Café Géo Montpellier
mardi 03 Décembre 2013, Café Riche
Intervenants :
Nicolas Roubieu, Directeur adjoint de l’urbanisme et de l’habitat de la communauté d’agglomération de Montpellier
Jean Paul Volle, Professeur émérite de géographie à l’Université Paul Valéry Montpellier 3
Animateur :
Alexandre Brun, Maître de conférences à l’Université Paul Valéry Montpellier 3, membre de l’unité de recherche ART-Dév.
Introduction par Alexandre Brun, qui remercie les deux intervenants, le Professeur Jean-Paul Volle de l’Université Montpellier 3 et Nicolas Roubieu, Directeur adjoint de l’urbanisme et de l’habitat de la communauté d’agglomération de Montpellier.
En quoi le projet urbain va contribuer à repenser la métropole ? à recréer des solidarités qui manquent peut-être l’échelle de la métropole actuelle ?
Quel effet le Projet Urbain Montpellier 2040 va-t-il avoir à l’échelle régionale également ? comment va-t-il s’articuler avec l’échelle départementale ? avec l’échelle régionale ?
(note : le Grand prix de l’urbanisme 2013 a été décerné par Cécile Duflot, Ministre de l’Egalité des territoires et du Logement, à Paola Viganò, architecte-urbaniste qui conduit avec Bernardo Secchi le projet urbain Montpellier 2040 engagé par la Ville de Montpellier)
Montpellier a une économie qui repose sur une économie résidentielle, sur sa démographie. Se pose la question de la compétitivité de la métropole en projet. Montpellier va acquérir le statut de métropole (nouveau statut d’intercommunalité prévu par l’Etat, qui remplacera pour Montpellier celui de Communauté d’agglomération) mais qu’est-ce que cela signifie-t-il ? Est-ce que ce terme choisi par le législateur est le bon ?
La participation de deux intervenants va permettre d’apporter une vision croisée sur ce sujet pour le cas de Montpellier.
Jean-Paul Volle : Tique d’abord sur l’idée de « métropole ». Il faut commencer par se poser deux questions : 1) par rapport au terme de métropolisation de façon générale, 2) quid de cette ville pour qu’elle puisse prétendre au rang de métropole ?
Montpellier a eu une croissance démographique récente et s’est trouvée projetée au 8e rang actuel pour sa population dans le classement des villes françaises.
Il faut s’intéresser à la manière dont progressivement s’impose l’urbain. Ne pas perdre cela de vue car l’urbain est devenu la matrice de référence. Dans une région qui s’est projetée pendant longtemps sur l’opposition rural/urbain, cela constitue un changement de référentiel. Des relations se sont tissées entre urbain et rural qui débouchent sur un périurbain. Comment dès lors penser un périurbain métropolitain ?
Il y a deux termes forts pour caractériser ces espaces :
-mobilité : nos sociétés sont hyper-mobiles. La première ligne de tramway il y a quinze ans a été une première réponse à la mobilité intra-urbaine. Vers la périphérie, la question n’est toutefois pas réglée.
-vivre ensemble : comment faire pour vivre côte à côte ? penser vivre solidairement n’est pas si simple.
Voilà des points qui soulèvent le problème des échelles. Comment faire pour que des espaces qui se vivent ensemble puissent se gérer collectivement ?
Fait référence à l’ouvrage collectif Montpellier, la ville inventée, coordonné par Emmanuel Négrier, Catherine Bernié-Boissard, Jean-Paul Volle et Laurent Viala (Editions Parenthèses, 2010). Cet ouvrage est issu du programme de recherche POPSU (Plate-forme d’observation des projets et stratégies urbaines), qui a mis en dialogue l’expertise des acteurs locaux et les savoirs des milieux de la recherche pour mieux comprendre les enjeux et les évolutions de l’espace urbanisé, sur plusieurs villes françaises dont Montpellier.
Il faut resituer ces évolutions dans une perspective d’une quarantaine d’années. Montpellier était auparavant une ville provinciale bien accrochée à son archéo-bourgeoisie. Il y a eu trois déclics pour le changement : 1) la montée en charge de l’université, avec les jeunes du baby-boom ; 2) l’arrivée des rapatriés d’Algérie en 1962 ; 3) l’installation de l’entreprise IBM en 1965. Ces trois éléments ont renversé l’image de Montpellier, projetée alors sur une trajectoire nouvelle en termes géographiques. Et le soleil est le lien fort entre ces éléments.
On est donc passé du rapport ville-campagne à la ville primatiale. Béziers et Nîmes ont été « mangées », le dynamisme de Montpellier a bouleversé le territoire.
Le projet urbain, c’est une somme de points d’impact sur un territoire qui s’ouvre à l’urbanisme, pour passer de 150000 habitants à 400-450 000. Et si on regarde le bassin de vie Sète-Lunel-Garrigues, on n’est pas loin de 700 000. Cela interroge en termes d’espace géographique.
Question : Est-ce que vous pensez que Montpellier est une ville qui se globalise ? est-ce qu’on peut déceler dans l’espace des marqueurs de la métropolisation de Montpellier ?
JP Volle : Si on était dans une global city on les verrait vraiment. Mais oui, même à Montpellier il y a de petites choses visibles. De là à dire que Montpellier est une ville globale, non certainement pas. Les forces d’ancrage sont supérieures à celles qui traduisent les forces du global.
Question : si on revient à l’expression de « ville inventée », en latin : ville trouvée ? Prendre 3 éléments des années 1960 pour argumenter est un peu dépassé aujourd’hui non ? Les jeunes ici n’ont pas connu Mitterrand et Frêche. Ceux qui se prétendent aujourd’hui leurs continuateurs construisent partout sans réflexion organisée, le foncier fait loi.
JP Volle : d’accord sur l’idée de rente, cependant la rente la première reste la rente foncière. La rente est générée dans le cadre du centre-ville mais davantage dans la périphérie sur la base du foncier et du logement de standing. Donc s’il y a une stratégie d’atténuation de la rente, c’est plus dans le centre.
A. Brun : propose de revenir à la question de la métropole, sur un plan à la fois géographique et institutionnel.
Nicolas Roubieu : il faut revenir à l’histoire des métropoles en France. Cela a alimenté beaucoup de fantasmes et d’utopies. Fait référence à Olivier Guichard et à la DATAR, dans les années 1960, avec les métropoles d’équilibre. Aujourd’hui on a l’impression du rebond d’une histoire assez ancienne. A l’époque toutefois, Montpellier n’apparaissait pas dans le programme des métropoles d’équilibre. L’Etat était assez puissant pour mettre en place des métropoles et organiser une gouvernance métropolitaine assez efficace. On a construit de grands centres quartiers d’affaires comme Meriadeck à Bordeaux, des grandes infrastructures de transport comme le métro à Lyon en 1978…, dans le cadre d’une politique d’ensemble assez cohérente. Il y a eu différents épisodes depuis : la loi Chevènement en 1999 clarifiant le statut des Communautés Urbaines, qui règle donc les contenants, tandis que la loi SRU de 2000 règle les contenus. Et entretemps, beaucoup de projets se sont accaparés le terme de métropole alors qu’ont le statut souvent de communauté d’agglomération : « Nîmes Métropole », « Le Mans Métropole » qui a 200 000 habitants, etc. Le terme de métropole s’acclimate donc à plusieurs contextes.
Dans le nouveau contexte législatif français (loi de 2010), 13 agglomérations vont acquérir le statut de métropole, qui est censé renforcer le rôle des métropoles en matière de développement économique, d’innovation, de transition énergétique, de politique de la ville. Toulon a été éjectée de la liste et Montpellier rattrapée. Cette loi Lebranchu porte sur des compétences, mais sur des périmètres jamais rediscutés.
JP Volle : une remarque : Montpellier est entrée et Toulon est sortie de la liste par subterfuge, celui que seule une capitale de région peut avoir ce statut, alors que Toulon compte davantage d’habitants. Si on retenait l’aire urbaine fonctionnelle de Montpellier, on serait au-dessus de Rouen (en englobant La Grande-Motte, Lunel… car ils fonctionnent dans l’espace urbain montpelliérain, tout comme même Sète et Frontignan). On y arrivera, avec un lien ferroviaire par l’Intercité Grande Vitesse. La région doit se penser en termes urbains.
Question-commentaire : les transports sont liés à la dynamique territoriale, et quand on pense transports publics, il faut connaître leur dynamique propre. Le matin à la gare de Montpellier, il y a beaucoup de gens qui vont à Sète, à Nîmes, etc. ca veut dire que nous sommes dans un réseau métropolitain. Mais quand l’offre de transport n’y est pas, il n’y a pas de dynamique territoriale. Entre Genève et Lausanne, on a de 6h du matin à minuit 6 trains régionaux par heure, alors que ces villes sont plus petites que Montpellier et Nîmes.
N. Roubieu : une remarque sur la carte des mobilités. 23 communes du canton de Gignac sont rentrées dans l’aire urbaine de Montpellier entre 1999 et 2006, cela s’explique par l’ouverture de l’autoroute A75 qui arrive jusqu’à Montpellier. Autour de Montpellier, beaucoup de mobilités se font en train ou en voiture. 400 000 voitures rentrent dans Montpellier tous les matins.
JP Volle : demain qui aura la compétence sur les lignes de transport ? la métropole. Donc sur son périmètre, elle pourra justifier de son action en profondeur.
N. Roubieu : pour le moment, seules deux métropoles ont intégré la politique des transports à tous les étages, preuve de cohérence.
A. Brun : revenons sur la dimension économique de la métropole. L’équipe du projet urbain avait souligné que Montpellier était une métropole aux pieds d’argile car sa base économique est fragile. L’analyse économique du cabinet Mensia Conseil confirme cette fragilité et le poids de l’économie résidentielle. On observe de plus une baisse de la croissance démographique. La dépendance à une économie résidentielle est une fragilité.
JP Volle : deux remarques : 1) en 2000 s’est faite l’ouverture du tramway à Montpellier. On observe une grande mobilité professionnelle dans l’agglomération due à la dissociation entre habitat et travail. La question est : comment on gère spatialement cette dichotomie ? ceux qui ont de l’argent le gèrent bien, les autres moins. Dans le cadre du PLH 2013-2018 (Plan Local de l’Habitat), des communes renâclent à faire du logement social. S’il n’y a pas de réflexion habitat-travail, on va à la catastrophe ! c’est une question de fond essentielle. 2) en termes d’économie, je préfère le terme de présentielle que de résidentielle. Elle a bien sûr ses dangers, ses points de faiblesse. Mais elle répond à la satisfaction des besoins de la population qui vit sur le territoire.
N. Roubieu : on est à un moment charnière, là où la part des apports démographiques liés au solde migratoire est en train de s’équilibrer avec le solde naturel.
Question : quelle est la dimension citoyenne des métropoles ? Est-ce que quelqu’un de Nîmes se sent appartenir à la métropole montpelliéraine ? Est-ce qu’on peut se baser sur l’aire urbaine alors qu’on sait que la définition même aura peut-être changé dans dix ans ?
N. Roubieu : oui, les périmètres évoluent, les choses sont mouvantes et s’apprécient à des échelles variables.
JPV : On touche au fonctionnement démocratique. Est-ce qu’on va vers une super-structure décidant de, ou vers quelque chose qui repose sur la démocratie locale ?..
Question : Montpellier est une agglomération exceptionnelle sur le plan juridique, puisqu’elle a créé des jurisprudences en matière de construction de la communauté d’agglomération (relatif à la demande de retrait du périmètre de certaines communes). Comment on va pouvoir gérer l’aération et la densification des villes ?
JP Volle : si on veut améliorer les rapports sociaux, il faudra bien gérer l’habitat et les activités sur le territoire. Ce n’est pas facile.
N. Roubieu : cela renvoie à la question des espaces de solidarité et d’interdépendance qui sont liés. Il faut gérer les antagonismes fiscaux. Quand on partage un bassin de vie, c’est un espace de solidarité : soit on considère que c’est un espace d’obligation de solidarité, ou pas. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. La question de l’interdépendance : ce qui se décide à l’échelle de la ville centre n’est pas sans incidence sur les villes périphériques. Certains disent : Montpellier a suffisamment donné. Mais la ville centre a des obligations. On verra comment le futur PLU (Plan Local d’Urbanisme) conservera des éléments de respiration (par exemple conserver 50% des surfaces non construites, etc.). Le SCOT du Pic Saint Loup par exemple a été refusé au nom de la trop grande consommation de terres agricoles, donc c’est un signe.
Question : est-ce que la Métropole est un aspirateur de compétences d’autres échelons ?
JP Volle : en 1989, on a publié Montpellier Europole (Roger Brunet et al., Ed. GIP Reclus, 1988). La métropole génère de l’inégalité, ça on le sait, on le dit. La 2e hypothèse : il faut se battre pour que Montpellier génère de la compensation de l’inégalité. Il faut résorber les poches de pauvreté. Il conviendrait que le jeu du politique soit celui de la correction des inégalités.
N. Roubieu : le poids du commerce du centre ville commence à baisser par rapport à celui des commerces de la périphérie. Explication sur le système des élections à Paris, Lyon et Marseille, où l’on n’a pas de visibilité sur l’élection du conseil municipal avec le système par arrondissement. Personne n’est capable de dire qui décide et qui alimente par exemple le métro. C’est aussi le problème qui se pose entre le suffrage universel et les échelons métropolitains sans visibilité directe.
Question : est-ce que le projet urbain est pertinent à l’échelle à laquelle il est pensé ?
N. Roubieu : rappelle le slogan de l’équipe : « l’urbanisme ça se fait à pied ». On parle aussi de la ville en pantoufles.
A. Brun : l’image de la ville est un point important et qui a été peu abordé. L’image véhiculée par Montpellier est très positive. Est-ce que vous pensez qu’elle participe à la construction métropolitaine ?
N. Roubieu : oui, mais comme les autres métropoles. Et le projet urbain y contribue.
JP Volle : Montpellier a été la première ville de ce niveau à se lancer dans une politique de marketing dans les années 1980 avec le slogan notamment « Montpellier la surdouée », etc. Aujourd’hui je ne suis pas sûr que ces images soient celles qui jouent le rôle de moteur dans les dynamiques métropolitaines même si elles y participent. L’image donnée à Montpellier aujourd’hui est celle du green : celui des espaces verts qui accompagnent les projets.
Liens utiles pour compléter le Café Géo autour de la métropolisation montpelliéraine au prisme des projets urbains :
http://montpellier2040.fr/ : Au terme d’une démarche de deux années d’études et de douze mois de concertation avec les Montpelliérains, les orientations du projet urbain Montpellier 2040 ont été débattues en Conseil Municipal et rendues publiques lors d’Assises très suivies.
http://www.montpellier.fr/373-grands-projets-urbains.htm : ce site municipal présente les grandes opérations d’urbanisme en projet ou en cours et surtout un lien avec un film documentaire (45 mn) sur les conséquences – du point de vue des habitants – des opérations de renouvellement en centre ancien.
www.ina.fr/video/CPC87009741. Des archives de l’INA (Institut national audiovisuel) directement accessible en ligne permettent également de comprendre la genèse du quartier d’Antigone qui (a tant) fait débat à Montpellier.
Plusieurs sites associatifs traitent également des limites des transports collectifs à l’échelle métropolitaine (cadencement TER insuffisant, gares sous-dimensionnées…) et des bases – toujours fragiles – de l’économie locale.