Les adhérents des Cafés géographiques ont été conviés à un repas timorais au restaurant Indonesia près du Luxembourg, le 4 mars 2014.
Nos deux intervenants étaient :
Marie Redon, Maître de Conférences à Paris 13 et auteur, d’un ouvrage intitulé : Des îles en partage. Haïti & République dominicaine, Saint-Martin, Timor.
Carlos Semedo, Président de l’association France-Timor Leste (oriental)
On peut aussi remercier notre cuisinière timoraise, Fernanda Pereira, qui est venue nous présenter ses plats et sans qui rien n’aurait été possible !
Un dîner timorais dans un restaurant indonésien : une évidence ou un sujet d’étonnement ?
Une évidence pour ceux qui connaissent surtout du Timor-Leste sa géographie : un Etat d’un peu plus de 15 400 km² situé dans la partie orientale de l’île de Timor qui appartient aux Iles de la Sonde, à l’Est de l’archipel indonésien.
Un sujet d’étonnement pour ceux qui ont suivi l’actualité de l’histoire indonésienne durant ses dernières quarante années. Ils se rappellent le long conflit opposant les indépendantistes du Timor oriental aux Indonésiens qui ont occupé leur territoire de la fin de la colonisation portugaise en 1974 jusqu’à la restauration de leur indépendance en 2002 (occupation à partir de décembre 1975 après une déclaration de première indépendance le 28 novembre)
Le drapeau du pays :
Marie Redon et Carlos Semedo nous ont aidés, avec brio et humour, à comprendre la complexité de cet Etat d’un peu plus d’un million d’habitants constitué d’une partie principale et d’une petite exclave (Oecussi-Ambeno) dans la partie indonésienne de l’île. Sa richesse culturelle témoigne de son histoire mouvementée (la gastronomie en est un exemple qui mêle huile d’olive méditerranéenne, cannelle et patates douces des Tropiques).
Dès 1512, les Portugais installent un comptoir au Timor pour y pratiquer le commerce des épices. Ils doivent rapidement partager terres et profits marchands avec la puissante Compagnie hollandaise des Indes Orientales. En 1661, l’île est divisée en deux zones d’influence, l’une, à l’Est, portugaise et catholique, l’autre, à l’Ouest, hollandaise et protestante.
Face à la République d’Indonésie créée en 1949, le Timor oriental reste sous la souveraineté de Lisbonne jusqu’à la Révolution des œillets de 1974, qui met fin à l’Empire colonial portugais. De cette longue présence portugaise, le nouvel Etat conserve la langue (une des deux langues officielles avec le tétum) parmi les 31 parlées dans le pays), une population en partie métissée (les « Portugais noirs ») et une religion catholique qui s’est superposée à l’animisme.
Le départ des Portugais, effectué dans un contexte de Guerre Froide, favorise les ambitions annexionnistes du voisin indonésien, soumis alors à la dictature de Suharto. De 1975 à 1999, les Timorais de l’Est subissent une occupation violente qui cherche à supprimer toute opposition (300 000 morts dans les combats ou victimes des épidémies et des famines) et à éradiquer leur culture.
La lutte pour la libération du Timor oriental s’exerce sur le terrain sous forme de résistance civile dans les villes et villages, mais aussi dans les Universités indonésiennes où des centaines de jeunes Timorais sont éduqués par le régime, tandis que se poursuit une activité armée dans les montagnes, menée par une guérilla avec des effectifs réduits et quasi insaisissable. Elle se mène en parallèle sur le plan international. Les Timorais trouvent des soutiens diplomatiques auprès du Portugal et des autres anciennes colonies portugaises. Mais les soutiens et solidarités sont grandissants en Europe, aux Etats Unis, au Japon… et même de la part d’organisations indonésiennes démocratiques ou de réfugiés politiques indonésiens en Europe opposants au régime de Suharto. L’attribution du prix Nobel de la paix, en 1996, à l’Evêque catholique de Dili Ximenes Belo et au diplomate José Ramos Horta, représentant du Commandant de la Résistance Xanana Gusmao, longtemps détenu dans les prisons indonésiennes (le « Nelson Mandela » timorais) et la fin de la Guerre Froide, donnent une meilleure visibilité mondiale à la lutte pour l’indépendance. Le gouvernement indonésien est contraint d’accepter, en 1999, un référendum demandant aux Timorais de l’Est s’ils souhaitent un statut plus autonome tout en restant indonésiens ou s’ils préfèrent l’indépendance. La réponse est à 80% pour l’indépendance et les représailles sont terribles : destruction méthodique des infrastructures, politique de « terre brûlée », déportation massive de civils, pillage systématique des biens et richesses. L’ONU finit par intervenir en envoyant un fort contingent de Casques bleus. Ce n’est que le 20 mai 2002 qu’est proclamée l’Indépendance.
La retenue de la Résistance timoraise qui a toujours distingué les forces gouvernementales de la population civile indonésienne contre laquelle ne devait s’exercer aucune violence, permet aujourd’hui une coopération harmonieuse entre République d’ Indonésie et Timor-Leste.
Indépendant et démocratique, le Timor oriental a-t-il les moyens économiques de sa souveraineté alors que sa fécondité reste élevée (6 enfants par femme)?
La population, majoritairement rurale (75 %), pratique une agriculture vivrière traditionnelle : culture du riz dans les vallées et sur des terrasses alimentées en eau par des canalisations en bambou, et élevage en semi-liberté, notamment des buffles plus utilisés pour les rituels et les dots des jeunes mariées que pour le travail des champs. Le café, organique, est le produit emblématique du pays et entièrement exporté vers les Etats-Unis (on peut le déguster mélangé à celui de Sumatra dans les Starbucks américains), un peu vers l’Australie et l’Europe.
Mais c’est bien le « miracle pétrolier » qui fournit au Timor oriental l’essentiel de ses revenus. Les gisements d’hydrocarbures, situés entre le Timor et l’Australie, sont exploités par un assemblage de compagnies de différentes nationalités. Pétrole et gaz sont considérés comme des biens communs au service de toute la population, des générations actuelles comme de celles qui vont suivre. C’est la Norvège qui a servi de modèle aux autorités timoraises. Les revenus pétroliers sont versés dans un Fonds spécifique qui les investit dans des placements à long terme. L’Etat ne perçoit que les revenus de ces placements qu’il réinvestit en partie dans des secteurs non pétroliers (infrastructures, santé, éducation…). La « manne pétrolière » contribue donc efficacement au développement.
Un autre secteur a aussi un gros potentiel, le tourisme. Les passionnés d’ethnologie aimeront rencontrer des populations qui ont gardé un artisanat vivant : vannerie, instruments à percussion en cuivre et tissage en coton pour la confection des thaïs dont les couleurs diffèrent selon les clans. Ils pourront aussi satisfaire leur intérêt pour les mythes comme celui du crocodile qui, après un long voyage, s’est transformé en île faisant de l’enfant qu’il transportait sur son dos l’ancêtre des Timorais. Aussi est-il interdit de tuer cet animal qui ne peut faire de mal qu’aux hommes à la « conscience impure ».
Les crocodiles timorais ne fréquentent pas uniquement les mythes mais aussi les eaux saumâtres et la mer. Mais que les amateurs de plongée, de coraux et de poissons-volants se rassurent. Les crocodiles ont la décence de n’évoluer que dans les zones qui leur sont réservées et qui sont strictement interdites aux baigneurs. L’île principale de Timor, comme celles d’Atauro ou de Jaco peuvent donc revendiquer le titre de paradis pour les plongeurs….en toute sécurité.
De Paris à Dili, la capitale, le voyage est encore long (même si l’on a des vols Singapour – Dili plusieurs fois par semaine, ou l’on peut passer par Bali d’où il y a des vols quotidiens)
Pour beaucoup, il restera gastronomique grâce au repas préparé par Fernanda Pereira, notre cuisinière d’un soir.
Au menu :
Salade de cresson aux émincés de gésier et citron vert
Sauté de bœuf aux feuilles de moutarde & riz blanc
Verrines de patate douce à la cannelle
Vin rouge portugais & Cafés timorais
L’entrée, si elle semble peu exotique au premier abord, reflète toute la diversité du Timor : un cresson qui pousse généreusement dans toutes les zones humides et qu’on ramasse comme les pissenlits chez nous, du poulet et une sauce qui mêle subtilement l’ail et l’huile d’olive de la Méditerranée au citron vert et au gingembre. Dans le plat principal, toute l’originalité vient des feuilles de moutarde qui, séchées puis infusées dans un mélange d’eau de riz et de vinaigre, servent de légumes (« sour mustard »). La patate douce, très fréquente au Timor, bouillie avec du lait et parfumée à la cannelle offre un dessert suave au palais.
Vin portugais, très apprécié au Timor, et café timorais ont accompagné ce repas qui est une première approche de la culture timoraise.
Compte rendu de Michèle Vignaux relu par Marie Redon et Carlos Semedo
Photos de Jean-Pierre Némirowsky
Sur le Timor-Leste, en français, vous pouvez consulter le blog de l’association France-Timor Leste :
http://timor-france.blogspot.fr
Sur notre rencontre : http://timor-france2.blogspot.fr/
Les liens ci-dessous renvoient à ces comptes rendus plus anciens et que l’on peut retrouver sur le site dans les archives des expos. Ils comportent de superbes photos.
http://cafe-geo.net/wp-content/uploads/Sept-siecles-de-cartographies-Timor.pdf
http://cafe-geo.net/wp-content/uploads/Viva-Timor-Leste.pdf