Compte-rendu du Café géo de Montpellier – le 13 janvier 2015 au Café Riche.
Ce Café Géo a permis au public de rencontrer Nicolas Rouget, maître de conférences à Valenciennes, spécialisé dans la géographie rurale. Il a réalisé son doctorat sous la direction de Jean Paul Charvet, géographe et professeur émérite de Nanterre-Paris X, spécialiste de ce même domaine. A cette occasion, Nicolas Rouget a eu la possibilité de nous présenter une partie de son travail et a abordé le sujet de l’agriculture à travers le prisme de nos sociétés actuelles.
La ville et son agriculture : « retour vers le futur » est une approche des projets actuels touchant à la ville et à l’agriculture. Le cœur de la problématique est selon lui « la réactualisation des liens ville-campagne ». Pour ce faire, Nicolas Rouget s’est servi d’une étude de cas, la métropole lilloise et ses projets périurbains ; le Nord-Pas-de-Calais étant en effet une zone d’étude privilégiée où se mêle une forte urbanité, de fortes densités démographiques – quatre millions d’habitants – mais également un lien très étroit entre la ville et l’agriculture notamment dans les bassins miniers de cette région. Le conférencier insiste sur « la symbiose entre l’agriculture et les activités humaines » présente sur ce territoire mais aussi sur la nécessité de changer l’image de ce pays noir qui, force est de constater, est en pleine reconversion. Le dernier aspect qui fut évoqué est celui de Lille, métropole qui s’intéresse à ces liens ville-campagne dans l’optique d’une préservation de l’espace naturel qui relie le cœur de l’agglomération à son bassin minier.
Au terme d’une seconde révolution agricole et de la période des Trente Glorieuses, la ville s’est désolidarisée de la campagne. En 1981 par Philippe Violier qui, dans sa thèse, aborde l’agriculture mais seulement sous l’aspect de sa résistance ou de sa dépendance à la ville. En 1992, Bruno Bonduelle publie un ouvrage intitulé Lettre aux 86 maires de Lille dans lequel il dénonce la concurrence entre les communes qui composent la métropole de Lille. Ce qu’il propose est un processus qui se base sur des modèles existants tels que ceux de Cologne, Copenhague ou des villes hollandaises : il s’agit de faire de Lille une grande métropole »verte » du Nord. Mais Bonduelle ne voit pas en l’agriculture une solution.
Nicolas Rouget a abordé cette problématique en suivant trois axes à commencer par une contextualisation et une présentation des enjeux, puis une analyse des projets agricoles et paysagers actuels, pour terminer sur l’argument de proximité dont s’emparent des professionnels de la grande distribution.
L’agriculture et la ville : contexte et enjeux des politiques de réintégration de l’agriculture dans la cité.
Nicolas Rouget commence par un constat. L’éclatement de la ville permet l’interpénétration de l’urbain et de l’espace agricole à tel point que 75% de l’agriculture française est localisée aujourd’hui dans les aires urbaines définies par l’INSEE. De plus, apparaît une demande nouvelle en »nature », non pas sauvage mais maitrisée, ainsi qu’une attente en matière de sécurité alimentaire. Après les différents scandales qui ont frappé le secteur agro-alimentaire comme celui de la vache folle en 1996, il y a un véritable besoin d’agriculture »propre ».
Le lien ville-campagne évolue en 1999 avec la promulgation d’une nouvelle loi d’orientation agricole. Celle-ci reconnaît la multifonctionnalité de l’exploitation agricole qui n’a pas pour seul but de produire des biens alimentaires. Malgré la production d’externalités négatives, comme la pollution sonore ou la pollution de l’eau, l’exploitation agricole produit aussi des externalités positives telles que des paysages à valeur patrimoniale ainsi qu’une capacité à produire des services. Avec la loi SRU (loi relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbain, 2000), les métropoles sont obligées de définir des projets de territoire (SCOT), ce qui inclut des espaces à vocation agricole.
L’enjeu de ce nouveau paradigme ville-campagne est la convergence des intérêts de la sphère agricole et de la ville. Par cette convergence les projets peuvent se réaliser. Cependant, pour chaque projet, le « nerf de la guerre » reste le foncier qui est devenu un élément difficile à mobiliser (processus de publicisation d’un bien privé).
Nicolas Rouget insiste ensuite sur la notion de territorialisation. L’agriculture s’inscrit dans un espace local et répond à une demande. Les exploitations agricoles sont donc conditionnées par cette dernière ce qui la rend par conséquent dépendante de la ville et de la population urbaine. Outre les enjeux de territoire, Nicolas Rouget dégage deux autres enjeux.
Le premier est l’enjeu agricole – d’ordre économique – qui va permettre aux exploitations de valoriser davantage leurs productions. L’enjeu est également social car l’exploitant devient attentif à la qualité de sa production et peut échanger avec le consommateur. Il est à ajouter que l’écologie est actuellement motivée par l’économie.
Le second enjeu soulevé par Nicolas Rouget, est proprement urbain. L’agriculture dans la ville permet de structurer la ville puisqu’elle régule son étalement. Elle produit un cadre de vie meilleur car constitué de »poumons verts ». La métropole lilloise signe actuellement des conventions pour développer l’agriculture sur des champs captants afin de réduire la teneur en nitrate dans les sols. L’agriculture peut ainsi également aider à la protection des ressources en eau.
Les objectifs de ces politiques servent à faire un marketing territorial comme peuvent l’illustrer les cas de Nantes ou de Lille. De nouveaux objectifs naissent entre 2005 et 2010 avec à l’esprit que « la ville doit être capable de se nourrir par elle même » et sainement comme le souhaite par exemple la ville de Perpignan qui mène une campagne de lutte contre l’obésité. Ainsi on distingue une volonté d’intégrer l’agriculture à la ville sur tout le territoire français.
Il est aussi important de souligner que ce changement de paradigme en matière de lien ville-campagne suit l’évolution du concept de développement durable.
Les projets agricoles, des projets de paysages : des expériences plurielles.
« Les expériences peuvent être diverses», nous dit Nicolas Rouget car, en effet, l’idée d’une nature contrôlée apparaît comme normale aux citadins. De plus, certains projets peuvent ne pas avoir les effets escomptés. Autour de Lille, la communauté urbaine finance des améliorations paysagères dans des sièges d’exploitation cependant sélectionnés en fonction des objectifs à atteindre. On a donc un choix politique dans la distribution des aides, ce qui révèle une certaine domination de la ville sur les espaces agricoles.
Malgré cela une cohésion entre agriculteurs se développe et, avec elle, la possibilité pour des volontaires de rejoindre des programmes de promotion collective. Ce genre de programme permet d’aider les exploitants engagés dans des circuits de proximité. La volonté de ces mesures est de faire connaître les agriculteurs proches, mais surtout de faire en sorte qu’ils s’orientent vers une agriculture biologique (peut être sous la pression des consommateurs).
Même si tout est fait pour ouvrir l’espace agricole à la ville, certains espaces restent aujourd’hui fermés au public et n’ont aucune vocation pédagogique, se plaçant en rupture totale avec un projet à long terme. L’incapacité actuelle des métropoles à articuler toutes les dimensions d’un projet agri-urbain est souvent d’ordre administratif, notamment accentué par le chevauchement de compétences et la concurrence entre les acteurs.
Aux acteurs publics s’ajoutent depuis quelques temps des acteurs privés qui tirent profit des nouveaux liens ville-campagne.
Quand des professionnels de la grande distribution s’emparent de l’argument de proximité.
Depuis 2007 se développe dans la métropole lilloise un réseau de magasins au concept nouveau et « novateur ». Il s’agit de grandes surfaces d’environ 1100 m2 de produits frais dont la moitié est issue de circuits courts. Le magasin limite le nombre d’intermédiaires et se fournit directement chez le producteur. Ce système offre une commodité certaine pour les deux acteurs puisqu’il associe le savoir-faire de la grande distribution à la production de produits locaux.
Avec ce système, on voit une sélection (encore) des exploitations, non pas sur le rendu mais sur le profil. L’avantage est donné aux légumes et aux produits laitiers, mais aussi sur le profil de l’agriculteur. Il se doit d’être pragmatique et entreprenant, allant volontairement au contact de la grande distribution. Ce sont souvent les agriculteurs les mieux formés.
Cette « nouvelle » forme de grande distribution est analysée par notre conférencier à travers l’exemple de la grande surface de Villeneuve d’Ascq: la Ferme du Sart.
C’est une surface d’environ 1000 m2. Le magasin est un bâtiment moderne accolé à une vieille ferme, manière de montrer la nouvelle alliance entre la tradition et la modernité (la grande surface). Cependant, il y a un refus de l’image passéiste : pas de fausse authenticité ou de vendeur. On a affaire avec une agriculture de proximité ultra-moderne.
Cette enseigne compte au total 40 agriculteurs-partenaires. Cette démarche connaît au début quelques oppositions, la grande distribution étant vue comme une concurrente à la vente directe. Mais les opportunités et les volumes écoulés avec des marges confortables finissent par convaincre les agriculteurs. Sur les exploitations on observe deux tendances après un partenariat. L’une est la diversification qu’engage une moitié des agriculteurs alors que l’autre se spécialise.
La grande distribution parvient à exploiter les nouveaux liens ville-campagne au point d’infléchir les trajectoires agricoles.
Depuis les années 1990, la tendance est au développement d’une série d’expérimentations qui ont apporté un renouvellement des lectures du territoire. Aussi, les périphéries ne sont plus des espaces marginalisés : les campagnes urbaines sont aussi des composantes de la ville.
Cependant, les collectivités locales ont du mal dans leur politique à dépasser le stade de l’expérimentation. On teste la viabilité de cette expérience, les objectifs sont immédiats et non sur le long terme, ce qui va à l’encontre de l’agriculture qui investit sur le terme long en faveur de cette reconversion. Ces deux tendances contraires créent à Lille des dissensions entre la Chambre des Agriculteurs et la Communauté Urbaine sur certains projets, notamment le projet concernant Wavrin.
Compte-rendu rédigé par Simon Kerdiles,
étudiant en L3 Géographie – parcours Aménagement,
co-président de l’association étudiante en Géographie-Aménagement à Montpellier III,
Le Globe
Pour aller plus loin :
Monique Poulot :
Marion Ernwein et Joëlle Salomon-Cavin :
Coline Perrin et Christophe- Toussaint Soulard
http://norois.revues.org.www.ezp.biu-montpellier.fr/3816
Nicolas Rouget :
http://www.projetsdepaysage.fr/fr/la_gestion_des_espaces_ouverts_de_lille_metropole