Je suis allée en prison… de mon plein gré… et pendant quelques heures. Il n’est donc pas question ici de faire une analyse, ni même de donner un avis motivé sur l’univers carcéral. Des sociologues, psychologues et même géographes ont fait ce travail (voir la belle thèse d’Olivier Milhaud publiée chez CNRS Editions en 2017, Séparer et punir. Géographie des prisons françaises). Le but de ce petit texte est de transmettre quelques impressions ressenties lors d’une rencontre avec des détenues dans le cadre d’une expérience culturelle qu’elles ont suivie pendant un an. La prison, c’est certainement le surpeuplement, la promiscuité, des conditions matérielles et psychologiques souvent dégradantes, mais ce peut être aussi autre chose.
Le centre de détention de Réau est situé non loin d’une autoroute, au voisinage d’une banlieue banale de Seine et Marne. De loin on pourrait le prendre pour un centre de vacances avec ses bâtiments de moyenne hauteur, aux murs jaunes, enserrant des cours intérieures. Le bâtiment est récent (il a été inauguré par le président Sarkozy) ; aussi ne souffre-t-il pas de la vétusté de la plupart des prisons françaises.
Réau comprend une centrale pour les hommes condamnés à de longues peines et une partie réservée aux femmes qui y purgent de longues ou courtes peines (le faible pourcentage des femmes dans la population carcérale ne justifie pas de faire la distinction).
La coordinatrice culturelle qui introduit notre petit groupe à l’intérieur des murs, explique rapidement quelles sont les activités offertes aux détenu.e.s pour faciliter leur réinsertion future. Formations professionnelles et cours dispensés par l’Education nationale permettent à des gens dont le niveau varie de l’analphabète au doctorant d’acquérir un diplôme à leur sortie. Plusieurs activités culturelles (théâtre, arts plastiques…) sont aussi proposées. Seule une minorité souhaite y participer, mais, ici comme « au-dehors », la proportion des femmes est trois fois supérieure à celle des hommes.
Nous ne sommes pas à Réau pour suivre une conférence sur le monde pénitentiaire, ni pour faire une visite guidée, mais pour rencontrer des femmes, non parce qu’elles sont prisonnières mais parce qu’elles ont sculpté la terre pendant un an pour exprimer leurs émotions et que leurs réalisations sont exposées au cœur de la prison. L’artiste Marion Lachaise, plasticienne et vidéaste, a guidé ce travail et fait une vidéo, Antiportraits à Réau (2017), dans laquelle images et voix se combinent pour laisser entrevoir les personnalités des huit femmes qui ont participé à l’expérience. Leur parole accompagne la projection de leurs créations sur lesquelles se superposent un œil, un sourire, le coin d’une joue.
Dans la pièce où sont exposées les sculptures, nous rencontrons deux de ces détenues. « Ces dames », comme les appelle respectueusement Marion Lachaise, entrent, après un long cheminement dans la prison que nous ne connaîtrons pas. Souriantes et coquettes (le souci de présenter une « bonne » image n’a pas été aboli par la détention), elles semblent contentes de nous parler d’elles, de leur travail… de nous parler tout simplement.
Ces deux fortes personnalités, ayant subi (l’une doit sortir prochainement) ou subissant de longues peines, ne sont pas brisées par la vie carcérale. Ni abattues, ni révoltées, elles ont gardé le contrôle de leur vie. C. nous dit : « La prison, c’est maintenant chez moi ; je dois donc y vivre le mieux possible ». Vivre le mieux possible en prison, c’est maîtriser les heures avec un emploi du temps bien réglé et garder des liens avec l’extérieur. B. n’est presque jamais inoccupée. Elle travaille comme contrôleuse dans un atelier qui fournit des pièces à de grandes marques de luxe, puis elle écrit. L’écriture semble être sa principale passion. Peut-être cette femme dont l’aisance et le niveau de langue indiquent une origine sociale favorisée, tirera-t-elle de ces nombreux cahiers qu’elle remplit, une œuvre littéraire. Pour le moment c’est son bien le plus précieux, un bien privé dont l’administration pénitentiaire ne peut se saisir.
C. et B. nous présentent leurs sculptures avec enthousiasme. B. a des références culturelles et évoque Rodin et Camille Claudel. C. a voulu transmettre ses émotions en façonnant l’argile, comme ce cœur dont une partie est libre et l’autre derrière des barreaux, mais des barreaux décorés par des fleurs. Une de ses créations les plus émouvantes représente deux mains, une main de femme et une main d’enfant étroitement enlacées. Elle exprime son amour pour son fils qu’elle a dû quitter alors qu’il n’était encore qu’un bébé.
La séparation des mères et des enfants est sans doute un des plus grands drames de la détention. A Réau, les femmes qui accouchent peuvent garder leur bébé jusqu’à ce qu’il ait 18 mois en bénéficiant des soins d’une nurserie. Puis elles peuvent les revoir dans les appartements familiaux où couples, parents et enfants ont la possibilité de se retrouver jusqu’à 72h. Mais la séparation n’en est pas moins brutale.
Le cloisonnement des espaces est une caractéristique de la prison. Cela se retrouve dans les créations plastiques des détenues. Certes, certaines, parmi elles, peuvent sortir librement de leur cellule pendant la journée, mais elles restent dans un milieu clos. Et si B. nous dit oublier les barreaux de sa fenêtre, c’est le contact avec les arbres, l’herbe, la terre qui lui manque le plus. Dans une grande maquette, précise et soignée, C. a conçu l’appartement de ses rêves. La pièce centrale est un grand salon qui n’est meublé que d’un piano afin qu’on ait beaucoup de place pour danser.
Sans doute les deux personnes que nous avons brièvement rencontrées, représentent une minorité de la population carcérale. Sans doute les conditions de détention à Réau -une centrale et non une maison d’arrêt- sont-elles meilleures qu’ailleurs. Mais cette expérience nous a montré les capacités de résilience de la nature humaine.
Michèle Vignaux