Professeur de géographie à Paris 1, longtemps chercheur au CIRAD, Géraud Magrin a fait de l’Afrique subsaharienne, du Sénégal au Tchad principalement, son terrain de recherche. Par ces temps d’alarmisme environnemental, le lac Tchad présente des enjeux particuliers : sa disparition est régulièrement annoncée, et depuis 2010, sur fond de terrorisme montant (Boko Haram), le lac Tchad devient un sujet central. Autour de ce lac, on peut étudier particulièrement les aspects politiques et institutionnels d’un jeu d’acteurs complexe entre Etats, bailleurs de fonds internationaux, ONG et médias.

La COP 21, en raison des messages et des discours contradictoires qui y sont tenus sur le lac Tchad, constitue une excellente entrée en matière. Trois événements récents emblématiques du type de discours qui peut être tenu sur ce lac :

  • Juste avant le début de la COP 21, un mini sommet avec F. Hollande, 12 chefs d’Etats africains ainsi que la présidente de la commission de l’Union Africaine (Nkoszana Dlamini-Zuma) se sont exprimés et ont déploré l’assèchement progressif du lac Tchad en liant cet assèchement avec l’insécurité qui règne aujourd’hui dans la région (une région qui est actuellement sous l’emprise de Boko Haram depuis 2 ans). Avec ces discours, ils ont voulu tirer la sonnette d’alarme et attirer l’attention de la communauté internationale sur la situation qui sévit actuellement. Le président tchadien notamment a exprimé son mécontentement quant à l’inaction relative par rapports à la « situation catastrophique » qui est en train de s’établir dans cette région.

  • Deux jours après, dans le pavillon Afrique (géré par la Banque africaine de développement), les bailleurs de fonds (Banque mondiale, UE, Agence française de développement..) ont mis en place un atelier technique pour lancer un programme en faveur du lac Tchad, avec notamment la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT, c’est l’agence régionale qui représente les pays riverains du lac, chargée de gérer ensemble les eaux du lac et de son bassin), qui a présenté un plan d’adaptation et de développement avec une approche technique très proche de celle des chercheurs.

  • Deux jours plus tard, l’Institut de recherche pour le développement (IRD) a organisé un « side event » (c’est-à-dire un événement parallèle qui n’était pas officiel dans les négociations) où les chercheurs ont présenté leur compréhension de cette disparition, où des représentants de la société civile qui vit autour de ce lac se sont exprimés (sur les difficultés que peuvent rencontrer les populations en abordant davantage des questions socio-économiques qu’environnementales). Pourtant un ministre français présent s’exprime et demande à ce que les chercheurs de l’IRD arrêtent de dire que le lac Tchad ne disparaît pas puisque quand un lac varie autant, cela perturbe tellement les gens qu’il y une nécessité de dire qu’il disparaît afin qu’un nombre plus important de personnes se sentent concernées.

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