Bernard Schéou, enseignant-chercheur, IAE, Université de Perpignan Via Domitia
Après un doctorat en économie et des études de philosophie, Bernard Schéou travaille depuis une vingtaine d’années sur le tourisme communautaire. Au-delà de la recherche, il s’implique sur le terrain via des associations de tourisme équitable et communautaire. Ainsi, en conciliant à la fois la théorique avec la recherche et la pratique avec son engagement associatif, il acquiert une certaine légitimité qui lui permet, grâce à une distanciation et une position critique délicate, de se questionner sur le bien-fondé des objectifs, chemins et résultats du tourisme équitable.
Le travail de recherche a été fait en collaboration avec Alain GIRARD qui n’est pas présent.
Retrouvez également la présentation et les références accompagnant ce café géographique, au format PDF (1727ko) : Présentation CG Montpellier.pdf
Questionnement
Tout d’abord, il faut refuser la dichotomie simpliste entre un « bon tourisme » et un « mauvais tourisme » : opposer un tourisme communautaire porteur de développement économique, culturel et social pour les populations locales et un tourisme de masse malfaisant n’est pas le but de cette intervention.
Pourquoi le tourisme communautaire ?
Le tourisme communautaire a été choisi pour l’expérience de terrain, mais aussi car depuis le milieu des années 90 il est à la mode et les acteurs le voient comme une solution évidente pour initier le tourisme dans le cadre du développement durable, il encouragerait en effet la participation de l’ensemble des populations locales.
La réflexion sur l’expérimentation de cette forme de tourisme qui véhicule le plus d’illusions n’a pas pour but d’abandonner le tourisme mais de prendre en compte les conséquences non voulues et de travailler sur les conditions de sa réussite.
- Le tourisme communautaire
Le contexte :
Dans les années 1960 et 1970, les bailleurs de fonds et agences internationales apportent leur soutien au développement d’un tourisme classique. Puis dans les années 1980 et jusqu’au début des années 1990, il y a une remise en cause suite à la période critique du « tourisme de masse ». La redécouverte passe par le développement durable et la lutte contre la pauvreté avec notamment une redécouverte des populations locales.
Cette évolution est également sensible dans la recherche scientifique : la recherche du nombre d’articles contenant les mots : « community based tourism » (dans les mots clés) montre une croissance nette de cette thématique : la communauté locale est alors vue comme le cadre approprié au tourisme. De 1994 à 2000 on peut recenser 40 articles, alors que l’on en compte 200 entre 2011 et 2018.
Caractéristique principale
L’implication des communautés d’accueil dans le développement de l’activité touristique et dans sa gestion. Autrement dit, cela signifie « que la communauté possède le contrôle substantiel du projet touristique, que son implication est totale (du début à la fin du projet), que l’initiative prise permet le renforcement des capacités (développement des connaissances et compétences) et que l’essentiel des bénéfices engendrés par l’activité reste au sein de la communauté (contribution à l’amélioration de la qualité de vie des populations et partage équitable des bénéfices) et vise à contribuer à la conservation du milieu et à la revalorisation du patrimoine culturel des communautés d’accueil» (Manuel du RAPAC : Réseau des Aires protégées d’Afrique Centrale)
La communauté locale doit donc avoir le contrôle du projet, l’initiative doit augmenter la capacité des membres, les bénéfices doivent aller majoritairement à la communauté avec un partage équitable entre les membres. La conservation et la revalorisation du milieu est aussi importante.
Inwent décrit une méthodologie en quatre étapes pour la mise en œuvre d’un tourisme communautaire :
- La préparation du projet : réunir l’ensemble des membres de la communauté pour leur présenter l’idée… Voir leurs intérêts et leur implication, les impacts négatifs ou positifs.
- Le montage du projet : si la communauté est réceptive. Pour cela il faut mettre en place une structure communautaire qui sera en charge du développement du projet. Il faut ainsi identifier le ou les leaders, trouver les besoins, les appuis et les partenaires.
- La mise en œuvre du projet : déterminer le contenu des séjours, les modalités d’hébergement, la formation des membres de la communauté, la promotion… C’est la construction du contenu touristique.
- La commercialisation des séjours : accueil des premiers touristes.
Tout semble facile mais on remarque plusieurs choses. Le projet suppose l’existence d’une communauté organisée fonctionnant collectivement. On voit cela avec les critères de candidature :
– organisation sociale, culturelle et économique de qualité
– dynamisme en matière de développement local
– bonne entente en interne et vis-à-vis des communautés voisines
– des membres motivés avec un niveau minimal de formation ( meilleure conformité et homogénéité).
Le projet est déclenché par une intervention extérieure qui n’est pas anodine : mettre en place une structure communautaire, identifier les leaders, définir les besoins, les appuis, les partenaires, … Tout cela se fait sans qu’il soit question de l’implication des communautés dans les choix.
Par contre, les communautés d’Amérique latine ont plus d’initiatives : elles définissent elles-mêmes les principes
- Une application délicate du modèle
L’association de tourisme communautaire a une action inscrite :
- Dans l’éthique. En effet un des buts est de développer les zones rurales des pays du Sud, de plus ce tourisme est ancré sur une rencontre qui favorise les sociétés villageoises et les bénéfices sont pour tous, ce qui rend la formation communautaire importante et nécessaire.
Cela implique des choix qui misent sur l’autonomie des partenaires : ils gèrent eux-mêmes le fonds de développement dont ils tirent les bénéfices, mais aussi l’activité touristique et ainsi que les choix des futurs partenaires. - Dans la rationalité technico-économique. Les procédures présentes dans les documents techniques détaillés montrent cela pour le choix et la formation des futurs partenaires, pour la gestion de l’activité et du fond de développement. Il y a trois instances ( conseil de développement, comité de gestion et équipe d’accueil). Et enfin une charte permet d’encadrer le fonctionnement de ce tourisme : droits et devoirs des touristes, de la communauté et de l’association.
3 points de focalisation peuvent être générateurs de conflits :
– la dimension communautaire du développement : l’association a pour objectif que chacun en profite.
– la structuration institutionnelle : les trois instances qui doivent représenter le comité.
– l’association veut un renouvellement des personnes impliquées : cela permettrait selon eux une diffusion des compétences et un roulement pour une meilleure répartition des revenus.
A. La dimension communautaire du développement
Le don individuel est interdit dans les modalités de tourisme communautaire. Tout se veut organisé et l’informel ne doit pas être présent. En effet, l’idée est que cela pourrait créer des dangers : dépendances, besoins, jalousies, démobilisation. Les bénéfices doivent provenir du travail d’accueil des touristes qui peuvent cependant apporter leur aide au conseil de développement.
Mais une opposition peut se manifester car les membres peuvent avoir des projets personnels. Exemple est pris d’une communauté en Equateur où un projet de développement touristique communautaire s’est mis en place : cette communauté a souhaité que l’hébergement s’organise dans un premier temps chez l’habitant, en invoquant pour cela des raisons culturelles : le vivre ensemble, montrer la vie familiale quotidienne, ne pas diviser la communauté… En réalité surtout, selon un principe d’équité les habitants pensent que ceux qui s’investissent le plus doivent recevoir plus de bénéfices. Or, cela va à l’encontre du principe mis en place en 2009 par l’association de développement du tourisme communautaire, à savoir l’hébergement communautaire comme une condition, qui n’a pas encore été mis en place dans cette communauté équatorienne.
B. Représentativité de toute la communauté.
Le principe de représentativité de l’ensemble de la communauté : les instances doivent « rassembler démocratiquement les forces vives de la communauté villageoise ». Le but est de profiter à tous mais c’est en décalage avec la réalité géographique et sociale.
Exemple 1 : Un village du Bénin qui se trouve dans les lagunes, organisé autour d’un hameau central et d’autres plus éloignés. On observe que les liens entre eux sont quasi inexistants car les communications sont compliquées. Il est donc difficile d’obliger des gens qui ne travaillent habituellement pas ensemble à le faire.
Exemple 2 : Deux communautés en Equateur qui sont liées par un traité de 1560. En 2005, un groupe d’intérêt se met en place pour créer une structure commune de tourisme communautaire. Une route est alors créée, mais elle passe par une seule des deux communautés. Il n’y a donc en réalité pas de travail commun mais plutôt des tensions et des concurrences. Les deux communautés étaient d’accord au départ pour proposer un hébergement commun mais le seul terrain libre se trouve sur le territoire d’une seule des communautés. Celle-ci a aménagé une maison communautaire sans que l’autre communauté y participe. Or, si ces communautés travaillaient ensemble, cela augmenterait leurs actions et leurs activités donc le temps passé par les touristes serait plus long. L’image montrée aux touristes est tronquée : celle d’un groupe uni.
C. Refus du renouvellement
Le refus de renouvellement des équipes dans un second village béninois provoque des conflits entre les instances, au sein des instances et avec l’association. Finalement, ce qu’on constate, c’est que au lieu d’avoir un effet de cohésion sociale le projet devient un enjeu politique et économique provoquant des luttes , exacerbant les conflits existants et provoquant des conflits avec l’association. Malgré la mise en avant d’une démarche participative par l’association, la mise en œuvre du projet se heurte à la complexité sociale des partenaires, ce qui a placé l’association en situation d’incompréhension et l’a amenée à se replier sur son modèle qu’elle a tenté d’imposer.
- La communauté, une fiction nécessaire ?
Il y a une idéalisation visible dans les critères et les valeurs, Marc Augé parle en 1973 d’une « illusion communautaire ».
La question de la définition de la communauté se pose : quels critères ? géographiques, sociaux, culturels, selon le niveau d’appartenance ou alors en fonction des valeurs et des pratiques ? Elle se pose d’autant plus dans une société individualiste. La méprise serait de croire qu’un fonctionnement démocratique et participatif fait nécessairement partie des cultures traditionnelles.
Ne fait-on pas inconsciemment référence à des minorités ethniques ou des peuples indigènes ? au mythe du bon sauvage et aux cultures traditionnelles qui fonctionneraient nécessairement de manière harmonieuse et selon une participation commune de leurs membres ? Cette idéalisation s’explique par la nostalgie de la matrice (Berque) et se traduit par une surdétermination affective (Lézé). La vision idéalisée est dénoncée dès 1969 par Albert Meister. Ses travaux en Afrique montrent la fréquence des conflits et la discorde ainsi qu’une distinction entre le consensus moderne ( égalité des individus) et le consensus traditionnel ( équilibre des forces sociales imposé par les autorités).
En apparence la communauté répond au respect des règles démocratiques, mais les décisions ne sont pas prises pendant les assemblées, elles sont toutes entérinées par les Anciens. Rien ne peut se faire sans leur accord.
Cette illusion perdure et les cas de non-conformité sont vus comme des déviances.
- La participation, solution ou nouveaux problèmes ?
La participation est considérée comme essentielle par beaucoup de chercheurs car elle encourage l’autonomie au détriment du paternalisme.
Le problème réside dans le fait que ce concept est multiple.
Meister définit 5 types de participation :
– Des participations volontaires (organisées) ou spontanées (inorganisées)
– Des participations imposées : en interne (participation de fait) ou en externe (participation provoquée et participation imposée).
Il y a de nombreux obstacles à la participation : le manque d’assurance et de savoir-faire, les malentendus sur les enjeux, la question de la loyauté. La participation des membres de la communauté dépend de leur intérêt propre. Il n’y a pas de remise en cause de la position hiérarchique des anciens et des notables.
Godbout a analysé 20 ans d’expériences. Il en ressort que les expériences participatives sont rarement issues de la base, cela ne change rien à l’épanouissement des membres qui participent en fait pour l’efficacité gestionnaire.
Certains auteurs ont fait des propositions : Simpson propose d’en rester à l’intéressement et Li explique que la participation est un concept occidental.
Ce qui est mis en cause c’est l’illusion participative. Elle a pour conséquence des malentendus et le dénigrement du partenaire. Il faut donc interroger la participation comme un moyen d’atteindre un objectif : un processus qui peut entrainer des manipulations mais c’est aussi un moyen d’atteindre une fin en soi avec pour seul objectif de vouloir faire ensemble.
Conclusion
La mise à jour des illusions ne doit pas entrainer un rejet du tourisme communautaire ; Il faut se préparer aux difficultés inévitables.
Le partenaire doit être considéré comme il est : un collectif pluriel avec une complexité plurielle. La participation ne doit pas être instrumentalisée, au contraire il faut qu’elle devienne un mouvement de liberté inscrit dans l’éthique.
Questions
Les associations connaissaient la sociologie de ces communautés, donc leur ont-elles trop demandé ?
Y a-t-il une volonté de changer la méthodologie ?
Quelle clientèle pour ce tourisme ? Dans quels pays en particulier ?
Sur quels critères sont choisis les partenaires ?
Compte rendu rédigé par Laure Alauzet étudiante en Master à l’Université Paul Valéry de Montpellier.