Présentation par Fransisco MATURANA, professeur de géographie à l’Université Alberto Hurtado, Chili.
Ce Café Géo a eu lieu le mardi 11 octobre 2016 au Saint-James, Place du Vigan à Albi à partir de 18h30.
Présentation problématique :
Au Chili, 85% de la population est urbaine et sur ce total, approximativement 40% des habitants vivent dans la région Métropolitaine, où se trouve la capitale du pays : Santiago. Cette concentration est un processus qui se développe depuis le début de la conquête du pays par les Espagnols et qui se concrétise aujourd’hui par une telle ampleur.
En effet, il y a plusieurs moments dans l’histoire du pays qui expliquent une telle concentration à Santiago. Le premier, se réfère à la conquête espagnole et la forte résistance exprimée par les Indiens Mapuche, qui ont empêché l’articulation des centres urbains au sud du pays au cours des 200 premières années de la conquête. Un deuxième élément, qui est associé au point antérieur sur les conditions de paix à Santiago, est que cette ville a été la première à avoir développé une infrastructure urbaine, des liaisons ferroviaires, le contrôle sur les exportations, entre autres. Tout ceci a contribué à la concentration économique et au contrôle politique sur les autres villes. Un autre aspect à prendre en compte a été la crise du salpêtre qui a touché le nord du Chili entre les années 1920-1930. Cette crise a produit une migration de population du nord vers le sud du pays, mais Santiago a été la ville qui a le plus attiré la population vers elle. Un autre élément à relever est l’inexistence d’un centre urbain qui fasse contrepoids à la puissance de la ville de Santiago. A tout cela, nous ajoutons le processus migratoire ville-campagne qui agit depuis les années 1940 vers les différents centres urbains du pays, Santiago étant la ville la plus attirante. Ainsi, cette hypermacrocéphalie est un exemple des fortes disparités spatiales qu’il est possible de trouver au Chili.
Si nous analysons la distribution du PIB par habitant, il est possible de voir que la région minière d’Antofagasta dans le nord du Chili possède un PIB par habitant 10 fois plus élevé que celui de la région avec le plus faible PIB dans le pays, La Araucania1. Ainsi, nous avons une région avec des valeurs similaires aux pays européens comme la France ou l’Italie, mais par contre, sur quelques kilomètres, nous avons des territoires dont les revenus ressemblent à ceux que nous pouvons observer au Nigeria et au Soudan.
C’est dans ce contexte que cet exposé veut discuter le rôle de cette ville dans la structure du système de villes du pays. Il s’agira de montrer le contraste socio-économique du pays, le processus historique et l’évolution de la concentration de la population qui constituent aujourd’hui cette hypermacrocéphalie. Nous discuterons les théories et arguments pour répondre aux questions suivantes : comment arrivons-nous à un tel point de concentration ? Quels événements historiques ont contribué à la formation d’un tel processus ? Quel est le rôle de l’Etat dans cette concentration ?
Eléments de la présentation :
Cette présentation s’organise en trois parties, la première « Le Chili, un pays de contraste », la seconde « La concentration de population à Santiago », et enfin, quelques réflexions en troisième partie.
Le Chili est un pays de contraste du fait de la présence de nombreuses inégalités. Deux grands contrastes sont présents.
Tout d’abord un contraste physique et urbain du territoire : le territoire Chilien fait 4000 kilomètres de longueur, et 200 kilomètres de large, avec une barrière naturelle qui est la Cordillère des Andes. Dans le Nord, beaucoup de montagnes sont présentes, celles-ci traversent presque le pays jusqu’à Santiago. De ce fait, la population s’installe dans les zones côtières. Une concentration socio-économique est visible.
Toujours dans le Nord, il y a un mode de vie tourné vers les cultures Aymara (terme qui désigne le peuple originaire de la région du lac Titicaca, au croisement de la Bolivie, du Pérou, de l’Argentine et du Chili), le patrimoine San Pedro de Atacama (sites archéologiques et naturels), mais aussi beaucoup d’activités. On pense à la production de cuivre, le Chili est d’ailleurs le premier producteur mondial de cuivre. Dans la partie sud du pays, nous avons ce que nous appelons la dépression intermédiaire, avec de l’agriculture, plutôt industrialisée.
Il faut ajouter la présence des populations indigènes, comme les Mapuches (« mapu » (terre) et « che » (gens), soit littéralement les « gens de la terre »).
Nous avons aussi des contrastes culturels, des modes de vie, qui sont importants. De plus, on trouve du tourisme, quelques faibles activités pétrolières, des aires de la pampa où sont concentrées les activités des canadairs. Des contrastes dans les activités sont donc présents, mais aussi dans les modes de vie, dans l’utilisation du territoire et de l’espace. Un chercheur a dit que la distribution de la population prend la forme d’un dinosaure, car le centre du pays concentre la majorité de la population aujourd’hui, presque 40 %.
Avec cette concentration de population, nous voyons des inégalités très fortes sur tout le territoire. Aussi, par exemple, dans la région d’Antofagasta, l’indice de pauvreté est de 7,5 % mais dans la région plus pauvre, celle de l’Araucanie, se trouve beaucoup de populations indigènes et un indice de pauvreté de 23 %. Il y a donc une différence entre ces régions. En ce qui concerne le PIB, nous voyons que la région d’Antofagasta possède un PIB par habitant de 35 205 $, par contre si nous comparons encore avec l’Araucanie, nous pouvons que cette région possède un PIB de 4 641 $ par habitant. Là aussi, une différence est encore présente. Nous pouvons comparer le PIB d’Antofagasta à celui de la France, de l’Italie, de l’Espagne, etc. De même que celui de la région de l’Araucanie au PIB du Soudan, du Niger, du Pakistan etc.
Il faut savoir qu’à Antofagasta, ville de 390 000 habitants, on peut trouver presque les mêmes services qu’à Albi, ville de 50 000 habitants. À Santiago, les inégalités sont très présentes. Par exemple, Vitacura possède un IDH de 0,9, et Lo Espejo possède lui un IDH de 0,6. Cela revient à opposer la Norvège (IDH de 0,9) avec la Syrie (IDH de 0,6), mais à la différence près que les deux villes chiliennes se trouvent à seulement 20 kilomètres au sein du même pays, d’une même aire urbaine, et avec un système économique similaire. Encore une fois, c’est une différence très marquée puisque la Norvège et la Syrie se trouvent, elles, à plus de 5000 kilomètres de distance.
Au niveau des revenus, 50 % de femmes gagnent moins de 392 euros par mois, par contre 3 % gagnent plus de 2000 euros par mois. Au Chili, une personne peut gagner parfois 30 fois plus qu’une autre. Le salaire minimum y est quatre fois inférieur à celui de la France. Mais le coût du transport à Santiago est presque égal à celui de Paris. Un ticket de métro à Santiago coûte environ un euro. L’université représente également un coût très important par rapport à la France. Pour leurs études, les étudiants doivent payer au moins 400 euros par mois de frais d’inscription, ce qui est très élevé. C’est donc une situation très complexe.
Actuellement, plus de 85% de la population est urbaine, et la majorité se concentre à Santiago. En 1907, la concentration a été 1,7 fois supérieure par rapport à la ville suivante, et en 2012, elle a été 6,3 fois supérieure à la ville suivante. Il y a donc un décalage, un renforcement de la hiérarchie. Nous pouvons nous demander pourquoi une si forte concentration de la population à Santiago est présente.
Tout d’abord, c’est à cause de l’emplacement de « La Real Audiencia » (la plus haute cour du représentant du royaume espagnol), qui s’est déplacée de la ville de Concepción (située dans le centre-sud du pays) à Santiago en 1609. Ensuite, parce que Santiago est la première ville à avoir développé une infrastructure urbaine, des liaisons ferroviaires, et le contrôle sur les exportations, entre autres. Puis, à cause de la crise du salpêtre qui a touché le nord du Chili entre les années 1920-1930. Cela peut être aussi dû à l’inexistence d’autres centres urbains qui fassent contrepoids à la puissance de la ville de Santiago. Enfin, à tout cela, nous ajoutons le processus migratoire ville-campagne qui agit depuis les années 1940 et contribue au renforcement de la hiérarchie urbaine.
La région métropolitaine où s’organise Santiago comprend 52 communes et 6 provinces. À Santiago, nous pouvons voir des quartiers très riches. Le Chili (et donc Santiago) est un pays assez calme, mais nous y trouvons néanmoins des quartiers très complexes dans lesquels nous ne pouvons pas entrer, et donc des inégalités spatiales sont très présentes. Nous avons à Santiago, qui est le centre économique (Sanhattan), les tours les plus hautes de l’Amérique Latine qui sont le symbole de la ville (Costanera Center).
Nous pouvons regarder ensuite les différentes formations. Tout d’abord les formations professionnelles avec par exemple, 50,1 % dans la commune de la Providencia, mais qui peuvent baisser jusqu’à un pourcentage de 4,6 % dans la commune de Cerro Navia. La population pratique le recyclage comme dans la commune de Ñuñoa, avec 62,2 %, mais avec un pourcentage faible de 12,6 % dans la commune de San Ramón. Une grande importance est accordée à ce recyclage. Il est aussi important d’aborder la technologie à la maison, notamment internet, dans la commune de Vitacura 90 % des maisons possèdent internet, mais seuls 30,7 % de la commune de La Pintana le possède. Quant au service domestique, la plupart de la population de la commune de Vitacura, 77,1 %, en possède, pour seulement 0,8 % de la commune de La Pintana. Et enfin, concernant les voitures, 92,1 % des habitants de Vitacura en possèdent, contre 22,5 % à La Pintana. Nous en déduisons que Vitacura et La Pintana sont des communes très différentes. Au Chili, la majorité des personnes possèdent trois téléphones à elles seules, c’est donc trois fois plus de portables que d’habitants.
Eléments du débat :
Anonyme : Est-ce que le Chili est très dépendant de la production de Cuivre ? À quel niveau est-ce que le niveau de vie est très variable en fonction du cours du cuivre ?
Oui en effet, la production de cuivre, c’est 50 % du PIB, après il y a aussi la pêche de saumon mais ce n’est pas aussi important dans le PIB, et il y a aussi la production agricole de fruits. Donc il y a un débat : qu’est-ce que nous savons faire ? Cependant, on ne fait pas beaucoup pour changer les façons de produire et de construire le PIB. On pense que le Chili va changer les choses mais on ne voit pas une transformation de la structure économique pour passer d’une dépendance de la production primaire à autre chose.
Frédérique Blot (enseignante-chercheuse en géographie) : Le Chili, c’est le pays de tous les extrêmes, à la fois sur les risques environnementaux, et aussi au niveau social. On a vu les inégalités entre les différents lieux et les différentes classes sociales. J’avais une question justement, par exemple sur la carte qui montre les quartiers ou les communes de Santiago qui sont les plus favorisées et celles qui sont le moins, je me demandais s’il y avait aussi un lien entre les inégalités sociales et les inégalités environnementales, notamment dans l’accès aux ressources par exemple avec une eau de qualité. Est-ce que pour ces populations qui subissent non seulement déjà assez socialement, l’inégalité serait aussi environnementale ?
Oui, en effet, je crois qu’au niveau de l’accès à l’eau dans les villes, le Chili a bien travaillé. Je ne connais pas de commune sans cet accès, peut-être quelque petites villes.
Dans les grandes villes des secteurs il existe des petits ensembles de constructions irrégulières appelées « Campamentos », et donc non connectées au réseau d’eau. Mais de manière générale, toutes les communes ont l’eau potable, donc le problème de l’eau ne se pose pas. Pour les inégalités, c’est vrai qu’au Chili nous avons un problème dans la région métropolitaine, car les quartiers riches polluent l’air avec leurs chauffages au bois, et cette pollution va vers le centre où sont situés les quartiers les plus pauvres. Donc maintenant, un débat est en cours sur ce que l’on va faire, avec par exemple une réduction du nombre de véhicules, mais je pense qu’en matière d’environnement (risque à Santiago), les inégalités ne sont pas vraiment importantes. Dans les années 1990, un secteur pauvre a subi une très forte inondation qui a tué beaucoup de gens, donc dans les quartiers pauvres on a fait un système pour gérer les inondations qui marche très bien. Aujourd’hui, toutes les villes sont très bien construites. Par contre, au niveau des espaces verts dans la ville, on peut observer une différence, avec les plantations d’arbres par exemple.
François Taulelle (enseignant-chercheur en géographie) : Dans le débat sur l’aménagement du Chili, est-ce que l’équilibre du territoire avec la question des villes moyennes comme relais de la croissance démographique et économique, la question se pose de savoir si c’est pertinent de parler de « villes moyennes » au Chili ? Est-ce qu’il y a un sens à dire que le Chili doit rééquilibrer son territoire avec des villes moyennes ? Des travaux sont faits aujourd’hui sur la métropole et pas sur le reste du territoire. Comment ça se présente dans le débat public, est-ce qu’on parle de rééquilibrer le territoire où pas du tout ?
En effet, durant l’année 2014, l’État Chilien a fait mettre en place une nouvelle politique de développement urbain. Il a été établi qu’une grosse concentration de population à Santiago était présente, et c’est vrai que les chercheurs ont une dotation plus importante pour étudier d’autres villes que Santiago. Mais en pratique, l’État chilien ne fait rien pour changer cette répartition de la population. Aucune mesure n’a été mise en place pour la décentralisation au niveau des régions, pour gérer les ressources, pour avoir plus de production de vin. Il n’y a pas de politique spécifique pour une ville petite et moyenne, donc c’est un regard plutôt pessimiste, mais c’est la vérité. Au Chili, c’est plutôt les marchés qui dirigent la croissance du pays. Je ne vois pas de politique pour les villes petites et moyennes. On verra ce qui se passe pour les élections des présidents de conseil régionaux. Beaucoup de sénateurs ne veulent pas que le conseil de la région décide pour la population de la région. Il y a une barrière politique, et peut être économique, pour faire ça.
Anonyme : Il y a quelques mois, voire quelques années, il y a eu une grosse manifestation à Santiago pour les problèmes universitaires, c’est-à-dire que, si je ne m’abuse, les études supérieures coûtent horriblement cher, alors qu’un pays qui n’a pas de niveau intellectuel assez élevé ne pourra pas se développer…
Oui, il y avait la révolution que l’on appelait la révolution « pinguina », parce qu’on appelle pinguina les lycéens, qui portent un vêtement blanc et noir. Ils sont sortis dans la rue, et ont reçu le soutien de toute la population pour cela. Après la révolution pinguina aussi soutenue par les étudiants universitaires, il est sorti trois ou quatre députés leaders de ce mouvement. Au Chili, au niveau des écoles et des lycées, 75 % des établissements sont privés, et chaque étudiant a une subvention de l’État, mais il y a eu une augmentation des écoles qui faisaient mal leur travail. Il existe aujourd’hui un projet pour remédier à cela. Vous ne devez plus être riche pour étudier, l’État peut vous donner une subvention si vos revenus ne sont pas assez élevés. La présidente du Chili a dit que 60 % des étudiants les plus pauvres à l’université peuvent étudier gratuitement. Il est vrai qu’au Chili, la majorité des gens étudient avec un crédit contracté avec des banques privées. Aujourd’hui, les taux sont très hauts. J’ai des collègues qui sont sortis de l’université et qui payent encore leur crédit, ils doivent rembourser 12 000 à 13 000 €. J’ai fini de payer mon crédit pour l’université l’année dernière. Donc il y a un gros problème. On voit que dans beaucoup de familles c’est la première génération qui accède à l’université, donc aujourd’hui, la famille chilienne voit l’université comme l’unique façon de pouvoir réussir. Le problème, c’est que pour que ce soit gratuit, il faut être vraiment très pauvre. C’est un gros problème que les candidats aux élections présidentielles connaissent très bien. Avant Pinochet, l’université était gratuite.
Je voudrais ajouter qu’il est vrai que mon regard est très pessimiste. C’est vrai qu’on a des améliorations, que le niveau de pauvreté a beaucoup diminué, que les institutions fonctionnent quelques fois bien, que les problèmes d’insécurité ont diminué. Pourtant, au Chili, il y a encore de quoi avoir peur. Toutes les structures de services sont privatisées, et on comprend maintenant que c’est à l’origine de beaucoup de problèmes. La population a compris que l’on doit changer des choses. Par exemple si vous êtes malade vous devez attendre entre 10 et 15h dans un hôpital, j’ai un étudiant qui ne voulait pas aller dans un hôpital parce que la dernière fois, il avait passé 24 heures dans un hôpital public. Mais si vous avez une sécurité sociale privée, vous devez attendre 1h et vous serez soignés. C’est un pays qui est en croissance mais ce ne sera pas durable dans le temps parce qu’il y a un sentiment de la part de la population jeune que le pays est trop inégalitaire.
François Taulelle (enseignant-chercheur en géographie) : Est-ce qu’il y a des villes en dehors de Santiago qui connaissent une croissance démographique, c’est à dire est-ce qu’il y a des gens qui partent de Santiago pour aller dans d’autres villes, ou est-ce que c’est un mouvement uniquement dans un seul sens ? Et puis j’aimerais aussi que tu nous parles de ce sentiment d’isolement, parce que quand on est dans le sud du Chili, on a quand même un sentiment d’éloignement car les communications ne sont pas extrêmement développées. Tout passe par l’avion, il n’y a pas forcément de train. C’est un pays tout en longueur, donc est-ce que tu peux nous dire un mot sur ce sentiment d’isolement, de cet éloignement par rapport à la capitale ? Ce qui pose d’autant plus de problème parce qu’il n’y a pas de villes relais et que tout est concentré dans la capitale. C’est assez paradoxal de voir qu’il y a une capitale qui est macrocéphale dans un pays tout en longueur, ou pour rejoindre la capitale il faut passer beaucoup de temps dans des avions qui coûtent très cher.
Oui, en effet, pour prendre un exemple, je suis né à Punta Arenas. Ici, on parle de la « République indépendante de Magallanes », parce que nous ressentons toujours ce petit isolement. Comme toutes les choses sont concentrées à Santiago, et donc les décisions pour les investissements aussi, aucune prise en compte n’existe pour ce qui se passe au sud. Ainsi, pour aller de Santiago à Punta Arenas, il faut payer facilement 300 euros par voyageur, sinon il faudrait faire le tour par l’Argentine ce qui nécessiterait trois jours de voiture. L’État chilien a essayé de connecter ça, parce que c’est vrai que c’est complexe. Un travail est en cours pour améliorer les connexions. Ce que nous voyons aujourd’hui c’est de la mobilité pour le travail. De nombreuses personnes travaillent à Antofagasta dans le secteur minier, mais habitent à Santiago. Ils font trois semaines dans la mine et une semaine à Santiago. Beaucoup de gens habitent à Santiago et voyagent. Les mouvements de mobilités sont très importants maintenant, et les mineurs peuvent se les payer.
Thibault Courcelle (enseignant-chercheur en géographie) : J’avais une question sur les risques environnementaux. On a entendu récemment parler dans les médias de la production de saumon. Il y a énormément d’animaux qui sont retrouvés morts, on découvre des cadavres d’animaux en ce moment et du coup, on soupçonne des dérives de ce système de production, de surproduction de saumon. Est-ce qu’il y a des associations environnementales qui montent au créneau ? Est-ce qu’au niveau du Chili, il y a un risque d’explosion environnementale ?
Au Chili, pas trop, mais nous avons tout de même une association très importante qui s’appelle « Terram ». Cette association travaille beaucoup pour chaque problème existant dans divers pays mais aussi sur l’utilisation de l’eau. Particulièrement au sujet du saumon, dans les années 1990, il n’y avait pas de règlement. Il y avait donc une forte croissance et il en résultait des problèmes. Aujourd’hui, on limite un peu et des organisations se créent.
Thibault Courcelle (enseignant-chercheur en géographie) : Par rapport aux services, dont vous nous avez parlé tout à l’heure, vous nous avez dit que dans des villes en France, comme ici à Albi, il y avait plus de services que dans une grande ville au Chili. Est-ce qu’au Chili, les services sont en voie d’évolution ou est-ce qu’ils stagnent ?
Nous pouvons dire que, par exemple, au niveau des pharmacies, il existe un système privé. Les prix sont au taux du marché des médicaments, donc les pharmacies sont nombreuses. Partout à Santiago, nous pouvons en trouver tous les cent mètres.
Au niveau de l’État, il y a besoin de bibliothèques, de médiathèques, ou de services comme les hôpitaux. Celui-ci peut essayer de construire des centres culturels, comme par exemple à Temuco, qui est la capitale de l’Araucania. Au sein de cette ville, ils ont construit un centre culturel il y a environ 5 ou 10 ans. Mais ce n’est pas un centre culturel comme nous avons en France.
Temuco compte presque 300 000 habitants et a un grand hôpital pour toute la région. Tous les habitants de la région voyagent pour aller à l’hôpital, avec des bus, certaines personnes mettent plus de deux heures pour pouvoir voir un médecin. Concepcion est l’unique ville du Chili, autre que Santiago, qui a un hôpital avec toutes les spécialités.
Les activités culturelles aussi sont très limitées. Il y avait un maire à Temuco qui a réalisé un grand théâtre. A l’origine, il n’y avait pas de théâtre, mais le maire a dit « bon, cette année, on fait un théâtre » parce qu’il y avait de l’argent. Seulement, les habitants y vont peu et vont plutôt au centre commercial.
Nous travaillons d’ailleurs en ce moment sur un article à propos de la diffusion spatiale du centre commercial dans chaque ville, et comment les personnes se déplacent le week-end jusqu’aux centres commerciaux. L’État au Chili n’est pas l’acteur principal pour faire des choses.
François Taulelle (enseignant-chercheur en géographie) : Est-ce que tu peux nous parler un peu des Mapuches ? En Argentine, ils ne sont pas très nombreux, et en plus, ils n’ont pas la reconnaissance de la propriété de la terre, donc ils sont facilement déplacés dans les zones du gaz de schiste en Patagonie. On ne les reconnaît pas, il y a des associations qui luttent mais ces gens-là sont déplacés facilement par les industries. Par contre, au Chili, ils ont beaucoup plus de reconnaissance. Il y a un vrai différentiel entre l’Argentine et le Chili sur la communauté Mapuche. Comment sont-ils ? Où sont-ils maintenant ? Ils viennent à Santiago ou ils sont encore dans le sud ?
Nous pouvons dire que les Mapuches sont l’un des seuls peuples qui n’ont pas été vaincu par les Espagnols. Les Mapuches se localisent principalement à Santiago. Avant, on cachait le fait d’être Mapuche, mais à partir des années 2002, c’est quelque chose de bien vu. Donc, à Santiago, malgré qu’il y ait une population qui s’est modernisée, il y a une volonté de conserver les traditions. Dans certaines communes, des endroits dédiés aux Mapuches pour faire des rituels sont présents. La deuxième partie importante de la population Mapuche se en l’Araucania. Plusieurs communautés, comme les Mapuches Pehuenche sont plutôt localisés dans la cordillère des Andes. Les Mapuches sont, eux, dans le centre. Et les Mapuches Lafkenches se localisent sur la côte. Un conflit, aujourd’hui complexe et qui chaque année prend de l’importance, concerne les revendications au sujet de la Terre. Un processus s’est initié pour acheter des terres et les rendre aux Mapuches. Malgré ce qui a été fait, il y a beaucoup de demandes pour récupérer des sols.
Je ne suis pas spécialiste des Mapuches donc je ne veux pas rentrer dans des explications sociales, mais c’est un sujet que j’ai un peu étudié parce que j’ai fait mon mémoire de géographe de master 2 sur l’impact du tourisme lié aux Mapuches. J’ai pu observer que la femme Mapuche travaille beaucoup la terre et que les enfants partent étudier en ville. Beaucoup de femmes Mapuches font le travail des hommes qui sont tombés dans l’alcoolisme. C’est donc la femme qui travaille, qui fait toutes les tâches à la maison. L’homme n’est parfois pas présent. J’évoque rapidement une histoire sur laquelle j’ai travaillé : la construction du nouvel aéroport de Temuco. Ils ont acheté des terrains très chers, mais à côté, il y avait beaucoup de communautés Mapuches. Il y avait le problème du bruit qui s’est posé. Le Chili a signé une convention qui donne une importance aux Mapuches dans les décisions. Finalement, l’aéroport a été inauguré il y a deux ans, mais il a été commencé il y a sept ans, parce qu’il n’y avait jamais d’accord. Il y avait un vrai conflit parce que les autorités régionales n’ont pas de pouvoirs sur les problèmes entre l’État et les Mapuches. Il y a eu des manifestations Mapuche à ce sujet.
Frédérique Blot (enseignante-chercheuse en géographie) : Quand je suis partie au Chili, j’ai travaillé avec une étudiante dans la région d’Osorno au sud du pays, et on avait travaillé justement autour d’un conflit entre les habitants et le propriétaire de la terre. Il y a des conflits aussi ailleurs dont on n’entend pas forcément parler.
Le Chili est un des pays les plus libéraux du monde, c’est à dire que là-bas ils expérimentent complètement la théorie du libéralisme mais à l’état brut. On peut tout acheter au Chili, on sait qu’avec un État libéral, on est loin du modèle centralisé, d’une gestion polarisée, donc, en fait, c’est tout l’inverse, la richesse est concentrée autour de Santiago qui achète des terres partout. Il y a une personne qui a acheté des terres, et son projet, c’est de mettre en place un parc naturel, sur le modèle des parcs régionaux français, ce qui, en fait, lui permettrait de faire partir les habitants qui habitent là et qui font paître leurs troupeaux. Il a fait appel à une association environnementale, pour aller faire des enquêtes auprès de la population, et pour leur présenter un projet de parc régional, où la population peut continuer des activités mais qui sont régulées. Ce que l’on observe dans ce cas précis c’est que les gens qui viennent de Santiago acheter des terres, commencent à réguler les trafics des habitants de la région, au nom de la protection de la nature. Et là on a essayé de gratter un peu pour savoir quels étaient les enjeux, et on s’est rendu compte que c’était un endroit où on peut potentiellement rejoindre l’Argentine par une route, et c’est une route qui serait très utilisée par les touristes. Le propriétaire de la terre a un projet au final de développement de centre touristique dans cette région. Donc c’est vrai que c’est la libéralisation extrême, avec la possibilité de tout acheter, des terres, de l’eau, et où la loi de l’argent est la plus forte.
Oui, en effet, aujourd’hui, il existe des capitaux qui achètent des terres parce qu’ils se sont aperçu que les investissements dans la finance sont plus dangereux. Une production de capital sur la ville est aujourd’hui présente, ainsi que dans des secteurs naturels qui est très intense. Par exemple, l’ex-président de droite Sebastián Piñera qui va se représenter bientôt, a acheté beaucoup de terrains, où il y a la réserve de l’eau au Chili, dont on a beaucoup besoin.
Il existe un problème géopolitique qui est, pour moi, important, mais qui, pour les parcs nationaux, ne le serait peut-être pas tant. Quand j’étais étudiant, au moment où j’ai fini ma formation, j’étais garde forestier pendant trois mois, et dans les parcs nationaux de l’État chilien, personne ne peut habiter, donc il n’y a aucune occupation. C’est différent dans les réserves, parce que dans les parcs nationaux, on peut y faire des activités touristiques, ou même du camping pour les personnes aventurières. En revanche, dans les parcs privés, je ne connais pas bien la loi. Il y a quelques années une personne a acheté des terrains dans le sud, et l’État a fini par se demander s’il n’allait pas vendre de l’eau. Finalement la personne a gardé son parc, et dans son testament il est indiqué que l’État sera le nouveau propriétaire. C’est vrai qu’un investissement de capital dans les terres est présent.
Compte-rendu réalisé par Marie NOEL et Thomas BARRAUD, étudiants en deuxième année de Licence de géographie, repris et corrigé par Thibault COURCELLE et Mathieu VIDAL, enseignants-chercheurs, co-animateurs des Cafés Géo d’Albi.