Un récent voyage géographique d’Aix-en-Provence à Valence et Alicante en train m’a convaincu que l’arc méditerranéen n’existe toujours pas pour le chemin de fer, alors qu’il existe bien pour les liaisons autoroutières (il suffit de voir le trafic des poids-lourds de toutes nationalités sur les autoroutes « provençale » et « languedocienne »).
Le premier problème a été de réserver les billets sur internet : ni le site de la SNCF, ni celui de la RENFE n’ont pu me les délivrer directement (c’est vrai que je ne suis pas un champion du web) et c’est finalement au guichet de la gare d’Aix que j’ai obtenu satisfaction : 4 billets pour l’aller et 3 pour le retour avec, outre Marseille, changement à Montpellier, Cerbère, et Barcelone (un de moins au retour, car j’ai voyagé de nuit, faute de trouver un horaire correct de jour !). A l’aller, parti d’Aix à 8h30 , j’étais à Valencia à 22h30 : 14h de voyage, qui auraient pu être beaucoup plus, car une rupture de caténaire entre Arles et Nîmes a dès le départ provoqué 1 heure de retard, et j’ai dû à Perpignan prendre un taxi jusqu’à Figueras pour rattraper le train espagnol parti de Cerbère pour Barcelone sans moi. Au retour, parti d’Alicante à 14h20, j’étais à Aix le lendemain matin à 7h06 : 16h46 cette fois, et là encore ça aurait pu être pire, car une averia ( de quelle nature ?) à la gare de Granollers a failli me coûter la correspondance du train de nuit à la frontière française : le train régional catalan, qui devait faire le voyage en 2h , s’est transformé en omnibus pour ramasser tous les voyageurs laissés sur le quai par l’interruption momentanée du trafic et a mis 3h30 pour parcourir 150 km.
Globalement, si les trains de ce morceau franco-espagnol d’arc méditerranéen sont plus modernes et vont plus vite (énormes progrès du côté espagnol), le voyage est toujours aussi compliqué que du temps où je faisais le même voyage pour aller sur mon terrain de thèse dans les huertas valenciennes des années 1970-1980 !!! Je sais bien que l’écartement différent des voies oblige toujours à un transbordement frontalier, sauf pour le Talgo international [1], dont les essieux sont d’écartement variable, mais il va de Valencia à Genève via Avignon et privilégie en France le couloir rhodanien et non l’arc méditerranéen. En France, le seul train direct de Cerbère à Nice est un train de nuit, certainement peu fréquenté en dehors de la saison touristique estivale. Et apparemment ni la SNCF, ni la RENFE ne font d’effort pour accélérer la marche vers la frontière et coordonner des horaires intéressants pour le voyageur à longue distance.
Qu’en sera-t-il avec la « grande vitesse » ? Du côté espagnol comme du côté français les travaux de la ligne GV à écartement européen sont en cours entre Barcelone et Perpignan sont en cours. Les travaux du tunnel destiné à franchir les Pyrénées sous le col du Perthus sont entamés des deux côtés (le percement se fait de l’Espagne vers la France).
L’ouverture de cette ligne est prévue pour 2009. Cela améliorera certainement les choses pour les liaisons France-Barcelone et au-delà : Madrid (GV entre Barcelone et Madrid) et côte méditerranéenne vers le sud (mais sans GV).
Mais peut-être regrettera-t-on alors ces voyages à épisodes où on peut prendre des photos géographiques par la fenêtre et discuter avec les banlieusards barcelonais du vendredi soir, dans le premier train qui repart de Barcelone vers la France après une coupure de la ligne, lequel fait l’omnibus pour dispatcher tout le monde vers sa casa et que quelques voyageurs internationaux noyés dans la foule s’inquiètent de leur correspondance à Port-Bou.
Une nouvelle carte postale du train d’Aix-en-Provence à Valence (Espagne)
TGV Paris-gare de Lyon/Figueres, mercredi 26 octobre, 12h 40
Ce train, qui a quitté la gare de Perpignan quelques minutes auparavant, s’engouffre dans le court tunnel de base (8, 350 km) sous la chaîne des Albères, à peu près sous le col du Perthus. Depuis décembre 2010 la nouvelle ligne à grande vitesse Perpignan/ Barcelone est en service jusqu’à Figueres-Vilafant (44 km), la petite capitale de l’Ampurdan, promue gare internationale en attendant que la nouvelle LGV soit ouverte jusqu’à Barcelone (ouverture prévue en 2012).
Si vous vous souvenez de ma première carte postale de train entre Aix et Valence, vous constaterez que les choses sont en train de changer sur l’arc Latin, au moins au plan ferroviaire et entre la France et l’Espagne (rien pour l’instant du côté de l’Italie). Bientôt il ne sera plus besoin de passer par la voie ferrée littorale qui contourne les Albères, et de changer de train à la frontière à cause de l’écartement différent des voies (si on ne voyage pas dans un Talgo) : les gares de Cerbère (France) et de Port-Bou (Espagne) vont perdre une bonne partie de leur trafic voyageurs international : un effet « tunnel » de la LGV au sens propre et figuré !!!
J’ai ainsi gagné près de 3 heures par rapport à mon voyage de 2008, mais j’y ai perdu des vues imprenables sur le vignoble des pentes de Banyuls et sur la côte rocheuse de schistes et de gneiss du cap Creus.
Malgré ce « progrès souterrain », l’Arc latin reste désavantagé par le rail : il a fallu 4h41 pour aller de Marseille à Figueres (370 km environ) , alors que le train Paris-Figueres (dans lequel je suis monté à Montpellier), n’a mis que 5h40 pour faire près de 1000 km ! Faites le calcul : les radiales sont toujours plus rapides que les rocades. Est-ce une loi de la géographie ferroviaire ? En fait il faudrait tenir compte aussi de mon heure d’attente à Montpellier pour la correspondance, qui m’a permis d’aller prendre un café sur la place de la Comédie, en terrasse au soleil : entre vitesse et qualité de vie, il faut parfois faire des choix !
Roland Courtot (géographe, UMR Telemme du CNRS, MMSH Aix-en-Provence)
[1] Tren Articulado Ligero Goicoetchea Oriol : il s’agit d’un train « léger » (alliage d’aluminium), « articulé » (chaque voiture ne comporte qu’un essieu, sur lequel s’appuie aussi la voiture suivante) mis au point en par un ingénieur basque du nom de Goicoetcha en 1942 (la famille Oriol étant à l’origine du groupe industriel constructeur) pour permettre de parcourir rapidement le réseau ferré espagnol connu longtemps pour ses tracés sinueux et le mauvais profil de ses rails. Cette technique, qui confère une meilleure stabilité aux wagons et au convoi, a inspiré les ingénieurs d’Alstom pour le TGV français qui est lui aussi articulé : deux essieux et une forte suspension sont disposés « entre » les wagons et non pas dessous.