Nicolas Escach, Benoït Goffin. Atlantique. Collection Odyssée, villes-portraits. ENS Edition, 2021

Atlantique est le deuxième ouvrage de la « Collection Odyssée, villes-portraits » (ENS Editions) que Daniel Oster a déjà présentée sur notre site (https://cafe-geo.net/de-la-baltique-a-la-mer-noire-atlantique/). Des textes courts livrent le ressenti de géographes, d’architectes ou de journalistes sur une ville à laquelle ils sont particulièrement attachés. Ce ne sont ni des métropoles mondiales, ni des bourgades mais des villes plus ou moins grandes marquées par un long passé qui a laissé des traces dans l’imaginaire collectif, imaginaire parfois en décalage avec la situation actuelle.  Chaque article est illustré par des dessins réalisés par des étudiants de l’Ecole Estienne.  Le parti pris est celui de la simplicité : quelques couleurs primaires, des perspectives différentes (plongée, contre-plongée, horizontalité) et des symboles simples comme dans les cartes anciennes (arbre, montagne, maison).

Atlantique. Le terme évoque le goût salé des embruns, de lourds paquebots amarrés le long des quais, des bars à matelot et des halles remplies d’un poisson fraichement péché. Pourtant parmi les dix villes évoquées, plusieurs ne sont pas des ports (Fougères et Saint-Jacques-de-Compostelle sont des villes « de l’intérieur »), pour d’autres le riche passé portuaire (Nantes, Bordeaux) ne semble guère intéresser les auteurs. L’océan est peu présent dans l’ouvrage.

Il ne faut pas chercher non plus une description précise de l’architecture et de l’urbanisme, rien qui ressemblerait à un complément du Guide bleu. Le travail des auteurs relève de la géographie subjective. On pourrait parler d’ego-géographie comme d’autres font de l’ego-histoire. Chacun a un intérêt de nature particulière pour la ville qu’il évoque, qu’il y réside, qu’il y ait passé sa jeunesse, qu’il y travaille ou qu’il y vienne ponctuellement. Ainsi la question des transports est-elle primordiale pour Benoît Montabone qui, soumis aux déplacements pendulaires, déplore longuement la disparition du train à Fougères, et pour Alain J.F. Chiaradia contraint de traverser Cardiff, « ville découpée en rubans par les chemins de fer et les cours d’eau », en empruntant successivement ponts et tunnels.

Si à Dublin, « archipel urbain chaotique aux limites floues », le promeneur voit la ville à travers le regard d’écrivains ou de cinéastes, à Belfast, il est constamment heurté par les obstacles laissés par les émeutes sporadiques des dernières décennies du XXe. Dans l’une, on déambule sur les traces du Léopold Bloom de Joyce, dans l’autre, des murs, nombreux, témoignent des relations hostiles entre catholiques et protestants.

L’imaginaire et l’histoire oeuvrent à parts égales pour façonner le regard sur des villes qui furent de grands ports à l’époque où l’Europe dominait le monde. De leur passé où commerce transatlantique et commerce colonial les enrichissaient, il ne resterait à Liverpool, à Nantes et à Bordeaux que des docks et des bassins abandonnés….si le concept de patrimonialisation n’était venu au secours de leur renouveau. On réhabilite les vieux bâtiments, les quais et on requalifie des lieux qui étaient consacrés à l’industrie en centres tertiaires et culturels à l’architecture novatrice. Mais respect du passé et modernité sont parfois difficilement conciliables (1). Dans ce sens Bordeaux et Nantes s’en tirent mieux que Liverpool, même si Guy Di Méo juge « clinquante » la modernisation de Bordeaux et si Laurent Devisme ironise sur la « quête de labellisation » de Nantes.

L’imaginaire qui associe à Saint-Malo tempêtes et aventures lointaines est aussi opposé à un « paysage tranquille et banal », animé par les encombrements provoqués par des touristes pressés de fréquenter boutiques et crêperies. C’est la vue du haut des remparts qui, pour Hervé Regnauld, sauve Saint-Malo. Cette vue permet d’admirer les îles voisines et le tombeau de Chateaubriand, mais surtout elle amène à se perdre dans le paysage mobile des estrans et les mouvements incessants des goélands, des mouettes, des huîtriers…

L’Atlantique est pratiquement absent du texte sur Saint Jacques de Compostelle. Tout juste sait-on qu’il est à trois jours de marche de la ville, ville riche par sa longue histoire liée au christianisme, son patrimoine, son activité politique et universitaire. Saint-Jacques doit plus à son chemin terrestre qu’à sa proximité de l’océan.

C’est Bayonne, « espace rond et dense » à l’intérieur de sa muraille Vauban, qui suscite le plus d’enthousiasme chez son auteur qui y aime son architecture colorée, « pimpante », ses belles vues sur la Nive, mais surtout la chaleur et la gaieté de sa vie sociale, qu’elles s’expriment dans les marchés, lors des fêtes ou des matchs de rugby. Mais peut-être ma sympathie personnelle pour cette ville m’influence- t-elle…l’egogéographie est aussi dans l’esprit du lecteur.

 

Michèle Vignaux, août  2021