Lorsque Pierre Gentelle nous rendit visite pour 4 heures de cours de concours le 9 décembre 2008, dans le cadre de la nouvelle question de programme « Nourrir les hommes », il avait pris un soin méticuleux à se renseigner sur les caractéristiques du CAPES et de l’agrégation, s’inquiétant du décalage entre son année de passage de l’agrégation, fort lointaine, et les réalités actuelles des concours. Son cours « Nourrir le premier peuple du Monde. La Chine face au défi alimentaire », ponctué d’anecdotes et de facéties, avait enthousiasmé les étudiants.
Lorsqu’il revint à Chambéry, c’était pour la 7e édition de notre journée d’études Géo’rizon, le jeudi 17 décembre 2009, consacrée à « l’Asie orientale » et à laquelle il participa aux côtés de Marie-Orange Rivé-Lasan, Philippe Pelletier et Guillaume Giroir. Clôturant la journée, il avait néanmoins captivé l’auditoire, fatigué par une journée bien pleine. Sans Powerpoint ni document, mais avec des images dans les mots, il avait atteint la cible des géographes en devenir. Un sens du verbe et de l’expression qui faisait à chaque fois mouche. Collant au programme de Terminale, cette journée d’études avait pu être suivie, en sus des étudiants, par deux classes de Terminale accompagnées de collègues enseignants du Lycée d’Argonay, près d’Annecy. Les lycéens avaient été fascinés par son sens de la formule, son humour corrosif, son côté « vulgarisateur » (quel mot mal choisi !) dont la géographie a tant besoin, et son comportement de franc-tireur. Ils avaient regretté leur départ vers le bus qui devait les ramener dans les horaires impartis vers leur lycée. Pierre Gentelle m’avait demandé les coordonnées de l’enseignante qui avait fait les démarches, pas toujours simples, auprès de son établissement pour pouvoir emmener ces deux classes à cette manifestation. Il tenait à lui adresser un message directement : « donnez-moi l’adresse de la prof des terminales que je la félicite », et elle reçut effectivement un courriel qui l’a beaucoup touchée.
Il y avait chez Pierre Gentelle cette passion de l’enseignement et de la transmission, une réponse aux diverses sollicitations toujours enthousiaste, sans complication et affichage de titres, un respect pour les étudiants et les petites universités de « province » qui les accueillent.
Si je devais retenir deux choses de Pierre Gentelle, ce serait d’une part le doute, si souvent oublié des chemins académiques pavés de certitudes. Ce serait d’autre part un don de la captation : captation du public et de l’auditoire, comme de ses lecteurs des Lettres de Cassandre, captation des faits essentiels et des articulations majeures, captation des tics, des petits travers de ces contemporains.
Si la géographie a perdu beaucoup avec la disparition de Pierre Gentelle, elle a surtout perdu un de ses meilleurs « médiateurs » ou « passeurs » dans une phase où sa remise en cause comme discipline à part entière est régulière.
Lionel Laslaz
Directeur du Département de Géographie de l’Université de Savoie
2010-10-14 01:35:56