Tableau géophotographique du Brozoufland d’Ariane Bourbaki, Université de Genève, 2015.
Compte rendu des extraits du livre disponibles sur le site Visions Carto.

État enclavé, le Brozoufland possède néanmoins une marine composée du seul patrouilleur Sirius. Il ne défend pas la frontière internationale qui, invisible, passe au milieu du lac. Il se concentre seulement sur la sécurité des sommets internationaux qui ont souvent lieu sur ses rives. On craint moins un conflit avec le pays voisin qu’une manifestation de gauchistes. (Photo : Alberto Campi, 2015. Vision Cartos)

État enclavé, le Brozoufland possède néanmoins une marine composée du seul patrouilleur Sirius. Il ne défend pas la frontière internationale qui, invisible, passe au milieu du lac. Il se concentre seulement sur la sécurité des sommets internationaux qui ont souvent lieu sur ses rives.
On craint moins un conflit avec le pays voisin qu’une manifestation de gauchistes. (Photo : Alberto Campi, 2015. Visions Carto)

 

Itinéraire 2 : Imaginer un nouveau pays, le Brozoufland

Sur une idée de Jean-François Staszak, de l’université de Genève, Saint-Dié va officialiser ses relations avec un nouveau territoire : le Brozoufland. Mais qu’est-ce donc ce pays ? Qui sont les Brozouflandais ?

Pour le festival, on verra des plaques d’immatriculation, mais on ne connaît pas leur capitale ? Ce pays inconnu est-il si petit ? Le climat si ingrat que personne n’en rêve ? Pourquoi la ségrégation y est-elle si poussée jusqu’à imaginer des toilettes pour Noirs, des toilettes pour Blancs, des toilettes pour hommes, des toilettes pour femmes ?

Le Festival invitera des Brozouflandais, venus spécialement de leur pays, pour en parler. Miss Brozoufland portera les couleurs et les rêves de ceux qui veulent découvrir le pays. Ainsi que le ministre des Sports brozouflandais, champion du monde du Gummock, art martial conçu au Brozoufland.

Le Festival a convoqué des géographes spécialistes du Brozoufland pour comprendre de quoi il s’agit quand on parle d’un pays. Une table-ronde «A quoi servent les pays de fiction» peut montrer comment la géographie se fait en rendant visible la fabrique d’un territoire. Comment les discours, les phénomènes, les processus géographiques s’emboîtent à travers une forme qui peut être excessive, voire caricaturale.

L’enjeu de cette découverte du Brozoufland, une découverte ludique, pédagogique, épistémologique et scientifique est de faire découvrir une des facettes les plus attachantes d’une géographie en train de se construire.

Béatrice Collignon, Philippe Pelletier et Jean-François Staszak

NB : Le Brozoufland, un des thèmes (itinéraire 2) du FIG 2015 (Festival international de Géographie à Saint-Dié) consacré aux territoires de l’imaginaire

Le Tableau géophotographique du Brozoufland a été rédigé par une vingtaine d’auteurs de l’université de Genève, réunis sous le nom d’Ariane Bourbaki. Cet ouvrage dépeint une ancienne colonie suisse très peu connue. Sa particularité est de présenter le Brozoufland au lecteur à partir de photographies et non pas d’utiliser ces dernières comme de simples illustrations. Suivant une progression abécédaire, le Brozoufland nous est décrit de perspective en perspective dans toute sa singularité, d’un aspect à l’autre. Jusque-là, le Brozoufland n’avait pas fait l’objet d’une monographie. Le Tableau constitue même l’unique source sur ce pays, qui a beaucoup de choses à dire… sur nous-mêmes. Il nous le prouve par petites touches.

On s’interroge sur sa propre culture après avoir dans un premier temps été choqué d’apprendre que les Brouzouflandais mangent du foie de chien. « On fait passer les chiens dans un anneau: s’ils restent coincés, il est temps de les emmener à l’abattoir où leur foie sera prélevé et conditionné pour être consommable ». La photo qui a entraîné l’écriture de ce texte (en noir et blanc, comme toutes les photographies du livre) nous montre un chien qui a littéralement l’air d’un chien battu, assis derrière une grille. Qu’est-ce qui nous fait ressentir plus d’empathie et d’affection pour cet animal que pour une oie, dont nous nous gavons (sans jeu de mot) aux fêtes de fin d’année?

L’histoire de la ségrégation des populations rousses au Brozoufland est édifiante, et permet bien des parallèles avec d’autres contextes tristement célèbres. Quant aux pages concernant la démocratie, elles soulignent le désintérêt des Brouzouflandais pour les élections après la décolonisation. La solution trouvée fut une démocratie « coup-de-dé » : le président du pays est tiré au sort dans un chapeau, chapeau que d’ailleurs il portera le temps de sa législature.

De même, dans le secteur scientifique, le Brozoufland prend le contre-pied de pays plus puissants et plus connus et c’est peut-être là une de ses plus grandes forces : là où les recherches scientifiques tentent de mettre au point des accélérateurs de particules, la recherche brozouflandaise va à contre-courant et cherche à ralentir ces particules : « vivons heureux, vivons lentement » affirme-t-elle. A l’heure où de plus en plus de gens cherchent à ralentir leur mode de vie, le symbole qu’on peut trouver derrière l’image de ces lentes particules devant se blottir les unes contre les autres pour se protéger a tout d’un apologue utile à nos contemporains ivres de vitesse.

Ce Tableau nous suggère aussi une réflexion sur la géographie elle-même. La dernière photo du livre est composée de deux cartes du Brozoufland, l’une représentant seulement la forme du pays et l’autre sa division en régions. Le texte évoque la décision de l’office cartographique brozouflandais de ne plus produire de carte « sous forme visuelle, que ce soit en format papier ou numérique ». Dans un premier temps choquante dans un ouvrage géographique, cette décision est fortement justifiée par notre existence « dans l’ère du numérique et dématérialisée » : aujourd’hui pour nous diriger, nous utilisons des GPS, des voix déshumanisées nous indiquent le chemin à suivre. Nous n’avons plus à voir, à visualiser l’espace. Nous nous repérons de point en point, de lieu en lieu, nous effectuons des trajets, avalons de plus en plus de distance, n’avons plus une vue surplombante sur le territoire. La carte disparaît officiellement au Brozoufland mais officieusement, n’avions-nous pas déjà tous commencé à nous en dégager?

Cet ouvrage présente de nombreux aspects du Brozoufland et ce de manière très efficace. De nombreux thèmes (sociaux, politiques, culturels, historiques…) sont abordés géographiquement et par l’image. L’ouvrage rappelle, on l’a dit, que « la photographie n’a pas ici une fonction seconde et illustrative, venant après le texte et pour en illustrer le propos, comme c’est souvent le cas dans les ouvrages de géographie » et que tout l’ouvrage est parti des photos d’Alberto Campi, photographe qui vit depuis trois ans au Brozoufland. Ses photographies ont servi de point de départ aux textes qui leur font face. Cependant les photos ne sont pas, selon moi, assez exploitées. Elles restent passives, muettes, nous ne disposons d’ailleurs d’aucune information sur elles. Où ont-elles été prises? Dans quel but ? Leur importance artistique est pour moi réduite à de la simple figuration.

Ce livre a néanmoins l’intérêt de mieux nous faire connaître le Brozoufland et constituera sans nul doute la monographie de référence sur le pays. Avec sa démocratie si particulière, son passé d’Etat colonisé, ses symboles, sa culture, son histoire, ses façons de vivre et de penser, le Brozoufland a beaucoup à nous apprendre. Comme l’écrivent à juste titre les auteurs : « Les particularités – pour ne pas dire les bizarreries, certaines à peine croyables – du Brozoufland questionnent nos normes, nos habitudes et nos certitudes. Et c’est en cela qu’elles nous intéressent : au fond, cette étude parle de nous. La géographie de l’ailleurs informe celle de l’ici. » Voici un bel ouvrage géographique, qui deviendra sans nul doute les Lettres persanes de la géographie ou l’Utopie des géographes.

Alix Blouet, janvier 2016