A l’occasion du Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges, Rémi Luglia, historien, membre associé du Centre de Recherche d’histoire quantitative à l’Université de Caen-Normandie et Rémy Marion, photographe, naturaliste, spécialiste des régions polaires nous ont proposé un café exceptionnel à la Cabane au Darou, lieu parfaitement adapté pour l’occasion, samedi 30 septembre 2017 : « Le castor dans tous ses territoires ! Du Canada au ruisseau d’à côté »
Les deux intervenants alternent dans la présentation d’un animal dont l’histoire est liée à la nôtre et dont le capital de sympathie auprès des humains a varié selon les époques.
Une longue histoire de relations avec les hommes
Deux cartes d’Europe permettent de comparer la présence des castors (castor fiber) au XIIème et à la fin du XIXème siècle. Très nombreux au cœur du Moyen Age, ils ne sont plus que quelques centaines, voire quelques dizaines d’individus à l’aube du XXème siècle, trop appréciés pour leur fourrure brillante et leurs propriétés dans la fabrication des parfums.
Au Canada, la tranquillité du castor (castor canadensis) a été fortement perturbée par la conquête européenne. A la fin du XVIème siècle, le vieux continent est un gros consommateur de sa fourrure brillante pour ses vêtements et surtout ses chapeaux de feutre. S’établit alors un gros trafic de pelleteries entre France et Nouvelle-France. Mais les autorités royales françaises ne comprennent pas toutes les potentialités de ce commerce et c’est à deux Anglais que revient la création de la Cie des Aventuriers. Expéditions consacrées aux fourrures et exploration du Canada vont alors de concert. La Cie de la Baie d’Hudson, fondée par le Prince Rupert fait fortune grâce aux peaux de castors exportées en Europe à partir de la Baie d’Hudson, et 40% du Canada échappe à la France.
Les Anglais se procurent les peaux en faisant du troc avec les autochtones dans les pourvoiries. Rapidement le castor devient une monnaie d’échanges (par exemple on achète deux peaux d’ours avec dix peaux de castor), ce qui traduit sa place prépondérante dans le commerce colonial.
Une cohabitation parfois difficile entre hommes et castors
Une histoire belge
Le parc d’attractions Walibi Belgium a eu la surprise de voir des castors s’installer au milieu des attractions. Les rongeurs ont alors grignoté les arbres alentours, ce qui a amené les autorités du parc à décider la destruction des animaux. Tollé des visiteurs attachés à la gent animale. Protéger les arbres ? Sauver les castors ? A travers de longues tergiversations, on chercha – et trouva – une solution de cohabitation.
Ailleurs en Belgique, l’émotion fut grande lorsque la dépouille d’un castor crucifié fut exposée par un riverain très mécontent de son activité.
Entre éradication et sacralisation, le sort à réserver au castor est très controversé. Comment cohabiter ?
La recolonisation du territoire européen au cours du XXème siècle
A la fin du XIXème siècle les naturalistes s’attachent à la protection d’un animal considéré alors comme gênant par les hommes. Depuis le castor appartient au patrimoine commun.
Réintroductions et recolonisation naturelle expliquent son expansion. Quelques 17 000 individus vivraient aujourd’hui en France alors qu’ils n’étaient que quelques dizaines vers 1900, ce qui pose de nombreux problèmes de cohabitation, en milieu rural mais aussi en ville où le castor s’est installé (par exemple en plein cœur de Lyon).
Echecs et réussites de l’adaptation des castors montrent qu’il n’y a que des cas individuels. A Blois, 13 castors ont été relâchés sur la Loire. Un individu s’est installé dans un parc récréatif péri-urbain. Il s’y est montré bon architecte, construisant 9 barrages et des huttes, à la satisfaction du public et des élus. Mais pour beaucoup d’agriculteurs, leur présence provoque de vraies nuisances (champs inondés, arbres détruits…). Le problème de cohabitation n’est pas résolu.
L’acceptation du castor : une question culturelle
Aujourd’hui l’espèce est largement valorisée. Ami des enfants à travers Les Albums du Père Castor et bien vu des intellectuels admirateurs de Simone De Beauvoir, le castor est l’emblème de l’honnête travailleur qui participe lui-même à la construction de sa maison.
Certes les images négatives n’ont pas disparu. Le film de Jordan Rubin, Zombeavers, sorti en 2014, montre d’horribles castors zombies attaquant des jeunes gens ; ce film serait une sorte de fable sur la vengeance de la nature polluée par les hommes.
Mais la connotation positive l’emporte. Ainsi lorsqu’une sénatrice canadienne voulut remplacer le castor par l’ours polaire comme emblème national, ce fut un échec.
Aimé des uns, redouté des autres, utile à l’entretien des zones humides, le castor doit pouvoir cohabiter avec l’homme. On continue à chercher des solutions…..
Compte rendu rédigé par Michèle Vignaux