Café Géographique, 28 septembre 2018
Philippe Gervais-Lambony, est professeur à l’Université de Paris Nanterre et à l’Institut Universitaire de France, il est membre de l’UMR LAVUE. Spécialiste des questions urbaines, il conduit ses recherches sur les villes d’Afrique subsaharienne, en particulier d’Afrique du Sud (Johannesburg) où il a séjourné plusieurs années. Parmi ses publications, « Espaces arc-en-ciel : Identités et territoires en Afrique du Sud et en Inde » Karthala, 2003, écrit avec Frédéric Landy et Sophie Oldfield ; « L’Afrique du Sud et les Etats voisins », A.Colin, 2013; « Afrique du Sud, les paradoxes de la nation arc-en-ciel », Le Cavalier Bleu, 2017.
Avant de répondre à la question, « L’Afrique du Sud est-elle encore post apartheid ? » Philippe Gervais-Lambony souhaite imprégner l’auditoire de l’atmosphère d’optimisme et d’enthousiasme extraordinaires qu’a connu l’Afrique du Sud au début des années 1990. Pendant deux minutes, la voix de Brenda Fassie s’élève dans la salle – nous sommes en 1990, l’année de la libération de Nelson Mandela, juste avant la fin de l’apartheid (abolition des principales lois de l’apartheid, retour des exilés, libération des prisonniers politiques), et avant les premières élections démocratiques de 1994 par lesquelles Nelson Mandela est élu président. C’est cette période de transition que chante Brenda Fassie, la plus populaire des chanteuses noires de disco d’Afrique du Sud qui, à la fin des années 1980, s’engage avec un répertoire plus politique. La joie de Brenda Fassie éclate quand elle chante cet hommage à Nelson Mandela « Chantons pour notre président, chantons pour Madiba » (nom clanique de Mandela), cette joie, c’est celle de l’espoir immense en Afrique du Sud après la longue période très sombre de l’apartheid. On parle alors du « miracle sud-africain » parce que l’Afrique du Sud est arrivée à vaincre, par la négociation, le régime le plus oppressif, le plus raciste, le plus ségrégationniste du monde. Et Nelson Mandela en est l’icône absolue. Né en 1918 dans le Transkei, il est issu d’une famille royale d’un des clans xhosa; avocat, il s’engage en politique dans les années 1940 et devient président en 1950 de l’African Congress Youth League (mouvement des jeunes de l’ANC). Inspiré des méthodes de Gandhi, il milite, dans les années 1950, pour une action de résistance passive mais tout change après le massacre de Shaperville, le 21 mars 1961. Dans ce petit township noir du sud de Johannesburg, lors d’une manifestation pacifique, la police tire sur la foule, tuant plus de 60 personnes (beaucoup sont tués de balles dans le dos) et en blessant 180. Cet événement majeur, qui va attirer l’attention internationale sur le régime d’apartheid, change radicalement le cours de l’histoire en Afrique du Sud : l’ANC, qui est interdit par le gouvernement, entre dans la clandestinité et décide de passer à la lutte armée. Nelson Mandela, élu commandant de la branche militaire de l’ANC, annonce en 1963, dans un discours décisif, la nécessité de renoncer à vaincre l’apartheid par des moyens légaux. Commence alors pour lui une vie clandestine; recherché par la police, il sera emprisonné vingt-sept ans jusqu’à sa libération en février 1990.