Café géographique à Toulouse le 16.10.13
par Isabelle Sourbès-Verger
Géographe spécialiste des politiques spatiales, chercheur au CNRS, Isabelle SOURBÈS-VERGER est directeur-adjoint du centre Alexandre Koyré (EHESS, CNRS). Ses travaux portent particulièrement sur la comparaison internationale des politiques spatiales à partir de l’analyse de leurs priorités nationales et des relations entre acteurs dans la mise en œuvre des politiques d’occupation de l’espace circumterrestre.
1.1. Pourquoi « Géopolitique » de l’espace ?
« L’espace » est né en 1957, en pleine guerre froide, et les premières grilles d’analyse utilisées sont liées à la relation conflictuelle entre les deux blocs, donc à la géopolitique de l’époque. L’espace est par ailleurs alors associé au nucléaire, comme outil supplémentaire de puissance et comme moyen de renforcer l’image régionale et internationale d’un pays.
L’accès aux sources
Il est en fait très facile car depuis 1957 tous les satellites sont immatriculés par année et enregistrés auprès de l’UIT (Union internationale des télécommunications) qui coordonne toutes les fréquences. Sur les tableaux de l’UIT, on trouve le n° dans l’année, le pays lanceur, les caractéristiques de l’orbite et des commentaires sur la mission du satellite.
En 1987-88, il y a déjà 3000 satellites, mais la rubrique « commentaire » est peu renseignée, sauf pour les missions civiles (scientifiques, télécommunication, etc.). Dans les années 60, il s’agit donc de missions militaires, très nombreuses surtout en URSS, le plus souvent de courte durée (une semaine par exemple) à cause du problème de la transmission des données : les pellicules dans leurs capsules doivent être récupérées sur terre en URSS, et aux USA dans l’atmosphère (filets trainés par des avions) ou sur mer (navires et sous-marins). Jusqu’en 1972, on admire l’exploit technique, mais sans s’interroger à l’utilisation des données, personne ne reconnait faire de l’observation de la terre par satellite, c’est-à-dire de l’espionnage. Le programme américain s’appelle pourtant KH (Key Hole, trou de serrure) et l’URSS proteste contre la violation de sa souveraineté nationale puisque les satellites « survolent » le territoire soviétique. Mais on n’admet pas qu’ils puissent prendre des images et Gagarine, qui dit n’avoir pas vu Dieu dans l’espace, ne reconnaît pas avoir vu la terrelors de ses premières déclarations,
Le lien historique entre spatial et nucléaire
Dès 1947, avant même la conquête spatiale, les USA cherchent à cartographier l’URSS dans le but d’une éventuelle agression nucléaire : les avions sont trop vulnérables, d’où l’idée de recourir à un satellite à défilement. L’Année géophysique internationale donne un habillage scientifique à ce projet d’espionnage militaire.
L’URSS y annonce pour 1955 l’envoi d’un satellite. Alors que les USA disposent de bases militaires en Europe d’où atteindre facilement l’URSS, celle-ci a besoin de chercher un moyen de transporter une bombe outre Atlantique : un missile intercontinental muni d’une capsule et propulsé dans l’espace devient alors un lanceur. Sur une fréquence radio amateur, le « bip-bip » est audible sur toute la terre et la psychose d’une possible attaque nucléaire soviétique par satellite envahit l’Amérique. Pourtant l’idée de lancer une bombe nucléaire par satellite est très risquée : accident au lancement, retombée aléatoire.
L’instrumentalisation géopolitique de l’espace
L’instrumentalisation de la menace nucléaire crée un consensus, dès l’origine, sur le caractère géopolitique de l’espace. Ce consensus réapparait régulièrement, sous d’autres formes de menace : le Japon lance un satellite en 1970, qui n’est pas considéré comme inquiétant, alors que le satellite chinois de 1972 l’est. L’Iran lance son premier satellite en 2012, c’est considéré comme une menace alors que l’on sait qu’il travaille sur les sondes spatiales depuis 40 ans. Le satellite de la Corée du nord est forcément militaire car il ne peut avoir d’autre mission que de menacer le monde et de crédibiliser son image de grande puissance agressive, mais celui de la Corée du Sud passe inaperçu. L’ONU condamne la première, et pourtant le traité international de 1967 dit bien que tous les pays ont droit d’utiliser l’espace.
La relation entre espace et géopolitique repose sur la notion de menace, alors qu’il peut y avoir de vraies logiques nationales pour utiliser l’espace : ainsi un grand pays comme l’Iran a réellement besoin de télécommunication et d’observation de son territoire, et dispose d’une communauté scientifique ancienne et compétente. Le caractère géopolitique de l’espace tient au contexte historique réactivé aujourd’hui, mais aussi à la dimension forcément planétaire des satellites. D’où la perception méfiante des populations, mais aussi des médias : le spatial est un outil, il est instrumentalisé.
Exemple d’instrumentalisation : la Chine envoie un homme dans l’espace en 2003, depuis Baïkonour et avec des technologies russes (que nous utilisons aussi pour la station spatiale internationale). Depuis 10 ans le programme chinois est annoncé et connu, mais le lancement en 2003 fait scandale, alors qu’il est à peu près l’équivalent de l’exploit de Gagarine… en 1961. Les journaux chinois se félicitent d’abord que la Chine soit devenue la 3° puissance spatiale mondiale (ce qui est vrai), puis publient les commentaires américains (la Chine menace la prééminence américaine) : même surévaluation que celle du spoutnik en 1957.
1.2. Les capacités spatiales dans le monde
Essai de typologie
Les Etats-Unis viennent largement en tête à tous les niveaux. L’espace est pour eux la nouvelle frontière au XX° siècle et les moyens budgétaires engagés sont énormes dès 1957 : 34 milliards de $ aujourd’hui, dont la moitié pour le militaire. Les résultats sont des sauts technologiques extraordinaires et la puissance militaire (déplacement des troupes, frappes ciblées, etc.), mais aussi d’importantes marges bénéficiaires pour les industries spatiales américaines.
Au 2° rang, la Russie ou l’Europe ? Tout dépend des critères retenus car leurs choix sont différents. Peu de spatial militaire dans les deux cas, et des budgets réduits par rapport aux USA : 6 et 4 milliards $.
Vient ensuite le Japon plutôt que la Chine : le Japon récupère des échantillons sur un astéroïde pour les analyser, crée un système de navigation original, cartographie la lune, mais n’a pas de spatial habité. Il ne vise pas la puissance militaire mais la prééminence de la haute technologie, ce qui est moins spectaculaire que l’envoi d’homme dans l’espace par la Chine.
Qu’est-ce qu’une puissance spatiale ?
Est-on une grande puissance parce qu’on envoie une sonde hors du système solaire ou un homme dans l’espace ? Faut-il placer en tête la priorité du militaire sur le civil ou l’inverse, quand on sait qu’ils utilisent tous les deux les mêmes satellites ? Seuls les Etats-Unis et la Russie, et en 3° lieu l’Europe, ont la gamme entière des applications : scientifiques, militaires et civiles, exploration automatique de la terre, télécommunication et navigation (mais seuls les deux premiers la maîtrisent).
Le principal critère est en réalité l’image et le prestige du pays lanceur : le spatial se justifie toujours parce qu’il apporte à l’image d’un pays, à la fois sur le plan national et international. Le Japon, pour mettre en avant son excellence technologique, construit un lanceur trop coûteux mais qui a un grand impact en termes d’image sur le plan national (pas international). A l’inverse, le Brésil, où la notion d’image nationale n’est pas cruciale, n’a pas de volonté politique et budgétaire pour le spatial : il fabrique (avec les Chinois) d’excellents satellites mais n’a toujours pas de lanceur. La Corée du sud met l’accent sur l’excellence technologique spatiale afin de montrer qu’elle est plus proche du Japon que de la Chine.
Autre critère, qui fait que l’Inde et la Chine sont proches l’une de l’autre : le besoin de reconnaissance. Le spatial est pour eux un moyen de devenir des pays totalement développés (et non en voie de développement). Pour l’Inde notamment, l’insuffisance des infrastructures terrestres est compensée depuis 20 ans déjà par la télématique (téléenseignement et télémédecine). Informatique, électronique, spatial sont des moyens de rattraper (catch up) l’étape sautée du XIX° siècle européen. La Chine notamment veut devenir un pays à part entière dans un projet spatial international.
La notion de puissance spatiale se décline de façon différente d’un pays à l’autre, non pas sur le modèle américain prédominant, mais en fonction de ce qu’un pays est capable de faire et de ce que le spatial lui apporte. Pour Obama, est-il plus important d’aller sur Mars ou de réussir la réforme de la sécurité sociale ?
Le cas de l’exploration spatiale
Exploration automatique ou humaine ? L’envoi par les USA d’un homme sur la lune (21 juillet 1969) est une rupture dans l’histoire spatiale et place les Etats-Unis en tête de l’exploration spatiale : il apparaît désormais que ce pays a vocation naturelle à la conquête spatiale. Aussitôt se pose la question de la télécommunication et des satellites de télévision : l’essentiel est de voir.
Les Chinois veulent-ils aller sur la lune ? Ils n’ont pas le choix du lieu, il n’y a que la lune comme satellite de la terre. La Chine n’a toujours pas déclaré officiellement son intention d’y aller et se contente d’une exploration automatique de bonne qualité. Mais elle y pensait au moment où Bush junior lançait l’idée d’un 2° envoi : une sorte de fausse compétition s’installait jusqu’à ce qu’Obama arrête le programme lunaire pour envisager un programme Mars. Alors la Chine programme une station spatiale, nécessaire pour préparer les cosmonautes à aller vers Mars. On voit ainsi à quel point la valeur du spatial est liée au contexte international, à la communication et donc à l’imaginaire.
Débat
1.1. Quels sont les acteurs du spatial dans les pays concernés ?
Isabelle Sourbès-Verger : On retrouve les mêmes acteurs dans tous les pays :
–les scientifiques, peu nombreux sauf aux Etats-Unis : une communauté bien constituée qui échange à l’échelle internationale.
–les ingénieurs ont le rôle le plus visible : fabriquer des lanceurs et des satellites utilisés dans un milieu hostile.
–les industries : industries d’état en Russie et en Chine, industries privées aux USA mais financées à 80% par l’état. Un secteur protégé dans tous les cas. Les satellites de communication sont un marché bénéficiaire dans le monde avec 80% des profits du spatial, mais seulement 20% du budget.
– les finances sont abondantes : en France, le budget du CNES (spatial) ne diminue pas dans celui du CNRS qui diminue. En Russie, l’armée joue un rôle majeur. La Chine sépare le spatial militaire du spatial civil (télécom, contrôle d’internet, etc.). Au Japon, pour la 1° fois, l’Etat investit dans le spatial après le tir d’un missile de la Corée du nord.
1.2. Qu’en est-il des armes anti-missiles et de leur impact en termes d’image ?
I.S.V. : armes anti-missiles et anti satellites vont de pair, un missile étant destiné à détruire un satellite. La question est posée dès les années 60 du contrôle de l’espace : le traité de 1967 instaure la liberté d’utilisation de l’espace, mais n’envisage pas la légitime défense. Qui en décide ?
Problèmes: seuls la Russie et les USA savent où se trouvent tous les satellites autour de la planète et peuvent se protéger, l’Europe ne connaît que ceux qui la survolent. La Russie a peu de satellites militaires à la différence des USA et semble peu menaçante. La Corée du nord a peu de satellites mais peut menacer ceux des autres pays. Le nombre des satellites est très élevé pour une même tâche : 45 pour le GPS, ce qui suppose 45 missiles pour détruire complètement le système.
D’où une situation inextricable : les USA refusent l’interdiction des armes dans l’espace, que Russie et Chine réclament, et ces derniers se prévalent du refus américain pour les utiliser. La Chine notamment, à titre d’expérience, envoie un missile qui détruit un de ses propres satellites, inondant l’espace de débris dangereux. Ce qui renforce la position des USA en faveur des armes spatiales et les autorise à détruire un de leurs satellites rentré trop tôt dans l’atmosphère et considéré comme dangereux. L’Europe propose un code de bomme conduite peu contraignant, mais surveille l’espace au cas où…
1.3. Qu’en est-il du lanceur américain ?
ISV : Les Américains se concentrent longtemps sur la navette spatiale, ce qui permet à l’Europe de développer les lanceurs Ariane et de conquérir des marchés. Ils reviennent aujourd’hui aux lanceurs classiques et mettent au point de nouveaux lanceurs moins coûteux. Ils autorisent aux seuls pays amis l’utilisation de lanceurs comportant des composants américains.Le marché des lanceurs est difficile : l’Europe utilise des lanceurs russes car ils sont moins chers et s’inquiète de la concurrence des nouveaux lanceurs américains subventionnés par l’Etat.
1.4. Les débris dans l’espace ?
ISV : Chaque tir provoque des débris, dont une partie brûle dans l’atmosphère. Les lanceurs russes font moins de débris que les lanceurs américains mais sont plus nombreux, pourtant les débris américains sont plus nombreux que les débris russes.
Le problème des débris réside dans leur nombre, leur taille et leur vitesse : pour les assurances, quel est le taux de probabilité d’un accident ? A qui l’attribuer ? Qui est responsable ?
Les satellites géostationnaires (télécom, météo, observation de la terre) sont souvent abandonnés dans l’espace, ils dérivent et s’agglutinent. Comment les récupérer ? Un camion poubelle ? Mais quels débris ramasserait-il ? Qui va payer ?
1.5. Les Etats-Unis peuvent-ils vraiment faire aussi bien avec moins d’argent ?
ISV : L’armée américaine se plaint que les satellites qu’on lui fournit sont trop sophistiqués pour l’usage qu’ils en font : il y a là une possibilité de réduire les coûts sans réduire la qualité. Le coût du lancement est depuis 1957 lié à la propulsion, il y a des progrès à faire dans ce domaine.
Compte-rendu réalisé par Jean-Marc PINET
Je suis inquiet de la caution « recherche et démarche scientifique » sur ce texte qui mélange de manière peu scientifique des données historiques (réelles ou inventées), des intentions prètées aux acteurs et décideurs des programmes spatiaux non étayées, des confusions de missions dans différentes activités et axe l’ensemble de cette présentation sur des hiérarchisations d’objectifs et de capacités non stucturées. Bien que certaines des conclusions soient pertinentes et bien connues, la démarche ne relève ni d’une véritable approche historique, ni d’une analyse d’un point de vue géographique qui prenne en compte les spécificités de chaque état ou associations d’états dans les choix de programmes et d’utilisation de l’existant pour les besoins institutionnels et/ou économique dans chaque cas.