La tragédie malienne: comment en est-on arrivé là?

Compte rendu du café géo albigeois du 10 décembre 2013
Présentation par Stéphanie Lima et Patrick Gonin,
Géographes, MCF au Centre universitaire J.-F. Champollion d’Albi, LISST-CIEU, et Professeur des Universités à l’Université de Poitiers, Migrinter.

Depuis juillet 2013, la France se désengage militairement du Mali après une opération de plusieurs mois, mais, pour autant, le Mali est-il revenu à une situation de stabilité ?

Sur le terrain, la menace djihadiste semble contenue, et les élections présidentielles et législatives ont pu avoir lieu dans des conditions satisfaisantes pour les observateurs internationaux. Cependant, le pays est-il sur le chemin de la reconstruction ?

Ramener la tragédie malienne à la montée en puissance de l’islam radical dans cette zone de turbulences qui va de la Somalie à la Mauritanie serait réducteur. Une lecture purement internationale de la crise peut s’avérer trompeuse : le Mali est en réalité confronté à de graves défis internes, que pas un de ses gouvernements n’est jusqu’alors parvenu à résoudre (par exemple la réforme de décentralisation, la gestion des migrations).

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Patrick Gonin, introduit son propos en contextualisant la place du Mali dans le monde. Pour comprendre comment le Mali s’est retrouvé dans cette situation instable, il propose une approche de géographie politique et de géostratégie. Il existe plusieurs causes profondes qui expliquent le conflit : la faillite de l’Etat depuis plusieurs années, la montée d’un islam radical (qui s’étend de la Somalie à la Mauritanie en passant par le Sahara), un djihadisme local très ancien (qui remonte à plusieurs décennies, voire plusieurs siècles) le terrorisme transnational, les poussées indépendantistes, des zones de non droits (trafic de drogue, d’armes, et de migrants), les tentatives sécessionnistes (cinq révoltes Touaregs avant et après l’indépendance), les émeutes de la faim (insécurité alimentaire).

Ainsi, on peut se demander s’il existe une dimension globale à cette crise ? L’hypothèse centrale du livre La tragédie malienne  (Editions Vendémiaire) est donc que pour comprendre le nord du pays, il faut aussi regarder le sud. Il faut également s’intéresser de plus près aux problèmes internes du pays.

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Littérature et géographie, “Espèces d’espaces”, George Perec, de l’espace au non-lieu.

Café géographique à Toulouse du mercredi 27 janvier 2016, avec Stéphanie Lima (Maître de Conférences, Géographie, Université de Toulouse Jean-Jaurès) et Julien Roumette (Maître de Conférences, Lettres, Université Champollion d’Albi)

Ce soir, un café géographique un peu particulier puisqu’il s’agit de nous pencher sur les liens qui unissent la géographie et la littérature. Nous aborderons cette question à travers l’œuvre d’un auteur, généralement moins connu des géographes que Julien Gracq : Georges Perec.

Julien Roumette

Lecture de l’avant-propos d’Espèces d’espaces

« Vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner. » (Espèces d’espaces, Avant-propos, 1974).

La formule « en essayant le plus possible de ne pas se cogner » est assez étrange. Elle dit que d’une certaine façon, il est inéluctable de se cogner : parcourir l’espace est perçu comme une menace permanente, voire comme une expérience douloureuse. L’espace est un problème.

De plus, l’espace est d’emblée associé au temps. « Vivre, c’est passer d’un espace à un autre ». Non pas être ou perdurer mais passer, d’où une image de précarité, d’instabilité qui est donnée dans cette phrase ; tout espace est provisoire. C’est aussi dire d’emblée une fragmentation. L’espace n’est pas une unité. C’est une image de l’éphémère, et en même temps cela pose un certain degré d’abstraction, comme si un espace en valait un autre. Ce qui est absent ici, c’est l’image du chemin, du parcours, comme s’il n’y avait pas de point d’arrivée. On est dans l’éparpillement, dans les fragments, ce que le plan du livre retranscrit bien, juxtaposant les espaces différents comme autant de petites pièces d’un puzzle.

Table des matières

Enfin, l’imaginaire perecquien est un imaginaire où l’on ne peut modeler l’espace à sa guise. Les espaces sont subis. Significativement, il n’y a pas de sujet dans la phrase, elle est infinitive : qui vit ? Elle efface l’individu. Il s’agit de se faufiler au milieu d’espaces déjà déterminés peut-être par d’autres. Il n’y a pas de conquête de l’espace. L’image qui revient sans cesse dans son œuvre est celle de l’errance, de la déambulation, comme dans Un homme qui dort. Perec n’est pas l’écrivain du vagabondage heureux, il n’est pas Blaise Cendrars, l’écrivain du monde entier, toujours en voyage. Il se confronte plutôt aux lieux qui le menacent.

C’est pourquoi cette photographie, prise sur le tournage de Récits d”Ellis Island, et qui montre Perec assis sur une table dans un hangar abandonné, dit beaucoup de choses sur son rapport à l’espace. La phrase de l’avant-propos définit donc une poétique de l’inquiétude dans l’appréhension de l’espace, ce qui rejoint d’autres de ses formules comme « l’espace est un doute ».

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