Icônes américaines
Chefs-d’œuvre du SFMOMA et de
La collection FISCHER
Grand Palais
8 avril-2 juin 2015

Andy Warhol, Liz # 6 [Early Colored Liz] © RMN – Grand Palais, Paris 2015

Andy Warhol, Liz # 6 [Early Colored Liz]
© RMN – Grand Palais, Paris 2015

Durant la rénovation du San Francisco Museum of Modern Art, le Grand Palais accueille les œuvres les plus emblématiques du musée ainsi que des pièces de la collection Fisher, dont le SF MOMA est dépositaire.

L’exposition présente 49 œuvres emblématiques de la peinture américaine dans la seconde moitié du XX ème siècle. Quatorze artistes, parfois très célèbres en Europe, (Calder, Lichtenstein, Warhol, Diebenkorn, Chuck Close) sont présents. Ils ont évolué entre peinture et sculpture, entre art abstrait et art figuratif, entre expressionnisme abstrait, pop art et minimalisme. San Francisco vient à vous, allez donc au Grand Palais découvrir ce que l’Amérique contemporaine propose.

Présentation du SF MOMA

SF MOMA, architecte Mario Botta

SF MOMA, architecte Mario Botta

En 1935, c’est le premier musée d’art moderne fondé sur la côte ouest des Etats-Unis, six ans après celui de New York. Tout au long de son existence, cette institution pionnière a pu compter sur la générosité des collectionneurs californiens. En 2009, Doris et Donald Fisher, fondateurs de l’enseigne de vêtements Gap, ont déposé au musée une collection de plus de mille œuvres, pour un siècle. Pour abriter ces collections, l’extension du bâtiment construit par l’architecte Mario Botta et inauguré en 1995, était devenue nécessaire. Elle ouvrira ses portes au printemps 2016. En attendant, une sélection des œuvres navigue à travers le monde et se pose au Grand Palais puis au musée Granet d’Aix-en-Provence [11 juillet au 18 octobre].

L’exposition prend pour point de départ l’œuvre de Calder et celle de Kelly

Alexander Calder et Ellsworth Kelly, par leur exploration inventive de la couleur et de la forme, incarnent les débuts de l’abstraction avant et immédiatement après la Seconde Guerre mondiale.
Alexandre Calder (1898-1976), issu d’une famille d’artistes, a suivi une formation d’ingénieur. Cette combinaison de dons artistiques et techniques lui a permis de créer une œuvre véritablement révolutionnaire. Ses mobiles abolissent la distinction entre deux arts : la sculpture et la peinture. Il utilise les lois de la physique, l’air et le vent, pour faire bouger des œuvres de bois, de fil et de métal. Sa peinture adopte le courant de l’abstraction dès l’après-guerre. Il fait donc partie des précurseurs.

Alexander Calder, Tower with painting -1951-  Collection Doris et Donald Fisher et SFMOMA

Alexander Calder, Tower with painting -1951- 
Collection Doris et Donald Fisher et SFMOMA

Quatre œuvres, datées des années 1940 et 1950, nous accueillent à l’entrée de l’exposition. Accueil très réjouissant !

Calder multiplie des constructions appelées « constellations », « tours » « mobiles » ou « stabiles » lorsque les œuvres sont posées au sol.

Les couleurs vives, le côté ludique des œuvres, délicates et raffinées lui assurent une immense célébrité, aux Etats-Unis autant qu’en Europe où il se rend régulièrement. On retient toujours son souffle lorsqu’on découvre ses œuvres, immédiatement reconnaissables.

Ellsworth Kelly (1923- ) développe une forme d’abstraction ancrée dans son observation de la nature et des architectures. L’intention de l’artiste est de faire en sorte que n’apparaisse dans ses compositions aucune émotivité, aucun psychologisme, aucune trace de quelque pulsion ou impulsion personnelle que ce soit. Il fait un usage subjectif et individuel de la géométrie.

Ellsworth Kelly, Cité -1951- Collection Doris et Donald Fisher et SFMOMA SFMOMA / photo Ben Blackwell.

Ellsworth Kelly, Cité -1951-
Collection Doris et Donald Fisher et SFMOMA
SFMOMA / photo Ben Blackwell.

Ce tableau est composé de 20 panneaux de bois assemblés. Il a été inspiré par un rêve dont s’est souvenu l’artiste après une nuit passée à la Cité internationale universitaire à Paris. Les bordures ondulées des panneaux de bois amplifient le rythme dansant des bandes peintes, en blanc et noir.

L’exposition se poursuit avec des œuvres représentatives de l’abstraction picturale.

L’histoire de l’art mondial de la seconde moitié du XX ème siècle porte la marque de l’Amérique : recherche de moyens d’expression toujours plus directs et efficaces, accents mis sur l’immédiateté, victoire d’un système de valeurs proprement américain. Sophistiquée et colorée, ambitieuse et sûre d’elle-même, la peinture américaine s’est affranchie des modèles européens. Plusieurs courants contradictoires se heurtent pendant cette décennie féconde, dont le pop art [voir ci-après] et des courants plus élitistes. Ces heurts picturaux sont à insérer dans le contexte politique de l’époque.

John Sloan avait dit que les peintres étaient aussi désirables en Amérique que les cancrelats dans les maisons des pionniers qui colonisaient le Far West ! Mais à présent, un président (John Kennedy) reçoit les artistes à la Maison Blanche ! Il s’en suit un raz-de-marée spéculatif… qui dure encore.

Si certains artistes (comme Andy Warhol) se laissent identifier à des articles de consommation courante, d’autres s’y refusent et se tournent délibérément vers un art élitiste qui s’adresse à des critiques d’art et des amateurs avertis. L’hermétisme de cette peinture déconcerte le public, qui ne perçoit pas non plus sa volonté d’élévation morale. Certains critiques insisteront sur errances de ce courant

L’abstraction post picturale est une expression forgée par le critique Greenberg en 1964. Ce courant se développe aux Etats-Unis dans les années 1950-60, dans les peintures singulières de Diebenkorn, Marden, Martin et Twombly. La présence de la main de l’artiste reste importante.

Richard Diebenkorn, Berkeley # 23 -1955- SFMOMA. Don du Women’s Board.

Richard Diebenkorn, Berkeley # 23 -1955-
SFMOMA. Don du Women’s Board.

Quatre œuvres de Diebenkorn sont présentées à l’exposition, qui appartiennent à des séries : Berkeley et Ocean Park. Fortement impressionné par Matisse (1869-1954) Diebenkorn fut longtemps un peintre figuratif avant de passer à l’abstraction.

Ses tableaux ont pour titre les noms des villes ou des quartiers dans lesquels elles ont été peintes. Le dessin est mis à contribution mais seulement pour contenir et structurer les zones de couleur. Les toiles sont travaillées et retravaillées, les lignes, les couleurs, les repentirs, foisonnent jusqu’à provoquer l’émotion du spectateur.

Richard Diebenkorn, Ocean Park # 60 -1973- Buffalo, New York, Albright Knox Art Gallery

Richard Diebenkorn, Ocean Park # 60 -1973-
Buffalo, New York, Albright Knox Art Gallery

Agnes Martin (1912-2004) est un peintre majeur de ce courant pictural à la fois abstrait et minimaliste. Elle a produit des œuvres fondées sur une grille serrée et régulière tracée au crayon puis recouverte de peinture.

Agnes Martin, Falling Blue – 1963- SFMOMA, don de M & Mme Moses Lasky SFMOMA / photo Ben Blackwell

Agnes Martin, Falling Blue – 1963-
SFMOMA, don de M & Mme Moses Lasky
SFMOMA / photo Ben Blackwell

Ses toiles sont carrées, pratiquement monochromes et immenses (presque 2m x 2m).

Elles exigent un effort intense de concentration du spectateur, mais elle lui offre en retour une oasis de tranquillité, loin du bruit et de la fureur du monde moderne.

Cy Twombly (1928- 2011) est un artiste isolé qui a inventé une peinture singulière.

Untitled (Bacchus 1st Version IV) -2004- Doris & Donald Collection, au SFMOMA

Untitled (Bacchus 1st Version IV) -2004-
Doris & Donald Collection, au SFMOMA

Immergé dans la littérature, la poésie et la mythologie antique, l’artiste a élaboré un répertoire de touches frénétiques, de dessins griffonnés en tous sens et de marques ressemblant à des lettres. Ses toiles ressemblent à des graffitis. Elles portent des signes graphiques qui renvoient à la quotidienneté des choses, mais aussi à la mythologie. Elles portent aussi des allusions sexuelles explicites. Tout se combine pour former un univers intemporel où le présent et le passé se rencontrent sur la toile.

Installé dès les années cinquante en Italie, il n’a jamais cessé de voyager, d’expérimenter (photo, sculpture, dessin), pour aboutir à un subtil mélange de classicisme et de surréalisme, éclairé par la lumière de la Méditerranée.

A rebours de ses contemporains, qui s’affranchissaient de l’art européen, Cy Twombly a pris le chemin de l’Italie (dans une campagne reculée) pour revisiter nos mythes fondateurs.

Après l’Allemand Anselm Kiefer et le Français François Morellet, l’Américain Cy Twombly décédé en 2011 est le 3è artiste contemporain à entrer au Louvre. The Ceiling est sa dernière œuvre et vous pouvez la voir tout près de chez vous.

Cy Twombly, The Ceiling -2010- un plafond bleu Giotto pour le Louvre

Cy Twombly, The Ceiling -2010- un plafond bleu Giotto pour le Louvre

L’art minimalisme est largement représenté

L’art minimal américain se propose de concentrer l’attention sur une forme « absolue », qui ne fasse pas référence à des facteurs historiques ou contingents, une forme qui soit au-delà et hors de l’homme. Les artistes minimalistes, au contraire de ceux du pop art, proposent des structures simples et élémentaires, réalisées avec des matériaux bruts. Ils représentent un des courants artistiques majeurs des années 1960-70.

Sol Lewitt (1928-2007)

Sol LeWitt, Wall Grid (3x3) 1966- SFMOMA, Phyllis C. Wattis Fund for Major Accessions SFMOMA / photo Ben Blackwell

Sol LeWitt, Wall Grid (3×3) 1966-
SFMOMA, Phyllis C. Wattis Fund for Major Accessions
SFMOMA / photo Ben Blackwell

Ses géométries dépouillées ont conduit bon nombre d’observateurs à rattacher l’oeuvre de Sol LeWitt au minimalisme. Mais lui affirme « qu’une idée peut suffire à constituer une œuvre d’art ». Sa préoccupation constante est l’interaction entre l’art et l’espace qu’il occupe : au sol ou sur le mur par exemple. Ses œuvres rigoureuses ne sont pas dépourvues de qualités esthétiques et même de beauté formelle.

Dan Flavin (1933-1996)

Il a créé plus de sept cents œuvres d’art à partir d’ampoules et de luminaires fluorescents. Le néon est sa marque de fabrique. Il a transformé le luminaire bon marché en un médium artistique à part entière.

Dan Flavin « monument » for V.Tatlin - 1969- Doris& Donald Fisher au SFMOMA

Dan Flavin « monument » for V.Tatlin – 1969-
Doris& Donald Fisher au SFMOMA

Il dispose des tubes de néon selon des configurations simples, souvent inspirées des premiers peintres modernes tels que Malevitch, Tatlin ou Mondrian. Il utilise exclusivement la lumière pour altérer notre appréhension de l’espace et provoquer une évanescence proche de l’illusion. Cependant, en utilisant des néons, mode d’éclairage lié aux enseignes publicitaires et aux constructions commerciales modernes, Flavin ouvre une voie entre le minimalisme et le pop art.

Donald Judd

Critique et théoricien redoutable, il défend farouchement ses sculptures. Le tout, dans une œuvre d’art digne de ce nom, est plus important que les parties, affirme-t-il !

Donald Judd, Untitled 1973 SFMOMA, achat avec l’aide de fonds du National Endowment for the Arts et des amis du musée. SFMOMA / photo Ben Blackwell.

Donald Judd, Untitled 1973
SFMOMA, achat avec l’aide de fonds du National Endowment for the Arts et des amis du musée.
SFMOMA / photo Ben Blackwell.

Les empilements qu’il réalise, ici acier inoxydable et peinture, sont constitués de matériaux industriels. Il faut supprimer toute trace de la main de l’artiste. Son œuvre apparaît comme l’aboutissement extrême de l’art comme unique sujet légitime de l’art.

Le retour à la peinture figurative à travers l’hyperréalisme

Entre le pop art et l’abstraction picturale prend place, essentiellement dans les années 1970, l’hyperréalisme. Il s’agit d’associer la peinture et la photographie (comme l’abstraction avait associé peinture et sculpture). Le but est de restituer la réalité comme on ne l’avait jamais vue : plus réelle que le réel, hyperréelle. L’exposition nous propose trois œuvres de Philip Guston et trois de Chuck Close.

Le point de départ est une image photographique projetée sur une toile, puis peinte en reproduisant ses plus infimes détails : le résultat est une œuvre qui a perdu le statut de peinture –parce qu’elle reproduit tout ce que l’œil mécanique a « vu », mais qui est tout de même une peinture puisque c’est le peintre qui a passé des heures et des heures a reproduire les détails les plus infinitésimaux afin de rendre la vraisemblance jusqu’à l’impression d’étrangeté et d’hallucination. Il faut donc regarder les toiles successivement de très loin et de très près.

Chuck Close, Robert - 1996-1997 Collection Vicki et Kent Logan, don partiel et promis au SFMOMA SFMOMA / photo Ellen Page Wilson.

Chuck Close, Robert – 1996-1997
Collection Vicki et Kent Logan, don partiel et promis au SFMOMA
SFMOMA / photo Ellen Page Wilson.

L’ensemble des portraits peints par Chuck Close (né en 1940) constitue un panorama du monde artistique dans lequel il a évolué depuis son installation à New York en 1967. L’exposition nous offre Robert (Rauschenberg), Roy (Lichtenstein) et Agnes (Martin). Ces deux derniers artistes sont également à l’honneur dans les salles précédentes.

Chuck Close commence par prendre une photo de son modèle qu’il subdivise en de multiples cellules à l’aide d’une grille, puis il peint à partir de cette grille le portrait correspondant à l’image. On a l’impression qu’il dialogue avec l’artiste qu’il représente.

L’usage de la grille est d’ailleurs commun à ces trois peintres.

Le pop art est présent à travers les œuvres de ses icônes les plus connues : Liechtenstein et Warhol

Roy Lichtenstein (1923-1997) est ici présent au travers de trois œuvres.

Roy Lichtenstein, Live Ammo (Tzing) – 1962- Doris & Donald Fischer collection at the SFMOMA

Roy Lichtenstein, Live Ammo (Tzing) – 1962-
Doris & Donald Fischer collection at the SFMOMA

Cette toile illustre deux aspects de son œuvre. Elle s’inspire de bandes dessinées (de guerre ou sentimentales) et elle adopte les couches successives de points Benday dans une palette réduite de rouge, jaune, bleu et noir.

Si vous souhaitez en savoir plus sur ce peintre, les Cafés géographiques ont publié un compte rendu de l’exposition consacrée à Roy Lichtenstein en septembre 2013 : voir le lien http://cafe-geo.net/tag/roy-lichtenstein/

La dernière salle de l’exposition est toute entière consacrée à Andy Warhol (1928-1987).

Elle n’offre au spectateur que des œuvres des années 1960 (1963-64). Andy Warhol choisit à cette époque pour principal médium la sérigraphie, qui est une méthode de reproduction photomécanique. Ici ne figurent pratiquement que des toiles allant du blanc au noir, en encre sérigraphique sur lin. L’effet argenté est saisissant. C’est peut-être la salle la plus émouvante.

La question qui hante les peintres depuis le XIX ème siècle est : il y a-t-il encore une place pour la peinture figurative alors que la photographie et le cinéma ont pris en charge la représentation du réel ? Le rôle du peintre devient finalement humble puisque le geste artistique consiste à choisir parmi des images.

warhol-jackie

– Un diptyque et un triptyque de Jackie Kennedy sont présents à l’exposition. L’œuvre plus complexe, ici choisie, montre tour à tour le visage du bonheur et du malheur de la première dame des Etats-Unis avant et après l’assassinat de John Kennedy.

Au départ il s’agit de photos de presse… Le travail sur Jackie ne présente pas l’évènement lui-même, mais la représentation de l’évènement. Cependant une interrogation subsiste : le bonheur affiché est-il réel ou factice…. Cela induit un doute sur la réalité du malheur…

– Elisabeth Taylor est installée 49 fois sur une toile géante, montant à cheval dans un film (National Velvet, 1944) qui a assuré sa notoriété. Elle est jeune, elle est belle, l’avenir s’annonce radieux. Les photos successives se limitent au noir et blanc argenté.

En revanche la toile en couleur qui sert d’affiche à l’exposition est beaucoup plus problématique. Le statut de star de Liz Taylor est assuré, mais elle n’est plus qu’une image fardée, figée et pour ainsi dire étrangère à elle-même.

warhol-brando

Posez aussi un regard sur le diptyque de Marlon Brando, irrésistible en chef de gang de motard dans le film Wild One [l’Equipée sauvage, 1953] Le brillant de la peinture argentée imite le métal des accessoires et souligne le charisme indéniable de la vedette de cinéma.

L’art contemporain peut nous laisser perplexe. Ses détracteurs l’accusent d’être trop abstrait, compliqué, cérébral et donc inaccessible à la majorité du public… tenu pour trop bête !

Si vous allez visiter cette exposition, prenez le temps de la parcourir en tous sens : les œuvres sont installées dans de petites salles blanches. Elles doivent être regardées de près et souvent de loin car elles sont immenses. Elles doivent être appréciées comme représentatives des différents courants artistiques de l’Amérique triomphante des années 1950-70. Chaque artiste invente, soit en utilisant de nouveaux matériaux, soit en se confrontant à une société de consommation massive adulée et contestée.

Vous serez accueillis par Calder, le seul joyeux luron de la bande et vous terminerez par Warhol, plus émouvant que sa sulfureuse réputation ne le laisserait penser.

Maryse Verfaillie
– Avril 2015-