Invité par Gilles Fumey, Louis Dupont est plus qu’un fin gourmet : c’est un véritable alchimiste. Avec trois ingrédients –  » de la géographie, du Québec, et… de la bouffe  » – il vous fait vivre un repas délicieux, chaleureux, voire familial (les Québécois n’oubliant jamais leurs cousins français). Louis Dupont a fait partager aux convives de l’Association des Cafés Géographiques sa passion pour le Québec, à travers des plats exquis, des récits, des histoires, des rêveries sur des espaces du Grand Nord, et surtout à travers un accent qui en dit long sur la connaissance intime du pays qu’a ce géographe québécois.
repas_quebecois

La cuisine traditionnelle des Canadiens
Certes, il n’y aura pas de gibier québécois au cours du repas, pas de castor ni de caribou : d’une part, parce que ce n’est pas la saison et, d’autre part, parce que ce n’est pas tellement la faune du Quartier latin de Paris où nous sommes ! En revanche, Louis Dupont nous a donné l’occasion de goûter aux mets traditionnels qui ont constitué la première cuisine du Québec. Cette cuisine « traditionnelle » est encore pratiquée aujourd’hui au Québec, en particulier lors des fêtes de Noël et du Jour de l’an. Plus que des plats d’hiver, ces mets traditionnels révèlent aussi « le goût du pays et de notre histoireEn effet, quand nos ancêtres communs sont arrivés au Québec, la cuisine et la langue françaises n’existaient pas. Pour s’entendre, ces hommes et ces femmes venus de la France de l’Ouest (du Poitou, de Normandie, des pays de Loire…) ont dû fondre leurs langues et parler un français qui n’existait pas encore. Ils ont dû aussi inventer une cuisine et s’arranger avec les bêtes. Pour survivre durant les hivers longs et rigoureux, il leur fallait trois choses : de la viande -procurée par la chasse-, du gras -que leur fournissaient les bêtes- et surtout… du sucre ! Beaucoup sont morts lors des froids intenses, faute de sucre« . Et ce sont les Indiens qui vont leur apprendre à chasser, à se procurer du gras et à trouver du sucre en le tirant des érables. C’est pourquoi ce soir, nous mangeons de la viande, du gras et du sucre. On ne mange pas de fruits, car les fruits sont un véritable luxe.  » Avoir une orange comme cadeau à Noël, c’était le ciel ! « , c’était le soleil par sa couleur si fascinante.

Commençons donc le repas avec des cretons, c’est-à-dire une viande bouillie avec beaucoup d’herbes. L’origine du creton, c’est Alphonse Allais qui l’a racontée dans Le Captain Cap. En effet, il a profité de deux mois passés au Québec en 1894 pour découvrir la cuisine du pays. Il décrit une  » carrière de charcuterie  » (meat land) formée dans un immense ravin qui était jadis jonché de plantes aromatiques. Or, un jour, un incendie se déclara, si bien que toutes les bêtes, cerfs, biches, durent se réfugier dans le ravin. Avec le feu qui se propage et la chaleur étouffante qui envahit le lieu, les animaux ne tardent pas à cuire à l’étouffée ! Les matières les plus lourdes plongent vers le fond, tandis qui la graisse remonta en haut de cette immense marmite. Les petites herbes aromatiques se chargèrent de parfumer le pâté…

Recettes des cretons :
http://saveurs.sympatico.ca/ency_6/…
http://frenchcaculture.about.com/cu…

Avec les cretons, Louis Dupont nous conseille de déguster des bières, boisson préférée des Québecois. On a fait beaucoup d’efforts pour créer des vignes qui résisteraient à l’hiver. Si le restaurateur de L’Envol nous propose un  » kirch québécois « , attention, il s’agit d’une invention personnelle : mélange de muscadet et de sirop d’érable. Du reste, il existe plusieurs digestifs faits à base de sirop d’érable.

Toujours dans cette cuisine traditionnelle que l’on déguste en hiver et lors des fêtes, Louis Dupont nous fait goûter à la tourtière. Attention, il y a autant de recettes de tourtières que de régions et de familles au Québec. En France la « tourtière » c’est ce que les Québécois appellent « l’assiette à toutrière ». « Pour résumer, dit Louis Dupont, notre tourtière, c’est votre tourtière et votre tourte, l’assiette et le plat proprement dit. » Ce soir, on a goûté la tourtière de Montréal. Le beau-frère de Louis Dupont la prépare avec du sanglier, de la perdrix, du caribou, de l’orignal, des pommes de terre, des oignons, de l’ail, des herbes, et de la pâte. Pour la cuire, ça prend… une nuit ! Puis il faut la recuire une seconde fois. Les couches de viande sont superposées les unes sur les autres, et séparées par des couches de pâte. Mais attention, on ne superpose pas les couches dans n’importe quel ordre : parce que le caribou est la viande des dieux (tendre comme la neige, et rouge autant que cette dernière est blanche), on la met en haut. En revanche, la perdrix et le sanglier sont en bas.La tourtière se mange avec un ketchup fait de tomates vertes, d’épices, d’oignons, de poivrons, d’ail. Il faut deux jours pour le préparer ! Comme accompagnement à la tourtière, il faut impérativement des fèves au lard, ces haricots mijotés toute une journée dans le lard. Pourquoi ne pas y ajouter des tranches de dinde et des cranberries (baies des marais) ?

Recettes de la tourtière :
http://saveurs.sympatico.ca/ency_6/…
http://frenchcaculture.about.com/cu…

Les mets traditionnels ont été conçus pendant la période française. Puis les Anglais sont arrivés avec leurs bières. Les mets « canadiens » sont devenus des mets « canadiens français ». Alors que Jacques Cartier avait appelé le pays « Canada » du nom autochtone d’une bourgade et que le mot « canadiens » désignait les Français relevant du processus d’américanisation, nous sommes devenus, raconte Louis Dupont, des « Canadiens francophones« , appelés ainsi par les Anglais, en vertu du privilège du dominant de nommer le dominé… et ce alors, que ces « Anglais » étaient britanniques d’abord, et canadiens par accident ! Aussi, les mets traditionnels vont se transformer : le bœuf haché va remplacer le castor !

Considérons donc, à présent, les mets de la culture populaire, ces mets qu’inventèrent les « Canadiens français » qui étaient ouvriers pour beaucoup. Parmi les grands mets de la cuisine populaire, il y a la sauce bolognaise appelée « sauce spaghetti », dont la recette est particulièrement complexe et que les Canadiens français ont appris lorsqu’ils côtoyaient les ouvriers italiens.

Recette de la sauce spaghetti :
http://boitearecettes.infinit.net/p…

Citons aussi le pâté chinois, qui n’a rien de chinois, puisqu’il est fait d’un hâchis parmentier et d’un maïs crème (un peu sucré). Appelé pâté chinois, à cause de sa couleur jaune, ou peut-être plutôt – d’après le géographe Jean Morisset qui partageait le repas avec nous – parce que les Chinois creusant le canal du Saint-Laurent mangeaient du maïs…

Recette du pâté chinois :
http://PatEChinoiS.Cjb.Net/

Mentionnons, enfin, la poutine, plat qui est fait de frites, de sauce et de fromage… Bref, un plat particulièrement lourd… Rendez-vous sur le site web ci-dessous pour connaître l’histoire, la recette et les dérivés de la poutine : http://www.hasc.ca/ tikin/poutine-fr.html

La cuisine québécoise…
 » Après avoir été des Canadiens qui parcouraient le continent, puis réduits à être des Canadiens français dominés, nous sommes maintenant des Québécois, ce qui témoigne de la reprise en possession d’un territoire et qui relève de la gastronomie.  »

On note effectivement dans la gastronomie québécoise un retour au terroir. Aussi, si vous allez au Québec, vous découvrirez une société québécoise qui s’est raffinée et dont les plats dits « français » n’ont pas le goût qu’ils ont en France. En fait, la cuisine québécoise est aujourd’hui soumise à une triple influence : celle de la cuisine française traditionnelle, celle de la cuisine de terroir et, enfin, celle de la nouvelle cuisine californienne où la disposition des aliments dans l’assiette à une grande importance.

En guise de dessert, Louis Dupont nous fait découvrir la tarte au sucre (ne nous avait-il pas promis de la viande, du gras et du sucre ?). Il ne faut surtout pas la confondre avec la tarte au chucre du Nord de la France ! La tarte au sucre québécoise n’est pas faite avec du sucre de sirop d’érable, mais avec du sucre cassonnade.

Recette de la tarte au sucre :
http://frenchcaculture.about.com/cu…

Pour finir ce délicieux et passionnant repas géographique, Louis Dupont évoque les McDonald’s qu’il a si brillamment étudiés dans un article de Géographie et Cultures (n°32, hiver 1999) : S’il y a autant de fast food au Québec qu’en France, il y a Outre-atlantique de très nombreuses chaînes. Quant aux « happy meals » d’une célèbre chaîne -qu’on appelle là-bas « joyeux festins » ( !)- ils sont particulièrement chers en France…

N’hésitez pas à lire de Louis Dupont et Nathalie Lemarchand  » Culture et commerce. Du système national américain au système monde : le cas-type de McDonald’s  » (http://www.cybergeo.presse.fr/somma…)
Histoires en marche ou poèmes de la terre errante…
Si vous voulez découvrir Jean Morisset, géographe québécois qui partageait le repas avec nous, et qui passait au Centre Géopoétique de Paris, sachez que son livre Récits de la terre première paraît chez Léméac/Actes Sud.

Extraits :

Géographies géographies
Me adjudem por favor
Neiges nomades des grèves du grand large
Mémoires des poudreries ensorcelées
Prières burinées des vieux sagamos
Aidez-moi pour faveur

Racontez-moi
La vie de tous mes ancêtres
Racontez-moi
Les rêves de tous ceux qui ont disparu
Dans le courant des amériques
Please tell me the story of my former life
J’appartiens à une perte de mémoire
Dont j’ai perdu la trace
J’appartiens à la mémoire d’une autre mémoire

Me adjudem por favor
Je suis d’une tribu
Ayant parcouru dix mille ans de glaciation
Sous les méandres de l’espèce
Je suis d’une tribu
aux bras débordants de rivières
Je suis d’un peuple couvert de lacs et de tourbières
N’ayant jamais cessé de déambuler
Entre les franges d’un destin en éternel portage

A lire en ligne
LE QUEBEC DANS VOTRE ASSIETTE : Écrire l’histoire de la gastronomie québécoise c’est à grands traits tracer l’histoire d’un peuple…
–  http://saveurs.sympatico.ca/quebec/…

LE CANADA DANS VOTRE ASSIETTE : Avec 10 provinces, couvrant 9 976 139 km ca, côtoyant 3 océans, le Canada est un camaïeu de cultures, de géographie et de climat. Avec autant de diversité, la présence amérindienne et quelques concentrations ethniques, le Canada bénéficie de grandes richesses. Chaque province apporte ses spécialités, ses habitudes culinaires. Traversons le pays à vol d’oiseau à partir de l’Est, du côté Atlantique, histoire de faire connaissance.

UN REPAS VIRTUEL (Par ÈVE BÉDARD, Université de Sherbrooke) : Alimentation, autoroute de l’information, cuisine, épicerie, informatique, innovation, Internet, ordinateur, recettes, technologies, trouvailles… Les technologies de l’information apportent continuellement des nouvelles ressources qui facilitent la vie des gens. Avec Internet, il est maintenant possible de faire la cuisine sans sortir de chez soi. L’épicerie IGA, le site Saveurs du monde de MSCOMM, le Bureau laitier du Canada ainsi que bien d’autres sites procurent des services autrefois inimaginables. L’épicerie virtuelle a encore un nombre restreint d’adeptes, mais les sites Internet où l’on parle de l’alimentation sont de plus en plus populaires. Les trouvailles qu’on peut y faire sont surprenantes.
–  http://callisto.si.usherb.ca/~red61…
Bibliographie sélective de Louis Dupont
–   » La post-modernité, une réalité entre pensée et discours « , Géographie et Cultures n°31,1999
http://www.cybergeo.presse.fr/somma…

–  avec Nathalie Lemarchand  » Culture et commerce. Du système national américain au système monde : le cas-type de McDonald’s « , Geographie et Cultures n°32,1999.
http://www.cybergeo.presse.fr/somma…

–   » La logique continentale nord-américaine et ses avatars : le regard culturel en géographie. « Géographie et cultures, n° 17, 1996.
http://www.fl.ulaval.ca/geo/cgq/tex…

–  avec Dean Louder,  » Nouvelle sphère de sens et champ identitaire francophone et acadien « , article disponible en ligne : http://www.fl.ulaval.ca/cefan/franc…

–  avec Dean Louder  » Quelles cultures reproduire ? « , Texte préparé pour le colloque du troisième séminaire d’été francophone tenu à Kananaskis, Alberta. 1994.

–  avec Anne Gilbert et Dean R. Louder  » Les Floribécois dans le contexte de la Floride du Sud « , Sainte-Foy, Département de géographie,Université Laval. 1994.

–   » Entre sensibilité et discours : structuration et signification de l’américanité québécoise « , Ottawa,Université d’Ottawa. (Thèse de doctorat non publiée, Département de géographie.) 1993.
http://www.fl.ulaval.ca/cefan/franc…

–  « Américanité et américanisation : une réflexion à partir de la société québécoise ». Les Cahiers de l’Acfas 53, 1986.

–   » Le déplacement et l’implantation des Québécois en Floride « , Vie française, n°36 : 23-33. 1982.

–  avec Marie Dussault,  » La présence francophone en Floride : un portrait « , Vie française, n°36 : 5-22. 1982

Compte rendu : Olivier Milhaud