Café géographique du 03/ 05/ 2016 au Gazette Café de Montpellier, avec Christophe Evrard, maître de conférences de l’Université Paul Valéry Montpellier 3.
« Les professions de santé sont en mauvaise santé. »
Cet exposé a pour objectif de vous aider à comprendre le pourquoi et le comment de la situation de la démographie médicale en France, mais surtout de montrer quelles conséquences territoriales cela implique. Les médias sortent souvent ce sujet quand il faut se mettre quelque chose sous la dent : les déserts médicaux, les difficultés de certaines populations pour trouver un médecin au quotidien, le déficit de la sécurité sociale… sont autant de thématiques récurrentes. Mais parmi ces thèmes, la baisse du nombre de médecins est une réalité fréquemment soulignée, ainsi que l’augmentation du nombre de « déserts médicaux ». En 2013, un rapport du Conseil National de l’Ordre des Médecins souligne que le nombre total de médecins (généralistes, spécialistes et chirurgiens) a enregistré une baisse de -0,3%. D’ici 2020, la France risque de manquer de médecins ! Toutefois, certains faits établis il y a quelques décennies, permettent d’apporter les premiers éléments de compréhension de la situation actuelle.
Des disparités géographiques récurrentes…
Il est à remarquer dans un premier temps, que les disparités géographiques entre les régions du Nord et du Sud de la France sont « classiques », et ne datent pas d’aujourd’hui. Ces oppositions géographiques se fondent sur le nombre de médecins et l’accès au soin des populations, soit la densité médicale. Son application aboutit à l’existence de disparités territoriales entre les régions du Sud, mieux pourvus en médecins que les régions se trouvant au Nord. Ce fait ne date pas d’aujourd’hui : il y a déjà des disparités entre le nord et le sud de la France depuis de nombreuses décennies, et en lien avec les contextes successifs.
Des mesures d’une autre époque et un héritage à gérer…
Les préoccupations de la démographie médicale ne sont pas récentes mais les approches diffèrent selon les décennies. Dans les années 70, la démonstration de l’existence d’un lien entre l’offre de soins et la consommation aboutit aux principes que la baisse de l’offre de soins (la diminution du nombre de médecins) aura des conséquences sur la consommation et donc sur le déficit de la sécurité sociale. Dans les années 70, le numerus clausus est introduit, limitant ainsi le nombre d’étudiants en médecin. De 1978 à 1993, le numerus clausus passe de 8 280 à 3 500 places. Dans les années 90, le MICA est mis en place (Mécanisme d’Incitation à la Cessation d’Activité). Il a pour objectif de favoriser la cessation d’activité des médecins âgés de moins de 65 ans. Ce sont là deux mesures qui ont bien entendu des incidences sur le nombre de médecins en activité. En 2000, on cesse ou l’on adapte ces mesures limitant le nombre de médecins car on constate que l’on va en manquer ! Et actuellement, nous « payons » en partie ces héritages. Le MICA a été supprimé, et en 2015, le numerus clausus est fixé à 7 498 places.
Une géographie de l’offre de soins difficile à prévoir…
Dans les années 90, différentes travaux de projection démographique et d’anticipation ont été effectués afin de tenter de préparer l’avenir. Parmi ces travaux, certains résultats aboutissaient à un profond changement de la géographie de l’offre de soins, marquée notamment par une inversion. Les régions du Nord de la France affichaient des niveaux d’encadrement supérieurs à ceux enregistrés par les régions du Sud de la France. Statistiquement, ce scénario est envisageable si l’on se limite à deux indicateurs : le nombre de médecins et la dynamique démographique des populations. Les régions du Sud de la France comptent le plus grand nombre de médecins âgés, et donc le flux de cessation d’activité est plus conséquent. Ces mêmes régions affichent un dynamisme démographique, se traduisant par les niveaux de progression les plus élevés en France. Une population qui augmente et un nombre de médecins en baisse ont pour conséquence une baisse de la densité médicale. Inversement, dans les régions du Nord, la population affiche des niveaux de progression beaucoup plus faibles ou en baisses, et les médecins sont moins âgés, les densités médicales vont afficher des fluctuations plus faibles. Les projections faites à partir de 1998, et jusqu’en 2008 et 2013 aboutissaient à une inversion de la géographie de l’offre de soins, qui en 2016, ne s’est toujours pas produite. Les régions du Sud de la France enregistrent toujours les niveaux d’encadrement médical les plus élevés. Lez flux de médecins des régions du Nord vers les régions du Sud expliquent en partie le maintien des situations.
1/ Planification sanitaire de la santé en France.
Dans les années 1970, le besoin de créer un outil d’aide à l’organisation du système de soins se fait sentir. Ainsi, les gouvernements successifs se sont mis à la recherche d’outils grâce à des lois pour permettre cette organisation. C’est l’émergence de la planification sanitaire en France.
En 1970, c’est la loi Hospitalière du 31 décembre 1970, l’offre de soins crée la demande. Il faut tenir compte du fait que l’offre de soins doit répondre aux besoins. Il s’agit donc de savoir comment faire face exactement aux besoins en soins d’une population. Elle intronise la carte sanitaire et ses secteurs sanitaires. L’application d’indicateurs d’encadrement permet de contribuer à la mise en place de mesure pour contenir l’offre de soins.
Dans les années 90, c’est la loi Hospitalière du 31 juillet 1991, le constat est que les mesures mises en place deviennent obsolètes, et qu’il est nécessaire de donner une nouvelle dimension à la planification sanitaire. Différentes méthodologies développées en régions vont contribuer à l’avènement du SROS : Schéma Régional d’Organisation Sanitaire, dont la principale évolution est qu’il devient « opposable aux tiers », offrant la possibilité de procéder à la fermeture d’établissements si des situations de suréquipements sont mesurées. Selon un rapport IGAS, en 1975, l’on comptait 1 369 maternités en France contre 554 en 2008. Toutes ces mesures répondent à un besoin d’organiser l’offre hospitalière.
L’ordonnance de 4 septembre 2003 apporte une nouveauté car elle introduit une approche territoriale de la santé. On réforme de ce fait la sectorisation. La carte sanitaire est supprimée et on met en place des bassins de santé représentant l’espace au sein duquel va s’organiser l’offre de soins de proximité. On approfondit en instaurant des espaces d’échanges entre les établissements et les professionnels pour analyser les besoins de la population. Ces bassins de santé sont confiés à des Agences Régionales de Santé (ARS). Une conscience géographique et territoriale de la santé prend forme peu à peu.
La circulaire du 5 mars 2004 insiste sur la « plus grande prise en compte de la dimension territoriale ». Le territoire n’est plus envisagé comme un périmètre administratif d’application d’indices d’équipement, mais comme une zone d’organisation fonctionnelle de l’offre de soins, soit l’avènement des Territoires de santé.
La loi 21 juillet 2009, loi dite HPST (Hôpital, Patients, Santé et Territoires) reconnaît la pertinence de la notion de territoire et l’utilise comme approche.
Enfin, la loi santé de 2015 renforce cette approche territoriale. Des engagements sont donc pris pour diagnostiquer les territoires et pour lutter contre les déserts médicaux. Mais de quels territoires parle-t-on ? Comment en dessiner les contours ? Quelle(s) méthode(s) ? A cela d’autres interrogations : comment favoriser l’installation des jeunes médecins en milieu rural (dispositif PTMG : »Patricien territorial de médecine générale » ; les MSP « Maisons de Soins Pluridisciplinaires ») ? Comment garantir un accès au soin d’urgence rapidement (accès aux soins d’urgence en moins de 30 minutes) ?….
2/ Territoire de santé : le flou méthodologique.
En se questionnant sur la territorialité, on se questionne sur l’échelle, que ce soit pour définir un bassin de vie, un espace de santé et un territoire de santé. Pour cela il nous faut définir ce que l’on entend par territoire. Ce dernier peut être administratif (la région), ou plus subjectif. Selon l’INSEE, le bassins de vie est le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants. On délimite son contour en plusieurs étapes. Mais le problème réside entre diagnostique et réalité du territoire. Un bassin de vie peut être difficilement considéré comme un territoire de santé. Ce n’est donc pas la méthode la plus évidente pour répondre aux besoins. En région PACA, par exemple, sont définis 78 bassins de vie. Le territoire de santé, à l’inverse, va prendre en compte les flux entre les lieux d’habitation et les lieux de soin, ce qui change complètement la vision que l’on a pu avoir pour définir un bassin de vie. Sur la même région, une commune sur deux dispose d’un médecin au moins, mais plus l’on va dans l’arrière pays plus le nombreux de médecins présent baisse. C’est donc 458 territoires de santé des médecins généralistes qui ont été définis en 2015. On constate donc qu’un territoire de santé est bien plus près des réalités qu’un bassin de vie.
3/ Les conséquences du territoire sur le diagnostique : définir les déserts, les territoires fragiles.
Pour définir les déserts médicaux et les territoires fragiles, il nous faut nous poser quelques questions auparavant. Combien y’a-t-il de médecins en France ? … Personne n’a le même chiffre. Que ce soit le CNOM (Conseil National de l’Ordre des Médecins), ou les statistiques données par les Agences Régionales de Santé. Sur cette question pourtant en apparence simple, il est compliqué de répondre : de quels médecins parle-t-on ? Omnipraticiens ? Généralistes ? Spécialistes ? Autres ? De même pour la liberté d’installation que l’on pourrait menacer si l’on souhaitait contraindre des médecins à s’installer dans les déserts médicaux. Puis se pose la question évidente du renouvellement. Pour faire un bilan des déserts médicaux en France, il nous faut donner une tendance démographique : est-ce qu’un jeune médecin peut s’installer sur un territoire à la suite d’un médecin partant à la retraite ? C’est de cette façon que l’on pourra parer au problème. On établit des scénarios sur les territoires et le diagnostic permet l’anticipation. Il y a bien une marge de 30% impossible à deviner mais le reste est prévisible et permet donc de faire des choix. Encore faut-il que les diagnostics s’accordent car selon que l’on parle de bassin de vie ou de territoire de santé, les réalités sont différentes.
4/ Malemort-du-Comtat.
Pour illustrer d’un exemple les problèmes soulevés, la situation vécue par le village de Malemort-du-Comtat est assez révélatrice. Malemort-du-Comtat est une commune située dans le département du Vaucluse en région PACA, et présente une offre de soins de proximité variée (médecin, infirmier, kinésithérapeute), ainsi que de nombreux services et commerces. Néanmoins, un médecin généraliste est présent mais ce dernier approche de la retraite (départ prévu en 2016). Les habitants sont donc désemparés car ces derniers risquent de se retrouver sans médecin et sans soin de proximité, alors même que la population croît. Les autres spécialistes, les hôpitaux et les cliniques, se trouvent soit à Avignon, soit à Carpentras. Selon les scénarios établis et les échelles choisies, les habitants devront se déplacer, soit vers Avignon car ils sont rattachés au bassin de vie d’Avignon, soit à plus de 40 kilomètres de leur lieu de résidence, soit vers Carpentras car ils ont rattachés l’espace de santé de proximité de Carpentras, soit à près de 12 kilomètres de leur lieu de résidence. Malgré les réalités, on se borne à appliquer la loi et à contourner de réels problèmes.
Pour conclure, il est nécessaire de prendre en compte l’aménagement sanitaire du territoire. La notion de territorialité est au centre de l’action. L’absence de consensus sur la méthodologie et notamment sur la définition du territoire opérationnel n’est pas sans conséquences. Certaines mesures peuvent être considérées comme une remise en cause, de façon indirecte, de la liberté d’installation des médecins. Il y a ensuite le problème des territoires, des échelles et notamment celles des bassins de vie. Il faut approfondir l’approche territoriale, définir des territoires de santé, prendre en compte les lieux de résidence et les déplacements de populations vers les lieux de soin. Prendre en compte également l’avis des jeunes internes en posant cette question toute simple : « Et vous ? Est-ce que vous savez où vous voulez vous installer ? ». Différentes expériences menées en régions ont démontré l’intérêt d’associer les internes au développement des approches territoriales. Le croisement entre les résultats issus de diagnostic territorial et les choix exprimés par les internes démontre qu’une situation jugée difficile sur certains territoires va enregistrer une amélioration grâce à la venue de praticiens.
Les questions du public :
Qu’est ce qui détermine le désir de certains médecins à se rendre dans certains espaces plutôt que dans d’autres ?
Cette question relève beaucoup plus de la sociologie que de la géographie. L’activité du médecin a changé. Avant on s’installait là où on avait besoin de médecins alors qu’aujourd’hui on s’installe là où il y a des confrères. En plus de 30 ans, le choix de l’installation a évolué, répondant plus à la recherche d’un environnement professionnel : la proximité de confrères (pour l’organisation de la permanence des soins, l’organisation des gardes) ainsi que de plateaux techniques (hôpital ; service d’urgences). Mais c’est aussi une question qui concerne le conjoint et ses attentes. Les services enfin sont le dernier critère : s’il manque des services dans certains espaces un médecin aura moins envie de s’y installer.
La désertification médicale est-elle anticipée par les médecins ?
Les internes n’aiment pas ce discours car elle les prend pour cible. Ce choix est pris en fonction des territoires en réalité et des politiques menées. Rien n’a été fait en termes de démographie médicale auparavant ; elle n’apparait qu’à partir des années 2000. Nous découvrons les tendances aujourd’hui et les solutions sont à construire.
Quelle place des géographes dans l’aménagement sanitaire aujourd’hui ?
La géographie de la santé est en vogue depuis quelques années et la notion d’approche territoriale de la santé a contribué à cet essor. L’histoire de la planification sanitaire a soulevé la nécessité de disposer d’une échelle pertinente pour construire un outil de planification. Plus de 30 ans ont été nécessaire pour permettre l’avènement des approches géographiques et l’émergence des Territoires de santé. Exclusivement orientés sur l’hôpital, les besoins aujourd’hui s’orientent vers l’offre de soins ambulatoires dont les spécificités nécessitent une plus grande prise en compte des spécificités territoriales : les flux, les déplacements, les habitudes de consommation, les fréquences… A ce constat, s’ajoutent également les conséquences des fusions de régions, et de nouveaux territoires à redessiner au sein de régions dont les méthodologies sont parfois différentes.
Dans les diagnostics, les stratégies des populations sur les offres de soins sont-elles prises en compte ?
Une approche par la consommation de soins ou par l’utilisation des services de santé est toujours compliquée. De nombreux facteurs interviennent dans la variation de la consommation. Au-delà de la simple présence d’un médecin, la consommation peut varier selon le niveau d’urgence mais aussi le niveau social des personnes, les niveaux de diplômes… De nombreux exemples démontrent que l’accessibilité aux soins diffère selon ces critères, et que la distance physique doit être prise en compte mais aussi la distance sociale. Par ailleurs, si l’on prend la consommation de soins de généralistes (nombre de consultations), les niveaux de consommation enregistrent peu de variation entre les régions du Nord et du Sud de la France, ce qui n’est pas le cas si l’on prend la consommation de soins de spécialistes, où les niveaux de consommation sont plus élevés dans les régions du Sud de la France.
Doit-on avoir recours aux médecins étrangers pour éviter des déserts médicaux en France ?
Question compliquée et très médiatique, comme on a pu le constater avec les médecins en provenance de la Roumanie. Il est certain que le nombre de médecins installés en France et ayant obtenu leur diplôme à l’étranger est en nette progression depuis quelques années. En 2013, le Conseil National de l’Ordre des Médecins estime qu’un quart des nouveaux médecins qui s’installent ont désormais un diplôme délivré par une université étrangère. Ce constat soulève deux interrogations. Ces médecins vont-ils s’implanter dans les déserts médicaux ? La seconde interrogation pose la question du numerus clausus sachant que ces médecins étrangers ne sont pas concernés. N’est-ce pas un moyen de contourner le numerus clausus ?
Un dernier mot ?
Prenez soin de vous.
Pour approfondir :
Henri Picheral, Dictionnaire raisonné de géographie de la santé.
Rédaction du compte-rendu par Guillaume POINSIGNON,
Étudiant en préparation du CAPES Histoire-Géographie,
Représentant de l’association étudiante, Le Globe.