Compte Rendu du café géographique de Saint-Brieuc
21 novembre 2014
Florence Gourlay est maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud (Lorient). Elle est responsable du master « Aménagement et Développement des territoires maritimes et littoraux ». Ses travaux de recherche portent sur la recomposition des territoires dans un contexte de mondialisation. Ses territoires de recherche sont essentiellement le pays de Lorient et la Région Bretagne. Elle est l’auteur, avec Ronan Le Délézir, lui aussi maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud, d’un ouvrage « Atlas de la Bretagne, les dynamiques du développement durable » dans la collection autrement.
Notre intervenante se propose à partir du sujet « La Bretagne demain : quels enjeux, quels territoires pour agir ? » de mener, non pas un exercice de prospective mais une réflexion sur l’intégration par les territoires bretons des logiques de la société-monde contemporaine.
Demain, c’est une projection d’éléments présents que l’on considère aujourd’hui comme potentiellement structurant dans un avenir plus ou moins proche. Ainsi en est-il, par exemple, du changement climatique avec pour conséquence l’élévation du niveau de la mer et la nécessaire adaptation des sociétés. Demain, c’est un probable mais aussi un possible, une perspective qui interpelle, qui mobilise, qui suggère une possibilité d’actions. Demain est en quelque sorte un système complexe d’atouts, de contraintes et d’opportunités.
Transition énergétique, crise systémique mais aussi développement durable, termes qui nous sont familiers…reflet d’un des paradoxes de notre époque, celui d’avoir l’ambition de construire des politiques du durable dans une période de mutation, ce qu’Edgar Morin appelle des antagonismes complémentaires, c’est-à-dire des phénomènes qui pris séparément s’opposent mais qui participent à une même dynamique.
Les territoires, eux aussi peuvent relever d’antagonismes complémentaires (métropolisation/décentralisation, uniformisation/différenciation…)
Trois questions se posent alors. Quelle société demain? Quel projet de société? Quels territoires d’action pour la Bretagne ?
L’exposé porte sur la Région Bretagne, base des données statistiques établies en particulier par l’INSEE. Pour Florence Gourlay, la pertinence d’une discussion sur le périmètre de la région n’est pas une question d’entrée à privilégier dans une réflexion portant sur les enjeux d’aménagement et de territoires d’action.
1 – La Bretagne, des territoires dans la mondialisation
La mondialisation, comme l’a bien montrée Christian Grataloup qui a inauguré les cafés géographiques à Saint-Brieuc, est bien plus qu’une logique économique capitaliste, elle est un nouveau rapport au monde. Philippe Zarifian, sociologue, parle de mondialité, c’est-à-dire de sentiment d’appartenance à un monde commun, « la Terre Patrie », avec la prise de conscience des problèmes actuels qui touchent l’humanité : le réchauffement climatique, la perte de biodiversité, le risque nucléaire,…
La Bretagne n’est pas en dehors de cette galaxie mondiale. Le territoire breton est confronté à des logiques globalisées dont il est solidaire, ainsi qu’à la crise systémique (économique, sociale, environnementale et politique) actuelle.
La Bretagne est un territoire mouvant intégré au monde.
Et il n’est pas de territoires figés…pour exemple, l’évolution séculaire des densités de population sur le territoire breton en particulier entre Armor et Argoat (projection d’une vidéo 1mn réalisée par INSEE).
Se pose alors la question de la (re)définition des territoires de la Bretagne par rapport à quels enjeux, à quels projets?
2 – Des enjeux à relever
– Tendre vers des territoires résilients
Pour Florence Gourlay, un des principaux enjeux aujourd’hui, est de construire des territoires résilients et habitables durablement.
Le terme de résilience fait référence à la capacité d’un écosystème à s’adapter à des événements extérieurs et des changements imposés.
Ainsi, un peuplement est résilient s’il peut trouver les capacités nécessaires pour son adaptation face aux aléas qui le menacent : avoir un demain voulu et pas un demain subi !
Aux termes de développement local ou de développement endogène utilisés dans les années 1980, dans un environnement de crise économique et de désindustrialisation, on leur préfère aujourd’hui, le terme de résilience territoriale parce que précisément, la détermination des enjeux et le sens donné à l’action territoriale s’inscrivent davantage dans un contexte de résonance globale.
Enoncer cet enjeu oblige à penser plusieurs défis :
+ Réduire les inégalités régionales
L’économiste Laurent Davezies a montré dans ses récents travaux que les inégalités territoriales entre les territoires de l’économie productive et ceux de l’économie résidentielle tendent à se creuser. Il l’explique par la métropolisation croissante dans un contexte de compétitivité creusant les disparités territoriales mais aussi par le désengagement de l’Etat (les mécanismes de mutualisation publics et sociaux étaient à l’origine de la forte réduction des inégalités de revenus entre les territoires).
Les déséquilibres en Bretagne résultent notamment d’un constat, celui d’une métropolisation qui tend à créer une structure territoriale écartelée avec trois unités urbaines (Nantes, Rennes et Brest) qui concentrent les pouvoirs économique, démographique et politique.
Mais la Bretagne a de nombreux atouts pour faire face à ces déséquilibres territoriaux. Elle possède, en particulier, un maillage très dense de villes petites et moyennes et une forte tradition de solidarité intercommunale.
+ Réussir la transition énergétique
C’est un défi majeur, la Bretagne ne produisant que 8% de sa consommation. Ici comme ailleurs, la question de l’énergie s’articule autour de trois enjeux : être moins dépendant, sécuriser ses approvisionnements, développer les énergies renouvelables. Des projets, des réalisations sont déjà en cours
+ Faire face au changement climatique et au risque côtier
Le changement climatique qui se traduit notamment par une élévation du niveau marin (il faut se préparer à une augmentation du niveau marin de 1m d’ici la fin du siècle or les plans de prévention des risques n’intègrent qu’un aléa à 60cm…) qui fait courir un risque réel de submersion à une partie des côtes bretonnes aménagées comme la presque-île de Gâvres dans le pays de Lorient.
+ Relocaliser les activités
Pour construire un territoire résilient, il faut (re)donner du sens à l’économie par la réappropriation par les acteurs locaux des modes de production et de consommation alternatifs en développant l’économie solidaire, l’économie circulaire. Des initiatives existent comme par exemple les circuits courts de commercialisation de produits agricoles ou le « buy local ».
– Des ressources à mobiliser
Elles sont nombreuses en Bretagne. L’une des ressources essentielles, non délocalisable, c’est la mer. Elle constitue un élément stratégique pour le développement durable avec la pêche et l’aquaculture, la valorisation des produits de la mer comme les algues (700 espèces d’algues en Bretagne en particulier en mer d’Iroise qui est le 1er champ d’algues européen), les énergies de la mer (éoliennes off-shore, hydroliennes comme à Paimpol). La mer, c’est aussi les transports maritimes (la Bretagne borde les flux maritimes commerciaux parmi les plus importants de la planète) et le tourisme. Les autres ressources régionales déterminantes, ce sont ses habitants et leur savoir-faire (construction navale par exemple), leur capacité d’innovation ; c’est aussi une armature urbaine originale faite de villes petites et moyennes qui sont des lieux attractifs.
Alors sur quels territoires faut-il agir ou plutôt quels sont les territoires de mobilisation, quels sont les acteurs de cette mutation pour créer une dynamique d’avenir en Bretagne fondée sur un modèle économique et social durable et équilibré ?
3 – Territoires d’action, territoires de projets et de mobilisation
– Qu’est-ce que le territoire ?
La question de l’espace est au cœur de la réflexion géographique. Le territoire est par essence complexe car il combine des dimensions plurielles qui s’entrelacent (géographie, culture, nature, histoire, économie, société, institution, territorialité des individus, identités collectives…). Le territoire est souvent pensé comme un empilement d’échelles et d’entités spatiales de différents niveaux mais on pense beaucoup moins à ses articulations et à son caractère mouvant. Or le territoire est mouvant parce que les logiques sociales et les logiques d’acteurs évoluent. Il n’y a pas de territoires sans acteurs, pas plus qu’il n’y a d’acteurs sans territoires.
Du reste, le géographe Bernard Pecqueur définit le territoire « comme un concours d’acteurs, dans un contexte spatial déterminé qui vise à faire émerger, puis à tenter de résoudre, sous contrainte environnementale, un problème sociétal ou productif partagé ». Il précise : « Construire du territoire consiste d’abord à désigner les contours d’un problème, à commencer par ceux du territoire, et à envisager les scénarios de résolution. Un tel concours d’acteurs se décline autant sur le registre des activités productives que sur celui de l’action publique ».
On peut ajouter la définition de Patrick Melé : « le territoire ne se présente pas comme une portion d’espace habité, prédécoupée et présupposée, mais plutôt comme un mode d’organisation d’acteurs dans un contexte géographique donné, dans la perspective de trouver des solutions à des problèmes communs ».
– Une ou des régions ?
Le constat actuel montre une Bretagne plurielle avec des concentrations de population sur quelques territoires.
A partir d’une carte, Florence Gourlay met en évidence le processus de métropolisation en cours et qui se traduit par un continuum urbain de Nantes à Saint-Malo en passant par Rennes qui concentre une part importante de la population et du dynamisme économique. Les déséquilibres entre Armor et Argoat se renforcent mais au profit surtout du linéaire sud- Bretagne à l’économie résidentielle et touristique (de Quimper à Vannes en passant par Concarneau et Lorient). Le pays brestois est plus que jamais un « finisterre ».
Notre intervenante nous propose une autre carte, celle d’un aménagement et d’un développement harmonieux des territoires, qui passerait par un rééquilibrage est-ouest, mais aussi nord-sud, centre-littoral, ville-campagne et qui s’appuierait sur les pôles métropolitains de Rennes et de Nantes, sans oublier la dimension maritime et l’interface terre-mer.
–Un meccano territorial institutionnel complexe
La décentralisation a rendu plus complexe le meccano territorial institutionnel. Depuis les premières lois de décentralisation du début des années 1980, il y a eu un profond remaniement des échelles de territoires d’actions à travers des lois emblématiques.
La loi MAPAM (Modernisation de l’Action Publique et d’Affirmation des Métropoles) votée en janvier 2014 reconnaît une nouvelle échelle de territoire en créant le statut de « métropole » afin de permettre aux agglomérations de plus de 400 000 habitants d’exercer pleinement leur rôle en matière de développement économique, d’innovation, de transition énergétique et de politique de la ville. Rappelons que les métropoles de Paris, Lyon, Marseille ont un statut particulier.
La MAPAM renforce et précise les compétences régionales:
La région est qualifiée de chef de file pour l’exercice des compétences relatives à l’aménagement et au développement durable du territoire, à la protection de la biodiversité, au développement économique, au soutien à l’innovation, à l’internationalisation des entreprises, à l’intermodalité et à la complémentarité entre les modes de transport, au soutien à l’enseignement supérieur et à la recherche.
Le département est chargé du pilotage des politiques publiques locales suivantes : l’action sociale, le développement social et la contribution à la résorption de la précarité énergétique, l’autonomie des personnes, la solidarité des territoires.
La loi NOTRE (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) qui se met en place redessine les contours des Régions et redistribue les compétences entre les Régions et les départements.
Les départements ne seraient plus compétents dans la construction et la gestion des collèges, des routes départementales, dans l’organisation des transports interurbains et scolaires.
La Région serait chargée d’élaborer un schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation qui aurait valeur prescriptive et définirait les régimes d’aide aux entreprises.
La loi prévoit aussi des intercommunalités à partir de 20 000 habitants (5000 aujourd’hui) ce qui obligerait à un profond remaniement des constructions intercommunales puisqu’actuellement près des trois quarts des intercommunalités ont moins de 20 000 habitants.
Le moteur de la réforme territoriale est la réalisation d’économie sur les politiques publiques.
Deux questions se posent. D’une part, cette logique conjoncturelle est-elle suffisante pour un projet ambitieux de recomposition territoriale ? D’autre part la réduction des coûts espérée (ce qui reste à démontrer) se traduira-t-elle par une efficacité territoriale et organisationnelle ? Pour Florence Gourlay, rien n’est moins sûr.
Ces lois hésitent entre l’instauration de nouveaux tracés ignorant la complexité des situations territoriales (voir les problématiques d’espaces hypermétropolisés et dévitalisés) et la reconnaissance de la spécificité de certains territoires et de certaines pratiques.
D’autres territoires d’action qui ont aussi d’autres découpages existent : les SCOT (Schéma de Cohérence Territoriale) les SAGE (Schéma d‘Aménagement et de Gestion des Eaux)…
Est-ce que le citoyen directement concerné par ces organisations, ces découpages, peut s’y retrouver ? C’est d’une complexité et d’une technicité inouïe !
Un des véritables enjeux est sans doute de savoir construire l’interterritorialité.
Martin Vanier la définit ainsi: « C’est la recherche de l’efficacité de l’action publique territoriale par la coordination, l’articulation, l’assemblage des territoires, tels qu’ils sont ». Cela signifie de sortir des cadres institutionnels pour réussir à innover alors que la réforme actuelle privilégie davantage une recomposition des limites que l’innovation interterritoriale.
L’interterritorialité peut s’illustrer par des alliances et coopérations entre métropoles ou à d’autres échelles.
Prenons le cas de Brest qui est un exemple de politique interterritoriale intéressant :
La communauté urbaine de Brest métropole océane fait partie de deux pôles métropolitains, celui du Pays de Brest, pôle métropolitain aréolaire, bassin de vie brestois regroupant Brest métropole et les six communautés de communes l’entourant et celui du pôle métropolitain Loire- Bretagne, pôle métropolitain réticulaire, rassemblant cinq grandes agglomérations de l’Ouest afin de favoriser les coopérations sur les fonctions stratégiques.
Mais Brest a développé aussi un autre type de coopération sous la forme d’ « ententes communautaires », l’une avec Quimper communauté et l’autre avec les communautés d’agglomération de Lannion et Morlaix pour favoriser le portage commun et la défense de positions concertées entre les agglomérations. C’est ainsi le cas en matière de liaison ferroviaire entre Brest et Quimper ou des actions de lobbying pour permettre de relier la pointe bretonne à Paris en moins de trois heures de train.
La solidarité des territoires par des initiatives locales et régionales est nécessaire pour un développement équilibré et vivable pour ses habitants.
– Développer des territoires de mobilisation citoyenne à géométrie variable
Un exemple emblématique est celui de l’enjeu énergétique. La Région Bretagne est « chef de file » en la matière : pacte énergétique breton, mise en place d’opération pilote (exemple de « vir’volt-ma-maison » qui associe les collectivités locales du pays de Saint-Brieuc, l’Etat, l’Ademe Bretagne et le département des Côtes d’Armor pour faire face à la rénovation énergétique) mais des territoires se mobilisent : la communauté de communes du Mené pour développer une autonomie énergétique ou encore des mobilisations citoyennes (Eoliennes de Béganne).
La galaxie de l’économie sociale et solidaire dessine aussi d’autres territoires d’action comme les Cigales (80 clubs en Bretagne) qui sont des clubs d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire. « La Cigale est avant tout, un lieu de convivialité, lieu de rencontres et d’auto-formation à l’économie, où l’argent n’est qu’un moyen pour irriguer un peu plus le tissu local, participer à la création d’emplois et faire du citoyen un acteur de son environnement économique », ou comme les AMAPS (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne) ; la première AMAP est née à Pontivy en 2005, aujourd’hui, il y en a une centaine en Bretagne.
Ces différents mouvements construisent une démarche d’ensemble à contre-courant du modèle libéral. Ils donnent naissance aux territoires de l’imperceptible : entremêlement des échelles, des résonances entre les niveaux du territoire du local au planétaire.
Conclusion
La région est d’abord une construction sociale et politique. Le redécoupage institutionnel a épargné la Bretagne, tant mieux ! Elle n’aura pas, comme d’autres (Nord-Pas-de-Calais-Picardie, Lorraine-Alsace-Champagne-Ardennes) à refonder en profondeur, dans les mois à venir, ses instances et ses structures.
Au-delà de la réforme territoriale en cours, c’est bien la façon d’articuler les territoires institutionnels et les territoires de mobilisation citoyenne qu’il faut penser pour dessiner la Bretagne de demain.
Pour cela, il y a un élément spécifique en Bretagne: c’est la référence identitaire, le discours sur l’identité mobilisatrice. Tout le discours sur « Les Bretons savent se serrer les coudes et se mobiliser quand il le faut »…c’est sans doute vrai, mais pour quel projet de société ?
Je conclurai avec Friedrich Hölderlin « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ».
CR Christiane Barcellini et Chantal Houy, relu par Florence Gourlay