Publicité à destination des populations qui fréquentent le métro Denfert-Rochereau.
Photographie prise par Emilie Viney, 3 octobre 2017.

Le slogan publicitaire est le suivant : « Envie de plaisirs méditerranéens. Valencia, là où le soleil brille 300 jours par an ». « Vol Paris Valencia, 2H, Vols 7 jours sur 7 ».

Le but de la publicité est de vendre aux Parisien.ne.s qui fréquentent le métro une destination touristique. Dans « les  heures souterraines »[1] qui animent nos parcours journaliers dans le métro, que cherche à nous dire le message publicitaire ? Avec quels registres du discours fraye cette publicité ? Pourquoi, dans l’ombre du métro, les publicités des destinations ensoleillées peuvent-elles avoir des relents coloniaux ?

Que voit-on sur la photographie qui vante la destination de « Valencia » ? Au premier plan, un homme et  deux femmes. L’homme à la peau blanche est debout, porte une chemise blanche, des lunettes de soleil, une barbe et a les mains sur le volant d’un bateau à moteur. Il sourit mâchoire serrée. Il semble, derrière ses lunettes, regarder vers nous.

A la gauche de l’homme, une femme à la peau blanche se tient debout en position plus basse que l’homme. Elle porte une veste violette ouverte et un t-shirt blanc. Elle a les cheveux détachés et rit la bouche ouverte, dents visibles, en tenant d’une main une boisson jaune pétillante et de l’autre main sa veste en-dessous du sein. Son visage est tourné vers le côté en direction de l’autre femme et de l’homme.

A gauche de l’homme, se tient une femme à la peau blanche assise, les cheveux blonds détachés. Elle tourne son visage et son regard vers l’homme en riant la bouche ouverte. Elle porte une robe à imprimé « zèbre » aux bretelles laissant apparaître épaules et bras nus.

En arrière-plan un bâtiment moderne, aux formes rectangulaires en verre et béton : le bateau semble quitter le port pour aller vers le large : mer, ciel baigné de soleil viennent compléter l’ambiance rieuse.

Dans l’ordre des symboles que nous dit cette publicité ? Elle vise à incarner « l’envie de plaisirs » vendu par le slogan. Sous quelles formes se présentent « ces envies » ? Visiblement l’ordre des envies est aussi un ordre socio-économique, socio-sexiste, socio-raciste, socio-âgiste : 1 homme pour 2 femmes, 3 blancs, 3 riches, 3 jeunes.

Que dit la publicité de « l’homme » ? Il est l’homme. L’homme blanc, hétérosexuel. Il incarne la jeunesse, la modernité, la richesse, la virilité. Il résonne avec le lieu qu’il incarne. Il dirige le bateau, il sait où il est et où il veut aller. C’est lui qui domine la situation. En position haute, dans une construction pyramidale où il est positionné au sommet, sa blanchité[2] est éclatante et n’est pas discutable : la couleur blanche de la chemise vient renforcer la blancheur de sa peau. Il est blanc, le blanc dominant. Le visage tourné vers nous qui regardons l’affiche c’est lui qui fait le lien entre nous et elles. Le regard connivent : il sait qu’on sait, c’est lui qui domine le plaisir : plaisir du contrôle (du bateau), plaisir de la domination (les femmes semblent conquises), plaisir d’être tout-puissant, et d’être à sa place, la haute.

Que dit la publicité de la « femme » ? Elles sont deux. Doubles. Complices et/ou duplices. Incarnant le libertinage (couleur « violette » de la veste) et de « nature » sauvage (imprimé « zèbre »). Elles sont deux, comme le diable, elles incarnent la tentation des plaisirs sexuels. Les femmes rient gorges déployées. Les vêtements entrouverts, la peau visible, les lèvres écartées, elles sont corporellement « ouvertes ».  L’invitation au voyage est une invitation aux plaisirs sexuels dont l’ordre est hétérosexiste : homme à la barre,  femmes ouvertes et offertes au lieu et à lui.

Le lieu incarne l’ordre moderne et l’ordre de la compétition. Modernité et compétition sont incarnées par le bâtiment Veles e Vents, conçu par l’architecte anglais David Chipperfield à l’extrémité septentrionale du port de Valence. Ce pavillon de la Coupe de l’America a été érigé en 2006 pour accueillir cette célèbre compétition de voile en 2007. Il est situé juste à côté du circuit automobile urbain de Valence qui accueillit de 2008 à 2012 le grand prix d’Europe de Formule 1.

L’ordonnancement des éléments de la photographie nous invite à penser l’ordre politique, social, économique, culturel et spatial que l’on doit désirer et que la publicité nous vend. C’est un système : l’ordre des lieux et des personnages incarne un ordre des rapports de pouvoir, qui est aussi ordre de compétition, ordre de domination, ordre soumis aux diktats de l’argent, ordre qui n’a semble-t-il pas disparu : ordre (hétéro)sexiste, raciste, ordre conçu comme naturel mais qui reste, encore en 2017, ordre colonial[3] où le blanc dominant, éclatant, tout puissant tente de nous faire oublier la noirceur d’une réalité cruelle où l’accès aux lieux reste profondément inégal notamment en Méditerranée[4]. Au fond du couloir de métro, le soleil publicitaire a le visage pâle.

 

Emilie Viney, 5 octobre 2017

[1] Delphine de Vigan (2009) Les heures souterraines, Paris, JC Lattès.

[2] La blanchité est un concept mobilisé en sciences sociales pour caractériser l’identité des Blancs : celle-ci a longtemps été impensée dans des lectures racistes ou antiracistes qui pensaient d’abord l’identité noire.  Etudiée par Peggy McIntosh, dans Privilège Blanc : Vider le sac à dos invisible, paru en 1989, l’identité blanche apparaît associée à des privilèges : « «En tant que personne blanche, j’ai réalisé que j’avais appris le racisme comme quelque chose qui désavantage d’autres personnes, mais on ne m’a jamais enseigné le corollaire de cette situation : le privilège blanc, qui me donne un avantage.»

[3] Les penseur.e.s de la décolonialité montrent le lien entre colonialisme et modernité. Sont relevées trois formes de colonialité : la colonialité du pouvoir, du savoir et de l’être. Le colloque international d’études décoloniales qui a eu lieu les 7-8 décembre 2015 à l’université de Lyon 2 en rend compte.

(https://cied2015.sciencesconf.org/)

[4] Comme le rappelle Stéphane Rosière : « La mobilité n’est qu’une étiquette positive qui masque une réalité implacable : celle d’être un droit peu partagé. » (Rosière Stéphane, « Aller et venir » in Libération, 30 septembre 2015. http://www.liberation.fr/planete/2015/09/30/aller-et-venir_1394502 )