Café de géographie de Mulhouse
Mardi 25 février 2017
Xavier Richet
Xavier Richet est Professeur émérite d’économie de Paris Sorbonne-nouvelle,
Chaire Jean Monnet ad personam d’économie de l’intégration européenne
Co-animateur du Séminaire BRIC, FMSH, www.bric.hypotheses.org
“Si tu veux te développer, construis une route…” proverbe chinois
Dans cette présentation, on expose les objectifs généraux de l’ambitieux projet porté par le gouvernement chinois : One Belt, One Road (OBOR), récemment renommé Bridge and Road initiative (BRI), sa conception, les motivations à son origine, les modalités de financement et sa mise en œuvre. Le projet envisage deux routes, l’une terrestre, qui rejoint l’Europe, l’autre maritime, qui arrive au sud de l’Europe et contourne l’Afrique. La route terrestre, elle-même divisée en plusieurs routes, traverse l’Asie centrale et occidentale. Elle traverse, en Asie, de grands espaces, des économies riches en matières premières mais peu peuplées et peu développées, dont certaines étaient des Républiques de l’ancienne Union soviétique (Figure 1). En Europe, à la sortie de l’Union économique euro-asiatique (UEE) une construction supranationale récente à l’initiative de la Russie (parfois considérée comme une tentative de re-soviétisation) elle transite ensuite dans les nouveaux Etats membres de l’Union européenne et les pays en accession des Balkans, la destination finale étant le cœur de l’Europe (Allemagne, France, Grande Bretagne).
Un projet ambitieux, global, à géométrie variable
C’est en 2013 que les dirigeants chinois ont annoncé le lancement du projet « une ceinture, une route » (OBOR Initiative en anglais) ou Nouvelle route de la soie (NRS)[1]. C’est un projet ambitieux quant à ses objectifs, le périmètre couvert, les moyens mobilisés, les partenaires associés, les conditions de sa réalisation, les investissements nécessaires, le niveau des risques encourus.
Ce projet s’inscrit dans le cadre de la montée en puissance de l’économie chinoise aujourd’hui un des principaux moteurs de la croissance mondiale. Le niveau de développement atteint au cours des trois dernières décennies, celui des réserves financières accumulées font aujourd’hui de la Chine un acteur incontournable en position d’orienter et de façonner les échanges commerciaux et les mouvements de capitaux au niveau régional et mondial.
Ce projet a été interprété comme une réponse aux accords commerciaux de type TPP (Trans-Pacific Partnership) ou TTIP (Transatlantic Trade and Investment Parternship) récemment abandonnés par la nouvelle administration Trump, développés à l’initiative des Etats-Unis et qui laissaient la Chine à l’écart. On l’a abusivement comparé à un Plan Marshall, le programme d’aide économique mis en place par les Etats-Unis pour réduire les écarts commerciaux entre ces derniers et les économies européennes exsangues au sortir de la Seconde guerre mondiale.
Le projet se concentre sur 5 grands domaines.
1: mettre en place une communication politique favorisant et approfondissant la coopération et le consensus parmi les différents gouvernements,
2: se connecter via la construction d’infrastructures de différents types : routes, voies ferrées, canaux, ports, réseaux de transport, d’énergie, réseaux de technologie d’information et de communication,
3: faciliter des investissements et le commerce en abaissant les barrières douanières et en établissant des zones de libre-échange, encourageant les firmes chinoises à investir le long de la route,
4: favoriser le soutien financier avec l’établissement de plusieurs institutions financières supra nationales ( l’Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB), la New Development Bank (NDB) créée à l’initiative des BRICS) et nationales (le Silk Road Infrastructure Fund ainsi que la Shanghai Cooperation Organization Development Fund, un fonds pour l’Europe centrale). S’y ajoute, ou plutôt dominent deux banques « politiques » chinoises l’Exim Bank et la China Developement Bank, bras armé du gouvernement central chinois pour soutenir ses projets au niveau domestique et à l’extérieur ainsi que les grandes banques commerciales du pays. Il faut mentionner enfin l’usage de la monnaie chinoise, le RMB, dans l’émission d’obligations pour financer les infrastructures.
5 : le projet prévoit le développement des relations culturelles, des échanges dans le domaine de l’éducation, de la promotion du tourisme, de la coopération dans le domaine technologique.
Qui trop embrasse mal étreint ? L’initiative BRI englobe, au sens large, 65 pays et concerne 4,4 milliards de personnes, elle illustrerait les ambitions hégémoniques de la Chine en cherchant à lui assurer la pérennité de ses approvisionnements en matières premières, d’une part et en facilitant l’accès à de nouveaux marchés de l’autre.
D’autres explications, de type” léninistes”, avancent la nécessité pour la Chine de trouver des débouchés pour les surcapacités industrielles dans plusieurs secteurs et provinces, des industries dans lesquelles la Chine a su créer des avantages concurrentiels certains (industrie ferroviaire, acier, ciment, aluminium) et dont la rentabilité aujourd’hui est en baisse. On estime qu’il faudrait une demande supplémentaire de 60 milliards de $ pour utiliser les capacités excédentaires dans le seul secteur de la sidérurgie.
Le projet BRI c’est aussi le moyen de perpétuer le modèle de croissance tiré par les exportations qui a fait le succès de grande croissance chinoise en délocalisant des productions intensives en travail dont le coût s’élève en Chine dans des pays proches (Vietnam, Cambodge) voire plus éloignés (Europe centrale ?).
On peut y voir une nouvelle forme de “diplomatie des infrastructures” qui vise à favoriser les firmes chinoises du secteur de la construction (qui ont, dans les contrats signés, la maîtrise de la main d’oeuvre). Le gouvernement assure des marchés à ses entreprises du secteur de la construction (en spécifiant dans les contrats que ce sont des firmes chinoises qui assurent le maître d’œuvre) qui ouvrent ensuite la voie à des firmes d’autres secteurs, en provenance des provinces de l’Ouest. Cette stratégie est perceptible dans le cas des investissements chinois réalisés en Europe centrale et du sud-est. Aujourd’hui, selon le Center for Strategic and International Studies de Washington, 86% des projets BRI sont assurés par des firmes chinoises, 27% des firmes locales, 27% sont assurés par des contracteurs étrangers
Le projet affiche également une dimension régionale domestique en cherchant à promouvoir le développement les provinces retardataires de l’ouest de la Chine, en construisant des hubs et des relais de croissance régionaux à partir d’où les nouvelles routes ferroviaires partiront à la conquête des marchés de l’Europe via l’Asie centrale, évitant ainsi aux marchandises de passer par les régions côtières déjà congestionnées.
Le projet a avant tout une forte dimension régionale en direction des pays limitrophes de la Chine : depuis de nombreuses années la Chine a assuré et sécurisé ses approvisionnements en matières premières en signant des accords commerciaux, avec les pays voisins (Mongolie, Kazakhstan, Laos, Myanmar et autres). La mise en place de ce projet lui permet ainsi d’intensifier les échanges et d’intégrer les partenaires centre asiatiques en polarisant les échanges autour d’elle au détriment des échanges intra-UEE que cherche à promouvoir la Russie.
On a qualifié ce projet de “sinisation de la globalisation” alors que la mondialisation aujourd’hui semble s’essouffler, que les projets d’intégrations régionales initiés par l’administration Obama sont aujourd’hui rejetés par son successeur, avocat d’un retour à une certaine forme de protectionnisme. L’Europe, quant à elle, sort d’une longue stagnation depuis la crise de 2008 et n’a pas encore de vision ni de stratégie très claires pour reprendre la main, vis-à-vis de ce projet.
D’un projet « gagnant-gagnant » à un jeu « un gagnant-plusieurs perdants” ?
Ce projet, inséparable de la montée en puissance de la Chine est une composante du “rêve chinois” proposé par le président Xi Jinping à ses concitoyens ; il s’inscrit dans la troisième phase du renouveau de la Chine après l’instauration du socialisme (Mao) puis la grande modernisation (Deng) (Tom Miller 2017).
Quel façonnage des espaces économiques concernés peut-il résulter de la réalisation de ce projet ? Quelles relations de dépendance, quelles asymétries peuvent en découler ?
Selon les régions, la nature et l’envergure des projets, plusieurs types de relations peuvent émerger :
– Une relation de domination voire de vassalisation (Pakistan, Laos, Sri Lanka, voire Myanmar)
– Une relation de dépendance pour les pays d’Asie centrale proches de la Chine avec un effet pervers sur le projet d’union douanière autour de la Russie.
– Une relation de type coopération/concurrence avec la Russie avec une confrontation entre dimension géoéconomique (Chine) et géopolitique (Russie). Le “pivot asiatique” préconisé par Vladimir Poutine n’est pas certain de contrebalancer à la fois sa dépendance vis à vis de l’Ouest et de la Chine. Elle peut hésiter à s’engager dans des projets dans lesquels elle perdrait en partie le contrôle (notamment le transfert de technologie dans la construction d’avions commerciaux) et la maîtrise de certains projets.
– Une relation de concurrence avec les autres grands pays de la région qui ont, chacun des projets de construction d’infrastructures sinon alternatifs mais pas nécessairement complémentaires avec les projets chinois (Iran, Inde, Turquie, Japon, Corée du sud et même la Russie).
– Une relation secondaire avec les pays d’Europe centrale et du sud est (l’Association 16+1) avec de fortes asymétries au détriment des 16. Ce segment de la route terrestre est plus considéré comme un lieu de passage, voire une base arrière vers les marchés matures de l’UE-15.
– Une relation asymétrique avec l’Union européenne. Un des objectifs affichés du projet BRI est d’atteindre les marchés européens pour y écouler les produits chinois ; en même temps, l’Union Européenne (UE) est une destination privilégiée pour les investissements directs étrangers (IDE) chinois, sous la forme d’acquisitions d’actifs souvent stratégiques. A ce jour, l’UE est encore peu concernée par ce projet, elle n’en mesure pas encore les avantages qu’elle pourrait en tirer (et les risques auxquels elle pourrait être exposée). Il existe un double déséquilibre entre les deux parties. Bien que premier partenaire de la Chine dans ses échanges, l’UE affiche un important déficit de son commerce extérieur vis à vis de la Chine ; les flux d’IDE chinois qui se dirigent vers elle sont plus importants que les IDE européens qui entrent en Chine, aujourd’hui victimes de nombreuses restrictions et barrières à l’entrée. Inquiets des acquisitions réalisées dans des secteurs sensibles par des firmes chinoises, l’Allemagne, la France et l’Italie, récemment suivies par la Grande Bretagne, préconisent des mesures de protection. La Chine et l’Europe n’ont pas encore signé d’accord bilatéral d’investissement qui mettrait au clair les relations entre les deux partenaires. Paradoxe, donc de cette situation : en Europe centrale et du sud-est on accueille les IDE à bras ouverts alors que dans les pays avancés de l’UE, on se protège. Il est vrai que le type d’acquisitions qui s’y réalisent diffère grandement. Le récent contrôle de sortie des capitaux instaurés par la Chine devrait réduire l’engouement des investisseurs chinois pour cette partie du monde (Richet, 2017).
Il faut souligner toutefois que la réalisation de ce projet pharaonique implique des firmes occidentales (notamment les multinationales US et quelques européennes) même si la part du lion est réservée aux firmes chinoises. Ainsi GE, Caterpillar, Honeywell, AAB, DHL, Linde, BASF, Maersk, Deutsch Bank ont été fortement mobilisées et ont fait récemment d’importants profits en participant à des projets BRI.
Divers types de financements sont mobilisés, la plupart assurés par des institutions financières chinoises. On trouve des institutions financières internationales dont la Chine est à l’origine de la fondation comme la New Development Bank (NDB)fondée par les BRICS et dotée d’un fonds de 100 milliards de $ et au capital de laquelle des pays tiers ont adhéré (dont le France, la Grande Bretagne.), l’Asian Infrastructure Investment Bank (AIID) qui dispose d’un capital de 100 milliards de $. On trouve également, et surtout, des fonds comme The Silk Road Fund, d’un montant de 40 milliards de $, un fonds pour l’Europe centrale, dotés de 13 milliards de $, sont alimentés par des banques chinoises : la China Investment Corporation, l’Exim Bank of China et la China Development Bank. Les deux dernières sont des banques “politiques”, sous le contrôle du gouvernement central. S’y ajoutent les grandes banques commerciales chinoises. Ces banques ont un niveau de dépôts élevé, qui dépasse celui des institutions internationales mentionnées. Ceci permet à la Chine d’investir dans des secteurs qui ne sont pas habilités à recevoir des financements de la part de la NDB ou de l’AIID car allant à l’encontre des normes environnementales (construction de centrales à charbon en Bosnie, en Serbie). De même, l’Inde peut être récitante à voir des crédits accordés par l’NDB à des projets en faveur de pays comme le Pakistan. De manière générale, l’Inde voit d’un mauvais œil la mise en œuvre de ce projet qui touche à ses intérêts stratégiques dans la région.
Des institutions occidentales participent également au financement de projets : l’Asian Developement bank, l’European Bank for Reconstrcution and Developement (EBRD), la Banque mondiale avec des banques des pays de la région.
Actuellement la Chine a investi plus de 890 milliards de $ dans 900 projets impliquant 60 pays.
En Asie centrale, la concurrence est parfois vive avec d’autres sources de financement de projets (Japon), notamment au Kazakhstan, au Cambodge et peuvent conduire à des doublons dans le domaine des investissements en infrastructures, affaiblissant les capacités de remboursement des pays endettés (Cambodge).
Ce projet soulève de nombreuses questions concernant l’horizon de temps, les modalités de sa réalisation, les types de coopérations à développer, le niveau des ressources à mobiliser, leurs financements et leur rentabilité, le niveau des coûts irrécupérables induits par des investissements risqués (Pakistan, Laos, Myanmar). La gestion optimale des infrastructures est un autre problème à la fois technique et économique, notamment la création de relais intermédiaires entre plusieurs destinations (hubs), l’utilisation à pleine charge des moyens de transport ferroviaires, la maîtrise de leurs coûts. S’il est moins long (15-18 jours contre deux mois) de transporter un container par chemin de fer que par bateau, le coût en est deux fois plus élevé. Les trains qui circulent actuellement n’utilisent pas leurs capacités à pleine charge, enfin, par quoi remplir un train chinois retour de Moscou ? Que peut-on charger au Kazakhstan pour approvisionner les marchés plus à l’ouest ?
Il faut mentionner également la question de la gouvernance de ce projet, comment associer les pays partenaires ? Parmi les pays concernés on trouve des pays risqués et économiquement faibles (Pakistan), des pays forts ou méfiants (Vietnam, Inde, Iran), des pays aux alliances instables (Turquie), des pays sous l’ombrelle d’autres puissances notamment au sein de l’Union économique eurasiatique sous le patronage de la Russie. Les contestations démocratiques sont également à être prises en compte. Au Myanmar, un projet de construction d’un barrage hydraulique dans l’est du pays a été abandonné car il faisant la part trop belle aux investisseurs chinois (production électrique pour la province du Yunnan), contestation au Kazakhstan du projet d’affermage de grandes surfaces de terres agricoles à une compagnie chinoise.
L’utilisation des lignes ferroviaire à travers l’Asie centrale soulève quelques difficultés. Les pays traversés, privés de débouchés maritimes y voient un avantage pour se moderniser et transporter leurs marchandises, de sa diversion et d’échapper à la pression de la Russie. En outre, ces pays, privés de ressources financières y voient la possibilité de moderniser leurs lignes toutefois avec le risque d’accroître leur dépendance vis à vis de la Chine, de n’être qu’un lieu de transit entre la Chine et l’Europe, la destination finale des trains.
Economiquement, le transport par train est plus de coûteux que par le bateau mais plus rapide grâce aux performances du matériel ferroviaire, des systèmes de signalisation. Mais la connectivité et la fluidité entre les différentes lignes ne sont pas encore assurées, la régulation du trafic reste du domaine des Etats ; les écarts de voies dans la partie Kazakhstan, Russie, Biélorussie (1.52 m) avec ceux des trains en Chine et en Europe (1.435 m) soulève la question du coût et du temps additionnels des transbordements, de l’impossibilité de transporter du fret en vrac, seulement en containers, enfin le coût élevé de l’adoption d’un système dual sur les lignes à plus grands écartements (l’adoption d’un plus grand écart de lignes en ex-URSS s’explique, historiquement, par des raisons stratégiques) empêche son adoption.
A ce jour, il existe de grandes disparités dans les coûts de transports de certains types de biens en fonction de leur poids, volumes. Un autre problème, à la fois technique et économique, concerne l’utilisation optimale des lignes ferroviaires. L’utilisation optimale d’une ligne de transport entre un point A et D, c’est la somme des maximisations entre les points A et B, B et C, C et D. Economiquement, il s’agit de créer des hubs le long de la voie, ce qui implique le développement d’activités économiques permettant d’absorber et d’expédier des produits dans plusieurs directions. Pour le moment, on n’en est pas encore là, les points d’arrivée en Asie centrale voient passer les containers en direction de l’Europe, d’un côté, et sont des lieux de transbordement des produits locaux vers la Chine d’un autre côté. On peut s’interroger sur les externalités qui peuvent être induites en termes d’essaimage régional et sectoriel, de création de chaînes de valeur locales dépassant les relations de dépendance autour des questions énergétiques et d’approvisionnement en matières premières. Plus généralement, au-delà du rail, ces investissements induisent des coûts de transaction plus ou moins élevés liés aux montages financiers, à l’appréciation des risques, à la corruption ambiante notamment en Asie centrale. Dans certains pays, comme le Pakistan, le niveau des risques encourus en raison de l’importance des investissements envisagés (modernisation d’un port, infrastructures ferroviaires, construction de plus d’une vingtaine de centrales électriques, pour un montant de 55 milliards de $) et le niveau d’endettement du pays (la dette vis à vis de la Chine se monte à près de 77% de l’endettement du pays) font craindre l’apparition de coûts irrécupérables importants à hauteur de 80% des sommes investies. La perte économique sera contrebalancée par les gains géopolitiques et stratégiques au profit de la Chine. A ces pertes, s’ajoutent des menaces terroristes (attaque et mort de travailleurs chinois sur des chantiers). Au Myanmar, les pertes potentielles sont estimées à hauteur de 50 %, à 30 % dans l’ensemble de l’Asie centrale. En Pologne, la firme chinoise de construction d’autoroute a dû quitter le pays incapable d’achever le chantier en raison d’une sous-estimation du coût du projet proposé afin d’emporter le marché et de la coalition des entreprises domestiques exclues qui se sont liguées pour faire capoter le projet.
La Corrèze avant le Zambèze ? En Chine même, si le projet est fortement soutenu par les autorités comme la tenue à Pékin en mai 2017 du forum BRI l’a montré, il reste que le flux des IDE chinois sortants en direction des pays concernés par le projet BRI a décliné de plus de18% l’année dernière. Les IDE non financiers chinois dans 53 pays concernés se montaient à 14 milliards de $, en 2016 ils représentent 9% du volume total des IDE sortants chinois alors que ces derniers ont augmenté de 40% la même année. La banque politique China Development Bank qui pourvoit habituellement aux largesses a réduit ses prêts aux projets BRI de 41 à 33% en termes d’engagements.
Pas moins de 47 grandes firmes d’État sous la direction du gouvernement central sont impliquées dans la gestion de 1676 projets. Le gouvernement fait pression sur les entreprises non étatiques pour pousser à rejoindre ces projets (accès facile au crédit) alors qu’elles pourraient investir plus profitablement dans d’autres projets à l’étranger.
Aujourd’hui, la politique du pouvoir cherche à réduire la fuite des capitaux ; les mesures prises devraient réduire l’ampleur des déboursements. Il est vrai que de nombreux projets estampillés BRI n’avaient que peu de choses à voir avec les objectifs affichés, tel par exemple le rachat d’un club de football en Italie. Pour recevoir un financement, il suffisant, encore récemment, de le présenter comme projet BRI.
Toutefois la promotion du projet auprès des institutions financières internationales pour leur faire souscrire des obligations font miroiter des retours sur investissement relativement attractifs
Le projet BRI n’en est encore qu’à ses débuts, beaucoup d’investissements ne sont pas encore achevés ou ceux qui le sont ne sont pas encore arrivés à maturité et utilisé à pleine cadence, notamment en ce qui concerne l’aménagement des voies terrestres, des investissements d’accompagnement permettant leur utilisation optimale.
On voit cependant se dessiner et se concrétiser les contours de ce projet ambitieux qui, selon les spécialistes chinois plus un état d’esprit, une nouvelle conception des échanges reposant sur la coopération qu’un cadre rigide s’imposant aux partenaires qui y participent.
On peut déjà retirer plusieurs enseignements intéressants.
Un recyclage des surplus financiers provenant des échanges en créant de nouveaux canaux commerciaux centrés autour des intérêts de la Chine: approvisionnement et sécurisation des ressources, accès à de nouveaux terminaux, de nouveaux ports au niveau régional (Asie centrale, Asie du sud).
Une logique de pénétration des marchés favorisant les firmes chinoises, notamment d’Etat, dans les secteurs où la Chine possède des compétences, des surcapacités, où elle prolonge à l’extérieur ce qu’elle a réalisé sur sin territoire (maillage d’autoroutes, de ligne de chemin de fer).
Cette stratégie est servie par d’importantes ressources financières et des modalités d’allocation favorables aux emprunteurs notamment en provenance de ses banques politiques au service de ses stratégies d’expansion.
La mise en place de ces projets a un effet intégrateur et structurant; leur réalisation induit d’importantes asymétries entre partenaires (pays, firmes) aussi bien proches que lointains, comme on l’a vu sur ces deux sections de la Route, à l’avantage de la Chine. En Asie, la mise en œuvre de ce projet traduit la montée en puissance de la Chine et nourrit des tensions entre les partenaires des BRICS (Russie, Inde). En Europe, la présence chinoise est moins importante, l’ECSE reste un lieu de passage et non d’ancrage : le marché de l’UE-15 et notamment ceux du cœur de l’Europe sont des cibles plus importantes mais plus difficiles à atteindre (arbitrage échanges commerciaux/IDE).
Il existe des risques associés à la réalisation de ce projet. D’abord, ceux liés à sa profitabilité : est-ce que les infrastructures vont générer suffisamment d’activités pour assurer la rentabilité des investissements ? Est-ce que la Chine est assurée de générer annuellement, par ses échanges, le niveau de ressources nécessaires pour financer les projets ? Est-ce que la politique de contrôle des investissements extérieurs ne va pas orienter les investissements vers des placements moins rentables ? Les observateurs les plus pessimistes à Pékin font un parallèle avec le Grand bond en avant.
Enfin, il y a des risques politiques et financiers à ne pas négliger notamment avec plusieurs pays récepteurs (dont certains seront incapables de rembourser), avec des voisins inquiets de voir la montée en puissance de la Chine et de ne pas tirer profit de ce projet présenté comme « gagnant-gagnant » par ses promoteurs.
Xavier Richet
A Mulhouse, café de géographie au café Tillvist
25.2.2017
Notes Francoise Dieterich
[1] Pour une approche historique, cf. P. Frankopan (2016)