Avant les vacances, et sans vouloir vous dégoûter à l’avance des plages et de l’eau bleue, voici quelques images du site https://remonterletemps.ign.fr, qui est un outil efficace pour le géographe (et pas seulement !).

Cette chronique est partie d’un article de la presse au titre évocateur « Au Havre, une falaise recrache ses déchets dans la Manche » …terrible, évidemment ! (https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/05/30/au-havre-une.., Le Monde, 31 mai 2018).

Je suis donc allé voir sur le site de l’IGN cette fameuse falaise à Dollemard, dans la banlieue nord du Havre, et j’ai comparé deux photographies aériennes disponibles à 60 ans de d’intervalle : 1955 et 2015. Sur l’écran partagé en 2, le curseur de la souris se dédouble en flèche d’un côté et en croix de l’autre. Si les deux images sont bien calées géodésiquement (et théoriquement elles doivent l’être), les deux curseurs se sinuent au même endroit sur chacune des deux photos. On peut donc visualiser en direct le déplacement dans le temps d’un phénomène géographique linéaire, par exemple, ici, le pied du versant de la falaise (la limite terre-mer qui fluctue ici avec les marées serait plus difficile à comparer), et repérer les zones ou la terre « avance » et celles ou elle « recule ».

1955 | 2015

Les curseurs étant quelquefois « fantasques » sur l’un ou l’autre écran, j’ai pointé avec la croix la position du pied de versant en 1955 sur la photo de 2015 : elle se trouve au milieu d’un grand renflement de la partie inférieure de la pente, qui créé un bombement, une avancée du pied de la pente sur la plage sur plusieurs centaines de mètres du nord au sud.

En face de cette avancée, sur le bord supérieur de la falaise, on aperçoit très bien sur la photo de Google Earth ci-dessous des sortes de rampes qui étaient absentes en 1955. Pas de doute, il s’agit des « déversoirs » par où les camions bennes sont venus jeter les déchets qui ont dévalé la pente jusqu’en bas…

La reprise d’érosion de la mer dans la base de « l’éboulis » est bien visible et mobilise des débris qui ressemblent sur l’image aux cailloux de la plage, ce qui n’est pas étonnant puisqu’il s’agit, paraît-il, des débris de la reconstruction du Havre après la Seconde guerre mondiale, au moins pour ce qui concerne les plus anciens, donc les premiers arrivés en bas !

Et si, par contre, on promène sur les 2 images le curseur au nord et au sud de cet « alluvionnement » périurbain, on note au contraire un recul du pied de la falaise…

Du coup je suis allé éprouver cette petite technique comparative sur d’autres sites, plus « géomorphologiques » et naturels : en l’occurrence le delta du Rhône.

2017 | 1963

Je ne vais rien vous apprendre de l’avancée de la pointe de Beauduc en Camargue, à l’ouest du petit Rhône, car elle est connue depuis bien longtemps : on peut la mesurer aisément en regardant sur l’image de droite (1963, les dates doivent s’afficher des deux côtés, mais là-aussi c’est un peu aléatoire…) la position extrême ouest de la pointe en 2017

1960 | 2017

Même phénomène de l’autre côté du delta, à l’est du grand Rhône, où la flèche du They de la Gracieuse a largement progressé entre les deux dates… (on peut aussi remarquer qu’à l’embouchure du grand Rhône, les pointes des deux rives reculent en s’aplatissant (encore mieux, il se forme un mini they sur la pointe de la rive droite, qui se développe comme s’il vouait barrer l’embouchure ! Un spécialiste de la géomorphologie littorale devrait nous expliquer ce paradoxe).

On peut donc visualiser sans effort l’évolution du tracé de la côte : il y a là un outil pédagogique et analytique (heuristique) à la portée de tous…Je suis sûr que beaucoup d’entre vous le font utiliser par leurs étudiants.

Bon été et bonnes baignades, quelle que soit l’évolution du trait de côte !

Roland Courtot, juin 2018