Café Géo de Montpellier du 14 janvier 2014
« Les communautés inuit face au développement minier de l’Arctique »
Les invités de cette soirée sont Jean-Louis MARTIN (directeur du département Dynamique et gouvernance de systèmes écologiques CEFE/CNRS, Montpellier) et Sylvie BLANGY (ingénieur de recherche CNRS/CEFE, Montpellier), tous deux ayant une grande expérience de terrain dans le Grand Nord canadien.
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Présentation_Café-Géo_Blangy-Martin.pdf
I – Présentation du Nunavut à partir de photos
(Jean-Louis Martin, écologue)
L’Arctique est un vaste territoire, devenu un enjeu géopolitique important. C’est une région qui subit en fait de plein fouet les effets du changement climatique. Il sera ici question du Nunavut, qui a acquis un nouveau statut territorial depuis 1999, dans le Nord canadien. Cet espace se caractérise par certains éléments : il est difficile d’y aller, les coûts sont élevés, les paysages sont vastes, le relief peu marqué, une forte présence de l’eau (grandes rivières…) avec des formations intéressantes d’un point de vue géobiologique (tourbières,…), le climat est froid et rude avec des zones humides. Présence de baies au ras du sol, de fleurs, d’arbres (saules nains / bouleaux nains, de la taille d’une fleur. La faune y est importante de manière saisonnière (notamment les insectes : véritables nuages d’insectes). L’essentiel de la faune est constitué de migrateurs et notamment d’oiseaux très divers comme les petits échassiers, les oies des neiges qui nichent en très grand nombre dans le Nord. Il existe quelques espèces vertébrées sédentaires comme le lagopède, mais également des mammifères tels que le lièvre arctique, le lemming (qui alimente les populations de renards gris), les bœufs musqués (menacés d’extinction il y a trente ou quarante ans, ils connaissent un retour spectaculaire et on les compte aujourd’hui en dizaines de milliers) ou encore les caribous (qui constituent les plus grandes migrations de grands mammifères qui perdurent). Ces caribous quittent la zone forestière pour la zone de toundra en été, afin de se reproduire et pour éviter les moustiques. Problème : avec le réchauffement climatique, on constate la remontée des moustiques ce qui contribue à l’épuisement des animaux qui cherchent à les éviter et peinent donc à se reproduire. Ces animaux sont suivis par leurs prédateurs.
Par ailleurs, il existe des sites obligés de passage pour ces caribous, notamment des passages à gué dont on soulignera l’importance dans l’histoire humaine. C’est là que populations traditionnelles faisaient le plein de nourriture pour l’hiver. Ces sites en gardent des traces : morceaux d’os de caribous, abris à viande, traces de tentes… qui témoignent de l’occupation humaine. Mais vers les années 1950 les populations ont été sédentarisées de façon autoritaire au Canada. Ces sites constituent le lieu de naissance des aînés, population qui atteint aujourd’hui les 70 ans ; ils ont dû quitter ces espaces pendant leur jeunesse, ce qui a laissé des traces très profondes dans la psychologie de toute cette génération. Ces sites sont toujours exploités aujourd’hui mais de manière saisonnière. Les Inuits s’y rendent en été et y font des réserves : ce sont des camps temporaires où ils apprennent à utiliser les outils. Ils n’y vont que quelques semaines par an et retournent en ville le reste du temps.
Les villes, appelées communautés, sont des espaces qui concentrent beaucoup d’activités. On retrouve à la fois un mode de vie que nous connaissons, et des habitudes traditionnelles conservées : viande sèchée, caribou congelé, peaux utilisées pour les vêtements et tannées sur le sol glacé… L’essentiel de la nourriture provient des supermarchés : mélange de produits du Sud et de produits locaux. Les liens avec le Sud se font la plupart du temps par des barges en été, et les équipements qui viennent du Sud sont très onéreux.
On peut voir une route construite il y cinq ans pour accéder à une mine d’or, Meadowbank de Agnico Eagle . Elle est construite sur le permafrost. Cette mine est supposée durer une quinzaine d’années, et l’entreprise est ensuite censée nettoyer derrière elle. Or, on voit des images où tout est laissé à l’abandon. Il est difficile de dégager des finances pour faire place nette. La mine de Meadowbank va en fait arrêter l’exploitation en 2017.
Questions :
1/ La population des caribous a été divisée par 5 ou 6, qui sont les responsables ?
Difficile à évaluer, mais il faut prendre en compte la question de la distribution des moustiques (normalement limitée par l’isotherme des 10°C). La population de caribous obéit naturellement à des cycles mais les raisons de cette diminution sont floues. La première explication est liée au harassement des animaux. Dans les zones à moustiques, ils sont obligés de courir pour les éviter (difficile de nourrir un petit dans ces conditions).
2/ Quelles sont les politiques vis à vis des populations locales dans ce contexte géopolitique?
Le Canada ne fait pas véritablement de sentiments vis à vis de l’environnement ; en fait davantage avec les populations locales. C’est à la fois une relation coupable (on leur amène de l’argent, des choses) mais cela pose aussi la question du respect, du pouvoir de décision, des responsabilités à leur donner. Le Nunavut a progressé en la matière, néanmoins, le mal-être de ces populations demeure fortement lié à la question de la reconnaissance de l’altérité. Les Populations du Nord comptent entre 60 000 et 100 000 individus, caractérisés par une démographie très importante (un taux de natalité élevé). Ce qui explique l’ampleur des enjeux sociaux. De plus en plus de gens reprennent une sorte de pouvoir et de conscience d’eux même. Le rapport de force tourne de moins en moins à leur désavantage. Mais la situation est compliquée et met en jeu des jeux de pouvoir, de relations humaines… Pour Le Nord canadien, l’enjeu est d’affirmer sa souveraineté, dans un contexte de pressions de la part des États Unis qui insistent pour que le passage du Nord-Ouest devienne une zone de passage international. Les négociations se poursuivent.
3/ De quoi vivent ces communautés ? Est-il encore question d’activités traditionnelles ?
Le nombre de personnes qui vivent encore de manière traditionnelle est très limité. Beaucoup de gens essaient de compter sur les ressources naturelles mais du point de vue économique, aller sur le terrain, à la chasse, nécessite de louer un bateau, d’acheter les équipements, ce qui est très cher. Il faut donc déjà avoir des ressources financières ne serait-ce que pour avoir et entretenir des chiens de traîneaux. Le chômage est un grand problème. Activités principales = activités minières : les gens passent 15 jours sur les mines et reviennent 15 jours chez eux. Mais on constate des problèmes d’alcoolisme, de perturbation familiale, de recours à la prostitution … Aujourd’hui, les communautés cherchent à résoudre cela : comment se faire une place dans ce monde où il faut avoir un pouvoir monétaire ? Sachant que la sédentarisation ne leur était pas coutumière. La réponse dépend aussi de la communauté en question : certaines petites communautés parviennent encore à maintenir des activités traditionnelles importantes. Dans tous les cas, si les activités traditionnelles demeurent une réalité importante du point de vue culturel, cela n’est plus tellement le cas du point de vue économique.
On ne peut pas poser la question « mine et travail versus subsistance et pauvreté », car c’est une question exogène : ils veulent tout à la fois, et leur demande porte plutôt sur la manière de mettre en place des partenariats équitables.
II – L’exemple des mines du Nunavik
(Présentation de Sylvie Blangy, encadrant le projet de recherche d’une étudiante Anna Deffner, SupAgro 2013)
La question du changement climatique pose celle des glaces pérennes et de la fin du pergélisol.
Glace pérenne = glace de mer qui diminue chaque année, qui fond en été et est obligée de se reconstituer en hiver ce qui a des conséquences importantes notamment sur l’accès aux ressources minières. Nouveauté par rapport à ces dernières années.
Qamani’tuaq se situe à l’Ouest de la baie d’Hudson. Il s’agit de la seule communauté inuit à l’intérieur des terres (toutes les autres sont côtières et vivent des ressources de la mer). Présence d’exploitations minières dans le Nunavut, plus précisément à Baker Lake (ou Qamani’tuaq), autour d’un site qui sera ouvert en 2015 = unique d’exploitation d’uranium. Tous les yeux sont fixés sur cette communauté. Cela constitue un précédent intéressant qui va déterminer les exploitations à venir. C’est un exemple comparable à celui du peuple des Saamis (Scandinavie) qui se penche sur la question alors qu’il était jusque-là peu concerné par l’exploitation minière. Mais, depuis deux ans, il connaît l’établissement de nouveaux sites d’exploration et d’exploitation du fer. Un « bras de fer » se met en place également, mais le peuple Saami se montre un peu plus agressif que les Inuits. En fait, les partenaires inuits et samis se plaignent de subir l’impact cumulé du réchauffement du climat et de l’industrialisation. La question minière est intéressante et met en jeu leur indépendance politique et économique. Ces populations sont prêtes à étudier les modalités de l’exploration minière : c’est une réalité à prendre en compte car cela constitue de nouveaux financements donc une certaine autonomie, mais ils souhaitent également préserver leur environnement, garder des liens forts avec leur terre et leurs activités de subsistance. Un défi : comment se préparer et négocier avec les futures compagnies minières?
Problème = impact encore très mal connu des explorations minières surtout en terme socio-économiques (les études réalisées par les sociétés minières elles-mêmes se portent davantage sur l’environnement). D’où le projet TUKTU financé par l’Institut de Recherches Polaires Français Paul-Emile Victor (IPEV).
Le Nunavut est un territoire qui a acquis une certaine autonomie, et Baker Lake est la 3 ° plus grosse communauté du Nunavut, composée à 95% d’Inuits. Population sédentarisée et qui fonctionne en économie mixte fondée sur les salaires et les activités de subsistance (cueillette des baies / pêche / caribous). L’activité de la chasse reste encore extrêmement importante (peaux, viandes…). La région de Baker Lake concentre de nombreux gisements miniers, dont un site d’exploitation de l’or (Meadowbank depuis 2010), et beaucoup de sites d’exploration (une cinquantaine), notamment le futur site d’exploitation de l’uranium par Areva.
Conséquence de la phase d’exploration = perturbations aériennes et terrestres à tel point que les migrations des animaux en sont affectées. Les caribous dévient de leur route traditionnelle et ne passent plus par Baker Lake. Ils évitent la mine d’or et le site d’uranium. Les caribous imaginent d’autres routes de migrations.
En 2009, nous avons animé plusieurs ateliers participatifs dans la communauté en participatif. Cela va de la conception du projet à la collecte de données. Les priorités de recherches tournent autour du futur des jeunes, l’évaluation de l’importance de la ressource-caribous et la mine. Nous avons travaillé sur la mise en perspective des aînés et des jeunes / la comparaison entre le passé, le présent et le futur. (Par exemple, en terme de nourriture : différences. Viandes encore beaucoup consommées par les aînés alors que les jeunes ne vont plus à la chasse et consomment de la nourriture du supermarché). C’est l’occasion d’aborder la question du Well-being (du bien-être) ou de la transmission des savoirs. Je donne l’exemple d’un graphique (graphe radar) qui illustre les changements de rapports à la ressource caribou entre les aînés et les jeunes : on note une utilisation des peaux ou des os très amoindrie alors qu’ils étaient traditionnellement utilisés pour le quotidien (vêtements, tentes, jouets, ustensiles de cuisine). La ressource-caribou est en train de se modifier considérablement. A l’issue de ces ateliers de travail, on cherche à identifier les préoccupations des communautés.
Les approches et techniques participatives nous ont permis de co produire des savoirs et de travailler sur l’impact de la mine sur les styles de vie caribou = notamment visualiser les impacts positifs et négatifs de la mine.
Pour la mine d’or au Nord de Baker Lake, Agnico Eagle, les impacts sont très importants :
En termes positifs, les bénéfices sont clairs : – Création d’emplois – Des revenus, des salaires conséquents qui permettent d’augmenter le budget familial ou de financer des équipements de chasse, d’assurer la sécurité alimentaire… – Des financements pour la création de dispensaires, de gymnases, pour alimenter bâtiments (écoles…) et créer des éléments communautaires ou d’organiser des événements (avec remises de prix). – Manière de former les jeunes à la conduite d’engins, de terminer les études, d’acquérir des qualifications – Route construite pour rejoindre le site d’exploration permet d’aller chasser plus loin. … |
Impact négatif, important, insidieux et difficile à mesurer : – Exacerbe les inégalités sociales entre les différents membres de la communauté. – Personnes qui avaient tendance à l’alcoolisme vont avoir accès à des revenus qui encouragent l’addiction. – Les femmes apparaissent particulièrement impactées avec leur absentéisme au foyer mal ressenti par la famille. – Donc apparition de déséquilibres / favorise les comportements violents que l’on voit augmenter. – Conditions de travail difficile (12h d’affilée) 15 jours à la mine et 15 jours à la maison où l’on dort. – Racisme : cultures qui se confrontent sans se comprendre (problème des langues utilisées : utilisation du français car mine québécoise). – Caribous de plus en plus maigres mais on ne sait pas l’expliquer. – Disparition de territoires de chasse et de pêche – Routes des migrations animales modifiées … |
Bilan : Baker Lake est une communauté très divisée et se demande quel bénéfice elle pourra tirer de la mine d’uranium qui doit démarrer en 2015 (le bouclier canadien possèderait 80% des réserves d’uranium mondiales), sachant que la mine d’or va bientôt fermer (elle était censée durer une quinzaine d’années). Les temps d’exploitation sont très courts (7 ans pour la mine d’or) et la fermeture intervient plus tôt que ce qui était prévu, et dépend des cours mondiaux des métaux. De nombreuses questions sont restées sans réponse : Quels seront impacts en ce qui concerne le transport des matériaux, leur extraction et leur traitement (yellow cake)?
La stratégie fin 2013 /début 2014 consiste à débloquer des stratégies de partenariat, des collaborations de recherches triangulaires (entre les communautés, les compagnies et les chercheurs), des consortiums en matière de recherches équitables. Certaines compagnies minières envisagent elles-mêmes des collaborations, mais pas Areva = dialogue peu satisfaisant pour le moment avec une étude d’impact environnementale très long, quelque peu hermétique, qui ne satisfait pas les populations.
Au Nunavik on peut citer l’exemple de la mine de nickel, rachetée par Glencore (entreprise suisse). La compagnie a développé une stratégie de responsabilité sociale assez développée et créé des partenariats avec les communautés locales. La compagnie a lancé des ateliers pour définir les besoins de la communauté et déterminer comment participer à l’amélioration de son bien-être. Cette réflexion tourne autour de quatre grands thèmes :
- la sécurité alimentaire
- le bien-être social
- le transfert des savoirs
- l’entrepreneuriat / la formation
Cette entreprise envisage de financer des projets de recherche et de développement économique sur ces problématiques.
Exemple de projets financés : des serres agricoles, un réensemencement des rivières, une boucherie, un atelier de découpe qui traitent dans des conditions sanitaires acceptables la viande et les poissons de la communauté.
On constate que le mode de régulation des mines est très diversifié. La phase de consultation publique est délicate (l’étude d’impact environnemental refusée 2x pour Areva). Les populations qui réclament une collaboration plus satisfaisante. Il s’agit aussi de s’entendre sur les répercussions et les avantages → partage des bénéfices et redevances / limites avec le caractère conditionnel de ces partenariats. Il n’y a que peu d’éléments aujourd’hui sur lesquels s’appuyer pour aider les communautés à collaborer avec mines. Stratégies au « coup par coup ».
Questions :
1/ Quel est le régime alimentaire des personnes : le régime traditionnel (à base de viandes) est-il en voie d’extinction ? Et le fast-food ? Assiste-t-on à une uniformisation de l’alimentation ?
Oui. La « junk food » est en train de gagner et pose toujours plus clairement la question de l’autosuffisance alimentaire, ce qui explique les programmes d’études qui se développent à ce sujet. Les aînés continuent à manger beaucoup de viande de caribous et à pêcher. Tradition de manger par terre : c’est le cas des familles qui continuent à garder un mode de vie traditionnel, ce qui signifie qu’elles ont des hommes (pour chasser) / argent (travail à la mine). Dans les autres types de famille (type monoparental par exemple…) on se nourrit au supermarché. Le déséquilibre alimentaire est préjudiciable. Pratiques à l’origine de maladies cardiovasculaires / cancers / obésité …
2/ Existe-t-il un commerce de viande de rennes ?
Non, pas à Baker Lake. Mais existe ailleurs où les aînés sont plus présents et s’organisent par exemple en coopérative bénévole : on ne vend pas la viande mais les chasseurs qui ont des surplus la mettent à disposition des plus démunis dans des frigos communautaires. Pas de commercialisation de viande de caribous. Mais compensée par un système d’entraide. Le régime traditionnel (bélugas, phoques, œufs, baies, produits de la pêche …) change. Or, les populations sont adaptées à ce type d’alimentation et le changement radical de régime est d’autant plus violent pour la santé. Leur organisme est adapté à un régime carné, donc c’est un problème aujourd’hui (Par exemple, nous ne pourrions avoir leur régime alimentaire).
3/ Peut-on encore parler d’une population traditionnelle ?
Le terme traditionnel n’a pas de sens. Il y a une importance sur le plan culturel, mais cela suppose de donner aux gens le pouvoir de faire des choix dans le monde moderne. Les communautés sont sous perfusion par le gouvernement fédéral. L’administration du nord Nunavik cherche des stratégies pour améliorer le bien-être de ces populations. Mais le taux natalité est très élevé, besoin de beaucoup d’argent pour préserver la culture et la langue. En une génération, beaucoup de savoirs se perdent.
Nous sommes face à une population qui se caractérise par une grande adaptabilité. Adaptation constante : à la colonisation, à la sédentarisation, a l’évangélisation, au commerce des fourrures et aujourd’hui aux CC (climats) et au développement des mines. L’intervenant souligne l’extraordinaire capacité de s’adapter et de comprendre les objets étrangers. Ce Nord représente un défi collectif et individuel permanent. Enjeu clef = comment redonner confiance en soi à ces populations dont on a détruit le contexte social. Mines : chance ou destruction ? Ca n’est pas à nous de choisir !
4/ Comment expliquer l’augmentation de la population ?
On compte 14 villages, ce qui représente entre 10 et 15 000 habitants, en constante augmentation. Les Jeunes qui ont du mal à descendre vers le Sud et n’y restent pas.
Il existe même une « école résidentielle », une sorte de classe d’une année (année qui précède l’entrée à l’université) pour les préparer à aller dans le Sud. Mais les jeunes demeurent très attachés à leurs familles. Les valeurs familiales sont très importantes. Problème de la croissance exponentielle qui pose question des logements / de la surpopulation et du chômage dans ces communautés.
5/ Quelles modifications du paysage avec ces mines ? Les Entreprises son-elles démantelées après utilisation ou laissées à l’abandon ? Peut-on envisager un morcellement des paysages avec la multiplication de ces sites ? Et la chasse dans tout cela ?
Les infrastructures liées aux mines d’or consistent surtout en une route recouverte de gravier. L’idée de départ à la fin de l’exploitation est d’enlever cette route. Mais les mines ne vont pas l’enlever (utilité pratique). Aussi il est question du re-remplissage d’un lac qu’il avait fallu assécher. Mais il y aura toujours des cicatrices. Si l’on fait un trou dans la toundra, cent ans plus tard, il est toujours présent. Aussi, les préoccupations des populations locales s’articulent autour de la poussière générée par la route : accidents (avec les troupeaux) et poussières qui recouvrent les lichens et les bêtes qui mangent ces lichens. Les Inuits se plaignent d’un impact sur l’alimentation et notent un changement de goût des caribous. Problème = peu de recherches sur ce sujet pour l’instant.
Pour la mine d’uranium, il s’agit d’une autre échelle. On se situe surtout dans le bassin versant de Baker Lake. Les eaux de la rivière Thelon se déversent à Baker Lake. Même aujourd’hui, on se pose encore des questions sur la manière dont sont traités les matériaux extraits : pas de réponse claire. Aussi, ce sont des activités qui génèrent des transports et donc la pollution de l’air. En réalité, les mêmes questions fusent et les réponses demeurent insatisfaisantes.
Problème de transparence : l’ancien maire était clairement favorable aux mines ou encore Areva finance des trajets en hélicoptère sur la terre natale des aînés.
6/ Le temps d’exploitation des mines résulte-t-il d’une stratégie des entreprises ou bien est-il véritablement lié à la richesse des sous-sols ?
Il obéit naturellement à une stratégie financière mais les temps d’exploitation sont liés au coût d’exploitation (particulièrement élevés compte tenu des conditions extrêmes : pergélisol, -40 / -50°C en hiver…) et au cours des métaux. Le changement climatique affecte donc grandement les sites. La baisse des cours est également une grande question dans un contexte d’économie dépendante. Souvent, il y a des négociations avec les mines pour établir des compensations financières. Par exemple pour que le nombre d’emplois prévus soit respecté (car il n’a souvent rien à voir avec ce qui était annoncé.) La question centrale = Comment négocier et établir un partenariat équitable ? Avoir les financements et le maintien des activités de subsistance ?
Exemple de petites communautés qui s’en sortent bien : certaines se sont lancées dans la production d’art (notamment la sculpture). Art inuit de très grande qualité, et appréciés des amateurs, parfois prêts à payer un prix élevé.
7/ La responsabilité sociale des entreprises découle-t-elle de pressions politiques ou des entreprises elles-mêmes ?
Pas de pression gouvernementale (assez démunis face aux entreprises), cela vient plutôt des entreprises elles-mêmes : cela dépend des actionnaires, des PDG, des nationalités de ces entreprises.
8/ Les communautés inuits développent-elles des stratégies juridiques particulières ?
Il n’y a pas vraiment de stratégies. Le Nunavut est davantage caractérisé par un vide juridique.
9/ Comment les communautés inuits envisagent-elles de transmettre leur savoir au plus jeunes ? Existe-t-il des projets, des études relatifs à ce sujet ?
De nombreux chercheurs s’intéressent aux savoirs des Inuits. Les projets de transmission du savoir varient. Il n’y a rien de ce genre à Baker Lake, plutôt caractérisé par une sorte de non-dialogue entre les générations, un gouffre entre les aînés et les jeunes, renforcé par le fait que peu d’aînés parlent la langue anglaise ou la parlent mal et les jeunes ne parlent plus Inuktitut : des crispations peuvent apparaître au sein même des familles.
Cependant, dans d’autres villages (Arviat), il existe des projets portés par les aînés et les jeunes qui se réunissent sur des projets d’histoire des mines, ou d’études sur le changement climatique. Tout dépend des communautés.
Néanmoins, la richesse de ces communautés tend à disparaître un peu plus chaque année avec les derniers représentants des populations traditionnelles (avant la sédentarisation) qui disparaissent.
Compte-rendu rédigé par Coralie BRICHET, relu et corrigé par Sylvie BLANGY et JL MARTIN