Cet atlas est l’œuvre du géographe Eric Verdeil, et de L’Atelier de cartographie de Sciences Po. Eric Verfeil est professeur des universités, chercheur au CERI (Centre de recherches internationales), et il enseigne à l’École   urbaine de Sciences Po, où il est responsable scientifique du master Stratégies territoriales et urbaines.

L’Atelier de cartographie réunit Thomas Ansart, Benoît Martin, Patrice Mitrano et Antoine Rio. Ils accompagnent, avec leur création graphique, les enseignants, les étudiants et les chercheurs. Cet ouvrage est paru en octobre 2020, aux presses de la Fondation nationale des sciences politiques. L’éditeur souligne qu’il a été imprimé en France, sur du très beau papier d’ailleurs, issu d’une gestion forestière durable et avec des encres végétales.

Dans un monde qui fascine autant qu’il inquiète, on peut tout remettre en cause, mais les solutions pour un avenir urbain moins destructeur de l’environnement ou socialement moins inégalitaire restent limitées. Merci à Eric et à l’Atelier de Sciences Po de nous proposer leurs réflexions.

Cet ouvrage est véritablement un atlas :

– il fonctionne en doubles-pages successives illustrées par des cartes,

– chaque double page se lit comme un tout : une problématique, développée par un texte en page de gauche et un exemple cartographié sur la page de droite.

– un petit cartel est inséré dans le texte titré Ce que l’on ne sait pas encore ou Ce qu’il faut savoir.

Autre intérêt, les informations recueillies sont très variées, pour ne pas dire hétéroclites, dans leurs sources comme dans leurs échelles. Il faut souligner le fait que l’atlas nous offre les données les plus récentes disponibles. Ainsi avons nous déjà des analyses sur la pandémie qui fragilise la planète. Effort à saluer comme il se doit. L’ouvrage comporte sept parties.

 

La première partie traite de l’accélération du processus urbain.

 

– Sept humains sur dix vivent en ville, selon la définition du fait urbain par le GHSL (Global Human Settlement Layer) qui s’appuie sur des images satellites.

 

Fini le bon temps où la ville était ceinte de murs, où le citadin était associé à la civilisation et le campagnard au monde sauvage.

Le citadin bénéficiait d’une gestion spécifique, d’une identité politique. Les capitales (Rome, Bagdad, Byzance ou plus tard Paris et Londres) régnaient sur des empires. Lieux d’accumulation des richesses, des savoirs et des savoir-faire (artisans, artistes), les villes captaient les surplus du monde rural par l’impôt et le commerce. C’était tout bénéfice pour les catégories urbaines : prêtres, soldats, fonctionnaires.

Cette longue histoire est entrée, il y a deux siècles, dans une phase de rupture inédite avec la Révolution industrielle, puis la mondialisation des systèmes de production et l’accumulation des capitaux à un rythme effréné. L’expansion urbaine, dès lors, ne connaît plus de limites et la distinction ville/campagne se brouille irrémédiablement. Le phénomène gagne tous les continents. On ne parle plus de « ville » mais de « monde urbain » titre de l’ouvrage.

 

– La définition du fait urbain par le GHSL oppose trois zones dont 2 urbaines :

Les zones urbaines denses affichent des densités supérieures à 1 500 habitants au km2

Les zones urbaines clairsemées ont des densités entre 300 et 1 500 habitants au km2

Le reste est « zone rurale », terrain bâti ou non bâti !

La carte des mégapoles définies par les seules « zones urbaines denses » (p 23) résume un grand basculement. En Europe, une seule mégapole abrite plus de 10 millions d’habitants, c’est Moscou. L’Amérique en compte 5 : New York, Los Angeles, Mexico, Buesnos Aires et Sao Paulo. En Afrique 3 villes sont au palmarès : La Caire, Lagos, Johannesburg. Toutes les autres sont situées en Asie, depuis la Chine jusqu’au sous-continent indien. Si on se penche sur le Moyen orient, il faut ajouter au Caire, les mégapoles d’Istanbul et de Téhéran.

 

– L’accroissement de ces mégapoles géantes a diverses causes.

On est passé d’un moteur alimenté par l’exode rural à une croissance de plus en plus alimentée par l’accroissement naturel (solde entre les naissances et les décès) même si parfois des vagues migratoires y contribuent, forcées par des conflits ethniques ou religieux.

Les guerres actuelles n’en finissent pas de produire des camps de réfugiés. La peur et la pauvreté sont des composantes fortes de l’accroissement des mégapoles. Il faut y ajouter l’attraction pour des services presque absents des campagnes, comme la santé ou l’éducation qui permettent le processus d’ascension sociale et d’émancipation des individus.

Mais toutes les villes ne sont pas attractives ou ne le sont plus. Il existe des villes décroissantes, celles des « rust belts » ceintures de la rouille, brisées par la fermeture des usines, ne laissant que de sinistres friches industrielles. Détroit illustre dramatiquement ce cas.

 

Le second chapitre nous plonge dans l’étude des morphologies urbaines qui s’étirent, se fragmentent, se banalisent.

 

– Les villes, ce sont d’abord des formes, des couleurs, des volumes agencés en un lieu. Ce sont des pleins (architectures de bois, brique, béton, verre) et des vides végétaux ou en attente de construction.

Les villes, résultat de l’histoire et de la géographie, sont des centres, aujourd’hui sanctuarisés par l’industrie du tourisme, au risque de se perdre. Les villes se sont aussi des nappes qui s’étirent et dissolvent l’identité urbaine, le vivre ensemble, la capacité des sociétés urbaines à « se penser ensemble ». Six thématiques sont étudiées.

– Les grands types de plans sont perçus à partir de 3 villes :

Fès (Maroc) témoigne de l’irrégularité des villes médiévales à la fois siège du pouvoir politique et reflet des cloisonnements socio-religieux.

-Kyoto (Japon) illustre avec son plan en grille le cas des villes marquées par le centralisme d’un empire. Pour la Chine le plan orthogonal relève d’une vision cosmogonique et pour les Etats-Unis d’un idéal démocratique depuis que Thomas Jefferson a édicté son Land Ordinance Act de 1785, Ailleurs la géométrie des lieux est l’empreinte des colonisations anciennes ou récentes.

-Amsterdam, avec son plan radioconcentrique donne à voir les traces des enceintes successives, qui s’appuient ici sur un système de fossés et de canaux.

 

– Sont évoquées ensuite les 3 formes d’étalement urbain : la verticale, l’horizontale et la souterraine…forme le plus souvent oubliée !

Se battre pour avoir la tour la plus haute du monde, toutes les mégapoles en rêvent, les villes occidentales (New York) ou de plus en plus souvent celles des pays émergents, comme signe d’un pouvoir ostentatoire. Elles sont signées par les plus grands architectes.

L’étalement horizontal correspond davantage aux pays riches dotés de nombreux moyens de transport et qui souhaitent la mise à distance, dans des communautés fermées, des différences d’appartenance de classe ou de race.

Plus originale est l’étude, grâce à un joyeux dessin (p 39) de l’étirement souterrain des villes. Elles y enfouissent de nombreux services : des métros, des parkings, des canalisations d’eau, de gaz, des fibres optiques et même des galeries commerçantes !

Saviez-vous que le plus long réseau de chaleur exploitant la géothermie se trouve dans la banlieue sud de Paris, à Chevilly-Larue et à l’Hay-Les-Roses ?

Quelle forme d’étalement est la moins nocive pour l’environnement ? L’avenir le dira.

 

– Le thème suivant évoque la standardisation urbaine qui va de pair avec la standardisation des modes de vie. Le shopping mall (ou centre commercial), implanté en périphérie urbaine a beaucoup affaibli le centre-ville et assuré la diffusion des grandes marques occidentales (Coca Cola, Walmart, Mac Donald’s, Apple…) dans le monde entier. La Chine s’est lancée frénétiquement dans ce modèle. Dubaï prétend avoir le plus grand shopping mall du monde !

Enfin sont évoquées les « formes incertaines » des gigantesques bidonvilles qui diluent la périphérie. Ils se nomment favelas en Amérique latine, gecekondu (traduction = construits en une nuit), en Turquie. Aucun pays n’y échappe, même pas les pays les plus riches de la planète !

Les promoteurs privés sont ici, souvent seuls à l’œuvre. Parfois le bidonville durcit et accueille alors des classes moyennes, les pauvres seront rejetés plus loin encore.

 

La troisième partie aborde la question de la hiérarchie mouvante des métropoles.

 

Le terme, souvent associé au gigantisme urbain, s’attache en réalité aux quelques villes qui tiennent les rênes de l’économie mondiale et qui appartiennent essentiellement à la Triade…Rien à voir avec des groupes malfaisants…quoi que ?

Donc, dans la Triade, qui compte l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale et le Japon, les villes se battent férocement pour rester dominantes et maintenir leur subordination sur les autres villes.

– Lorsque le concept de ville globale a été forgé en 1991 par Saskia Sassen, le premier critère de définition est la spécialisation dans les fonctions supérieures de commandement, puis on a insisté sur l’intensité des connexions dématérialisées ou pas. Jamais les infrastructures n’ont été aussi nécessaires : les métropoles restent des carrefours autoroutiers, portuaires, ferroviaires, aériens et la fonction productive y reste importante.

Aujourd’hui 100 villes détiennent 46 % de la richesse urbaine pour seulement 25 % de la population urbaine. Elles sont accusées de peu « ruisseler » dans leur environnement proche et de devenir des « archipels métropolitains » peu soucieux de faire profiter l’échelon local.

 

–  Le classement, selon le nombre de sièges sociaux de grandes firmes installées a été réalisé par le GaWC (Globalisation and World Cities). Il distingue, dans l’ordre décroissant :

8 métropoles « alpha + » dont 7 dans la région Asie-Pacifique

23 métropoles « alpha » qui servent de relais aux villes alpha +

Viennent ensuite des villes « beta », et des « gamma »… Cela fait un peu science-fiction !

La ville de Dubaï est étudiée comme exemple de ville alpha sur une double page. Aussi nouvelle qu’artificielle, cette ville carrefour du Moyen-Orient est aussi extravertie que fragile.

 

-Puis des analyses sont menées sur des villes aux fonctions plus réduites.

La carte des villes universitaires montre une coïncidence (non fortuite) avec la géographie des villes globales.

Ici, elles sont classées selon le nombre de publications scientifiques entre 1999 et 2014. Deux mille villes concentrent 98,5 % du total des publications : elles appartiennent à la Triade, mais aussi de plus en plus aux pays émergents : Chine, Inde, Singapour, Brésil, Turquie, Iran.

Le rôle de l’industrie dans la croissance urbaine est bien connu.  Il fut essentiel au XIXème et jusqu’aux trente Glorieuses en Europe puis en Amérique du Nord. Il l’est aujourd’hui dans les pays émergents : la Chine a elle seule produit 28 % des biens manufacturés de la planète. Elle crée des zones franches destinées à l’exportation et donc proches des ports. Shenzhen est un « monstre » de 40 millions d’habitants allant de Hong Kong jusqu’à Guangzhou (Canton). Qu’adviendra-t-il lorsqu’elles deviendront à leur tour « rust belt » ?

 

Le 4ème chapitre s’intitule « Vies urbaines ».

 

On peut considérer, avec Jacques Lévy, que l’urbanité est l’ensemble des potentialités qu’offre la ville pour organiser les relations sociales. La ville, lieu de l’ouverture au monde, du cosmopolitisme est aussi un marchepied pour l’ascension sociale.

 

– C’est en même temps un lieu de désirs contradictoires entre le besoin d’individualisation, le besoin d’inclusion ou d’appartenance. Ces contradictions sont source de nombreuses tensions, étudiées dans quelques villes.

Toronto, capitale financière du Canada a vu sa population passer de 3,9 millions en 1991 à 5,9 millions en 2016. Hyper attractive, elle a attiré 1,1 millions de personnes venues essentiellement de Chine et d’Inde. Les nouveaux venus se regroupent naturellement afin de bénéficier de solidarités, ainsi apparaissent les « china towns » aux enseignes de restaurants bien visibles rouges, ornées de dragons. Mais ces regroupements sont aussi plus ou moins imposés. Une partie seulement des migrants parvient sur les marches de l’ascension sociale, les autres demeurent précaires, menacés parfois par des discours populistes ou carrément xénophobes.

 

– Une double page est ensuite consacrée à la pandémie de Covid-19.

Saluons cette initiative qui s’appuie sur la carte des populations confinées en Inde du 25 mars au 3 mai 2020. Le critère retenu est le nombre d’utilisateurs de Facebook : il a bondi dans les campagnes et fortement chuté dans les grandes villes, avec l’émigration plus ou moins forcée des populations les plus pauvres que l’on ne pouvait pas soigner.

Le même pays sert à analyser l’insécurité des femmes. A New Delhi, nombreuses sont les femmes qui se sentent, à juste titre, menacées dans l’espace public et qui restreignent leurs déplacements. Problème de sexe, problème de classes ou de castes, dans la ville indienne l’insécurité reste très forte.

 

– Les derniers volets concernent le creusement des inégalités dans des mégapoles qui concentrent à la fois les populations les plus riches et les plus pauvres. Les championnes du genre sont les villes d’Amérique Latine.

Le mal logement s’accroît avec la multiplication des bidonvilles, taudis, slums, gecekundu, favelas où règne une double insécurité foncière et physique. C’est surtout vrai lorsque la ville attire des migrants, installés dans des camps de fortune plus ou moins à l’abri des regards.

En revanche l’habitat « indigne » régresse dans le centre-ville lié au processus de gentrification. On nomme parfois « bobos » les nouveaux occupants à la fois bourgeois et bohêmes.  Ils occupent des logements qui avaient vieillis et qu’ils rénovent. Aujourd’hui, être au centre, c’est bénéficier du plus grand nombre de services. Les premiers venus, à Saint-Germain des Prés étaient des intellectuels et des artistes. A présent plusieurs facteurs modifient la donne : la financiarisation liée, l’essor des plateformes de location temporaire (Airbnb) qui retire des milliers de logement au profit de visiteurs et de touristes, et la pandémie actuelle de COVID associée à l’accroissement du télétravail qui redonne vigueur aux banlieues vertes.

 

La 5è partie est nommée Anthropocène

 

Des scientifiques estiment que nous avons quitté l’époque géologique nommée Holocène qui durait depuis 10 000 ans et que nous vivons dans des villes très vulnérables et qui mettent aussi en péril la planète.

 

–  Le traitement des déchets est un véritable défi. Jadis la ville réutilisait en grande partie le bois, la brique, la pierre. Aujourd’hui que faire du béton, de l’acier, des plastiques ? L’Ile de France est cartographiée (81) avec ses dépotoirs et les altérations des sols.

 

– L’empreinte carbone n’évolue pas seulement avec le nombre d’habitants mais aussi avec leur niveau de vie : 3 millions de Koweïtiens ont une empreinte carbone équivalente à celle de 35 millions d’habitants de Jakarta (Indonésie).

 

– L’empreinte nourricière s’étend à l’échelle planétaire. On peut trouver sur son marché, en toutes saisons des haricots venus du Kenya, de l’agneau néo-zélandais, des fruits mexicains, etc.

Que faire : Consommer moins, et moins de viande ? Étaler moins la ville ?

Développer une agriculture urbaine hors sol, et high tech ?  Mais les espaces utilisés seront aussi ceux convoités pour le logement des banlieusards. Des tensions sociales adviennent comme à Dijon cette année.

Que devient-on lorsque l’on habite Beyrouth au Liban, que le port a explosé, celui là même qui permettait d’accéder à des produits essentiels ? Eric Verdeil a vécu dans cette ville, actuellement dans une situation dramatique.

 

–  Les pollutions de l’air, de l’eau, des sols sont autant de problèmes majeurs.

Selon The Lancet, en 2015 la pollution de l’air a tué 6,5 millions de personnes dont la moitié en Chine et en Inde. Une carte illustre la situation de l’Asie (p87).

Le risque d’inondation ou de submersion s’accroît avec le réchauffement climatique, la fonte des glaciers va entraîner la montée du niveau des mers, montée évaluée à 2 mètres. Les villes littorales ou deltaïques sont véritablement menacées.

Haïti est l’exemple le plus dramatique du cumul des vulnérabilités : défaillance des équipements essentiels, tremblement de terre (2010) et épidémie de choléra quelques mois plus tard.

En revanche, la Chine se prépare déjà et met en œuvre la création d’écosystèmes humides  pour limiter les inondations. C’est la technique des villes éponges.

 

– L’année 2020 est l’année de tous les dangers, avec l’apparition de la Covid-19

La grande peste de 1347, partie d’un foyer asiatique, était arrivée à Gênes avec les marchands, navigant de port en port. Toute l’Europe avait tenté de se protéger en multipliant les quarantaines et les lazarets.

Ce risque avait été oublié. Les zoonoses  (maladies portées par les animaux) des XX ème et XXI ème siècles ont réapparu : le SARS en 2003, le H1N1 en 2009, Ebola en 2013 ou le sida, depuis déjà les années 1970. Le virus actuel, venu d’un marché chinois à Wuhan s’est répandu comme une traînée de poudre.

Mais encore une fois, l’exemple cartographié  des quartiers de New York, montre que se sont les quartiers les plus pauvres qui enregistrent la mortalité la plus élevée par habitant.

 

Le chapitre 6 est consacré aux politiques mises en œuvre, privées ou publiques pour lutter contre les dysfonctionnements ou défis urbains.

 

Les pouvoirs politiques, militaires et  religieux ont longtemps contrôlé les villes ainsi que les percepteurs chargés de la collecte des impôts. Aujourd’hui la gouvernance est revendiquée par des acteurs beaucoup plus nombreux dont les intérêts sont contradictoires. Est-ce au maire, au préfet, au député d’imposer une gestion ? Est-ce aux habitants, aux usagers de faire valoir « leur droit à la ville » (Henri Lefebvre) ? La montée du néolibéralisme impose de nouveaux partenaires économiques dont le poids va croissant avec celui du clientélisme et de la corruption. Neuf exemples de gouvernance sont étudiés.

 

–  Bâtir des villes nouvelles a tenté, peu ou prou, tous les États de la planète.

Construites sur une courte période, sur un site non urbanisé et dotées au moins temporairement d’un gouvernement spécifique, elles ont été dessinées par des professionnels de l’aménagement du territoire, à partir de grilles géométriques, ou parfois selon des schémas plus complexes comme à Brasilia.

 

Les chiffres ci-après donnent le nombre de villes nouvelles construites depuis le début du XXème siècle :

1900 – 1944  = 170                       1970 – 1989 = 143

1945 -1969 = 319                        1990 – 2017 = 346

 

Elles prennent leur essor avec la colonisation occidentale, puis dans les pays devenus indépendants qui veulent des villes nouvelles pour capitales comme Brasilia ou Yamoussoukro (Côte d’Ivoire). Elles sont nombreuses dans les pays socialistes qui créent des villes planifiées sur les nouveaux espaces productifs. Leur succès est inégal.

Celui d’Héliopolis, bâtie en 1905 en lointaine périphérie du Caire est avéré, puisque cette ville est aujourd’hui parfaitement intégrée dans l’espace de la capitale.

 

–  Si l’Etat s’est longtemps investi dans l’organisation spatiale des capitales, lieux de pouvoir et de représentation, il arrive qu’il cède la place aux municipalités ou aux acteurs privés.

L’exemple choisi est celui de Moscou (p 99), cernée de kremlins (fortifications) du temps des princes et de périphériques autoroutiers depuis la fin des années 1990 et l’arrivée des oligarques affairistes. Au centre ville, s’élèvent en 2020 dans ce qui est appelé Moskva City pas moins de 19 gratte-ciel !

 

– Une expérience unique en son genre a été tentée, avec succès sur l’île de Java et notamment à Surabaya. Un projet gouvernemental (porté par l’architecte Johan Silas) et aidé par la Banque mondiale (1974-1991) a voulu maintenir les populations pauvres dans les quartiers centraux de la ville. Les « kampungs » ainsi revalorisés, ont fait chuter la pauvreté urbaine des trois-quarts.

 

– La marchandisation des services urbains se développe constamment au nom de l’efficacité.

Qu’il s’agisse des adductions d’eau, d’électricité, de gaz, de téléphonie, de transports, de nouvelles technologies, les expériences se sont multipliées mais les privatisations ne furent pas aussi bénéfiques que prévu et parfois on retourne au secteur public ou à des partenariats public-privé.

 

– Le maintien de l’ordre (quel ordre ?) est difficile et délicat.

Toutes sortes de violences menacent les urbains : les violences à bas bruit de type mafieux pour contrôler l’économie ou les émeutes contre les autorités ou entre clans, ethnies, religions.

L’exemple de Karachi témoigne d’une fabrique violente de l’ordre urbain. Entre coups d’Etat, batailles de rues, actes terroristes, cette mégapole de 20 millions d’habitants semble pourtant parvenir à « un désordre ordonné » (Laurent Gayer), l’Etat parvenant à garder un rôle d’arbitre.

 

– La guerre tue aussi les villes, comme l’illustre le cas tragique d’Alep (p 107).

Déjà la notion « d’urbicide » s’était posée pour Sarajevo durant les guerres dans l’ex-Yougoslavie (1991-1995). On l’utilise aussi pour Jénine, Gaza, Bagdad ou Falloujah.

A Alep, il ne reste plus rien des quartiers « ciblés » et l’on a dénombré plus de 20 000 victimes civiles.

 

–  Lorsque les villes globales revendiquent leur autonomie vis-à-vis des Etats, cela fait clash !

Le plus souvent, face à cette revendication, les Etats ne peuvent plus maintenir qu’une tutelle a priori ou a posteriori. Les villes soutiennent qu’elles sont mieux à même de régler, à leur échelle les problèmes. Les dépenses publiques engagées varient fortement selon les continents, on ne s’étonnera pas qu’elles soient faibles dans les pays émergents où en revanche peut affluer l’argent des organismes internationaux.

 

– Les colères anti-métropoles se font de plus en plus fréquentes.

Accusées d’être des « archipels » déconnectés de leur environnement historique et qui profitent éhontément de la mondialisation, les territoires qui se sentent abandonnés donnent de la voix, par exemple dans le mouvement des Gilets Jaunes.  Périurbains et ruraux se sentent sacrifiés au nom de la rationalité budgétaire…ce n’est pas faux !

Le même phénomène, mais en beaucoup plus grave a surgi au Royaume Uni qui devient désuni et qui vote le brexit (leave) alors que Londres et les villes universitaires ont voté pour le « remain ».

 

La dernière partie, intitulée « expériences » relate la variété des solutions envisagées pour résoudre les problèmes des mondes urbains.

 

A Houston (E.-U.) on veut minimiser le tout automobile ; à Fribourg–en-Brisgau (Allemagne) on se veut ville verte pionnière ; ailleurs on se prétend « smart city » c’est-à-dire ville intelligente vouée aux systèmes numériques censés résoudre tous les problèmes. Et pourquoi pas revenir aux basses technologies, aux « low tech », se murmurent d’autres villes. Des gouvernances « bricolées » se sont mises en place, par défaut, dans la plaine de la Bekaa au Liban.

Le champ des possibles est très ouvert, il ne vous reste qu’à choisir.

 

Cet Atlas des mondes urbains se lit aisément. Le très grand nombre d’exemples concrets est le point fort de l’ouvrage. Parfois le principe de la double page synthétise à l’accès, ou n’évite pas les redites. Ce bel ouvrage sera fort utile aux étudiants, à leurs enseignants et à tous ceux qui s’intéressent aux mondes urbains.

 

Maryse Verfaillie, novembre 2020

NB : Eric Verdeil a autorisé l’insertion de deux cartes issues de l’Atlas.