Alors que Paris prend ses quartiers d’hiver, l’injonction « Tous à la plage », lancée par la Cité de l’Architecture, est fort réjouissante ! Elle rappelle qu’à leurs débuts, les stations balnéaires furent des stations d’hiver.
L’exposition dresse un panorama de l’histoire des villes balnéaires, des côtes de la Manche à celles de la Méditerranée. Elle présente la diversité architecturale de ces villes nouvelles, qui accompagnent l’évolution des pratiques sociétales et des mœurs d’une société d’abord restreinte et seulement aristocratique à une société des loisirs ouverte à tous grâce à l’invention des congés payés !
Ne résistons pas à l’injonction et courons voir ces littoraux métamorphosés où mille attractions nous attendent. Plus de 400 œuvres sont présentées : tableaux, affiches, caricatures, films, objets quotidiens….. Tous plus ludiques les uns que les autres.
De l’invention (XVIII ème) à l’âge d’or de la villégiature balnéaire (années 1930)
Tout est signifiant sur ce document :
– la jetée sur pilotis, construite sur l’eau, pour des promeneurs désirant voir et être vus,
– le front de mer, surélevé au-dessus de la plage qui aligne les grands hôtels,
– l’église qui rappelle les valeurs de l’Occident ;
– les divertissements nécessaires à la villégiature, comme la grande roue.
Défricheurs et lanceurs de mode
Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! C’est ce qu’ils firent…
L’aristocratie anglaise est à l’origine du Grand Tour (donnant naissance au mot tourisme) que devaient faire ses rejetons pour avoir une éducation satisfaisante. Les voyages pouvaient durer des mois, voire des années. Il fallait découvrir les grandes civilisations et étudier les éléments naturels. Il convenait de créer des « stations » pour poser et reposer les équipages, puis des guides « touristiques » (Louis Hachette se fera bientôt un nom) afin que nul n’ignore les lieux à visiter…. Qui devinrent à la mode.
Dans les années 1730, il advint que la médecine déclare que prendre les eaux était bon pour la santé. Qu’à cela ne tienne, certains firent villégiature dans des stations thermales et burent force gobelets d’eau douceâtre. D’autres, comme le roi Georges IV, décidèrent d’aller boire de l’eau salée. Une caricature de Daumier montre un maître-nageur faisant boire la tasse à un malheureux curiste. Il convenait de boire 7 fois la tasse !
Ainsi, à l’insu de son plein gré, le roi d’Angleterre lança la mode des stations balnéaires et inventa en quelque sorte, la reine des stations : Brighton, inaugurée en 1769.
En 1820, la duchesse du Barry lança Dieppe, plus tard l’impératrice Eugénie lança Biarritz.
La médecine recommande de prendre l’eau, mais lorsqu’on est de bonne famille, une voiture vous conduit jusqu’au rivage. Dans la cabine vous pouvez vous changer en toute discrétion, puis côté mer, vous pouvez descendre quelques marches pour aller vous immerger.
Création de villes nouvelles
Toutes les élites urbaines européennes voulurent aller prendre le bon air sur les côtes, soit en été pour les côtes nord-européennes, soit en hiver pour les villes sud-européennes.
Il fallait y aller ? Qu’à cela ne tienne, on construirait des lignes de chemin de fer…
A partir des années 1850, la généralisation du chemin de fer favorise un essor sans précédent des stations balnéaires. Des trains spéciaux, directs et de luxe traversent toute l’Europe. De Saint-Pétersbourg à Nice, 30 heures suffisent !
Il fallait se loger, pas de souci …on construirait des « Hôtels de la Plage », ou simplement de magnifiques villas.
Il fallait de l’argent, il suffisait d’associer à l’aristocratie la grande bourgeoisie pour en avoir plein les mains. Ainsi, les frères Pereire financèrent la ligne de chemin de fer Paris-Bordeaux-Arcachon, ils créèrent la station éponyme, puis un service de bagages (les malles venaient de chez Vuitton) qui les prenait chez vous et les livrait directement à votre hôtel… c’est pas beau la vie?
Bien entendu, un banquier devenu promoteur immobilier avait acheté quelques dizaines d’hectares (ex : La Baule) et un architecte de talent (ou pas) avait créé un front de mer avec établissement de bain, promenade et hôtels ; puis, en arrière, dans quelque pinède de très belles villas s’étaient dissimulées.
Pratiques sociétales
Têtes couronnées et grands bourgeois venaient pour voir et être vus.
Il y avait l’heure de la promenade, celle de la fréquentation de l’établissement de bain, puis il fallut occuper les soirées… les casinos firent l’affaire, puis on y ajouta des théâtres, des kiosques à musique et des fêtes en toutes saisons. Enfin il fallut bientôt dévoiler son corps, les femmes devinrent longilignes et les hommes firent du sport : tennis, équitation, golf, etc.
Mais on reste dans l’entre soi et les réceptions se succèdent…jusqu’à la crise des années 30.
Bien des fortunes firent naufrage et une partie des élites dut renoncer aux villégiatures balnéaires.
Crise des années 30 et bouleversements sociétaux
Les élites avaient lancé la mode, avaient financé leur villégiature. Tout fonctionnait avec des capitaux privés.
Elles avaient fait des émules – des suiveurs – et propagé peu à peu à toute la société l’envie de profiter de l’eau, de la plage, du soleil et d’un peu de « farniente ». Les congés payés, obtenus en 1936 vont permettre de transformer le rêve en réalité, les petits « ça m’suffit » fleurissant sur tous les littoraux. L’heure est au tourisme de masse.
Les Trente Glorieuses et le tourisme de masse
La mer pour tous, ou « Sea, Sex and Sun » Serge Gainsbourg, été 1978
Rendre possible l’accès à la mer pour le plus grand nombre devint une affaire d’Etat Les Trente Glorieuses riment avec essor démographique, taux de croissance économique de 5% par an et interventionnisme d’Etat rendu nécessaire par la nature et l’échelle des opérations.
A côté des voies de chemin de fer prolifèrent des routes (la Nationale 7 devient célèbre) et des autoroutes, la A9, celle qui longe le Languedoc. L’automobile a proliféré…. les bouchons aussi.
De nouvelles stations balnéaires
La planification rime avec aménagement du territoire : 6 stations intégrées sont planifiées dans les années 1960 par la DATAR., dont celle de La Grande Motte. Elles s’égrènent comme un chapelet sur le littoral languedocien.
Si l’Etat assainit les littoraux, stabilise le trait de côte, crée toutes les infrastructures et tous les équipements de base, il laisse au privé le financement des superstructures.
Dans les stations anciennes, lorsque des architectures contemporaines viennent s’incruster au milieu des villas de « style normand » le mariage est tout sauf heureux.
La diversité des lotissements est extraordinaire, il y en a pour tous les goûts et surtout pour toutes les bourses. Au centre des stations, toujours des hôtels, des meublés, puis plus loin des villas plus ou moins luxueuses, parfois ghettos pour riches, puis plus loin des campings et des caravanings. Enfin plus chic est l’installation dans une « marina pied dans l’eau ». Vous ne vous déplacez plus qu’en bateau.
Avec l’émergence de la pratique de la voile, chaque station se doit d’avoir son port de plaisance. Fondée sur le modèle de la ville lacustre, la marina est importée des Etats-Unis . En France la première réalisation est la Baie des Anges à Nice.
De nouvelles pratiques sociétales
Il faut toujours être vu, en maillot de bain ou sans. Il faut à présent être bronzé et un nombre impressionnant de crèmes vont faire le travail.
Les pratiques sportives permettent à nouveau de créer de l’entre-soi. Se baigner sur la plage n’a rien à voir avec le bain dans une piscine d’eau de mer installée dans un club privé. La « jet set » a une existence bien réelle …. Attestée par les magazines « people ».
Les remises en cause du début du XXI ème
Si tout le monde peut aller à la mer, franchement, cela vous tente encore ?
Plus sérieusement, les littoraux sont aujourd’hui investis par de grandes métropoles urbaines : travailler près de la mer, c’est encore mieux que de ne la voir que quelques jours par an. Près de la moitié de la population mondiale (plus de 3 milliards d’hommes) vivent dans les agglomérations bordant le littoral. Les fronts de mer sont bétonnés à outrance, les prix flambent, il n’y a plus de zones constructibles.
La sensibilisation à l’écologie depuis les années 1970 permet de dénoncer la fragilisation des équilibres naturels. Le patrimoine culturel pourra-t-il résister aux requins de la finance ?
Et enfin et surtout, le réchauffement climatique actuel va provoquer une montée du niveau des mers…. Et pourquoi pas, des réfugiés climatiques par millions ?
Cependant, crier n’est pas agir, s’indigner permet seulement de se donner bonne conscience.
Rassurez vous, on vous l’affirme, vous allez pouvoir ne renoncer à rien…. Si, si, vous allez comprendre. Demain vous vous installerez dans de magnifiques îles flottantes.
Face à Monaco, où plus un mètre carré n’est disponible, on envisage la construction d’îles flottantes, totalement autonomes, totalement HQE (Haute Qualité Environnementale, pour ceux qui ne connaîtraient pas encore l’acronyme). Les services seront dans l’eau, les appartements, rassurez-vous, entre mer et ciel et en plus totalement végétalisés…
Chaque nénuphar pourra accueillir 50 000 personnes.
L’imagination des hommes est sans limites, leurs rêves le sont aussi.
Bonne promenade à la Cité de l’Architecture et du patrimoine.
Maryse Verfaillie – décembre 2016
Les Cafés géographiques ont déjà organisé dans voyages sur la Manche, l’Atlantique et la Méditerranée. Vous pouvez trouver les comptes rendus sur les liens suivants :
http://cafe-geo.net/wp-content/uploads/voyage-mt-st-michel.pdf en 2011
http://cafe-geo.net/wp-content/uploads/montpellier-sete.pdf en 2011
http://cafe-geo.net/la-rochelle-en-charentaises/ en 2014
et un petit verre de Rivesaltes pê pour rappeler l’existence moins glorieuse des «plages d’exil » du Roussillon durant les années 39-44 où ont été parqués les réfugiés espagnols puis les « étrangers » et les « juifs » sous Vichy.