette représentation dans le monde intertropical, par la suite c’est le modèle alpin qui s’imposera un peu partout dans le monde comme référence. Les différents étages alpins sont utilisés dans d’autres espaces du globe, notamment en Australie, en Nouvelle Zélande. Au Népal, les chercheurs ont tenté également d’appliquer le modèle de la forêt tempérée alpine.
La référence au rhododendron (« Si j’avais des rhododendrons comme ça à Moulinsart ! » s’exclame le capitaine Haddock) résume la posture de nombreux aristocrates européens liées aux explorations du XVIIème au XXème siècle et friands d’importations de plantes venues d’ailleurs pour leurs parcs et jardins. Les introductions d’espèce s’effectuent souvent autour d’arbres ornementaux ou de plantes au feuillage spectaculaire et aux floraisons chatoyantes. En arrière-plan de cette courte allusion se pose le thème des « exotiques » devenues parfois des« invasives », des « aliens ». Cette vignette témoigne de l’inévitable brassage des flores, de la mondialisation, de la circulation des espèces… Depuis plusieurs siècles, les sociétés ont accéléré les échanges de plantes ou d’animaux, une prise de risque incontestable, dénoncée par certains écologistes. Ces débats sur l’autochtone ou l’indigène ont des relents fixistes et eugéniques. Ce thème traité par Gilles Clément dans « Le jardin planétaire » est une source de débats virulents entre différentes communautés. Il est traité ici de façon implicite et prémonitoire.
De nombreuses planches offrent une orgie de représentations animales. Dans Tintin au Congo, Tintin est chasseur : il tue des gazelles et des singes, il revient avec des cornes de rhinocéros, il rate un crocodile, il fait exploser un rhinocéros. D’un point de vue touristique, cela correspond aux comportements des chasses aristocratiques des « Big five », soit les grands animaux emblématiques de l’Afrique équatoriale. L’anthropologue Sergio Dalla Bernardina, dans son ouvrage « L’utopie de la nature » a théorisé les stratégies des chasseurs, des écologues et des touristes, tous soucieux de s’approprier le droit de « consommer » des animaux, de façon plus ou moins symbolique, allant de la mise à mort à la mise en images en passant par la mise en réserve. Derrière ces postures se posent des questions de pouvoir et de consommation de la nature. Elles sont implicites dans bon nombre d’attitudes de Tintin chasseur et touriste tout à la fois mais absolument pas écologue.
Les animaux sont tantôt sauvages, tantôt domestiques. Milou parle de moins en moins, notamment avec l’arrivée d’Haddock. Le chien a des rapports conflictuels avec le chat. La pie devient coupable lors de la disparition de l’émeraude de Bianca Castafiore. Les perroquets contribuent au comique de nombreuses scènes. Les animaux domestiques et les animaux emblématiques sont surreprésentés. Les insectes qui forment l’essentiel du monde vivant sont minimisés, mis à part quelques moustiques et les araignées.
La première forêt tempérée apparait dans Le secret de la licorne. «Raté il a disparu dans les taillis » enrage l’antiquaire Maxime Loiseau. Il profère là une grossière erreur sur le plan écologique. Les énormes fûts des arbres du parc de Moulinsart ne sauraient être confondus avec les brins plus chétifs du taillis. Tintin est bien plus observateur de la réalité de l’écosystème. Il se fait la remarque « Quel parc immense. On dirait une forêt » ». Ainsi, l’utilisation du vocabulaire, pour nommer les milieux forestiers reste floue.
Deux arbres seulement sont nommés de façon précise. Ils se trouvent, l’un, dans l’Etoile mystérieuse, le pommier, l’autre, le peuplier, dans « Les Bijoux de la Castafiore ». Le peuplier devient d’ailleurs un élément majeur de l’intrigue. Néanmoins, sa représentation pose des problèmes pour les puristes. Le port et la physionomie ne correspondent pas aux principes élémentaires de la sylviculture. Il est isolé alors que toutes ses basses branches ont disparu comme s’il avait poussé dans une peupleraie. Pas de souci de véracité écologique : l’arbre n’est encore une fois qu’un simple prétexte.
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Astérix, plus écologue que Tintin?
Les premières publications d’Astérix correspondent temporellement à l’affirmation de l’écologie, notamment politique, en France. Cet élément de contexte nous semble important à considérer.
Le village gaulois est un isolat. La clairière est une constante. Uderzo représente aussi les sous-bois. Les deux strates, l’arborée et l’herbacée, de la forêt bretonne sont représentées. Dans Le domaine des dieux, les Romains tentent de construire une résidence de luxe pour acculturer les Gaulois, dans une chênaie. Les chênes sont représentés avec minutie. Les opérations d’arpentage sont également figurées ainsi que l’abattage et le débardage (le transport des arbres jusqu’au camp de Babaorum).
Le prolétariat forestier est mis en scène à travers la présence de travailleurs issus de nombreux pays, intégrés dans l’empire romain.
La représentation de la forêt se prête à la vision oblique ou aérienne. La vision est alors proche de celle de la télédétection. Le domaine des dieux mêle une représentation de l’urbain et des champs, source de bienfaits. La distance apparaît comme un élément dans la relation des sociétés à la forêt. La forêt apparaît comme un objet complet, technique, social et économique.
Des discours écologistes se manifestent-ils alors ? Idefix présente incontestablement une sensibilité, pour ne pas dire une sensiblerie, écologique. Il aboie quand un arbre est déraciné. Les arbres peuvent être détruits par le feu ou le vent. Les arbres ne sont pas éternels.
Des discours d’écologues ou de scientifiques percolent-ils alors ? La succession est un principe écologique clé. Panoramix apparaît comme une sorte de précurseur des « chercheurs de l’INRA, l’Institut National de la Recherche Agronomique, travaillant dans le domaine de la génétique ». Il a réussi à inventer des glands aux croissances ultra rapides. Cette mise au point d’un « OGM, organisme génétiquement modifié, chêne » témoigne d’une volonté de raccourcir les durées de croissance, le rêve de tous les obtenteurs de plants forestiers.
Dans Astérix en Corse, les odeurs et les sons sont pris en compte dans leur relation à la forêt (plutôt au maquis d’ailleurs). La forêt est alors appréhendée à travers les perceptions de nombreux sens et les vécus.
Dans Astérix, les sangliers sont omniprésents dans les bras d’Obélix et sur les tables des banquets. Le barde ligoté au grand chêne proche de la table où les gaulois font ripaille est aussi un gag récurrent. La forêt devient alors un espace où les auteurs déploient leur humour.
Ces deux personnages, Tintin et Astérix, ne sont pas des écologues. L’objet « forêt » est un élément central dans le gag. Ces auteurs de BD préfèrent l’herbe à l’arbre, l’arbre à la forêt. Leur représentation de la biodiversité y est fort sélective. Ces BD privilégient l’exceptionnel au banal et à l’ordinaire. Si ces deux auteurs font de l’écologie, c’est sans le savoir et sans le vouloir.
Le débat avec la salle commence alors.
A partir de quels produits est créée la potion magique ? La forêt devient-elle un espace à prélever pour ces ressources ?
P.A. Aucune recette précise n’est donnée. Si je la connaissais je deviendrai riche. Je serai Yves Rocher ou Pierre Fabre. Je sais juste qu’il faut y mettre des fraises, mais ce n’est pas obligatoire…
Pouvez-vous revenir sur le contexte politique du Domaine des dieux ?
P.A. Ce tome arrive trois ans après mai 68. Les esclaves et le mode de production esclavagiste correspondent déjà à un véritable prolétariat. Les bûcherons en France aujourd’hui sont eux aussi touchés par ces mêmes mécanismes. Ils ne sont pas esclaves mais bon nombre sont des immigrés venus des Balkans et de Turquie, plus ou moins bien protégés par une législation sociale difficile à appliquer dans des milieux de marge. Les questions sociales sont souvent minorées dans la bande dessinée. Dans le Domaine des Dieux, elles sont au cœur des ressorts comiques.
Pouvez-vous citer d’autres BD avec d’autres représentations de l’arbre ?
P.A. Dans Les Bidochons, de Binet, l’héroïne, Raymonde, rêve d’avoir des chênes centenaires. Elle plante des chênes, dans le terrain acquis dans la Beauce, mais se désole de devoir attendre cent ans pour les voir comme elle les rêve. Claude Ponti propose des BD à forte tonalité écologique, notamment dans L’arbre sans fin ou dans un autre ouvrage Catalogue des parents pour les enfants qui veulent en changer. Les parents baobabs rappellent cet imaginaire. Même, dans Alix, des représentations de la forêt de Germanie sont proposées. La palette est très large. De même, Gaston Lagaffe, choisi par l’UNESCO comme un représentant de l’écologie, reste un écologiste particulier avec sa voiture fumante et polluante.
La ville se construit-elle avec la forêt ou contre la forêt dans Le Domaine des dieux ? N’est-ce pas une réflexion sur la ville et sur le bien-être autant que sur la forêt ?
P.A. il s’agit de diffuser le mode de vie urbain comme le modèle de référence. César est proche de la réussite, quand la société de consommation s’impose. Mais, il y a aussi une idéologie de la ville durable et de la ville verte. Les aménités s’insèrent dans la forêt armoricaine alors lue au prisme de la grande ville Rome.
Dans L’affaire Tournesol, les forêts des Balkans sont représentées. Qu’en est-il en termes de réalisme ?
P.A. Une forêt de bouleau est représentée. On va vers plus de réalisme dans les représentations de la forêt tempérée. Hergé dessine ainsi de façon moins stéréotypée les forêts européennes.
Qu’en est-il de la forêt représentée lors des voyages de Tintin en Amérique du Sud ?
P.A. Le dessin s’inspire de la nature sous cloche comme les serres où Hergé allait se documenter. De même, il est imprégné des travaux de peintres comme Le Douanier Rousseau.
La fiction n’impose-t-elle pas l’absence de vraisemblance dans la représentation de la forêt ?
P.A. Dans la fiction, il est possible de tout se permettre. Plus Hergé avance, plus il y a de précision. De nombreux personnages historiques sont repris dans Tintin. Les noms sont changés, mais les références réelles restent très présentes. Les arbres ne sont pas son problème. Il aime plus les gags ou l’arbre à tout faire.
Qu’en est-il de l’anthropomorphisme ?
P.A. L’arbre est végétal. Il n’a pas apparemment d’émotion ou de transmission par ses sécrétions.
Comment la ville verte est-elle prise en compte ?
P.A. Il y a des bribes d’écologie urbaine. Tintin se retrouve dans les égouts à Moscou. Chicago est une ville où domine le minéral. Les villes ne sont pas vraiment des villes vertes. La question de l’assainissement ou des réseaux techniques apparaît. Mais ces questions sont seulement émergentes et effleurées.
La forêt est aussi très présente dans les contes : que pouvez-vous nous en dire ?
P.A. De nombreuses études psychanalytiques y font référence, notamment dans la ligne de Bruno Bettelheim. Récemment encore, en 2014, dans le film « Into the woods « Promenons nous » dans les bois », quatre contes, Cendrillon, Le petit chaperon rouge, Raiponce, Jack et le haricot magique, sont croisés, jouant avec les codes et les dépassant. La forêt fait aussi peur. Les arbres ressemblent à des personnages qui peuvent agresser. Dans les dessins animés de Miyazaki, la forêt est ambivalente mais elle est majoritairement protectrice.
Compte-rendu réalisé par Emeline Comby relu et amendé par l’intervenant.