Les Cafés géographiques de Lyon
Au Café de la Cloche (Lyon 2e) le 19 septembre 2018
Catherine Didier-Fèvre est docteure en géographie, agrégée d’histoire-géographie, professeure en classes préparatoires littéraires (Lycée Sainte-Marie, Lyon)
Fabrice Beauvois est maire de Bressolles et président du festival ZAC-en-scène à La Boisse, dans l’Ain.
Catherine Didier-Fèvre explique que sa thèse portait principalement sur la mobilité des jeunes dans les espaces franciliens, mais la question de l’accès à la culture en milieu périurbain s’y posait aussi en filigrane. Après avoir rappelé le ZAU (Zonage en Aires Urbaines) de 2010 et le seuil des 40 % des actifs qui travaillent dans un pôle urbain, elle revient sur les enquêtes qualitatives qu’elle a mené sur trois terrains de la couronne périurbaine de Paris et de Sens, à partir de trois lycées (Sens, Montereau-Fault-Yonne et La Queue-les-Yvelines) recrutant une part importante d’élèves vivant dans les espaces périurbains.
Alors que ces derniers prennent le car parfois à 6h55 pour les cours à 8h et rentrent à 19h, ce qui l’a frappée c’est leur capacité à négocier ces temps de transport et à en faire une ressource. Dans la contrainte (2h de transport/jour), il y a une forme de liberté et d’autonomisation des élèves explorant les espaces autour du lycée dans les temps situés entre les cours et les temps de transport. Les élèves, y compris les siens, ont parlé très librement. Elle a également réalisé des sondages en ligne pour savoir comment on fêtait ses 18 ans à la ville, dans le rural et dans le périurbain ainsi qu’un sondage sur les pièces de la maison, composante importante du choix du périurbain pour les parents.
La variété sociologique des terrains retenus est à noter : l’Ouest francilien présente davantage de cadres venus s’installer, grâce à la proximité relative de la Défense, alors qu’à l’Est les professions intermédiaires, les employés et les ouvriers sont plus représentés. Ces espaces ont également connu une histoire de périurbanisation différente. Les communes étudiées dans l’Ouest francilien ont connu une croissance plus précoce que dans l’Est.
Pour Fabrice Beauvois, Bressolles est aussi dans le cadre d’une périurbanisation : 262 habitants en 1962 et 900 aujourd’hui, sur l’axe entre Lyon et Genève. Ce territoire dynamique avec de nombreuses entreprises (taux de chômage inférieur à la moyenne nationale) bénéficie de la saturation en disponibilité de foncier d’entreprise de l’Est lyonnais et attire ainsi des actifs venus d’ailleurs alors que les habitants vont également travailler ailleurs. À Bressolles on utilise le terme de rurbain, car il y a encore des fermes et des agriculteurs sur le territoire, et également des cadres qui recherchent un cadre de vie. La commune n’est pas soumise à la loi SRU sauf pour les habitats de plus de 4 logements pour lesquels le PLU impose 25 % de logements sociaux. Pour résumer « c’est un cadre « vert » : on est à la campagne ! »
Catherine Didier-Fèvre montre un essai de schématisation du territoire de vie d’un enfant dans le périurbain. Le village de l’enfant est au centre du schéma. Les mobilités autonomes de l’enfant se limitent au village pour aller chez les amis ou à l’école, toutes les autres mobilités sont accompagnées. Pour les adolescents c’est différent, car la mobilité liée au lycée leur permet de partir explorer les lieux autour du lycée. Certains jeunes profitent aussi de la sortie du lycée pour faire une activité à proximité du lycée, les parents n’ayant plus qu’à venir les rechercher.
>>> Voir dans Géoconfluences : Catherine Didier-Fèvre, « La nuit : une nouvelle frontière pour les jeunes des espaces périurbains ? », Géoconfluences, avril 2018.
Elle a également fait ce travail de schématisation pour les personnes âgées. Dans leur cas, des mobilités accompagnées réapparaissent pour se rendre dans les services médicaux, pour avoir des pratiques culturelles ou pour se rendre au restaurant par exemple. Le maintien dans les espaces périurbains s’explique, dans les parcours de vie, par la place tenue par la maison adoptée à la trentaine à l’arrivée du deuxième enfant et que l’on essaie de garder le plus longtemps possible. Avec l’âge, notamment le quatrième âge, des stratégies pour se déplacer sont adoptées, comme les adolescents finalement : prendre les petites routes ou éviter les heures de pointe afin de retarder le plus longtemps possible l’abandon de la voiture.
Fabrice Beauvois indique retrouver à Bressolles la même physionomie de territoire, avec des transports bien développés pour le primaire, le collège et le lycée. Les jeunes, qui certes découvrent le MacDo et le kébab à la suite de leur arrivée en ville via le lycée, se forgent également une identité de village qu’ils revendiquent : « Moi je suis de… ». Sur les déplacements, c’est aussi aux élus de trouver des solutions en dehors du temps scolaire pour accéder à la culture. Le transport en commun est difficile à mettre en place et de plus en plus, chemine l’idée d’un transport à la demande, au-delà des petits pôles comme Montluel et Dagneux. À propos des restaurants présents sur le territoire, il y en a, mais peu de type brasserie, ouvert le samedi ou le dimanche. Pour cela, il faut s’éloigner et parfois aller jusqu’à l’agglomération lyonnaise. Concernant les pratiques culturelles, les gens sont arrivés en venant souvent de la ville, et ils ont gardé le souvenir de leurs pratiques culturelles citadines. Ils font l’expérience de territoires avec des initiatives plus modestes. Avec ZAC en Scène, le festival, ayant pourtant 3 ans, a du mal à se faire reconnaitre dans la population qui n’est pas habituée à voir chez eux des artistes qui sont programmés dans des festivals urbains et plus célèbres comme les Nuits de Fourvière.
Un festival dans l’espace périurbain : ZAC en Scène
Catherine Didier-Fèvre rappelle que la personnalité des élus est très importante pour le dynamisme culturel dans les communes étudiées. Quand les élus sont moins inventifs, c’est plus difficile. À Flagy en Seine-et-Marne, à la limite du département de l’Yonne en Bourgogne Franche-Comté, grâce à l’investissement du maire, les initiatives culturelles sont remarquables. Le festival Paradisio est un festival de cinéma en plein air sur le modèle de ce qui se fait en ville au Parc de la Villette à Paris par exemple. Dans ce même village, ces concerts gratuits de musique classique sont organisés tous les vendredis soirs en septembre, avec une buvette pour financer les événements. Le même succès est à noter pour les apéros concerts découverts par le maire en Bretagne et dont il s’est inspiré pour initier ceux de sa commune pendant l’été. Ces évènements visent à faire vivre le commerce local et notamment les cafés rachetés par les communes (et mis en bail pour un loyer dérisoire) et créer du lien social. Les activités culturelles comme les apéros-concerts sont un moyen de remplir les lieux et de les rentabiliser. Ces évènements peuvent attirer 800 à 1 000 personnes par soirée pour les apéros-concert de Flagy mais rassemblés également un nombre notable de personnes dans le cas du café Le Désinvolte à Domats, qui a réussi à concilier concert de jazz et retransmission de la finale de la coupe du Monde lors de la même soirée.
Le milieu associatif est essentiel également pour animer culturellement ces espaces. Si les associations sportives y tiennent un place centrale, comme en atteste l’affiche du forum des associations de Maulette, elles ne sont pas les seules à impulser une dynamique dans ces espaces. Des exemples d’atelier théâtre avec représentations dans une salle des fêtes pour un prix modique, ou l’organisation d’expositions thématiques sont évoquées pour montrer que l’ambition de découverte culturelle reste réelle.
Fabrice Beauvois estime que le rôle des élus est important, c’est le travail de tout le conseil municipal. Le club de football de Bressolles est l’un des derniers clubs communaux de l’Ain. Il attire des jeunes de tous les villages alentours venus chercher une ambiance familiale et bienveillante qu’on ne retrouve plus dans les grandes structures. Ces associations sont centrales pour le territoire et l’élu est conscient « qu’il faut les soigner car elles reposent sur des bénévoles ». Le planning de la salle polyvalente est occupé toute la semaine sur les créneaux du soir et accueillent de nombreuses associations.
Son cas personnel, en tant que néo-habitant, est révélateur de l’ouverture d’esprit des habitants : il a pu être élu maire sans y être né. Il a découvert le territoire par le biais de la culture (les ateliers d’écriture de Contes en Côtière, à l’origine des spectacles montés dans chaque commune par un metteur en scène). Il faut un déclic pour que les habitants réalisent qu’il y a de la culture sur leur territoire : un festival gratuit de musique à Dagneux, un salon d’art à Balland, un théâtre à Montluel : « je ne vais pas à Lyon le samedi soir mais à Montluel ».
Catherine Didier-Fèvre évoque CourCommune, association créée à l’initiative d’une plasticienne, qui a été cherchée des fonds de la DRAC, de la mairie, de la région… Elle s’est vue confier une boutique désaffectée (renvoyant aux difficultés du petit commerce dans le périurbain). L’espace d’exposition est constitué de la vitrine du commerce, l’espace intérieur n’étant ouvert lors des permanences d’un membre associatif. Le local a pu être rénové grâce à des chantiers participatifs. Il y a dans le périurbain une armée de bénévoles plein de bonne volonté sans lesquels toutes ses initiatives auraient été impossibles. Autour de La-Queue-Les-Yvelines, quatre communes se sont groupées pour mettre en place des résidences d’artistes pour faire venir une troupe qui encadre des habitants pour les faire créer. Le flyer de cette initiative porte les logos des communes, du PNR et de la région, mais pas des nombreux commerçants qui ont contribué en donnant du temps et une aide matérielle.
Fabrice Beauvois retrouve les mêmes éléments à Zac-en-scène. Au départ, c’est une idée d’élus désirant créer un événement culturel majeur là où il n’y en avait pas, pour attirer un public au-delà du territoire. Afin de trouver sa place entre deux festivals majeurs, Swing sous les étoiles à Dagneux et le festival de Pérouges, ZAC en scène est programmé en décalé, en octobre. Cette idée d’élu a été relayée par la création d’une association et peut exister grâce aux nombreux bénévoles des associations culturelles du territoire. Sacré challenge que de monter un festival sur l’émergence, avec des artistes pas très connus, sur un territoire pas très connu à une date un peu difficile ! Et pourtant on y arrive, la tête d’affiche (Feu ! Chatterton cette année) joue un rôle central. Le festival s’appelle Zac-en-Scène parce que les entreprises y ont une place centrale : c’est grâce à elle qu’on peut ouvrir des écoles et avoir une politique culturelle. Donc c’est un peu une manière de les remercier de proposer des événements aux gens qui viennent travailler sur nos communes : 90 % du financement vient des entreprises du territoire, qui en échange peuvent inviter au spectacle leurs collaborateurs sur un temps dédié. Au départ, cela se déroulait dans le gymnase du lycée et c’était difficile de faire venir les gens, on a renommé le lieu et complètement réaménagé le gymnase pour en faire un lieu de spectacle à part entière.
Donc il faut des élus, mais aussi des associations et des partenaires privés.
S’ensuit un échange avec le public.
Q : Est-ce qu’il y a une identité des jeunes dans les espaces périurbains en rapport avec leur territoire ?
Catherine Didier-Fèvre : Cela dépend beaucoup des jeunes. Je me rappelle d’une élève qui n’envisageait pas de partir faire des études plus loin que Sens car elle ne pourrait plus participer au célèbre carnaval de sa commune et à sa préparation. Mais les jeunes subissent aussi les choix de localisation de leurs parents : lorsqu’ils arrivent adolescents, ils ont du mal à s’identifier au territoire et à accepter le choix des parents.
Fabrice Beauvois : On essaie aussi d’insister sur l’implication des adolescents dans le festival, pour qu’il serve à apporter la culture à ces jeunes, grâce à une journée spéciale au cours de laquelle les jeunes peuvent rencontrer les musiciens et même monter sur scène. On a aussi embauché quelqu’un pour communiquer auprès de tous les publics y compris les adolescents, notamment avec un stand dans le lycée.
Q : Est-ce qu’un événement culturel permet vraiment de connaître un territoire. Est-ce que Woods Tower à Miribel permet de connaître le territoire ?
Fabrice Beauvois : Vous citez un festival qui en fait est un festival lyonnais, qui était autrefois dans l’ouest de la ville, et qui s’est implanté à Miribel (dans l’Ain en périurbain de Lyon) et qui aujourd’hui cherche à mener des actions locales dans le département de l’Ain.
Catherine Didier-Fèvre : J’ai remarqué en examinant dans les professions des parents d’élèves que j’ai enquêtés, la surreprésentation des professions culturelles. Ils sont venus s’installer là parce qu’ils ont de la place pour travailler. De même, j’ai noté des metteurs en scène travaillant la semaine à Paris mais résidant dans le périurbain. Leurs horaires impliquent de rester tard le soir et de louer une chambre de bonne afin de pallier l’absence de train. Certains de ces parents d’élèves ont des rôles importants sur la scène parisienne. Et en tant qu’enseignants, on essaie de valoriser cette ressource dans nos classes en les faisant intervenir.
Q : Avez-vous constaté des personnes qui, une fois les enfants partis de la maison, quittaient les zones périurbaines pour aller dans les zones urbaines ?
Catherine Didier-Fèvre : Pas tant que ça. Ce sont plus des opportunités de carrière qui peuvent entraîner un nouveau départ mais le projet de périurbain n’est pas uniquement associé aux enfants. La maison devient une maison de famille dans laquelle les enfants reviennent. On touche peu à leur chambre qu’ils retrouvent le week-end ou pendant les vacances. Et puis il y a un marché de l’immobilier peu tendu (dans l’Est francilien), avec beaucoup de maisons à vendre, on ne retrouve pas toujours l’investissement de départ, en tout cas dans les communes les plus éloignées des pôles, lors de la vente. Les couples hésitent à partir dans ces conditions.
Fabrice Beauvois : Même constat sauf sur celui de la pression foncière, il y a beaucoup plus de turn over sur nos territoires de l’Ain. Les prix de l’immobilier sont aussi élevés que dans le Sud de la France. Les prix redescendent qu’au-delà de Meximieux. Jusqu’à Ambérieu on trouve des gens qui travaillent à Lyon.
Q : Avez-vous des éléments sur le transport à la demande ?
Fabrice Beauvois : Nous avons des flux importants sur notre territoire, et nous réfléchissons à toutes les mobilités au sens large, on pense mobilités douces. Sur certaines communes on a une taxe transport, payée par les entreprises, nous sur notre intercommunalité on n’a pas mis en place cette taxe. Aujourd’hui cette taxe se transforme en taxe mobilité. On a aussi un problème de manque de main d’œuvre locale avec des entreprises qui ont du mal à recruter ! Donc nous les élus devons réfléchir à encourager les gens à s’installer, à favoriser la mixité sociale, et à entretenir le bon vivre, à préserver la vie villageoise, et pas à chercher à ouvrir le PLU. Quand les gens viennent habiter dans le périurbain/rural, ils cherchent un cadre de vie. Et les jeunes veulent rester : la pression foncière n’est pas que sur l’achat mais aussi sur la location. On n’a aucune vacance dans le locatif privé, or c’est important de pouvoir loger la population jeune active.
Q : Y’a-t-il une culture propre au périurbain ? Vous avez parlé de bénévolat, de l’importance du sport, notamment du football, des lieux (salle polyvalente et gymnase), et du rôle des commerçants et du secteur privé. Cela peut-il caractériser une culture du périurbain ?
Fabrice Beauvois : On observe surtout une culture traditionnelle : on fait quelque chose de très classique, une pièce de théâtre sur un fait historique, souvent une anecdote de l’histoire communale, avec des éléments qui reviennent souvent : le curé, le maire, le café… À Zac-en-scène on a essayé de proposer quelque chose de différent. Avant, on avait un bal du samedi soir, et c’est très bien. Globalement c’est une culture moins élitiste et plutôt une culture de loisirs dans le périurbain. Au théâtre, quand il y a des pièces qui sortent du vaudeville, on aura plus de mal à attirer du monde : il faut faire rire, il faut se détendre.
Catherine Didier-Fèvre : C’est surtout un public très familial. Dans le périurbain, les événements culturels, on s’y rend en famille. Ce qui entraîne des décalages, je pense à une soirée de théâtre au café où les familles se sont rendues : et il y a eu du bruit, avec les enfants. Dès qu’on sort du public familial, cela crée des tensions.
Compte-rendu rédigé par Jean-Benoît Bouron et relu par Catherine Didier-Fèvre et Fabrice Beauvois.