Présentation problématique de Bénédicte MICHALON :
Ce Café Géo portera sur une géographie de l’enfermement. L’enfermement sera appréhendé comme un processus a priori subi, dont il s’agira d’interroger la dimension spatiale. Il sera également analysé comme dispositif de contrôle, au sein duquel des individus vivent (et parfois travaillent) et développent des dynamiques d’appropriation. Différents types de lieux renvoient à cette problématique : établissements carcéraux, psychiatriques, logements fermés pour travailleurs migrants, mais aussi centres de rétention pour étrangers. C’est sur ce dernier type de lieu que la présentation s’articulera, pour décrypter quelques-unes des dynamiques spatiales à l’oeuvre dans le contrôle politique et social qui s’exerce sur les « enfermés ».
A partir d’une étude de la rétention à l’échelle européenne et en Roumanie (pays dans lequel B. Michalon mène ses enquêtes), l’hypothèse de la constitution de modèles d’enfermement sera abordée, ainsi que la circulation dans le temps et dans l’espace. Aux échelles nationales et locales, le rôle des mobilités (migrations, transferts, circulations internes aux lieux de détention, etc.) dans le dispositif d’enfermement, souvent perçu comme statistique, sera décortiqué. A l’échelle des individus (« enfermants », « enfermés », intervenants associatifs notamment), il s’agira de comprendre les interactions et l’émergence de pouvoirs et de rapports de force d’une part, d’actes d’adaptation voire de résistance d’autre part.
Cette recherche s’intègre dans le programme TerrFerme, financé par l’Agence Nationale de la Recherche et le Conseil Régional d’Aquitaine (http://terrferme.hypotheses.org/).
Présentation problématique d’Olivier RAZAC :
La surveillance électronique se développe. Elle s’étend et se diversifie. Dernier dispositif en date : le Placement sous surveillance électronique mobile (PSEM), basé sur une technologie GPS et s’adressant pour l’essentiel à des personnes soumises à des mesures de sûreté. Si elle ne concerne que peu d’individus pour l’instant, cette modalité de la surveillance électronique est particulièrement intéressante en ce qu’elle articule plusieurs régimes de contrôle spatial : l’exclusion, l’inclusion et la traçabilité.
En cela, le PSEM représente moins une rupture avec l’espace carcéral moderne de la prison q’une virtualisation et une diversification de sa manifestation.
Compte-rendu : Compte-rendu réalisé par Steven DUNN et Damien BOULIAU, étudiants en licence d’histoire au Centre universitaire J.F.Champollion, sous la direction de Thibault COURCELLE et Mathieu VIDAL, enseignants-chercheurs, co-animateurs des Cafés Géo d’Albi.
Éléments de la présentation
- Première intervenante : Bénédicte MICHALON
Bénédicte Michalon est chargée de recherche CNRS rattachée à ADES (Aménagement, Développement, Environnement, Santé et Sociétés de Bordeaux). Dans ce Café Géo, elle traite d’une recherche qu’elle mène depuis 2009 dans le cadre d’un programme collectif qui s’intitule « Les dispositifs de l’enfermement. Approche territoriale du contrôle politique et social contemporain » (dont l’acronyme est TerrFerme), regroupant des chercheurs du CNRS et des enseignants-chercheurs de Bordeaux, de Paris 1 et Paris 4. L’époque contemporaine est souvent présentée comme celle de la mobilité, voire même de « mobilité généralisée », certains allant jusqu’à considérer qu’aujourd’hui, ce sont les sédentaires qui sont les minoritaires, les défavorisés (par opposition aux discriminations du migrant auparavant). Cependant, des recherches antérieures ou l’actualité ont révélé un constat autre. L’époque contemporaine est en effet aussi marquée par des processus qui relèvent de l’immobilité, du stationnement, de l’enfermement. On peut prendre comme exemples la construction finalement de plus en plus fréquente de murs (Israël/Palestine, autour des gated communities…) ou bien le fait de régler un certain nombre de problèmes sociaux ou de « déviance » par des placements dans des lieux fermés (par exemple pour les mineurs délinquants).
Ces éléments montrent la nécessité de mener une réflexion sur l’enfermement, celui-ci est matériel (il y a une clôture physique du lieu partielle ou totale) et contraint, il est imposé aux « enfermés » par le pouvoir en place (en général l’État mais cela peut aussi être des employeurs, des entrepreneurs). Pour l’analyse trois types de lieux ont été retenus : les prisons, les centres de rétention administrative (étrangers en situation irrégulière en attente d’être expulsés) et les « logements contraints de travailleurs migrants », une expression de Marc Bernadot qui désigne le lieu d’hébergement d’une main-d’oeuvre généralement peu qualifiée par les employeurs (en anglais « labour camp »). L’objectif principal est d’interroger la dimension spatiale des dispositifs d’enfermement, pour cerner les procédures, les acteurs et les effets politiques et sociaux de l’enfermement. Or, l’enfermement est une sorte d’angle mort de la géographie, qui s’est, à l’inverse, depuis longtemps intéressée aux déplacements, aux mobilités. Cette enquête se fait dans différents pays afin de dépasser les particularités locales, nationales et de dégager des tendances transversales aux lieux étudiés.
Dans un premier temps, Bénédicte Michalon va présenter quelques éléments sur l’état de la recherche sur les trois types de lieux, pour poser le contexte scientifique. Ensuite, elle montrera les détails à travers le travail qu’elle a fait sur la rétention des étrangers en Roumanie et enfin la mobilité gouvernementale.
Les Lectures spatiales de l’enfermement et leurs disparités :
Les géographes sont pratiquement absents de la recherche francophone consacrée à l’enfermement. A l’inverse, ils font l’objet d’une recherche assez étoffée en sociologie voire en anthropologie, en histoire. Certains travaux consacrés à ces lieux d’enfermement mettent en lumière l’importance de l’espace dans la création et le fonctionnement de ces dispositifs.
Certains sociologues ont néanmoins appréhendé la dimension spatiale de la prison scientifique à travers trois types de rapports à l’espace :
La localisation : Philippe Combessie dans Prisons des villes et des campagnes (1996) montre que les lieux d’enfermement subissent une relégation spatiale et sociale, une occultation matérielle et symbolique. Ainsi cela témoigne d’une tentative de mise à distance des établissements carcéraux. Paradoxalement, elles peuvent aussi témoigner d’une tentative de prise de contrôle d’un territoire. Ces établissements sont connectés aux espaces qui entourent ou jouxtent les établissements carcéraux. En 1960, Grosser et Ohlin, deux sociologues américains préconisent d’envisager les prisons dans leurs relations à l’extérieur et non plus seulement comme des espaces clos. Ce positionnement se retrouve dans les écrits d’Erving Goffman (sur l’institution psychiatrique) et de Michel Foucault (sur la prison). Les rapports de la prison à l’espace sont enfin abordés à partir de l’intérieur de la prison (Valentine 2002). En France, Olivier Milhaud, qui est le premier géographe à travailler sur la prison, a démontré que le système carcéral repose sur un recours paradoxal à l’espace : « la prison est une peine géographique : elle punit des populations détenues en les tenant à distance de leurs proches et en les confinant dans des lieux clos et segmentés. En même temps, le dispositif spatial de la prison cherche à réinsérer le détenu dans la cité, à maintenir ses liens familiaux » (Milhaud 2009).
La dimension spatiale est en revanche moins présente dans les travaux sur les centres de rétention. Cet objet de recherche est apparu au début des années 1990 (pour les juristes et les anthropologues principalement). La construction de la clôture, sa réactivation permanente, ses effets sur la vie qui se déroule à l’intérieur des centres de rétention sont au cur des préoccupations. La clôture a également été abordée par ses effets sociaux. Elle provoque un affaiblissement, voire une coupure des réseaux d’interconnaissance et d’information avec l’extérieur et modifie durablement les pratiques des retenus et la perception que ceux-ci ont d’eux-mêmes. La thèse en géographie d’O. Clochard considère le rôle de l’espace et son instrumentalisation dans les politiques contemporaines d’asile et d’immigration, à partir du cas de la France, et conclut à une délocalisation et à une recomposition des frontières mobilisées dans ces processus (Clochard 2006, 2007). Il travaille aujourd’hui sur la rétention des étrangers à Chypre dans le cadre de TerrFerme.
Pour appréhender le troisième type de lieu d’enfermement, à savoir le logement contraint de la main-d’uvre étrangère,les chercheurs de TerrFerme partent de deux domaines de recherche connexes :
Le premier est celui de l’habitat ouvrier et du logement des travailleurs coloniaux dans les sociétés occidentales. Les recherches existantes sur ces sujets soulignent les relations étroites entre les formes du logement et le développement du capitalisme industriel et du paternalisme. Par la suite, la venue massive de travailleurs migrants célibataires (sur la trame des foyers SONACOTRA) a entraîné la création de foyers de travailleurs migrants, « logement provisoire pour travailleurs ‘provisoires’ », selon les mots d’Abdelmalek Sayad.
Le second domaine qui peut être ici mentionné est celui du logement contemporain de la main-d’oeuvre étrangère. Cette thématique est peu explorée au regard de l’importance du travail des migrants pour les économies des pays industrialisés et de pays émergents, au regard aussi du recours fréquent au regroupement de ces travailleurs dans des lieux spécifiques. Les recherches qui existent mettent l’accent sur l’assignation à résidence, l’association travail-logement et le fort contrôle de l’employeur sur la vie des employés (Ngai, Smith 2007). Les recherches réalisées ne s’intéressent pas vraiment aux aspects spatiaux de l’organisation de ces deux systèmes. Le principal enjeu et apport de la démarche menée au sein de TerrFerme est donc d’éclairer la dimension spatiale de cette forme d’enfermement, qui reste très peu explorée.
Autre enjeu du programme : la possibilité ou non de transférer ce qui a été fait à propos d’un type de lieu sur les autres.
Dans une seconde partie, Bénédicte MICHALON recentre son propos sur la rétention en Roumanie, avec des données recueillies au cours de plusieurs mois d’enquête en sur place pendant lesquels elle a été bénévole dans une ONG qui s’occupe des étrangers en rétention.
Le contrôle des étrangers par l’enfermement : l’exemple de la Roumanie :
Le recours à la rétention est aujourd’hui généralisé dans les pays européens. Si tous les États membres de l’U.E ont choisi de recourir à ce procédé, d’autres moyens existent pour le contrôle des étrangers en attente d’expulsion, tels l’assignation à résidence (en Australie) ou la surveillance par bracelet électronique (États-Unis). Bénédicte Michalon dans cette deuxième partie montre que le procédé de l’enfermement des étrangers sert à concrétiser l’asymétrie entre les autorités nationales et les étrangers à travers une instrumentalisation particulière de l’espace, qui se décline en trois modalités : la contrainte, la séparation et la privation d’espace.
La Roumanie était fermée à l’immigration pendant le communisme, soit jusqu’à la fin 1989. L’immigration est donc une question nouvelle, liée au changement de régime. C’est à partir du début des négociations pour l’adhésion européenne en 1997-1998 que la Roumanie a dû commencer à mettre en place les institutions, les lois et les lieux qui concrétisent la rétention. Aujourd’hui, il y a deux centres de rétention dans le pays qui sont gérés par l’Office Roumain de l’Immigration (ORI) qui s’occupe à la fois de l’immigration et de l’asile. Bucarest est le premier centre de rétention localisé à un kilomètre du principal aéroport du pays, l’aéroport Otopeni (banlieue nord de Bucarest). Le centre a été ouvert en 1999 et agrandi en 2005 avec des fonds PHARE de l’UE. Le deuxième centre de rétention en Roumanie est localisé à Horia, proche de la frontière avec la Hongrie. Il a été construit avec 80% de fonds PHARE. Il est utilisé depuis 2003.
Trois catégories d’étrangers sont susceptibles d’être placées en rétention en Roumanie :
– les « éloignables », sous le coup d’une mesure d’éloignement du territoire car ils n’ont pas ou plus de droit de séjour en Roumanie ;
– les « expulsables », anciens détenus sous le coup d’une mesure judiciaire d’expulsion (cela correspond à ce que l’on appelle « double peine » en France) ;
– les « indésirables », considérés comme représentant une menace pour la sécurité nationale et l’ordre public et de ce fait en attente d’expulsion.
Le nombre d’étrangers placés en rétention reste peu important, avec 396 personnes en rétention en 2005 et 267 en 2009 selon les données de l’ORI. Les Turcs, les Chinois et les Moldaves sont alors les nationalités les plus représentées. Viennent ensuite des nationalités très diverses, telles que les Irakiens, les Pakistanais, les Syriens, etc. Les retenus sont très majoritairement des hommes et très rarement des femmes et des enfants, ce qui correspond au caractère très masculin de l’immigration en Roumanie.
La rétention concrétise l’asymétrie entre les autorités et les étrangers à travers trois usages de l’espace : la contrainte spatiale, la séparation et la privation de d’espace.
La contrainte spatiale se décline à plusieurs niveaux. Le premier est celui du choix du lieu de rétention à l’échelle nationale, il suit une logique territoriale, puisque le lieu d’incarcération est conditionné par le lieu de l’interpellation mais des transferts d’un centre à l’autre existent toutefois. Il est important de préciser qu’être enfermé à Bucarest ou être enfermé à Horia n’est pas équivalent. A Bucarest, il s’agit d’un éloignement du cur de la capitale, de l’agglomération. Le centre est situé près d’un aéroport, ce qui est une localisation typique pour un centre de rétention. Celui de Horia est quant à lui totalement excentré à l’ouest du pays, cet éloignement se fait ressentir à la fois pour les étrangers et au niveau du personnel de police. La contrainte spatiale se décline aussi à une échelle micro. La répartition des étrangers dans les cellules dépend des centres et obéit au croisement de plusieurs variables : statut juridique, sexe mais aussi la religion ou l’ethnicité (séparation des « Arabes » des « Noirs »…).
L’architecture des centres de rétention est marquée de multiples séparations et seuils. Les étrangers sont confinés dans des zones bien précises, la zone des retenus est séparée de celle de l’administration, des soins médicaux et de la restauration. Les étrangers n’occupent qu’une faible portion de l’espace. A Bucarest, le centre dispose d’une capacité de 150 places. L’espace est organisé par un couloir autour duquel les cellules se répartissent et quelques salles collectives (salle de visite, salle de sport, bibliothèque,…). Les surveillants sont installés au beau milieu de l’espace destiné aux retenus. Les cellules font 12 m² environ, peuvent héberger quatre personnes et disposent des sanitaires. L’organisation du temps ne leur laisse pas beaucoup de possibilité de se déplacer, ils n’ont que quelques heures par jour le droit de sortir des cellules en plus des trois repas pris à la cantine. L’organisation à Horia est différente, les cellules sont disposées sur les trois faces d’un « cube », la 4ème étant occupée par le poste de surveillance. Il n’y pas de « cohabitation » immédiate entre retenus et surveillants. Les retenus peuvent sortir de leur cellule de 7 heures du matin à 20 heures ; pendant ce temps ils peuvent circuler sur la coursive. Tous ces éléments sont importants parce qu’ils ont des répercussions sur le mode vie des personnes enfermées.
Ainsi, on peut dire que l’espace joue un rôle important dans le contrôle des étrangers retenus. Cet espace est contraignant, divisé, soumis à une rationalité gestionnaire. Cette description montre aussi les nombreuses caractéristiques d’une architecture carcérale, ou en tout cas de l’institution totale décrite par Goffman : l’organisation en cellules, l’absence d’espace privatif, le manque de circulation,… .
Déplacer les étrangers pour mieux les contrôler : la « mobilité gouvernementale »
Pour comprendre le dispositif de contrôle des migrations, il faut prendre en compte un autre de ses versants, à savoir le déploiement d’usages spécifiques de la mobilité par les autorités. En effet, la mobilité fait aussi partie de l’arsenal répressif de plus en plus élaboré que les États européens utilisent pour contrôler les circulations. On peut alors la qualifier de mobilité « gouvernementale », selon le terme de Nick Gill de {Governmental Mobility}). Dans cette troisième partie, B. Michalon montre comment cette mobilité gouvernementale est mobilisée par l’institution de contrôle. Elle est à la fois instrument du pouvoir et expression de celui-ci.
Il existe deux types de mobilités gouvernementales. La première forme relève de la procédure, le placement en rétention ne signifie pas forcément une immobilisation totale de l’étranger. Au niveau international, l’Union européenne dispose de deux outils de politiques migratoires : les accords de réadmissions et le règlement Dublin II. Ils ont pour objectif le déplacement contraint d’étrangers, dans le cadre d’une « répartition des tâches » entre les États membres. Au niveau national, à ces déplacements internationaux s’ajoutent souvent les déplacements nationaux. L’expulsion doit se faire au consulat du pays d’origine de l’étranger qui doit délivrer un laisser-passer sans lequel l’expulsion ne pourra avoir lieu. De plus, si l’étranger fait appel de sa mise en rétention, ce qui est généralement le cas, il est alors transféré à une cour pour les audiences. Ces séquences sont souvent éprouvantes pour les retenus.
La seconde forme de mobilité gouvernementale est celle qui a des objectifs punitifs, quand le comportement d’un individu pose problème à l’administration. En effet, les transferts d’un centre à un autre ne sont pas qu’un simple déplacement dans l’espace, ils ont plusieurs autres buts. Ils visent en réalité à transformer l’individu, à rendre la personne conforme à ce qui est attendu d’elle ; à perturber la sociabilité interne au centre (changement de compagnon de chambrée). Le temps du transfert est en lui-même un moment de réaffirmation de l’asymétrie entre l’institution et l’étranger.
Ces transferts provoquent une multiplication et une accélération des passages dans des lieux d’enfermement successifs : centres de rétention, zones de transit aux frontières terrestres et aéroportuaires, locaux de police… En quelques jours, l’étranger passe par un nombre élevé de locaux, aux conditions très disparates, dans plusieurs pays, pour finir bien souvent à nouveau enfermé en Roumanie. Il vit alors ce que l’on pourrait appeler « l’itinérance rétentionnaire ». Cette itinérance finit par déposséder les étrangers de leur trajectoire migratoire. Bénédicte MICHALON l’illustre avec l’exemple d’un jeune Sri Lankais qu’elle a rencontré à Bucarest en 2010 et dont la trajectoire l’a ramené en Roumanie à deux reprises, après qu’il ait été arrêté une première fois en Allemagne, l’autre en Belgique.
Conclusion :
La rétention semble finalement faite de plusieurs usages combinés de l’espace. Bénédicte Michalon en a présenté deux qui sont des usages a priori contradictoires et qui sont la clôture d’un côté, la mobilité contrainte de l’autre. Bien d’autres dimensions peuvent être développées dans une lecture spatiale de l’enfermement des étrangers comme les contacts entre intérieur et extérieur du centre, le rôle de celui-ci dans la circulation et la transmission d’informations entre migrants, l’impact du passage en rétention sur les trajectoires migratoires. Ces quelques exemples montrent que les centres de rétention peuvent être considérés comme des lieux de réactivation des flux, bien plus que comme des lieux d’arrêt définitif de ceux-ci. Cela peut donc nous conduire à revoir l’approche des lieux d’enfermement et à les appréhender non comme des « isolats » mais comme insérés dans un tissu social et spatial qui dépasse largement les murs des établissements fermés.
- Deuxième intervenant : Olivier RAZAC
Olivier Razac est philosophe et enseignant-chercheur à l’ENAP (École Nationale d’Administration Pénitentiaire) d’Agen. Il nous présente dans ce Café Géo une autre forme de contrôle spatial : la surveillance électronique et plus spécifiquement le PSEM (Placement sous Surveillance Électronique Mobile). Basé sur un système GPS, il permet un aménagement de la peine de détenus soumis à un contrôle pénal. Actuellement, peu d’individus sont concernés par cette mesure de surveillance mais elle constitue une alternative moderne à l’incarcération et s’avère être une convergence de plusieurs modalités de contrôle spatial : l’exclusion, l’inclusion et la traçabilité.
Pour mieux comprendre ce système de surveillance moderne, il faut s’interroger sur le fonctionnement de la surveillance électronique, les outils et les acteurs qui permettent son déroulement. Puis il faut analyser les modalités de contrôle par ce système. Ainsi, Olivier Razac se pose le problème de savoir si le placement sous surveillance électronique mobile constitue un nouvel espace de la peine. Pour le résoudre, il propose d’illustrer le PSEM au travers de trois noms de maladie : la lèpre, la peste et la variole.
Dans un premier temps, nous verrons ce qu’est le placement sous surveillance électronique. Ensuite, nous étudierons les modalités d’application de ce système et son application elle-même.
Présentation technique :
Le contrôle spatial est de plus en plus virtuel., le bracelet électronique en est un exemple. Il fonctionne en parallèle avec un terminal branché sur le téléphone, actuellement système GSM ( téléphone mobile), grâce à une radio fréquence. Le système mesure un périmètre correspondant au domicile et détecte si l’individu est chez lui quand il doit y être et si l’individu est chez lui alors qu’il ne doit pas y être. Dans le cas contraire, une alarme se déclenche dans un centre de surveillance et l’individu doit s’expliquer devant le juge d’application des peines, risquant la ré-incarcération. Cette peine est d’une durée courte : 6 mois, 8 mois ou 1 an. Il s’agit du système classique important appelé PSEF (Placement sous Surveillance Électronique Fixe), voté en 1997 et en expérimentation depuis 2000. Il concerne 15 000 individus par an et 8 000 placements sur 60 000 détenus en France.
Un dispositif récent et intéressant d’un point de vue spatial : le PSEM (Placement sous Surveillance Électronique Mobile). Il s’agit de l’association du bracelet et du système GSM et GPS. Une alarme se déclenche si le bracelet n’est plus en contact avec l’individu. Dans ce PSEM, un récepteur portable GSM et GPS se portant à la ceinture informe de la localisation, de la continuité du bracelet, du déplacement de l’individu et de sa vitesse en temps réel envoyés à un centre de contrôle. Des surveillants PSE/PSEM du centre de contrôle s’occupent de vérifier les alarmes de violation des personnes surveillées. La personne est appelée en cas d’alarme. S’il n’y a aucune réponse, l’individu est interpellé par les forces de l’ordre et est considéré comme en état d’évasion.
Aspect juridique et modalités de contraintes :
Dans cette seconde partie, Olivier Razac présente l’application du système PSEM et son rôle dans le contrôle spatial. Le PSEM est l’une des obligations possibles des « nouvelles mesures de sûreté », c’est-à-dire qu’une surveillance est possible sans PSEM.
Le système PSEM concerne uniquement les individus condamnés au minimum à 7 ans de prison pour des actes de violence , à majorité des violences sexuelles. A l’issue de leur peine, les individus peuvent être soumis à un contrôle post-pénal à l’issue de leur peine, basé sur le danger que représente la personne. La surveillance judiciaire permet d’imposer des contraintes sur la peine du condamné. Une mesure indéterminée est prise si la dangerosité de l’individu est évaluée. La mesure s’arrête lorsque la dangerosité est jugée en baisse. Le PSEM concerne une centaine d’individus depuis le début , 35 actuellement.
Au delà de son rôle de sûreté, il détermine des modalités spatiales de contrainte et surtout une articulation de modalités de contraintes différentes. Il en existe 3 pour le PSEM. Le juge d’application des peines va alors procéder à la première contrainte.
Zones d’exclusion : la « lèpre » chez Foucault :
Le juge peut déterminer des zones d’exclusion, c’est-à-dire des zones où l’individu soumis au bracelet ne peut se rendre. Le juge décrit un périmètre autour d’une adresse précise, Olivier Razac présente par exemple le domicile de la victime où un individu ne peut se rendre dans la ville de Montpellier, ou encore un individu qui ne peut sortir de la ville de Nantes. On peut déterminer jusqu’à trente périmètres. Un autre exemple est un individu qui ne peut se rendre dans une ville mais qui, pour se rendre à son lieu de travail, doit la contourner en passant par la rocade. Le juge, en utilisant des ellipses et des rectangles, a encadré la rocade pour que l’individu ne se rende pas dans la ville.
C’est le modèle de la « lèpre » chez Foucault : c’est une notion d’exclusion pour l’individu qui est un malade incurable dont son simple contact avec d’autres individus est intolérable. Cette exclusion est symbolique de purification de la communauté, l’individu banni est abandonné par la société. C’est le principe même du « faire mourir et laisser vivre » de Foucault. La question posée par ce système est d’éviter que le lépreux ne s’approche pas de certaines catégories de personnes. Cette logique d’exclusion trouve sa limite avec avec les populations particulières, comme des mineurs par exemple. Olivier Razac a mené une enquête de recherche sur ce système et le PSEM en général en interrogeant des services de probation et des conseillers pénitentiaire d’insertion et de probation et quelques individus portant un bracelet afin de développer les concepts à partir du visuel.
Zones d’inclusion : la « peste » chez Foucault :
Le juge peut déterminer des zones d’inclusion, c’est-à-dire des zones où l’individu doit rester ou se rendre selon son emploi du temps. L’idée mère était de mettre en zone d’inclusion les lieux de soins comme le cabinet du psychologue ou du psychiatre (mesure inutile car le médecin fournit des fiches de présence), ou encore les lieux de formation ou de travail. Cette mesure fonctionne comme un couvre-feu : obliger une personne à être présente sur un lieu en un moment précis. Les horaires sont variables. C’est le modèle de la « peste » chez Foucault : la notion de peste, même si l’on peut penser qu’elle se rapproche de la lèpre, consiste en un investissement de l’espace afin de le surveiller pour permettre la guérison de l’individu. Ce n’est donc pas une exclusion (abandon) mais une mise en quarantaine (surveillance pour contrôler et éviter une contagion) dans un lieu surveillé.
La prison moderne est une fusion de la « peste » et de la « lèpre » chez Foucault : c’est la fonction d’exclusion de celui qui ne doit pas revenir dans la société mais aussi une transformation positive de l’individu grâce à la peine (guérison de l’individu). Le panoptique de Bentham est une machine inclusive qui consiste à saturer l’espace afin de modifier les individus, répondant à ce double besoin. La peine carcérale moderne est ambiguë car elle n’y répond pas intégralement : elle n’exclut pas vraiment ni ne guérit vraiment l’individu.
Le PSEM est une mesure pensée post-carcérale car elle est une mesure qui virtualise la peine. Selon les rapports parlementaires du PSEM s’appuyant sur des philosophes comme Deleuse, le PSEM serait post-carcéral car il ne limite pas les gens dans leur liberté mais leur permet d’être à l’extérieur tout en suivant leurs déplacements. Ce n’est pas le cas : il reste encore des contraintes spatiales sans référent matériel avec ce système. Selon Bentham, « les murs devraient être les plus fins possible », avec le PSEM, c’est possible maintenant et la « lumière» dont parle Bentham est matérialisée par les ondes.
Le panoptique est réalisé et en terme spatial, le système du PSEM respecte les principes de Bentham. En plus de cela, on a une incarcération virtualisée : ce n’est pas une virtualisation de l’incarcération (limitée à la dématérialisation et donc pas d’enfermement) mais une autre manière d’enfermer l’individu, c’est-à-dire virtuellement au contraire de la présentation faite du PSEM comme alternative à l’incarcération. Le PSEM est donc un enfermement virtualisé où les contraintes spatiales sont potentialisées sous la forme de la menace faisant intérioriser les limites spatiales. C’est travailler sur l’espace possible et sur l’espace tel qu’il est pratiqué et non sur l’espace tel qu’il est concrètement. C’est travailler sur le contrôle de la pratique de l’espace selon Michel Lussault.
Le contrôle des déplacements : la « variole » chez Foucault :
Le journal des déplacements permet de surveiller le détenu, il est analysé par le juge d’application des peines et les services de probation. Il retranscrit les déplacements du détenu, sa vitesse, etc… Comme exemple, Olivier Razac cite une personne dont le bracelet indiquait un déplacement vers un lieu régulier. Il entretenait une relation avec une femme ayant des enfants et, comme il avait été condamné pour des problèmes sur mineurs, il fut interdit de la revoir. Comme autre exemple, un homme ayant un PSEM refuse d’aller à son travail tant qu’on ne lui fournit pas une voiture car dans les transports en commun, il pourrait récidiver sur les enfants. Il s’agit donc de la gestion des risques des déplacements.
En ce qui concerne la « variole » chez Foucault, il s’agit du contrôle de l’évolution de l’état d’un convalescent en plus de l’exclusion de l’incurable et de l’inclusion de celui qu’on veut guérir. Celui qui a la « variole » n’est pas malade, mais il est vacciné. Il a le droit et doit même se déplacer, mais ses déplacements comportent un risque.
Conclusion :
En conclusion, il existe 3 grandes modalités de contrôle de l’espace : on a à la fois un incurable, un pestiféré à guérir et un convalescent à contrôler. Cela fait beaucoup pour un seul homme, mais c’est ce qu’on constate dans la réalité.
- Éléments du débat
François TAULELLE (enseignant-chercheur en géographie au CUFR Champollion) :
Sur la Roumanie, en fait, tout ce dispositif qui est mis en oeuvre, c’est lié au fait que le Roumanie n’est pas dans Schengen, donc il y a une pression de l’Europe. Tous ces centres et cette police sont financés par l’Europe. Alors comment elle se manifeste la pression de l’Europe ? C’est lié à quoi ? Au quotidien ? Est-ce que l’on sent vraiment que les autorités roumaines font du zèle ? Est-ce que c’est une initiative purement européenne ? Sous contrainte ? Comment ça fonctionne en fait ?
Bénédicte MICHALON :
Oui, c’était l’une des conditions pour rentrer dans l’UE mais pour la Roumanie comme tous les gouvernements différents, c’est-à-dire que s’ils ne faisaient pas ce qui était prescrit au niveau européen en terme de contrôle des migrations, ils ne rentraient pas dans l’Europe, tout simplement. Alors, c’est vrai qu’ils ne sont pas dans Schengen mais notamment parce qu’ils ne font pas assez de contrôles migratoires. Donc, c’est une condition de l’Europe. Après, effectivement les autorités roumaines font pas mal de zèle sur ce registre alors qu’il y a d’autres pays qui sont un tout petit peu plus récalcitrants mais comme la Roumanie a, en gros, pas mal de difficultés à faire des réformes pour tout un tas de raisons, elle fonctionne pourtant bien sur ce plan là.
Mais la police des migrations en Roumanie, c’est une police tout à fait minime, c’est vraiment un corps de police réduit. Et puis effectivement, la Roumanie participe à des opérations Frontex, etc. Alors après, au quotidien, c’est très peu visible parce que, en fait, comme c’est un problème qui a été imposé de l’extérieur, la plupart des Roumains eux-mêmes savent à peine qu’il y a des étrangers en Roumanie alors qu’il y a des centres de rétention. Même les chercheurs qui travaillent sur les migrations, c’est-à-dire plutôt sur les Roumains à l’étranger, ne savent pas forcément qu’il y a des centres de rétention en Roumanie. Du coup, il y a très peu de contrôles dans la rue, ce qui fait que les contrôles se font essentiellement aux frontières et quelqu’un qui est sans papier peut vivre des années à Bucarest sans jamais être contrôlé. Je connais plusieurs personnes qui sont restées 5 ou 7 ans en n’ayant jamais le moindre contrôle d’identité dans la rue parce que ce n’est pas rentré dans les murs des policiers qui ne sont pas du tout sensibilisés à cette question et ce n’est parce qu’ils voient une seule fois par semaine un africain dans la rue qu’ils vont lui demander ses papiers. Donc, on voit que c’est assez paradoxal parce que c’est vraiment quelque chose qui a été apporté de l’extérieur.
Olivier RAZAC :
Mais dans l’exemple donné, la personne avait été arrêtée en Hongrie ?
Bénédicte MICHALON :
Oui, elle a été arrêtée mais justement car c’est une frontière sensible parce qu’il y a une première frontière entre les États qui sont entrés entre 2004 et 2007 et les États qui sont entrés en 2004 font plus de contrôles aux frontières encore que la Roumanie/Bulgarie. Et donc, il a été arrêté juste après le passage mais effectivement, dans les zones frontalières, les contrôles sont assez forts.
Olivier RAZAC :
Mais ils l’ont considéré que c’était quand même en Roumanie, qu’il soit ensuite attaché au premier pays, mais en fait il a été arrêté en Hongrie ?
Bénédicte MICHALON :
Oui, ils ont tout de suite pu démontrer qu’il venait de Roumanie, parce qu’en fait, vu l’endroit où ils l’avaient arrêté, il arrivait forcément de Roumanie. Enfin, la frontière, c’est une zone complètement plate donc il y a beaucoup de passages et d’arrestations.
Un participant :
Je voudrais savoir comment se déroulent les entretiens pour évaluer la dangerosité de ces détenus ?
Olivier RAZAC :
Alors, c’est le grand débat judiciaire, pénal et pénitentiaire actuel, on n’en est qu’au début. Pour l’instant, en France, c’est une décision judiciaire donc c’est le juge d’application des peines qui prend la décision. Il va prendre sa décision selon plusieurs éléments. Bien sur, il fait son propre jugement, déjà en fonction du dossier pénal : donc les faits passés, éventuellement la conduite en détention. Il va aussi avoir un rapport des services pénitentiaires d’insertion et de probation qui interviennent en milieu fermé mais prennent surtout en charge tout ce qui est en milieu pénal, en milieu ouvert. On fait un rapport sur la personne et surtout il peut y avoir une ou deux expertises psychiatriques selon les mesures qui sont surtout faites exprès pour la mesure.
Tout le monde s’accorde à dire que c’est un élément décisif de la décision du juge parce que, par définition, si le juge fait appel à un expert, c’est qu’il est dépourvu de cette expertise et que, pour discuter des résultats d’ une expertise, on a un expert un peu paradoxal. Ça arrive qu’un juge d’application des peines ne suive pas les décisions de l’expert. Après, il y a tout un problème que Foucault avait déjà soulevé, c’est la nature même de l’expertise psychiatrique, puisque pénale. Je ne vais pas rentrer là dedans car c’est tout un débat. Juste ce que dit Foucault, très simplement, c’est qu’on a là une situation très étrange où on demande à un psychiatre de répondre à une question à laquelle il ne peut pas répondre d’une manière psychiatrique. En particulier, on lui demande de savoir si la personne est dangereuse et la dangerosité n’est pas une catégorie psychiatrique. Donc,on lui pose une question à laquelle il ne peut pas répondre mais à laquelle il répond malgré tout, ce que certains experts lucides disent d’ailleurs mais y répondent quand même.
Concrètement en plus, la plupart des expertises psychiatriques, c’est le témoignage aussi du juge d’application des peines, c’est une demi-heure : des éléments biographiques et des éléments un peu cliniques et une décision. Des expertises, j’en ai lu quelques unes qui ont conduits à des PSEM sous mesures de sûreté. J’en ai lu une de trois pages avec une page d’éléments biographiques, une page d’éléments cliniques dont une phrase croustillante dont je me rappelle c’est : « cet individu possède une intelligence saine et en plus, en dehors de ce que l’on considère généralement comme la moyenne ». Donc, en terme de teneur scientifique, c’est quand même vraiment nul. Et à la fin, l’expert dit : « c’est un grand immature, il n’a pas réglé quelques problèmes d’orientation sexuelle, donc on ne peut pas exclure la récidive », et donc mesures de sûreté. On est donc dans une faiblesse que même dans les rapports parlementaires préconisant les mesures de sûreté en France (notamment le rapport Garraud), on dit : « l’expertise psychiatrique pénale est en crise, elle est faible, elle est critiquée par les experts eux-mêmes donc elle n’est pas fiable, ni politiquement, ni scientifiquement ». Or, pour justifier une mesure de sûreté, c’est bien le seul élément objectif qui permet de la justifier puisqu’il n’y a pas de faits. Donc, il faudrait une objectivité scientifique de la dangerosité pour justifier une mesure de sûreté à la même hauteur qu’une peine qui elle est justifiée sur une infraction objective. Ce n’est évidemment pas le cas car il faut quand même des mesures de sûreté. On fera progresser l’objectivité de l’évaluation de dangerosité au fur et à mesure.
Ce qui est très intéressant, c’est que les historiens de l’expertise psychiatrique pénale nous montrent qu’elle est structurellement en crise depuis le 19e siècle,puisque l’on pose des questions auxquelles on ne peut pas répondre. En fait, l’expertise psychiatrique pénale n’est pas un dispositif scientifique mais stratégique. Les préconisations qui sont faites, c’est de s’inspirer du Canada. C’est donc de faire des évaluations de dangerosité beaucoup plus longues, avec des centres d’observation qui sont en train de s’ouvrir, de se développer. Il y en avaient déjà à Fresnes mais ils vont développer les centres nationaux afin, pour les nouveaux détenus, en particulier ceux qui ont un profil « dangereux » de les observer par une équipe pluridisciplinaire pendant plus longtemps, de telle manière qu’on puisse avoir une évaluation de dangerosité dite « plus fiable ». Et le développement de l’outil statistique factoriel, qui existe au Canada, c’est-à-dire que l’on fait une étude de cohorte, on mesure des facteurs de risque sur des récidivistes et on fait des échelles de cotations et ensuite quand on voit quelqu’un on lui dit : « Voilà, est-ce que vous êtes alcoolique ? Est-ce que vous regardez des films pornographiques ? Comment sont vos rapports avec vos parents ? … ». Tout ça est côté statistiquement et il sort un chiffre : « haut risque » : donc, vous allez être orienté sur des programmes de traitement des hauts risques, pour répondre à votre question. Ça, c’est au Canada, ça n’existe pas en France mais c’est en discussion.
Paul GOURDON (étudiant en L3 géo):
Moi ce serait une question plutôt sur la perception qu’ont ces personne qui sont sous des systèmes de surveillance comme ça. Donc, ce sont des gens qui sortent d’un univers carcéral, matériel où ils sont enfermés dans l’espace avec des gens qui sont dans la même situation. Tout d’un coup, ils se retrouvent comme vous avez dit avec un enfermement qui n’est pas vraiment virtuel, qu’ils ont sur le territoire qu’ils peuvent parcourir mais est-ce que, justement dans ce cas là, ils ont un contact avec des gens qui eux, peuvent jouir de l’espace avec liberté. Donc, au niveau de la perception qu’ils en ont, est-ce que c’est pas presque finalement plus dur d’être en « pseudo liberté », en contact avec ces gens en liberté et d’avoir finalement cet enfermement qui est « psychique » ; on a des zones d’inclusion, des zones d’exclusion. Par rapport aux entretiens que vous avez menés, est-ce que vous avez abordé ces questions ?
Olivier RAZAC :
Ce n’est pas évident. En plus, il n’y a pas de réponse claire à votre question parce que évidemment, bien sûr, il y a une pénibilité spéciale de l’auto-contrôle qui est dramatisé par la menace d’incarcération, sauf que l’on a là une situation en dehors de ceux que peuvent dire les gens. Donc, vous avez une situation, un exemple, un placé lambda, pas le prédateur a priori mais quelqu’un d’un peu limité qui sortait de son boulot. Il devait rentrer à 18h chez lui, mais il est tombé en panne de voiture et en voyant l’heure, il est paniqué, il a fait du stop au bord de la route, parce qu’il était stressé d’arriver en retard et d’être renvoyé en détention. D’une manière générale, c’est ambigu parce que les placés semblent tenir plus longtemps le placement mobile qui est pourtant plus contraignant qu’un PSE fixe, alors que le PSE fixe, on avait repéré qu’il y avait un moment d’instabilité après 6 mois. Et ça pourrait s’expliquer par le fait qu’ils ont connu l’incarcération avant et que donc la contrainte du milieu ouvert, avec la menace d’incarcération, ils peuvent la tenir plus facilement.
Mais il y a d’autres cas de gens qui ont été taper à la prison pour dire : « je veux retrouver ma chambre ». Il y a des cas d’individus dont je vous parlais tout à l’heure qui étaient en liberté conditionnelle, qui avaient trouvé du boulot, fait un an de liberté conditionnelle avec le PSEM, il avait stabilisé complètement sa situation. Le service de probation disait : « il n’y a plus rien à faire avec lui ». Mais il lui restait normalement un an de libération conditionnelle, donc il attendait la décision du juge d’application des peines, est-ce qu’il va lui prolonger le bracelet ou pas ? Quand le juge d’application des peines le lui a prolongé – parce que vu l’ambiance actuelle, si jamais il récidivait et que le juge d’application des peines n’avait pas prolongé le bracelet, on allait lui tomber dessus – deux mois après, ce gars-là a fracassé son bracelet, son boîtier GPS contre le mur et il a été en prison. Il a perdu son boulot. Il n’a pas récidivé, il a juste fracassé son bracelet et il est retourné en prison. Donc, il y a une pénibilité forte, plus pénible que l’enfermement, c’est très compliqué parce que l’enfermement n’est pas non plus de la rigolade. Je suis mal à l’aise avec cette question, je préférerai dire que ça ne me paraît pas tellement possible de comparer les deux, et je préfère pointer la spécificité de la pénibilité de ce type de contrainte qui est fatigante, une fatigue que n’a pas le prisonnier. Il y a ce problème de spécialité différentielle, de spatialité différentielle, qui est très intéressant. On est dans un espace contraint carcéral, de type carcéral, mais qui est totalement immatériel, invisible et insensible et qui n’existe que pour une seule personne et ne coûte rien. C’est très important ça, vous faites 50 zones d’exclusion et ça vous coûte le même prix qu’une seule, ce n’est pas pareil avec des murs.
Stéphanie LIMA (enseignant-chercheur en géographie au CUFR d’Albi):
J’ai une question pour Bénédicte Michalon sur la modification de la perception de soi des étrangers qui se rendent compte, à un moment donné, qu’ils sont des sans-papiers et qu’ils sont criminalisés pour une faute qu’ils n’ont pas forcement l’impression d’avoir commise. Comment ça se passe au niveau des entretiens et des observations que tu as pu faire sur cette modification de la perception de soi, individuellement et collectivement ?
Bénédicte MICHALON :
ça se manifeste surtout par des propos récurrents. Par exemple, moi, je pose une question forcément là dessus. Donc c’est vraiment quelque chose qui apparaît spontanément dans les discours où quasiment toutes les personnes que j’ai interrogées disent : « on m’a enfermé mais moi je ne suis pas un criminel, je n’ai rien fait. D’accord, j’avais pas de papiers mais je n’ai rien fait. », même ceux qui ont été en prison disent : « d’accord, j’ai été en prison, j’avais fait quelque chose, donc je comprends que j’ai été en prison mais ensuite, il n’y avait pas de raison de me mettre dans un centre de rétention. ». Donc ça se manifeste comme ça au niveau des discours. Après, je pense que ce qui se passe, c’est qu’ils ont conscience du fait que leur trajectoire va être soumise à ce contrôle parce qu’on a pris leurs empreintes. Donc, ils essayent de déjouer ça mais je pense que ça se manifeste aussi dans cette prise en compte de la contrainte sur la trajectoire et sur le fait que, finalement, ils finissent par être réduits à une sorte de clandestinité, dans la mesure où la plupart des gens ne sont pas régularisables pour des raisons X ou Y, en dehors de ceux qui arrivent à obtenir un statut de réfugiés et qui sont quand même minoritaires. Donc, finalement ils n’ont pas d’autres solutions que de rester sans papiers.
Stéphanie LIMA :
Après, sur la manière dont ils se positionnent par rapport aux différents dispositifs d’accueil. Est-ce que ça change ? Enfin, je pense qu’au début, quand ils arrivent, ils ne connaissent pas tous les dispositifs d’accueil des associations, ça leurs crée des réseaux, de la sociabilité ?
Bénédicte MICHALON :
Oui, c’est sûr, ça entraîne beaucoup de choses, de création de réseaux par exemple pour se procurer des faux papiers, pour apprendre à sortir, tout un tas de pratiques aussi. Par exemple, comment aller à la frontière et repérer des points de passages. Quand on est hébergé par l’ONG dans laquelle je travaillais, les gens ont le droit de partir trois jours. Donc souvent ils disparaissent trois jours et ils reviennent après, puis après on apprend qu’en fait, ils ont essayé de passer et qu’ils n’ont pas pu, enfin qu’ils se sont fait arrêtés et puis, comme ils se sont fait arrêter en Roumanie, on les a juste renvoyés à Bucarest. Donc, voilà ça induit ce type de comportements peut être un petit peu précautionneux à un moment donné.
J’ai oublié de dire qu’il y a quand même des contrôles sur les lieux d’emplois où on soupçonne qu’il y a des étrangers en situation irrégulière. Il y a aussi beaucoup de stratégies d’évitement sur les lieux de travail, comment se cacher, comment être prévenus des contrôles de police, comment on fait quand il y a un contrôle de police effectif parce que, en Roumanie, on règle beaucoup de choses avec la corruption. Donc, il faut aussi avoir des appuis financiers pour arriver à détourner ce type de situation. Après, au plan collectif, ça n’entraîne rien en terme de mobilisation. La catégorie de sans papier, en fait, elle n’existe pas en termes politiques. Donc, ce n’est pas du tout comme ici.
Un participant :
Sur quelles lois fonctionne Shengen, le retour par le pays?
Bénédicte MICHALON :
Chaque pays a ses lois et ça change sans arrêt. Par exemple en France, il y a sans arrêt des amendements, donc je ne peux absolument pas faire un panorama général des lois sur le contrôle des étrangers. Après, ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a quand même une volonté au niveau européen d’essayer d’harmoniser ce corpus législatif mais qu’en fait, c’est très difficile parce que les États rechignent et chaque État veut garder ses prérogatives en termes de contrôle des migrations. Donc finalement, il y a quelques dispositifs comme ceux dont j’ai parlé : les réadmissions, les accords de Dublin, Frontex qui est une sorte de police européenne de contrôle des migrations, mais finalement pour l’instant, ce sont les États qui restent vraiment souverains.
Thibault COURCELLE (enseignant-chercheur en géographie au CUFR d’Albi) :
Pour rebondir parce qu’on a beaucoup parlé de la dimension de contrôle qui a été accentuée par l’UE avec cette agence Frontex, créée en 2005 et basée en Pologne, mais on n’a pas trop parlé de la dimension de contrôle des conditions dans ces centres de rétention par l’Europe. Je pense notamment au Commissaire Européen des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe qui peut contrôler à tout moment tous les lieux de « privation de libertés » dans tous les pays et donc les centres de rétention des étrangers. Le Commissaire s’était d’ailleurs fait connaître en France par une interview qu’il avait donné à « Libération », lorsqu’il parlait d’un centre de rétention des étrangers qui se trouvait à Paris sous le palais de justice, et qu’il avait décrit comme « l’un des pires cloaques moyenâgeux » et il avait dit : « de toutes les prisons que j’ai visitées en Europe, je n’ai jamais vu de prisons pires que celle-là, sauf peut-être en Moldavie. ». Il était donc très critique vis-à-vis de la France et notamment de Nicolas Sarkozy qui était à l’époque ministre de l’Intérieur. N. Sarkozy avait dû réagir à contrecoup et avait fait fermer ce centre de rétention pour en construire un autre flambant neuf avec de meilleures conditions pour accueillir ces étrangers. Donc il y a eu un impact de l’Europe sur la France qui a été immédiat. Est-ce que l’on constate ce genre d’impact du monitoring européen en Roumanie?
Bénédicte MICHALON :
Oui, il ne faut pas dire que l’UE ne fait que des choses critiquables mais en fait, là où on peut en discuter, c’est que ce types d’instance a plus une vocation de surveillance des conditions de vie que remettre en cause le principe lui-même. Le principe de la rétention n’est pas remis en cause par le Commissaire européen aux droits de l’homme ou le Comité européen de prévention de la torture. Après ce qu’ils font, c’est qu’ils vont voir si ils ont bien tant d’heures de sortie à l’air libre par jour, tant de places minimales par personne, un volume d’air respirable calculé par personne, voilà, c’est ce genre de choses qu’ils vérifient, mais ce n’est absolument pas le principe même de la mise en rétention qui est discuté. Après, les centres de rétention roumains sont récents donc les conditions matérielles ne sont pas du tout dégradées.
Olivier RAZAC :
Chez moi, je n’entends pas beaucoup parler de contrôle européen sur la prison, mais plus du contrôleur général des lieux de privation et de liberté, monsieur Delahue. De ce que j’en ai lu, le travail sur la prison est assez important, mais son efficacité est un peu limité, et de la même manière, car pour la prison c’est encore plus difficile bien sûr, la question d’une critique qui dépasse les conditions de détention et qui puisse permettre de critiquer le principe de la détention est inexistante. Le problème, parmi les nombreux points que je remarque avec la question des centres de rétention, c’est que j’ai l’impression qu’en France aujourd’hui, quand on pense que pour les petites peines, la rétention n’est pas la solution, la seule chose qu’on imagine et qui vienne à l’esprit comme alternative à l’incarcération, c’est le bracelet électronique et c’est dramatique.
C’est la même chose pour les migrants, pour lesquels on imagine remplacer les centres de rétention par un bracelet GPS. Donc, c’est un pur réflexe qui s’est créé, alors qu’il n’y a aucune évidence là dedans. Il y a d’autres solutions qui peuvent permettre d’être assez satisfaisantes aussi en termes sécuritaires si on veux que ces types de réflexes là, qui sont en fait des réflexes cohérents puisque on est toujours dans la contrainte spatiale-carcérale. C’est sortir de la contrainte spatiale-carcérale qui supposerait un effort à la fois politique et intellectuel un peu plus grand, mais on est dans le même schéma. Après, le travail des contrôles et des contrôleurs, il est extrêmement important mais c’est vrai que c’est insuffisant.
Mathieu VIDAL (enseignant-chercheur en géographie au CUFR d’Albi):
Juste pour l’anecdote, je me souviens d’un article que je donnais en TD sur les mobilités et qui illustrait la complexité des échanges entre pays, et notamment la question des centres de rétention ; l’article en question relatait le fait qu’une patrouille de gendarmerie française du Nord-Pas De Calais qui, il y a quelques années, s’était fait prendre par la police belge en flagrant délit en train de reposer des clandestins sur le territoire belge. Cette patrouille avait trouvé plus simple de prendre un petit chemin vicinal pour reposer les clandestins sur un territoire administré par la Belgique, pour que ce soit la Belgique qui gère le cas de ces personnes en situation irrégulière.
Et pour rebondir sur ce que vous avez dit juste avant, est-ce qu’il y a une corrélation entre l’augmentation du nombre de bracelets électroniques et l’augmentation des peines en France et du coup, le manque de places en prison ? Je crois qu’il y a 45 000 places. Ou est-ce qu’il n’y a aucun rapport et est-ce que l’augmentation du nombre de bracelets électroniques vient d’une autre philosophie ?
Olivier RAZAC :
On est là sur une question cruciale puisque la question de l’alternative à l’incarcération et leur évaluation politique dépend entièrement de leur nature d’alternative, de leur degré d’alternative. Pour le bracelet c’est très compliqué parce que ce n’est pas un objet mesurable, c’est-à-dire qu’on ne peut pas mesurer le degré d’alternative du bracelet, puisque formellement, juridiquement, le bracelet est une alternative à l’incarcération. C’est une peine de prison ferme qui est modulée en bracelet électronique. Les études à la fois internationales et les études françaises montrent quand même qu’il y a un doute très fort sur l’aspect alternatif à l’incarcération de ces mesures parce que les personnes concernées (je ne parle que du PSEM et du PSE fixe), primo délinquants, primo incarcérés, petites peines avec des garanties de représentation enfin et puis de socialisation et de normalisation assez forte, donc d’insertion : logement, travail la plupart du temps, font que ce profil socio-pénal correspondait avant le bracelet électronique essentiellement à des sursis avec mise à l’épreuve. Ce qui veut dire que de ce point de vue-là, le bracelet remplace plus un sursis avec mise à l’épreuve qu’une incarcération, c’est-à-dire qu’il est plus contraignant et qu’il correspond bien à ce qu’on appelle une inflation du filet pénal.
Et d’ailleurs, au moment où le bracelet a été discuté au niveau parlementaire, et à l’intérieur de la direction de l’administration pénitentiaire (il y a un article très intéressant de Georges Froment sur ce sujet qui a été interroger les cadres de l’époque), il y avait ce double discours. Un discours de gauche pour vendre les bracelets électroniques, c’est-à-dire alternatifs à l’incarcération. Il n’y a pas longtemps, j’entendais encore Badinter dire ça et ça m’attriste. C’est un manque de lucidité qu’il avait déjà dans les discussions avec Foucault dans les années 1970. Et puis, de l’autre côté, il y avait un discours de droite qui consistait à dire que le bracelet électronique va permettre de faire des sursis avec mise à l’épreuve effectivement contraignante alors que sinon, ils sont dans la nature, ils font ce qu’ils veulent et ce n’est pas une vrai peine. Donc, on va contrôler électroniquement les sursis avec mise à l’épreuve, ce qui n’a plus rien à voir avec une alternative à l’incarcération.
Il y a un rapport canadien de 2000 qui dit bien de faire attention avec le bracelet électronique et l’argument qui a frappé les politiques à l’époque, ce qui a freiné l’adoption du bracelet au Canada, c’est que plutôt que de s’arrêter aux économies réalisées par les bracelets par rapport aux places de prison, il convient de réaliser que le bracelet n’est pas alternatif mais essentiellement itératif, c’est-à-dire « en plus de », et pour le coup le bracelet électronique coûte de l’argent, puisque c’est plus cher qu’un sursis avec mise à l’épreuve.
(Première publication le 10 janvier 2012, à l’url http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=2337)