La mondialisation des pauvres, loin de Wall Street et de Davos ?

Présentation par Olivier PLIEZ, Directeur de Recherche CNRS au LISST, Université Toulouse – Jean Jaurès

Ce Café Géo a eu lieu le mercredi 10 octobre 2018 à la Brasserie des Cordeliers à Albi à partir de 18h30.

Présentation problématique :

La mondialisation ne se résume pas au succès de quelques multinationales et à la richesse d’une minorité de nantis. Les acteurs les plus engagés dans la mondialisation demeurent discrets, souvent invisibles. Depuis une trentaine d’années, les routes de l’échange transnational ont connu de profondes mutations. Elles relient aujourd’hui la Chine, souvent considéré comme « l’atelier du monde », à un « marché des pauvres » fort de quatre milliards de consommateurs, qui recoupe généralement les Sud. Pour apercevoir ces nouvelles « Routes de la Soie », il faut se détacher d’une vision occidentalo-centrée et déplacer le regard vers des espaces jugés marginaux, où s’inventent des pratiques globales qui bouleversent l’économie du monde. On découvre alors une « autre mondialisation », vue d’en bas, du point de vue des acteurs qui la font.

Compte-rendu :

Compte-rendu réalisé par Elouan LE POUAHER et Antoine BEDU, étudiants en première année de licence d’histoire, repris et corrigé par Thibault COURCELLE et Mathieu VIDAL, enseignants-chercheurs, co-animateurs des Cafés Géo d’Albi.

Eléments de la présentation :

Olivier Pliez a choisi pour cette présentation le titre La Mondialisation des pauvres loin de Wall street et Davos, titre tiré d’un ouvrage qu’il a lui-même coécrit avec Armelle Choplin et publié en février 2018 aux Editions du Seuil, dans la collection « La République des idées ». Il tente une approche différente de la mondialisation en elle-même. Le monde décrit par le rapport de la commission Brandt en 1980, commission indépendante initiée par l’ex-chancelier social-démocrate allemand Willy Brandt, est divisé en deux pôles : le Nord est riche et industrialisé alors que le Sud est en marge.

La vision des choses depuis 1980 n’a pas tant changé que cela, alors que le monde évolue :

  • D’abord, nous devrions dire qu’il y a des « Nord » et des « Sud » car certains pays émergents comme les membres des BRICS (groupe rassemblant le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud) ont un niveau de vie et des structures sociales et économiques qui leur permettent de rivaliser avec certains pays développés. Ces pays émergents sont devenus des moteurs économiques de la mondialisation. Certains ont même pris les premières places dans les exportations énergétiques et dans les exportations de produits manufacturés à l’instar de la Chine et d’autres Etats d’Asie orientale et du Sud.
  • D’autre part, certains pays africains ou asiatiques ont réussi à entrer dans la mondialisation grâce à l’exportation de marchandises alimentaires, énergétiques, etc.

Dans le monde actuel, des PMA (les pays les moins avancés) restent cependant en marge des échanges et sont très loin de s’être intégrés à la mondialisation.

Ainsi, notre point de vue doit être modifié concernant la mondialisation des pauvres.

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Le partage du Nil

Retrouvez l’article de Bernard Charlery de la Masselière (Professeur de géographie à l’UTJ2), tenant lieu de compte rendu de son café géographique “Le partage du Nil”, présenté le 25 mars 2015 à Toulouse.

L’article est téléchargeable au format PDF (1,5 Mo) : afrique-de-l-est-et-question-du-Nil.pdf

Sahel / Sahara, quelques clés de lecture de multiples interfaces

Café géographique de Toulouse, le 18 octobre 2017, avec Anne-Marie FREROT (Professeur de géographie, Université de Tours)

Il s’agit de déconstruire les clichés véhiculés par les médias, les oppositions trop faciles, les images fausses, bref les représentations erronées de ce territoire.

NOIRS/BLANCS

Un Targui ou un Toubou ont une couleur de peau bien noire, mais ils se définissent eux-mêmes comme « blancs ». Sahel et Sahara sont à la charnière du « Pays blanc » (Trab al Beydan) et du « Pays noir » (Trab as-Soudan).

Figure 1 Enfants

SAHEL/SAHARA

Ce sont deux ensembles territoriaux en continuité, situés entre les isohyètes 0 mm par an au Sahara et 600 mm au sud du Sahel. Il n’y a pas de rupture, mais un passage progressif, variable en latitude selon la pluviosité annuelle.

Sahel signifie « rivage », car le Sahara était représenté comme une mer par les voyageurs arabes ou portugais. Il s’étend sur 5500 km de l’est à l’ouest et 400 km du nord au sud. Comment le situer géographiquement : fait-il partie de l’Afrique du Nord, de l’Afrique occidentale, de l’Afrique subsaharienne, de l’Afrique tropicale ? Ces catégories ne sont pas adéquates pour le Sahel. De même, il ne tient pas compte des frontières des 14 pays qu’il traverse.

Sahara signifie « vide » en arabe, mais les Touareg l’appellent Ténéré quand il s’agit d’un erg (sableux) ou Tanezrouf quand il s’agit d’un reg (rocailleux) : pour un Saharien, c’est un grand pays mystérieux, dangereux, sans eau et peuplé de djinns. Aujourd’hui un espace de prédilection pour se cacher : bandits, terroristes. Rien à voir avec les représentations touristiques des Européens.

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Claude Simon : géographie de la mémoire

Café géographique du 25 janvier 2017,
animé par Jean-Yves LAURICHESSE
(Professeur de Littérature à l’Université de Toulouse 2 Jean-Jaurès)

Retrouvez les diapositives de présentation de ce café géo au format PDF (3 Mo)

Claude Simon naît à Tananarive en 1913 et meurt à Paris en 2005. Il est l’auteur d’une œuvre abondante (La Route des Flandres en 1960, Histoire en 1967, L’Acacia en 1989, Le Jardin des plantes en 1997…) couronnée par le prix Nobel de littérature en 1985. Ses œuvres en deux volumes sont publiées dans la bibliothèque de la Pléiade. Il dit lui-même composer des « romans à base de vécu ». Comme il l’évoque dans « Lieu » en 1977, tout paysage s’assimile chez lui à un « paysage intérieur » :

« Tout spectacle, tout paysage […] qui font l’objet d’une description (ou d’une peinture) sont, […] avant tout, la description (ou la peinture) de l’univers particulier et constitutif de celui qui tient la plume ou le pinceau ».
(Claude Simon, « Lieu », 1977)

L’œuvre de Claude Simon, qui prête ainsi une attention toute particulière à l’espace du dehors et aux paysages, interroge le rapport entre la géographie et la mémoire. Le parcours proposé ici s’organise en cinq étapes qui permettent de prendre en considération à la fois une géographie du vécu, à travers certains éléments biographiques, et une géographie de la fiction qui met davantage l’accent sur le contenu des œuvres.

1. Initiations

Claude Simon est comme sensibilisé à l’histoire par la géographie. Son plus lointain souvenir d’enfance est la recherche, avec sa mère et ses tantes, de la tombe du père dans les anciens champs de bataille de la Grande Guerre Par son travail littéraire, il relève les empreintes des conflits sur les paysages, les traces de la guerre. Il met ainsi en relation le conflit et la terre, l’activité militaire et l’activité agricole :

« […] il pleuvait sur le paysage grisâtre, le cercle de collines sous lesquelles achevaient de pourrir les corps déchiquetés de trois cent mille soldats, sur les champs grisâtres, les maisons grisâtres – ou plutôt ce qu’il en restait, c’est-à-dire comme si tout, collines, champs, bois, villages, avait été défoncé ou plutôt écorché par quelque herse gigantesque et cahotante […]. »
(L’Acacia, p. 19)

Né à Madagascar, Claude Simon, après la mort de son père à Verdun en 1915, est élevé par sa mère, issue d’une famille catalane, à Perpignan. Il met ainsi en dialogue ses deux pays d’enfance :

« Vivant la majeure partie de l’année dans un pays méditerranéen, je quittais quelques semaines, l’été, cet univers un peu emphatique, éblouissant de lumière, desséché et poussiéreux, sa mer trop bleue, son ciel trop bleu, pour leur contraire : un monde à la fois simple et enchanté, verdoyant, aux forêts humides, aux mousses, aux senteurs de foin et d’herbe coupée, aux prés émaillés de fleurs, aux eaux vives. Peut-être, en dehors d’autres facteurs affectifs, […] n’avaient-ils (n’ont-ils encore) tant de prix pour moi que parce qu’ils m’apparaissaient comme la matérialisation soudaine, passagère, annuelle et éphémère d’entités qu’autrement je ne connaissais que par mes lectures, comme les forêts des contes de fées, ces glaciers ou ces déserts mentionnés dans les manuels de
géographie aux chapitres de la Suisse ou de l’Afrique […]. »
(« Lieux »)

Les deux univers s’opposent sur le plan géographique, mais aussi sur le plan des valeurs. D’un côté, un univers de l’excès, de l’autre, un univers enchanté. Les « facteurs affectifs » dont il est question correspondent au lien paternel : le père donne au pays un surplus de prestige. Le contraste entre les deux pays apporte à l’enfant une expérience géographique et un savoir vécu, non livresque, qui s’apparente à une expérience du « dépaysement » (pour reprendre le titre du livre de Jean-Christophe Bailly). Mais la géographie de l’enfance est aussi une géographie sociale qui est marquée par une différence de classe qui joue dans le contraste. Dans les deux cas, il existe bien un rapport à la terre mais, d’un côté, il s’agit d’un domaine viticole de grand propriétaire terrien, un peu décadent, de l’autre, d’une petite propriété de paysans qui se tuent à la tâche.

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Les sociétés littorales face au défi du changement climatique (Vidéo)

Retrouvez en vidéo le café géographique de Toulouse du 16 décembre 2015, sur le thème « Les sociétés littorales face au défi du changement climatique », avec Virginie Duvat (Professeure de géographie à l’Université de la Rochelle,
Membre du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat – GIEC).

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• Vidéo à visionner sur Canal-U :
https://www.canal-u.tv/video/universite_toulouse_ii_le_mirail/les_societes_littorales_face_au_defi_du_changement_climatique_virginie_duvat.20250

Des bourgs aux métropoles : l’habitat au centre ancien

Café géographique à Toulouse le 13.04.2016,
avec Fabrice Escaffre (Géographe, Maître de Conférences en Aménagement et Urbanisme, Université Toulouse Jean-Jaurès, LISST-Cieu).

  1. Pourquoi s’intéresser aux centres urbains ?

Depuis les années 70-80, les centres urbains, ou centres anciens, ou centres ville, connaissent une mutation profonde liée au passage de la ville à l’urbain. La ville s’étend, de nouvelles centralités apparaissent autour de polarités de commerces, d’emplois et de loisirs, renforcés par l’étalement résidentiel. Les espaces urbains deviennent polycentriques dans les métropoles, mais aussi dans les petites villes comme Condom (Gers) où se développent, autour du centre historique ancien, des centres nouveaux d’activité qui le concurrencent.

En même temps, la fonction résidentielle de ces centres anciens devient problématique : faut-il en faire des villes musées autour du patrimoine historique ? Ou des centres commerciaux attractifs à force de piétonisation et de terrasses ? L’habitat devient sélectif dans les métropoles en fonction des revenus et de l’âge, ou bien il est abandonné dans les petites villes où on ne compte plus les logements vacants (jusqu’à 20%). L’offre d’accès au logement se développe à la périphérie : quel sens a alors la fonction d’habitat dans les centres anciens ?

Comment définir les centres anciens à l’heure de la mobilité ? La morphologie urbaine (les boulevards) ne suffit plus Les périmètres retenus par les politiques de la ville (OPAH, territoires prioritaires, etc.) sont très variés, englobent parfois le péricentre moins ancien mais qui connaît les mêmes problèmes. Comment les centres anciens sont-ils vécus ? Font-ils quartier ? Les modes d’habitat sont en fait multiples avec les déplacements quotidiens actuels.

Quelle est la situation de l’habitat en centre urbain : sélection ou abandon ? Qui vit en centre-ville, et qui n’y vit pas ? L’image d’un peuplement mixte est-elle encore valable ? Veut-on y rester ? Les jeunes couples s’installent au centre, mais le quittent dès le premier enfant, dont les enfants n’auront pas connu le centre-ville : ne pas rester est devenu une sorte de réflexe. Quelles mobilités : voiture ou transport en commun ? Ces derniers existent bien dans les métropoles, mais les citadins des villes petites et moyennes sont forcés de recourir à la voiture pour accéder aux activités périphériques car on ne peut pas y développer les transports en commun. Comment travailler sur les centres ville ? Les programmes d’amélioration de l’habitat (OPAH) semblent à bout de souffle.

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Violence politique au Burundi ou l’impossible démocratisation

Ce café géographique, programmé le mercredi 25 novembre 2015, a été animé par Aloys NDAYISENGA, chef du département de géographie de l’université de Bujumbura. En 2010, il a soutenu une thèse intitulée « La reproduction d’un système paysan à travers les revenus extérieurs à l’exploitation : le cas de la région du Bututsi au Burundi ». Elle a été réalisée au laboratoire « Dynamiques Rurales », à Toulouse.

Introduction

Petit État de la région des grands lacs (environ 28 000 Km²), le Burundi est peu connu des Français et des Européens en général. Cette méconnaissance est même utilisée à des fins comiques : à la fin du film à succès « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu », Christian Clavier présente son acolyte, avec lequel il voyage en fraude dans un train de la SNCF, comme le ministre des finances burundais ! De façon moins « légère », les Occidentaux se souviennent que deux de ses principales composantes « ethniques », les Hutus et les Tutsis, se sont affrontés dans un génocide particulièrement meurtrier dans la première moitié des années 1990. Ils ont découvert plus récemment, et en même temps que les membres de la diaspora vivant sur le « Vieux Continent », le déclenchement d’une nouvelle crise politique, dont les origines semblent se trouver dans la réélection contestée de Pierre Nkurunziza, en 2015. L’objet de ce café géographique était donc de débattre et d’apporter, en toute modestie, quelques pistes d’interprétation de ce blocage politique. Deux questions ont guidé le propos de l’intervenant et structurent ce compte-rendu : Pourquoi le « pays des mille collines » fait-il face à un nouveau cycle de violence, après ceux de 1972 et 1993 ? Et quelles sont les perspectives d’accalmie à moyens termes ?

Un territoire élevé, sous-urbanisé et uni autour d’une langue

En se limitant aux aspects généraux, le Burundi peut être subdivisé en trois grands ensembles topographiques :

  • L’Ouest du pays est cisaillé par une profonde ride, dans laquelle se trouvent le lac Tanganyika et la capitale : Bujumbura. C’est une partie du « Rift Albertien », appelée localement Imbo, et dont l’altitude n’excède jamais 1000 mètres.
  • Cette dépression est interrompue vers l’Est par une crête acérée, qui présente les plus hauts sommets du territoire (les massifs du Heha, du Teza ou encore du Twinyoni culminent tous à plus de 2600 mètres) et sépare le bassin hydrographique du Congo de celui du Nil.
  • La crête Congo-Nil est raccordée à l’Est du pays par des plateaux, qui s’affaissent doucement en direction de la frontière tanzanienne. Les « cuvettes » du Bugesera et du Kumoso, situées aux confins orientaux du territoire, ne dépassent pas 1400 mètres d’altitude.

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L’impact migratoire du changement climatique au Burkina Faso

Café géo Toulouse 30.03.16
avec Véronique Lassailly-Jacob, professeur émérite de géographie à l’Université de Poitiers

Rappelons que la COP 21 (novembre 2005) s’est terminé par un accord sur trois points :

  • Réduire la production des gaz à effet de serre pour ne pas dépasser une augmentation de température de 1,5°.
  • Accélérer la transition énergétique (énergies renouvelables, etc.).
  • Promouvoir une « justice climatique ».

Ne pas respecter rapidement cet accord, c’est prendre le risque de migrations climatiques massives en provenance d’une part, des îles basses et des grands deltas, inondés à cause de l’élévation du niveau des mers et d’autre part, des zones tropicales sèches et arides désertifiées par les sécheresses.

Migrations environnementales et migrations climatiques

On compte officiellement (Norwegian Refugee Council) plus de 19,3 millions de déplacés environnementaux en 2014, victimes de catastrophes brutales (inondations, séisme, tsunamis, etc.). Ce chiffre de 19,3 millions est sous-estimé puisqu’il ne comprend que les déplacés environnementaux. Il ne prend pas en compte les migrants, victimes de dégradations lentes de l’environnement (élévation lente des eaux, érosion des côtes, désertification progressive, etc.). Ces migrants sont difficiles à comptabiliser, contrairement aux précédents.

  • Être déplacé signifie être forcé à fuir et demeurer à l’intérieur du pays, ce qui est le cas de la majorité des migrants environnementaux,
  • Être réfugié signifie migrer sous la contrainte à l’extérieur du pays, ce qui ne concerne qu’une minorité des migrants environnementaux.
  • Être migrant signifie être acteur de son déplacement.

La notion de migration environnementale a été introduite par l’ONU lors du 1er sommet de la Terre à Stockholm en 1972, en lien avec une prise de conscience des dégradations anthropiques croissantes. Celle de migration climatique apparaît plus récemment dans les rapports du Groupe d’experts Intergouvernemental d’Etudes du Climat, le GIEC.

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Littérature et géographie, “Espèces d’espaces”, George Perec, de l’espace au non-lieu.

Café géographique à Toulouse du mercredi 27 janvier 2016, avec Stéphanie Lima (Maître de Conférences, Géographie, Université de Toulouse Jean-Jaurès) et Julien Roumette (Maître de Conférences, Lettres, Université Champollion d’Albi)

Ce soir, un café géographique un peu particulier puisqu’il s’agit de nous pencher sur les liens qui unissent la géographie et la littérature. Nous aborderons cette question à travers l’œuvre d’un auteur, généralement moins connu des géographes que Julien Gracq : Georges Perec.

Julien Roumette

Lecture de l’avant-propos d’Espèces d’espaces

« Vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner. » (Espèces d’espaces, Avant-propos, 1974).

La formule « en essayant le plus possible de ne pas se cogner » est assez étrange. Elle dit que d’une certaine façon, il est inéluctable de se cogner : parcourir l’espace est perçu comme une menace permanente, voire comme une expérience douloureuse. L’espace est un problème.

De plus, l’espace est d’emblée associé au temps. « Vivre, c’est passer d’un espace à un autre ». Non pas être ou perdurer mais passer, d’où une image de précarité, d’instabilité qui est donnée dans cette phrase ; tout espace est provisoire. C’est aussi dire d’emblée une fragmentation. L’espace n’est pas une unité. C’est une image de l’éphémère, et en même temps cela pose un certain degré d’abstraction, comme si un espace en valait un autre. Ce qui est absent ici, c’est l’image du chemin, du parcours, comme s’il n’y avait pas de point d’arrivée. On est dans l’éparpillement, dans les fragments, ce que le plan du livre retranscrit bien, juxtaposant les espaces différents comme autant de petites pièces d’un puzzle.

Table des matières

Enfin, l’imaginaire perecquien est un imaginaire où l’on ne peut modeler l’espace à sa guise. Les espaces sont subis. Significativement, il n’y a pas de sujet dans la phrase, elle est infinitive : qui vit ? Elle efface l’individu. Il s’agit de se faufiler au milieu d’espaces déjà déterminés peut-être par d’autres. Il n’y a pas de conquête de l’espace. L’image qui revient sans cesse dans son œuvre est celle de l’errance, de la déambulation, comme dans Un homme qui dort. Perec n’est pas l’écrivain du vagabondage heureux, il n’est pas Blaise Cendrars, l’écrivain du monde entier, toujours en voyage. Il se confronte plutôt aux lieux qui le menacent.

C’est pourquoi cette photographie, prise sur le tournage de Récits d”Ellis Island, et qui montre Perec assis sur une table dans un hangar abandonné, dit beaucoup de choses sur son rapport à l’espace. La phrase de l’avant-propos définit donc une poétique de l’inquiétude dans l’appréhension de l’espace, ce qui rejoint d’autres de ses formules comme « l’espace est un doute ».

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Périph’Strip

Rando-géo 30.06.2014

Carte topographique IGN au 1/50000°, n°2043 ET, 2010. Les numéros sont ceux de quelques photos.

Carte topographique IGN au 1/50000°, n°2043 ET, 2010. Les numéros sont ceux de quelques photos.

Les textes en italique sont extraits de « Périphérique intérieur »,
publié aux Ed . Wildproject , 2014

Un cercle n’a pas d’origine, on entre sur le périphérique et sur ses marges par le côté : bretelles autorisées pour le premier, mais bris de clôture pour les secondes. Double effraction : de la propriété privée de la Société d’autoroute, et surtout d’un espace inconnu entre rocade et ville, rarement parcouru, vaguement inquiétant, plutôt sans intérêt ou répulsif dans notre imagination.

1. Entrée des artistes

1. Entrée des artistes

Embarqués sur cette terre inconnue que nous refusons de nommer « non-lieu », nous écoutons ce qui vient à nous.

Ce jour-là les paysages sont de larges aplats
Un          deux           trois           quatre
Vous les reliez
atomes disciplinés
mais la matière ici est rompue à toutes les expériences
Vous les traversez

(suite…)

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