Téléphériques urbains en France

Mercredi 5 février 2020, Café « Boulang’ et Pâtiss’ », Lyon

Analyse des projets français et mise en perspective internationale    

par Delphine GINEY, docteure en géographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Laboratoire LADYSS – UMR 7533 du CNRS, Paris. Séance co-organisée par la Géothèque et l’APHG – Régionale de Lyon, et animée par Martin CHARLET, APHG de Lyon.

Cette première séance de l’année marque la reprise des Cafés géographiques de Lyon, désormais portés par l’engagement de deux associations lyonnaises, la Géothèque et l’APHG, qui souhaitent ainsi maintenir le lien entre l’actualité de la recherche en géographie et le grand public lyonnais.

Pour cette occasion, nous avons le plaisir d’accueillir Delphine GINEY, qui a récemment soutenu une thèse de doctorat sur l’acceptabilité sociale des projets de transport en commun par téléphériques urbains, à l’Université Paris 1, sous la direction du Pr. Pierre PECH. Il s’agit d’une thèse au format peu commun, puisqu’elle s’est inscrite dans le cadre d’un partenariat industriel en R&D (programme I2TC, comprenant notamment le transporteur Poma, le constructeur Eiffage, la recherche appliquée de l’Ecole centrale et la RATP) pour développer cette technologie en milieu urbain. On parlera bien ici d’un mode de transport qui n’est pas à finalité touristique, mais bien à considérer comme une solution de transport en commun à part entière. En cela, il s’agit d’une solution nouvelle, puisqu’elle n’existait pas dans les villes françaises avant 2016 avec la première réalisation de ce type, à Brest.

 

Aspects techniques et émergence de ce mode de transport

La notion de transport par câble recouvre des solutions techniques très variées (nombre de câbles, répartition câbles tracteurs / câbles porteurs, etc.), mais son principe est simple et très ancien : l’idée est visible en Chine dès -250 av. JC, mais elle se développe surtout à partir de la révolution industrielle avec les câbles en acier. Réservée d’abord au transport de matériaux, elle s’ouvre au transport de personnes à la fin du XIXe siècle, d’abord au sol (funiculaires tractés), puis en mode aérien lors des expositions universelles en 1900, avant des réalisations majeures, principalement touristiques (ex : Aiguille du Midi, 1924 ; Grenoble en 1934) ; elle se généralise avec les sports d’hiver.

Pourquoi cependant une réorientation récente vers le contexte urbain ? On constate d’abord une saturation du marché des sports d’hiver, ce qui pousse les constructeurs à se tourner vers un nouveau marché. Le contexte du Grenelle de l’environnement a pu également jouer : ce mode de transport a été promu pour son aspect peu coûteux, peu impactant (faibles infrastructures au sol) et très pratique pour surmonter les coupures urbaines (ex : autoroutes, trémies de chemin de fer). Il a d’ailleurs bénéficié d’un portage politique depuis lors (Ségolène Royal au Ministère de l’environnement, Valérie Pécresse en Île-de-France) et a bénéficié de la levée récente d’un verrou réglementaire qui interdisait, jusqu’en 2016, le survol des habitations privées.

En termes de capacité et de vitesse, le transport aérien par câble est équivalent à un tramway, soit environ 5000 passagers par heure. Mais la nouveauté de ce mode de transport pose d’autres questions : quel accueil par les citadins ? Quelle insertion en milieu urbain dense ? Quelle capacité à être intégré à l’offre de TC habituelle ? En France, on n’a pas l’habitude du transport aérien en ville, si ce n’est dans le cas du métro aérien de Paris. Ce dernier résulte d’une contrainte technique avant tout – des problèmes de forage – et non d’un choix. Par contre, l’idée d’un transport aérien nourrit des imaginaires urbains fertiles (ex : dirigeables, engins volants dans les villes), surtout dans le registre de la science-fiction.

Dans l’absolu, il y a peu d’exemples de transport par câble en ville jusqu’à présent, sauf en Géorgie (Tbilissi, Chiatura : 10 lignes), en Algérie (Alger : 6 lignes), un peu en Russie… et un essor très récent en Amérique du Sud (2004 pour le premier à Medellin, Colombie). En France, on ne compte qu’une seule réalisation (Brest), mais beaucoup de projets, notamment en Île-de-France, sinon à Toulouse ou bien à Saint-Denis de la Réunion. (suite…)

Se cultiver dans les espaces périurbains : une mission impossible ?

Les Cafés géographiques de Lyon
Au Café de la Cloche (Lyon 2e) le 19 septembre 2018

Catherine Didier-Fèvre est docteure en géographie, agrégée d’histoire-géographie, professeure en classes préparatoires littéraires (Lycée Sainte-Marie, Lyon)

Fabrice Beauvois est maire de Bressolles et président du festival ZAC-en-scène à La Boisse, dans l’Ain.

Catherine Didier-Fèvre explique que sa thèse portait principalement sur la mobilité des jeunes dans les espaces franciliens, mais la question de l’accès à la culture en milieu périurbain s’y posait aussi en filigrane. Après avoir rappelé le ZAU (Zonage en Aires Urbaines) de 2010 et le seuil des 40 % des actifs qui travaillent dans un pôle urbain, elle revient sur les enquêtes qualitatives qu’elle a mené sur trois terrains de la couronne périurbaine de Paris et de Sens, à partir de trois lycées (Sens, Montereau-Fault-Yonne et La Queue-les-Yvelines) recrutant une part importante d’élèves vivant dans les espaces périurbains.

Alors que ces derniers prennent le car parfois à 6h55 pour les cours à 8h et rentrent à 19h, ce qui l’a frappée c’est leur capacité à négocier ces temps de transport et à en faire une ressource. Dans la contrainte (2h de transport/jour), il y a une forme de liberté et d’autonomisation des élèves explorant les espaces autour du lycée dans les temps situés entre les cours et les temps de transport. Les élèves, y compris les siens, ont parlé très librement. Elle a également réalisé des sondages en ligne pour savoir comment on fêtait ses 18 ans à la ville, dans le rural et dans le périurbain ainsi qu’un sondage sur les pièces de la maison, composante importante du choix du périurbain pour les parents.

La variété sociologique des terrains retenus est à noter : l’Ouest francilien présente davantage de cadres venus s’installer, grâce à la proximité relative de la Défense, alors qu’à l’Est les professions intermédiaires, les employés et les ouvriers sont plus représentés. Ces espaces ont également connu une histoire de périurbanisation différente. Les communes étudiées dans l’Ouest francilien ont connu une croissance plus précoce que dans l’Est.

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Biodiversité et alimentation : du jardin à l’assiette

Stéphane Crozat, ethnobotaniste, historien d’art des jardins, directeur du Centre de Ressources de Botanique Appliquée (http://www.crba.fr )
Le Café géographique lyonnais du 6 avril 2018 se déroule dans le contexte particulier de la Nuit de la Géographie, organisée à l’espace Hévéa, rue Maurice Zimmermann, à Lyon.

Le Café d’aujourd’hui met à l’honneur la biodiversité domestique à travers une approche historique et géographique. Les phénomènes spatio-temporels  de répartition, de diffusion,  de disparition et de ré-introduction des plantes arbustives, fruitières et potagères présentés par Stéphane Crozat, sont issus de la région lyonnaise. En guise d’illustration culinaire, le poireau ‘Bleu de Solaize’ a été proposé en dégustation par l’association Santé-Goût-Terroir (https://www.sante-gout-terroir.com/). Son but est de sensibiliser par les sens et d’établir les liens entre le terroir qui nous nourrit et notre santé.

La botanique appliquée est un champ de recherche intéressant, car elle a une dimension autant biologique que sociale pour répondre aux grandes questions de l’approvisionnement alimentaire de l’humanité et au changement global. En effet, l’immense diversité de fruits, de légumes et de céréales qui existaient depuis des siècles se réduit de manière inéluctable. Or, les espèces domestiques locales et anciennes, adaptées à leur milieu et à leur climat, sont plus résistantes que des variétés créées en laboratoire. Elles peuvent être diffusées dans d’autres régions où leur acclimatation permettrait de répondre aux besoins et aux conditions naturelles, elles-mêmes en évolution constante.

Le Centre de Ressources de Botanique Appliquée (CRBA) est un laboratoire d’idées et de recherches appliquées. Il gère, coordonne, expérimente et anime 5 conservatoires participatifs et vivants de la biodiversité domestique. Il propose une expertise et des conseils en conception et en restauration de jardins historiques ou contemporains. Il développe par la transversalité des disciplines, des programmes de recherches et de valorisations dans le domaine de la botanique appliquée allant de l’agriculture à l’horticulture, de la conception à la réhabilitation de jardins, de l’histoire à l’utilisation actuelle des plantes.

La question du retour au terroir est d’actualité, comme le montre l’existence de l’Association Santé-Goût-Terroir qui cherche à promouvoir les bonnes variétés pour la santé et l’environnement.

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La vie nocturne de Beyrouth : espaces publics et régimes de visibilité 

Café Géo du 28 février 2018

Marie Bonte est docteure en Géographie, membre du laboratoire PACTE à l’Université de Grenoble Alpes et ATER à l’Université Lyon III Jean Moulin. Elle a soutenu sa thèse en 2017, intitulée « Beyrouth, états de fête. Géographie des loisirs nocturnes dans une ville post-conflit », sous la direction de Myriam Houssay-Holzschuch et Karine Bennafla.

Le travail de thèse de Marie Bonte étudie la vie nocturne de la ville de Beyrouth au Liban au prisme des espaces publics. Ses recherches proposent de questionner et d’enrichir la notion d’espaces publics, une notion centrale en Géographie qui reste plurielle et a parfois du mal à faire consensus.

Marie Bonte présente son objet de recherche, les espaces de la vie nocturne à Beyrouth, comme un objet pluriel : à la fois espace physique des bars et des boîtes de nuits organisé par une diversité d’acteurs qui produisent, régulent consomment ces espaces, à la fois un ensemble de pratiques et de sociabilités, et enfin des discours et des représentations.

L’approche des villes par leurs nuits est une dimension récente des études urbaines : la dimension temporelle des espaces a été bien souvent jusque-là négligée, la nuit apparaissant comme une « dimension oubliée de la ville » (Gwiazdzinski 2002).

Pourtant, étudier la nuit en ville pose un certain nombre d’enjeux : des enjeux d’aménagement (où sont ces lieux, comment sont-ils réglementés, comment y accède-t-on ? Question de l’éclairage urbain), des enjeux socio-économiques (qui a accès aux établissements nocturnes par exemple ?), des enjeux d’inégalités notamment de genre (quelle place pour les femmes dans l’espace public nocturne ?). Il y a donc un véritable intérêt à étudier les espaces urbains la nuit.

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Tourismes en transition : Réinterroger le changement dans les pratiques récréatives

Café géographique de Lyon, mercredi 22 novembre 2017
Café de la Coche, Lyon Bellecour
Philippe Bourdeau est professeur de géographie à l’Institut d’urbanisme et de géographie alpine de l’Université de Grenoble.

Introduction : la géographie du tourisme de demain

Il faut se poser la question de la géographie du tourisme de demain, quelle est-elle ? Comment le tourisme est-il lié aux impératifs du développement durable ? Un « éco-tourisme » au sens strict est-il possible ou faut-il plutôt envisager plus généralement un tourisme de transition ? Ces solutions sont-elles porteuses de promesses ? Il est question d’enjeux tout à la fois sociaux, environnementaux et économiques qui marquent un changement dans le tourisme et ses pratiques.

Philippe Bourdeau a principalement travaillé sur les Alpes, on ne parlera pourtant pas tant de montagnes, le but pour tout chercheur étant de monter en généralité. Il faut faire des allers-retours dans les transformations du tourisme, en quoi et comment il s’inscrit dans une échelle plus globale, dans un changement culturel. On peut à la fois parler de changement et de nouveauté, il faut toutefois prendre des précautions avec le terme « nouveauté ». On ne peut pas dire que tout est nouveau : il y a des inerties et des permanences. Le tourisme est marqué par une dialectique articulée entre permanences et changements.

Quand on passe devant un kiosque, par exemple dans une gare, on est frappés de l’exubérance de journaux et magazines qui promettent des choses intemporelles dans les destinations de voyages : le rêve, l’insularité, le paradis. Ce sont des stéréotypes qui utilisent la dialectique classique entre un « ici » et un « ailleurs » idéalisé dénotant le groupe de citadins que nous sommes qui rêvent de nature comme lieu de ressourcement. On voit apparaître à travers ces couvertures la mythologie touristique que cette dialectique déploie.

L’Organisation Mondiale du Tourisme observe actuellement une croissance exponentielle du nombre de touristes qui ne ferait qu’augmenter de manière plus marquée dans les années à venir. Pourtant on peut relever un paradoxe entre cette croissance, la permanente abondance de promesses et de plus en plus de critiques à leur égard sur fond de triple crise climatique, énergétique et économique, qui plus est dans un contexte de changement culturel et technologique. Ce dont rend compte une image diffusée par les « casseurs de pubs » qui montre la figure du touriste –affublé de ses attributs : lunettes de soleil, chapeau, appareil photo et chemise à fleur, mais aussi automobile, avion, skis…– au bord du gouffre dans une ambiance de « de fin de partie ». Ainsi, alors que le tourisme est au cœur de nos modes de vie, constitue un des principaux facteurs de mobilité à l’échelle mondiale et que les progrès technologiques promettent sans cesse une plus grande rapidité et fluidité de transport, on observe une montée des questions et doutes, face aux incertitudes du monde contemporain et de ses enjeux.

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Être touriste dans un pays socialiste : le Vietnam

Cafés géographique de Lyon : le 20 décembre 2017 avec Emmanuelle Peyvel

Emmnanuelle Peyvel est doctoresse en géographie et maîtresse de conférences à l’Université de Bretagne occidentale. Spécialiste du tourisme au Vietnam auquel elle a consacré sa thèse, elle a publié à ENS éditions un ouvrage joliment intitulé L’invitation au voyage, qui reprend, en les actualisant, les résultats de ses recherches.

Carte : Touristes étrangers et domestiques au Vietnam (E. Peyvel, 2011)

Je précise que j’étudie seulement le tourisme domestique ou interne, c’est-à-dire les Vietnamiens qui visitent leur pays (ce qui n’équivaut pas au tourisme national qui comprend aussi les Vietnamiens qui partent à l’étranger).

Le Vietnam est situé dans la péninsule indochinoise, à laquelle appartiennent aussi le Laos, le Cambodge et la Thaïlande, cette dernière n’étant pas incluse dans l’ancienne Indochine française. Ce pays de 95 millions d’habitants est un espace du plein et des fortes densités (285 hab/km²), ce qui contraste avec ses voisins laotiens et cambodgiens. Cette population nombreuse, jeune, éduquée et en bonne santé alimente l’émergence économique du pays et l’essor d’une classe moyenne, qui constituent autant de facteurs expliquant l’importance du tourisme domestique .Les sites touristiques les plus connus sont ceux classés Unesco , comme la baie de Hạ Long ou la Citadelle impériale de Huế , classée la première en 1993, ce qui témoigna de sa réintégration dans le concert des Nations suite à la politique de réouverture (Đổi Mới) initiée en 1986.

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L’espace rural. Marge politique, cœur territorial

Café géographique de Lyon, Mercredi 11 octobre 2017, 
Café La Cloche, Lyon Bellecour

 

par Samuel Depraz, maître de conférences en Géographie et Aménagement à l’Université Lyon III. Spécialiste de la géographie des espaces naturels protégés, il travaille aujourd’hui sur les espaces ruraux européens, notamment sur les questions de définition des espaces ruraux et de démocratie locale en milieu rural. Sur cette question des marges, au programme des concours de l’enseignement, il est l’auteur d’un manuel : La France des marges : Géographie des espaces « autres », paru en 2017 aux éditions Armand Colin.

et Cédric Szabo, démographe de formation, directeur de l’Association des maires ruraux de France. Cette association, créée en 1971 et dont le siège se trouve à Lyon, représente les maires des communes de moins de 3 500 habitants en France dans le but de défendre et de promouvoir les enjeux spécifiques de la ruralité. 

Introduction. Définir la ruralité : des problèmes de représentations

La question de la ruralité est épineuse. On observe des distorsions selon que l’on mobilise un certain type de données ou un autre, ce qui rend difficile la question de la définition de la ruralité en France et peut introduire des biais idéologiques. Comparons quelques chiffres.

Cédric Szabo : Il y a autant d’habitants dans les communes de moins de 2 000 habitants que dans les 115 plus grandes villes de France, soit 15,5 millions d’habitants. À l’échelle de la population française, la population rurale n’est donc pas marginale. Les communes de moins de 3 500 habitants représentent 92 % des communes française, ce qui équivaut à un tiers (32,5 %) de la population française. En termes de population, les espaces ruraux ne peuvent donc pas être considérés comme une marge. On constate pourtant que la manière dont ils sont traités est sans proportion avec ce qu’ils représentent en termes de population.

Samuel Depraz : les outils mobilisés par l’AMRF remettent en question la définition des limites du rural. On peut prendre ici les chiffres de l’Insee. D’après cet institut, 82 % de la population est urbaine, ce qui laisse 18 % de ruraux en considérant le seuil de 2 000 habitants agglomérés pour définir l’espace urbain. L’écart est donc énorme avec les chiffres évoqués par Cédric Szabo. Cela interroge les représentations que nous avons de la ruralité, que nous définissons souvent en France par le négatif et en minorant les faits. Ainsi, le seuil de l’Insee des 2 000 habitants agglomérés par unité urbaine remonte à 1954 et pose aujourd’hui clairement la question de sa pertinence. Les fonctions urbaines ont évolué, se sont concentrées au détriment des bourgs. Marvejols, en Lozère, tient bien plus du monde rural que de l’urbain avec ses 4 000 habitants agglomérés ! Prenons d’autres chiffres de l’Insee, par exemple la mesure de l’influence des villes par les mobilités pendulaires (Zonage en Aires Urbaines). Selon ce découpage, 96 % des habitants en France sont sous influence urbaine. Il ne resterait donc que 4 % d’habitants « authentiquement » ruraux, si on veut être provocateur en utilisant ce mot. Mais un tel ratio vide de sens l’utilisation des deux termes ! On est donc bien dans des questions de représentations, voire d’idéologie que l’on projette sur le territoire. À quelles représentations faudrait-il donc se référer ? Celles du bon sens ? Celle des élus ? Des militants ? Ou d’autres encore ?

D’autres définitions scientifiques semblent cependant donner raison aux discours militants favorables à un calcul plus large du rural en France. On peut se pencher sur les analyses de l’Union Européenne (UE), produites dans le cadre de la mise en œuvre de la Politique Agricole Commune et du soutien au développement rural. Dans les derniers rapports de la Direction générale à l’agriculture, l’UE suit une définition du rural établie en 1992 par l’OCDE et actualisée en 2014 grâce à des méthodes de télédétection qui calculent des densités par grille de 1 km². L’UE propose ainsi une grille de lecture à trois niveaux : des espaces urbains, des espaces intermédiaires (petites villes et périurbain), et des espaces ruraux. Selon cette lecture par densité, la France serait à 38 % rurale (3e catégorie d’espaces prise isolément) quand la moyenne à l’échelle de l’UE est de 29 %.

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Le terroir et sa gastronomie facteurs de développement local

Café géo avec Claire Delfosse & Didier Lassagne, le 15 mars 2017

Claire Delfosse, professeure de géographie, directrice du Laboratoire d’Études Rurales de l’Université Lyon 2, est engagée dans l’association des ruralistes français. Elle est également experte délimitation de l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité), experte dans le cadre du groupe prospective Datar « territoires 2040 » sur les territoires ruraux de faible densité et récemment nommée responsable du conseil scientifique de la future Cité internationale de la gastronomie de Lyon. Ses recherches portent sur les systèmes alimentaires et les nouvelles formes de gouvernance alimentation/agriculture/territoires. Elle est l’auteur de «La France fromagère», et en 2014 «Histoire et mémoire des criées», parmi d’autres ouvrages.

Didier Lassagne, normand d’origine, fut cadre dans l’industrie nucléaire «contrôle non destructif» avant sa reconversion professionnelle en 1998. Il achète alors la fromagerie Tête d’or, rue de la Tête d’or dans le 6e arrondissement de Lyon. Il est consacré Meilleur ouvrier de France en 2007 dans la classe fromager. Référence des grandes tables lyonnaises, («La Mère Barzier», Pierre Orsi, Le Potager des Halles à Lyon, Foulqier à Chaponost, La Pyramide à Vienne). Son succès lui a permis d’ouvrir un second établissement, la fromagerie Lumière, avenue des frères Lumière (Lyon 8e). Son fromage préféré est le camembert de Normandie AOC au lait cru moulé à la louche et à la main. Bref, il est passé de l’atome à la tomme…

«Le repas gastronomique des Français», inscrit en 2010 par l’Unesco au patrimoine culturel immatériel de l’humanité a fait émerger quatre projets de Cité internationale de la gastronomie : à Tours, Dijon, Lyon et Paris-Rungis. Ces cités sont devenues une opportunité incontournable en terme de communication et de valorisation des terroirs, et pour repenser le couplage métropole/arrière pays. Toutes ces propositions sont symptomatiques du regain d’intérêt pour alimentation et l’identité des territoires dans un contexte de globalisation et d’hyper-mobilité des populations. Ceci a d’ailleurs contribué à une véritable déconnexion entre l’acteur économique et son territoire, entre le mangeur et son terroir.

D’où cette question : au regard du passé et des projections sur l’avenir, en quoi le terroir est-il en mesure de contribuer au développement local ainsi qu’au rayonnement des territoires ?

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Hyper-lieux, les nouvelles géographies de la mondialisation

Les Cafés Géo de Lyon accueillent le 5 avril 2017 Michel Lussault, professeur de géographie et d’études urbaines à l’ENS de Lyon, chercheur à l’UMR 5600 Environnement Ville Société, directeur de l’Institut français de l’Éducation. Les quatre livres L’homme spatial, De la lutte des classes à la lutte des places, L’avènement du monde et Hyper-lieux doivent être lus ensemble. Hyper-lieux clôt ce cycle. Ces livres s’inscrivent dans la continuité d’un colloque co-organisé avec J. Lévy sur les « Logiques de l’espace, esprit des lieux. Géographies à Cerisy », dont les actes ont été publiés en 2000.

Deux fils directeurs irriguent ces travaux :

  • La volonté de comprendre la mondialisation sans la réduire à la globalisation économique. Il ne s’agit pas de nier la globalisation économique. La mondialisation est rattachée à l’urbanisation généralisée du monde avec des conséquences sur l’espace et sur l’individu. Les hyper-lieux sont des « prises » de la mondialisation : la mondialisation s’y met en jeu, en scène, en exergue.
  • L’individu comme acteur spatial. L’individu agit avec l’espace, quand les sociétés organisent leur espace. Le point de départ est donc des individus à l’épreuve de l’espace. Exister c’est régler les problèmes que l’espace nous pose, dans les traces de Perec (« vivre c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner»). L’accent est souvent mis sur le temps qui nous contraint en tant qu’être fini, mais il s’agit ici de mettre la lumière sur notre relation à l’espace.

Comprendre un individu passe par la manière d’organiser son espace de vie au quotidien, qui se heurte à trois types d’épreuves.

  • La première épreuve est la distance. Tout individu doit régler au quotidien doit régler ses rapports de distance avec autrui, les objets et les non-humains. Le cinéma burlesque trouve un de ses ressorts comique dans la tension entre proche et lointain : le mauvais rapport de distance entraîne un comique de situation.
  • La deuxième épreuve spatiale est l’épreuve du placement. Ne pas savoir se placer a pu poser par exemple des problèmes de bienséance, qui est étymologiquement l’art de bien se tenir assis.
  • La troisième épreuve spatiale est le franchissement : il s’agit de savoir traverser les seuils, les sas, les frontières…

Pour un migrant, ces trois épreuves, dans les espaces publics et privés, peuvent permettre d’assurer la survie.

Hyper-lieux prend naissance dans une perplexité, ressentie à différentes lectures.

  • Dans le monde est plat, Thomas Friedman étudie des vecteurs d’aplatissement du monde, c’est-à-dire d’une standardisation ou d’une homogénéisation du monde. Or la géographie étudie la différenciation spatiale.
  • De plus, Zygmunt Bauman a théorisé la société liquide : tout circule tout le temps, tout coule, plus rien ne s’arrête, c’est une société sans ancrage, l’espace disparaît, la matière s’efface, la prise matérielle n’est plus là. Pourtant, les géographes voient que les rugosités n’ont pas disparu.
  • Marc Augé dans Non-lieux montre que les espaces fonctionnels liés à la nécessité de la mondialisation se multiplient, mais sans authenticité de l’expérience humaine : il en fait des espaces d’aliénation, en opposition à la demeure ou à la maison (le lieu anthropologique). Comme exemples de non-lieux, il cite les gares, les aéroports, les grands centres commerciaux : l’expérience est alors uniquement fonctionnelle.

Et si le non-lieu était en fait un « lieu mal observé » ? Le processus d’homogénéisation existe : il y a une tendance à la standardisation. Mais un travail de terrain montre un regain d’importance des individus dans l’expérience au lieu. La standardisation n’est pas aussi claire : le rapport au lieu des individus n’a peut-être jamais aussi été important.

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Les États-Unis, espaces de la puissance, espaces en crises

Six mois après la parution de leur Atlas des États-Unis. Un colosse aux pieds d’argile [https://www.autrement.com/ouvrage/atlas-des-etats-unis-christian-montes-pascale-nedelec-cyrille-suss], et au lendemain de l’investiture du président Donald Trump, les cafés géo de Lyon accueillent, 1e 1er février 2017, Pascale Nédélec et Christian Montès pour une présentation à deux voix intitulée « Derrière le choc des urnes, des mutations radicales ? Le regard de l’Atlas des États-Unis 2016 ». Pascale Nédélec est docteure en géographie et AGPR à l’École normale supérieure. Sa thèse de doctorat [https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00946236/PDF/NEDELEC_DA_construire_Las_Vegas.pdf] propose une réflexion sur l’urbanité et la citadinité de Las Vegas. Elle a coordonné un dossier régional sur « les États-Unis, espaces de la puissance, espaces en crises » sur Géoconfluences [http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/etats-unis-espaces-de-la-puissance-espaces-en-crises].

Christian Montès est professeur des universités à l’université Lumière Lyon 2 et est rattaché à l’UMR 5600 EVS. Nous avons déjà eu le plaisir de l’accueillir pour plusieurs cafés géo dont l’un portait sur les capitales d’État aux États-Unis [https://cafe-geo.net/les-capitales-detat-des-etats-unis-small-is-powerful/] et l’autre sur les transports urbains à Lyon [http://cafe-geo.net/les-transports-dans-l-amenagement-urbain-a-lyon/]. Il a récemment publié un ouvrage en anglais sur la géohistoire des capitales d’État américaines [http://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/A/bo16720894.html].

Introduction

La question qui guide leur présentation est ce savoir si en travaillant sur leur atlas, ils sont parvenus à voir des mutations profondes aux États-Unis qui expliqueraient le vote pour Donald Trump.

Christian Montès commence d’emblée par préciser qu’ils n’ont pas fait de pronostics dans leur atlas, mais qu’à travers les cartes et les graphiques qu’ils commenteront ce soir le public pourra mesurer le niveau de surprise des auteurs à l’égard des résultats de l’élection de novembre.

Qu’est-ce qu’un atlas et qu’y trouve-t-on ?

Pascale Nédélec et Christian Montès ont été contactés par les éditions Autrement pour faire un atlas sur les États-Unis. Pascale Nédélec explique que c’est un exercice très codifié, mais qu’ils ont bénéficié d’une très grande liberté éditoriale. Ils ont cherché un équilibre entre présenter des informations et des visuels que l’on trouve (presque) partout et insuffler des choses plus originales, notamment leurs propres centres d’intérêt pour la géographie des États-Unis et leurs propres sujets de recherche. Il s’agissait, sans négliger les passages obligés, de proposer d’autres éclairages que ceux habituels pour participer à une meilleure compréhension des États-Unis. Les atlas sont des ouvrages qui périment très vite ; la rédaction a commencé au début de l’année 2016 car les éditions Autrement souhaitaient sortir l’ouvrage avant les élections. Les auteurs ont cherché à mettre en avant des dynamiques structurelles et des éléments plus conjoncturels. Selon eux, l’élection de Donald Tump s’inscrit dans une évolution sur le temps long. Faire un atlas suppose d’utiliser un certain nombre de données. Dans le cas des États-Unis, on n’en manque pas, et la difficulté est plutôt celle des choix à faire tant les sources à utiliser sont nombreuses. Les auteurs ont donc essayé de prendre les données les plus parlantes, les plus fiables, et avec beaucoup de profondeur historique. Cet ouvrage s’adresse à des universitaires, des étudiants, mais aussi le grand public, ce qui explique l’alternance entre des pages très codifiées et des pages plus originales ou même amusantes…

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