Christian Montès, Les transports dans l’aménagement urbain à Lyon, Geocarrefour, Lyon, 2003, 264 p.

Christian Montès, Les transports dans l’aménagement urbain à Lyon, Geocarrefour, Lyon, 2003, 264 p.

Christian Montès (université de Lyon-2) est bien connu des Cafés géos (voir, entre autre, un mémorable débat avec I. Lefort). Il vient de publier l’essentiel de son imposante thèse consacrée aux transports lyonnais. Les liens entre la ville et les transports sont souvent caricaturés, car difficiles à décortiquer. Or, C. Montès parvient à dénouer ces liens grâce à une approche pluri-disciplinaire qui met en évidence plusieurs mutations pour l’agglomération lyonnaise :
–  le passage d’une organisation des transports fondée sur l’industrie à une nouvelle forme largement inspirée par la tertiarisation ;
–  l’éclatement d’une polarité unique en une polarité multiple (Part-Dieu, technopôles, Cité internationale, Confluence) ;
–  la valorisation des modes de transports de haut débit (TGV) et de grande portée (aéroport international) dans la construction d’une nouvelle identité européenne.
Le chercheur montre que ces mutations sont liées à la prise de conscience d’une crise des transports en centre-ville et par la naissance d’une expertise locale (par les plans d’agglomération) au service d’un aménagement très ambitieux. Le géographe observe les niveaux d’échelle auxquels travaillent les aménageurs, leur façon de “manier” le site complexe de la ville-centre, la position de plaque tournante de niveau européen (la Communauté urbaine compte une soixantaine d’autoroutes). Un copieux “prolégomène” explicite, entre autres, les hiatus entre théories et réalités de l’aménagement, le passage d’une toute puissance des sociétés d’économie mixte à des partenariats avec le privé.

Pour Montès, la période 1958-73 est forcément marquée par le fonctionnalisme à l’origine de “structures modernes dans une logique jacobine”. L’urbanisme devient “technocratique” avec les plans d’occupation des sols et l’agence d’urbanisme mais émergent néanmoins les premiers plans de circulation. Jean Labasse, Michel Laferrère, Jean Pelletier, Charles Delfante, des figures bien connues des géographes participent, à des degrés divers, à l’élaboration de cette expertise cadrée par un réseau étatique d’ingénieurs (X et Ponts). A cheval sur les années soixante-dix et quatre-vingts, la décennie suivante est marquée par un certain repli de l’Etat mais on est loin de l’inertie : aéroport à Satolas, centre directionnel à la Part-Dieu et le métro qui ajoute à la ville, selon le joli mot de Montès, une “troisième dimension : la profondeur”. Les idées nouvelles, sinon quelques “vieilles lunes”, orientent la politique urbaine depuis 1984 dans des problématiques comme celles du développement durable. Mais ce corpus d’idées n’efface pas l’héritage de la planification fonctionnelle et le hiatus entre planification et gestion urbaine. Néanmoins, le système de transport lyonnais change d’échelle avec une nouvelle maquette d’acteurs aux rôles croissants : département, région Rhône-Alpes, Communauté urbaine comme nouveau centre décisionnel qui politise l’aménagement. Avec le PDU de 1997, les choix ne sont pas toujours très clairs et Lyon ne semble pas échapper à ce que Klein appelle la “dualisation” de l’espace avec “préservation de la tradition urbaine européenne au centre et ville américaine autour”. Montès montre toutefois que le partage de la voierie au centre n’est pas résolu. Quant à l’estimation que Lyon fait de sa position en France pour le fret, elle a aboutit à de nouveaux choix en faveur du transport de marchandises. Enfin, les télécoms illustrent toujours l’opposition entre la gestion de l’espace des entreprises et celui des collectivités.
Montès cache à peine son amertume de voir les plans d’aménagement de Lyon conduire à une forte polarisation de la ville-centre et de l’Est de l’agglomération “dans une logique trop souvent spontanée”. Les chevauchements de compétence comme le montre l’exemple de la RUL (région urbaine lyonnaise) sont lourds à surmonter. Au final, un aménagement déséquilibré conduit, notamment, à avantager Lyon au détriment de l’agglomération et à renforcer le primatiat de l’Est pour les grands équipements, non sans une certaine anarchie. Braudel que cite Montès (“le transport, cette lutte contre l’espace”) donnerait raison au géographe sensible au chevauchement des logiques de l’aménagement et du système urbain.

L’auteur insiste sur la marge qu’il y a entre l’image que Lyon donne de son système de transport et la réalité tâtonnante de l’aménagement urbain “acte avant tout politique”, d’autant plus complexe dans le Rhône que les droites se déchirent depuis trois décennies.

On ne saurait mieux conclure cet excellent ouvrage où d’éclairantes figures (pp. 52, 72 et 134) montrent comment s’emboîtent les réseaux de l’expertise et quelle est la nature de leurs liens. Les cartes donnent à voir, chez Montès, un art consommé du croquis. L’austérité de la maquette est égayée par des photos inspirées. Au détour des pages de ce livre rondement écrit, on trouvera réponse à quantité de questions dont une au moins hante tout Français : qui donc a osé construire le tunnel sous Fourvière ?

Gilles Fumey