En 1953, dans sa thèse « Les capitaux et la région », Jean Labasse illustrait le rôle des capitaux régionaux dans la constitution des activités agricoles en développant l’exemple de l’élevage charolais. En 1956 je prenais contact scientifique avec le Charolais au cours d’une excursion d’étudiants de géographie dirigée par André Gibert.
Puis en 1958, je rédigeais sur ce sujet le mémoire destiné au Diplôme d’Etudes Supérieures et en 1960, la Revue de Géographie de Lyon le publiait en article, sous le titre « Elevage et embouche en Charolais-Brionnais ».
Cinquante ans après, les choses ont considérablement évolué.
Alors que les riches pays d’embouche s’opposaient aux pauvres pays naisseurs, les prairies grasses sur les calcaires du Brionnais aux pelouses sèches des granites de la terminaison septentrionale du Massif Central, alors qu’on pouvait encore pour les emboucheurs employer l’expression de genre de vie, on mesure aujourd’hui l’inadaptation de ces vieilles catégories géographiques et des questionnements afférents.
L’ensemble de la région a été unifié sous l’égide de la Politique Agricole Commune. Le nombre des exploitations a été considérablement réduit. Mais surtout le métier d’emboucheur pur, personnage mythique qui achetait des bêtes maigres au printemps, les revendait grasses à l’automne et n’avait aucune activité pendant les mois d’hiver a complètement disparu. Désormais tout le monde fait naître des animaux et tout le monde en engraisse.
Les Italiens et depuis moins longtemps, les Espagnols viennent acheter des veaux broutards qu’ils engraissent de façon industrielle chez eux.
Mais pas uniquement chez eux puisque, ayant acquis le domaine de Berneuil, dans la Haute-Vienne, vaste de 500 ha,des Italiens y engraissent 4000 à 5000 bovins par an, ce qui en fait la plus grosse exploitation d’élevage de France, et la plus richement subventionnée. Or ils sont loin de faire naître tous les bovins qu’ils engraissent.
Les temps changent aussi pour le vieux marché de Saint Christophe en Brionnais, attesté depuis le 12° siècle. Il est un peu moins actif que dans la période glorieuse des années soixante-dix. Il se tenait le jeudi matin. Le voici déplacé au mercredi soir. On y comptait en pistoles en 1950 ; on a dû passer à l’euro. Toutes les transactions se faisaient en liquide sur le petit mur d’enceinte du marché. La carte de crédit est arrivée cependant qu’on suit les cours sur Internet.
La municipalité, soucieuse de promouvoir la bonne image du marché, organise des visites commentées où on explique aux visiteurs les arcanes des transactions qui se yeux.
Mais, après des épisodes très difficiles dus aussi bien à la fièvre aphteuse, à la maladie de la « vache folle », à la désaffection des consommateurs pour la viande de bœuf, les prix ont à nouveau progressé depuis trois ans et nous vivons une période prospère.
Michel Sivignon, le 7 mai 2006