Prix du Livre de Géographie des Lycéens et Etudiants

Créé en 2020, le Prix du Livre de Géographie des Lycéens et Etudiants récompense un ouvrage de géographie qui s’adresse notamment au public des lycéens et des étudiants en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et à l’Université. Ce sont des lycéens et étudiants encadrés par un enseignant qui votent chaque année pour désigner le livre lauréat.

L’association des Cafés Géographiques qui soutient cette belle initiative est heureuse d’annoncer le résultat du Prix 2022. Il s’agit de l’ouvrage de Camille Schmoll Les damnées de la mer. Femmes et frontières en Méditerranée (éditions La Découverte, 2020). Et cela d’autant plus que nous avons eu le privilège d’un entretien exclusif avec Camille Schmoll au sujet de ce beau livre. Cet entretien a été publié sur notre site et peut être suivi dans la rubrique « Les vidéos » (Les Cafés Géo » Visioconférence n°4 : Camille Schmoll parle des migrations féminines en Méditerranée (cafe-geo.net).

Les routes maritimes arctiques : une nouvelle utopie ?

Le réchauffement climatique et la croissance des échanges entre Extrême-Orient asiatique, Europe et Amériques ont entrainé un intérêt nouveau pour les régions polaires qui sont restées pendant longtemps le domaine de l’imaginaire et le terrain de jeu d’héroïques aventuriers. Aujourd’hui on en évalue les ressources, la navigabilité et les objectifs des Etats qui y exercent une certaine souveraineté, parfois avec quelque inquiétude.

C’est dans ce cadre que s’est récemment déroulé à la Cité des Sciences de Paris un colloque intitulé « Régions polaires : quels enjeux pour l’Europe ? ». Toutes intéressantes, les interventions ont porté sur les questions climatiques, la faune, les ressources minières aussi bien que sur l’imaginaire et les difficultés psychologiques à supporter l’isolement d’un hivernage dans une station de l’Antarctique. Nous avons choisi d’évoquer la communication de Hervé Baudu, professeur en Chef de l’Enseignement maritime, spécialiste de la navigation dans les glaces. (suite…)

L’Ukraine aux Cafés géo

Nous nous réjouissions de recevoir, le 8 mars prochain au Flore, Cédric Gras, géographe, grand voyageur (1), et excellent écrivain. De nombreuses questions suscitaient notre curiosité : rapport entre voyage et écriture, nécessité du temps long pour appréhender un lieu, goût des confins et des frontières, dilection particulière pour le monde russe de Mourmansk à Vladivostok. Il y a vécu plusieurs années dont cinq en Ukraine où il dirige l’Alliance française de Donetsk en 2014 lorsqu’intervient la révolution de Maïdan. Son expérience des déchirements qui affectent alors le Donbass sécessionniste est transposée dans un roman, Anthracite (2). Très affecté par la situation actuelle de l’Ukraine, Cédric Gras a décidé de s’y rendre. Nous le retrouverons à son retour pour un café consacré à ce pays.

1) Membre de la Société des Explorateurs Français
2) Anthracite, Paris : Stock, 2016

Café géo de Chambéry- Annecy : programme de 2021-2022

 

Le mercredi 13 octobre à 18h00, nous accueillerons Hervé Théry (Directeur de recherche émérite au CREDA) pour un Café géo sur “Les quatre capitales du Brésil” (Le passe sanitaire sera demandé.)

 

 

 

 

 

 

Le mercredi 10 novembre, à 18h, Franck Ollivon (Docteur en géographie, AGPR à l’Ecole Normale Supérieure) nous fera découvrir le champ encore méconnu de la géographie carcérale dans son Café géo “Au bord de la liberté : éléments de réflexion pour une géographie du « milieu ouvert » pénitentiaire.”

Si la prison continue d’occuper le cœur du système pénal français, l’immédiat après-guerre a initié une longue période de réforme de l’institution judiciaire qui se prolonge encore aujourd’hui. Les alternatives à l’incarcération dites « peines en milieu ouvert » se sont ainsi développées à travers différents dispositifs – travail d’intérêt général, mise à l’épreuve, bracelet électronique… Toutefois, ces peines qui se déroulent hors de l’espace carcéral interrogent : au prix de quels ajustements les lieux ordinaires du quotidien se voient-ils investis de la double mission de punir et de réinsérer l’individu ? Que disent de nos sociétés ces modes de contrôle à l’air libre auxquels elles recourent ?

 

 

 

Et le mercredi 15 décembre, de nouveau à 18h, Emmanuelle Surmont (Docteure et agrégée de géographie, Enseignante au lycée des Lumières de Mamoudzou)s’intéressera aux enjeux de protection de la biodiversité à Mayotte dans son Café géo “Mayotte : une île à protéger. Le parc naturel marin de Mayotte : un merritoire de la protection original“.

 L’outre-mer français concentre 80 % de la biodiversité nationale et près de 10 % de la biodiversité mondiale. Mayotte, petit archipel situé dans le canal du Mozambique est un territoire à la biodiversité marine exceptionnelle : le lagon abrite plus de 200 espèces de coraux, 400 espèces de mollusques et près de 250 espèces de poissons. A cela s’ajoute une impressionnante mégafaune : baleines à bosse, dauphins, dugongs et tortues marines. Un parc naturel marin (PNM) de 69 000 km² y a été mis en place en 2010 afin de protéger la biodiversité et d’assurer un développement raisonné de l’espace et de l’île.  Deuxième PNM de France et premier en outre-mer, la mise en place de ce parc marin répond à des enjeux écologiques, mais aussi et surtout politiques. En effet, en sus de respecter ses engagements internationaux pris et réitérés lors des différentes COP et sommets, les gouvernements successifs cherchent à réaffirmer la souveraineté française sur un territoire disputé, bien que départementalisé en 2011. La biodiversité de Mayotte est également mise en avant à la fois comme une opportunité de développement économique (écotourisme, pêche durable) pour un territoire marginalisé, où 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté national. Dans ce café géo, je souhaite montrer l’usage politique qui est faite de ce parc marin, avec ses contradictions et ses limites. Des « merritoires » de la protection originaux et parfois concurrents se mettent en place, poussés par des acteurs aux objectifs divers.

Des lieux entre mémoire, géographie et imaginaire (3) : La route de Leh (Inde)

Une route. Pas une autoroute, une voie express, un périphérique, mais une route étroite, sinueuse, au bitume mal ravaudé. C’est pourtant cette route qui relie deux univers opposés, celui des jardins luxuriants des miniatures mogholes à celui des terres minérales et arides des hautes terres himalayennes. Parmi les peu nombreuses routes transhimalayennes, la NH 1D conduit de Srinagar, capitale d’été du Cachemire, à Leh au cœur du Ladakh, le « pays des hauts cols ».

L’aventure commence par un séjour paisible dans la ville qu’aurait fondée Ashoka il y a plus de 2000 ans. Située à 1760 m d’altitude, Srinagar offre une villégiature fraîche en été à ceux qui veulent fuir la touffeur de la vallée du Gange et de la plaine du Penjab. Rois bouddhistes, empereurs moghols, maharajas hindous puis colons britanniques en ont goûté l’atmosphère. (suite…)

Des lieux entre mémoire, géographie et imaginaire (2) : Soglio, Suisse

Soglio (© myswitzerland.com)

Loin de la Genève des banquiers et de la Zurich des psychanalystes, il existe une Suisse où la rigueur germanique se colore de fantaisie italienne, où les italophones vont prier au temple. C’est dans les Grisons, le Val Bregaglia, qui, depuis l’époque romaine, a été parcouru par troupes et marchands franchissant les Alpes centrales entre la plaine du Pô et la vallée du Rhin [1]. Et au cœur du Val Bregaglia, un lieu unique attend le voyageur sur une terrasse aménagée, Soglio, que le peintre Giovanni Segantini a imaginé comme « le seuil du paradis ».

On peut arriver à Soglio par Chiavenna et franchir la frontière italo-suisse, mais on préférera la route d’Engadine à partir de Sils-Maria, bourgade au charme suranné qui a su retenir Nietzsche [2] et séduire Proust [3]. Du col de la Maloja (1845m), on plongera, par des virages serrés, dans le Val Bregaglia. Dans cette vallée glaciaire très creusée, plusieurs bourgades s’étalent le long du cours torrentueux de la Maira. L’une d’elles, Stampa, est célèbre pour y avoir abrité la naissance d’un des sculpteurs les plus attachants du XXe siècle, un sculpteur qu’on associe surtout à la vie trépidante du Montparnasse de l’entre-deux-guerres mais qui a façonné dans le bronze de ses statues les reliefs dentelés des massifs granitiques voisins, Alberto Giacometti. (suite…)

Des lieux entre mémoire, géographie et imaginaire (Moka, Yémen)

Moka, un mot, deux noms. Celui d’un breuvage parfumé qu’on boit dans de petites tasses de porcelaine et celui d’un port situé sur la Mer Rouge au sud de la Péninsule arabique.

Avant d’arriver à Moka, sur la côte aride de la Tihama, le voyageur venu de l’intérieur aura traversé les monts Sarawat aux pentes raides découpées dans des roches volcaniques. Du haut de replats étroits il aura surplombé des terrasses verdoyantes accueillant arbres fruitiers, vignes et céréales. Il aura trouvé de l’ombre entre les hautes maisons des villages aux fenêtres cintrées, construites en gros moellons ou en argile séchée ; les femmes qui portent la clef autour du cou, en sont les gardiennes. Il sera entré dans des écoles où le maître aura désigné sur une carte son pays d’origine à des petits garçons portant à la ceinture un jambiya (poignard courbe) en carton. A la sortie d’un bourg, il aura longé un enclos étroit dans lequel un homme, accroché au grillage, cherchait à attirer son attention par des mimiques grotesques…prison rurale ou asile de fous, on ne sait pas.

(suite…)

Frontières des territoires, frontières de l’intime

La crise sanitaire du coronavirus n’en finit pas de bousculer nos manières de vivre, nos habitudes et nos croyances. Alors que débute en France le deuxième confinement, dans un entretien au Figaro paru le 3 novembre 2020, l’écrivain-géographe Sylvain Tesson nous propose sa vision des frontières, celles des territoires comme celles de l’intime (suite…)

A mes élèves, en mémoire de mon collègue

Ce lundi matin vous serez en vacances et je ne serai pas face à vous pour vous poser la question, devenue rituelle : « Quel élément d’actualité de la semaine écoulée vous a marqué ? Quelle analyse pouvez-vous en proposer à vos camarades ? ». Ce lundi matin un de mes collègues d’Histoire-Géographie ne sera pas penché sur ses copies ou ses livres pour préparer ses cours, il manquera à l’appel. Pour vous et pour lui, en son absence et en son honneur, je poursuivrai l’exercice de la revue de presse, comme toujours, en deux temps.

 

Les faits, pour commencer.

Situons les faits : Conflans Sainte Honorine est une commune proche, peut-être à 25 kilomètres de notre lycée, dans notre département. Cependant, ici, la distance géographique n’a que peu d’importance, nous pourrions être à 1 000 km que nous ne serions pas moins stupéfaits. Conflans est la ville du confluent de la Seine et de l’Oise, c’était, ce vendredi 16 octobre, le confluent de la haine et de la barbarie. En sortant du collège, un de mes collègues professeur d’Histoire-Géographie, dont je ne connais que le nom, Samuel Paty, a été assassiné. Son bourreau lui a tranché la tête.

Quelques jours plus tôt, Monsieur Paty faisait un cours sur la laïcité et la liberté d’expression, comme des milliers d’autres enseignants et comme nous l’avons fait les semaines passées ; Monsieur Paty faisait son métier. Pour illustrer son cours, il a utilisé, entre autres, quelques caricatures du prophète de l’islam, Mahomet, publiées par l’hebdomadaire Charlie Hebdo dont les journalistes ont été sauvagement assassinés en 2015 par des terroristes islamistes.

Les élèves sont rentrés chez eux, ils ont raconté et résumé leur journée à leurs parents. Un d’eux a considéré que l’utilisation de ces caricatures n’était pas à son goût. Une vidéo de ce parent d’élève critiquant vivement l’enseignant a circulé très vite sur les réseaux sociaux, il était explicite : « vous avez l’adresse et le nom du professeur pour dire STOP ». Il a été entendu par un jeune homme de 18 ans, Russe d’origine tchétchène et bénéficiant, en France, du statut de réfugié. Ce dernier a revendiqué l’assassinat au nom d’Allah.

 

L’analyse, pour expliquer et tenter de donner du sens est, dans l’immédiat, presque impossible.

Il faudra du temps et de multiples éclairages pour comprendre cet acte. Je ne peux pas fournir d’explication sur le geste de l’assassin. A défaut d’analyse, la seule chose que je puisse tenter c’est un travail introspectif. Je peux vous inviter dans la coulisse et vous dévoiler un peu le travail d’un enseignant car nous nous ressemblons, nous autres professeurs d’Histoire et de Géographie. Aujourd’hui, je suis Samuel Paty et Samuel Paty est votre professeur. Titre de la leçon : Éducation Morale et Civique, Liberté d’expression et laïcité.

Esquissant le portrait de l’impertinent Triboulet face à François Ier puis le tableau tragique des guerres de religion, le professeur mêle l’anecdote et la grande Histoire pour éveiller la curiosité et introduire son sujet sur la liberté d’expression. La classe est saisie, l’enseignant tient son public. Il progresse chronologiquement et s’arrête sur les temps de grâce : les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, liberté d’opinion et liberté d’expression, et les temps de disgrâce : 1852, Victor Hugo condamné à l’exil pour sa défense de la République. Pour garder l’attention de la classe, le professeur varie le rythme et le ton de sa voix, il se déplace et pose son regard sur tel ou tel élève. Solennel, il rappelle la grande loi de 1881 qui consacre la liberté d’expression sous toutes ses formes. Il explique néanmoins que la Liberté, si belle soit-elle, ne peut être absolue et que le législateur républicain interdit la diffamation, l’insulte, l’appel à la violence et les outrages.

Le premier temps, celui de la didactique, a permis de dresser le cadre. Il faut maintenant susciter, chez l’élève et dans la classe, un questionnement : qu’en est-il de cette liberté d’expression aujourd’hui ? En République, régime dans lequel la politique est une « chose publique », comment s’articulent libertés individuelles et libertés collectives, aspirations spirituelles et loi commune ? Les élèves ne peuvent pas rester passifs et l’enseignant mobilise ses archives et des trésors d’imagination pour faire émerger une réflexion critique. Inévitablement il sera question des atteintes à la liberté d’expression dans les régimes politiques dictatoriaux mais également des atteintes à la liberté du fait de la religion. Il faut construire un débat avec les élèves et, pour cela, déranger les certitudes. Le professeur a choisi les documents, les questions, pesé les mots. Puis, il a lâché sa feuille pour réagir aux propos d’un élève, pour recadrer un comportement ou pour sourire à une intervention facétieuse. Au fond, un élève fronce un sourcil, si le professeur le voit, celui-ci pourra l’aider à formuler une question, c’est déjà un enjeu pédagogique considérable car il peut être difficile de faire réagir un élève qui ne dispose que quelques centaines de mots de vocabulaire. S’il y arrive, il tentera de se mettre à sa portée pour expliquer, sans jamais céder à la facilité de la simplification.

Il reprend ses notes et revient sur ce cadre structurant qu’est la loi de 1905 sur la laïcité. Il sait qu’il devra affronter l’appréhension de quelques élèves sur le sujet. Il prend le temps d’en dégager la force : non, il n’y a pas d’un côté le politique et de l’autre le religieux mais une République qui garantit la liberté de conscience et encadre l’exercice des cultes, il en rappelle la grandeur : la garantie d’une liberté pour ceux qui croient au ciel et pour ceux qui n’y croient pas, il en explique la fragilité : la tentation permanente de débordement du religieux sur le politique et de l’annexion du religieux par le politique.

Le débat reprend, il s’agit de battre en brèche les idées reçues, faire comprendre et, autant que possible, faire aimer les valeurs de la France Républicaine car ce qui est au cœur du sujet c’est que les élèves puissent saisir l’équilibre fragile entre la liberté d’expression et le respect des convictions. Les documents sont de solides ancrages, le professeur s’appuie sur les questions des élèves et ouvre la voie, face Nord, sur une ligne de crête : de chaque côté des pentes excessives. Il sait que le vertige guette : depuis qu’il enseigne, l’intolérance, sous le manteau de l’islam radical, frappe et tue. Face à lui, ses élèves viennent des quatre coins du monde, leurs repères culturels sont parfois très éloignés des idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité. Mais il est là, Monsieur Paty, pour leur transmettre cet héritage grandiose aujourd’hui vacillant.

La cloche sonne et les élèves rangent déjà leurs affaires. Sur le tableau noir il efface les mots République, laïcité, loi, religion, sacré, satirique, humour, respect… Dans la tête d’un enseignant les questions se bousculent après un cours : ai-je réussi à transmettre les grandes idées ? Et cet élève qui n’a pas parlé aurais-je dû aller le chercher ou ai-je eu raison de le laisser suivre en silence ? Aurais-je le temps de faire mon évaluation, corriger les copies, lire cette nouvelle publication sur le sujet ? Aurais-je encore assez d’énergie pour terminer ma journée ? Il aime ses élèves et veut leur donner le meilleur.

Bientôt, les élèves seront en vacances, cela lui donnera du temps pour lire et réfléchir aux prochaines séances. Monsieur Paty a pris son cartable, il a éteint la lumière, il est parti.

 

Pierre Méheust, Professeur d’Histoire-Géographie dans les Yvelines, 18 octobre 2020.

 

 

La classe dépasse toujours ses quatre murs

Ce titre m’a été soufflé par un ami universitaire pour ajouter une accroche géographique au beau texte de Pierre Méheust reproduit ci-dessus. Il renvoie à différentes échelles spatiales qui permettent d’enrichir la réflexion quand on cherche à comprendre ce qui se joue en classe, en particulier dans l’échange entre le professeur et les élèves qui ont grandi dans des contextes différents. Evoquons tout d’abord l’échelle locale avec le lieu d’implantation du collège et les lieux de résidence du professeur et des élèves. Avec l’échelle régionale, nationale et même supranationale, on peut penser aux parcours géographiques des uns et des autres depuis leur naissance, à leurs représentations et à leurs connaissances nourries par les différentes formes de savoir, par les familles, les amis, les médias, les réseaux sociaux, etc. Tous ces espaces interviennent d’une façon ou d’une autre dans les consciences en action entre les quatre murs de la classe…

Daniel Oster, 25 octobre 2020

 

« Le déni français ». Un débat tenu à l’IMA.

L’Institut du monde arabe (Photo ©IP3 PRESS/MAXPPP)

Depuis 2015 l’IMA organise des Journées de l’Histoire en partenariat avec les Rendez-vous de l’Histoire de Blois. Cette année le thème est « Révoltes et Révolutions ». Par un hasard tragique, les interventions du 18 octobre 2020 portaient sur   « Le rôle de la religion », deux jours après l’exécution d’un professeur d’histoire-géographie par un militant salafiste. Un « Face à face » modéré par Béatrice Giblin, géopolitologue,  a permis à l’historien Pierre Vermeren de présenter son ouvrage Le Déni français (1), dont il a débattu avec Ali Bensaad, géographe et professeur de géopolitique.

Ce déni, c’est celui de la montée de l’islamisme politique radical. Déni qui rappelle à l’historien l’attitude de l’État algérien qui avait occulté, il y a trente ans, la dimension politique de l’islamisme (2).  met en cause d’une part l’attitude de certaines élites françaises, d’autre part la politique arabe des différents gouvernements français.

Naïveté, ignorance, compromission. C’est en ces termes qu’il qualifie les prises de position d’une partie de la Gauche, de l’Église catholique et de chercheurs et intellectuels. A la base la culpabilité liée à la décolonisation et particulièrement à ce qu’on n’osait pas appeler alors la « guerre d’Algérie », soutenue par la majorité des partis politiques, et qui n’a pas été condamnée par l’Eglise catholique.

Après les Accords d’Evian, de Gaulle s’efforce de se réconcilier avec les pays avec les pays arabes et apporte ainsi un soutien total à des régimes dont on veut ignorer le caractère dictatorial (3). Pour Ali Bensaad, la politique arabe de la France est une réminiscence du fantasme colonial alors  que le deuil d’un désir colonial n’est pas fait.

 

Pourquoi le désir de constituer, en France,  une société assimilatrice qui n’avait pas fonctionné en Algérie a-t-il en partie échoué ?

Dans les années 60, la charge de l’immigration est confiée à l’État algérien. Ce choix politique, valable tant que l’immigration était conçue comme temporaire (retour au pays après constitution d’un petit pécule), est maintenu à la fin des années 70 alors que le droit au regroupement familial change la nature de l’immigration (4). Après la guerre civile algérienne (voir note 2), c’est au Maroc qu’est confiée de plus en plus la tâche de s’occuper de la population immigrée et, plus récemment, à la Turquie (5). On reste, en France, figé sur le schéma de l’Islam colonial, l’Islam des marabouts imprégné de soufisme, majoritaire au Maghreb (6).  La salafisation (7) de l’Islam aussi bien dans les pays musulmans que dans les pays d’accueil, n’est pas comprise. Ali Bensaad insiste sur le gros impact des riches pays du Moyen Orient sur les associations, notamment sportives, qu’ils financent, et qui ont un très fort rayonnement dans les banlieues.

Pierre Vermeren explique aussi qu’une partie des élites françaises, aveuglées par le mythe du développement économique des États nouvellement créés, n’ont pas compris que les immigrés sont beaucoup plus riches que les populations du Maghreb. Ceux-ci sont donc utiles à leur pays d’origine qui n’a pas intérêt à leur intégration.

 

Ces observations peuvent servir de base – avec celles de beaucoup d’autres de sociologues, géopoliticiens, politologues, théologiens…- à notre réflexion : quel sens donner à un assassinat commis en France pour des raisons religieuses en ce début de XXIème siècle.

 

Notes :

1). Pierre VERMEREN, Le Déni français. Notre histoire secrète des relations franco-arabes, Albin Michel, Paris, 2019.

2). En décembre 1991 l’annulation des élections législatives anticipant la victoire du FIS (formation militant pour la formation d’un Etat islamique) entraîne une guerre civile très meurtrière entre le gouvernement algérien et des groupes islamistes armés (AIS et GIA). Selon les historiens cette « décennie noire » prend fin entre 2001 et 2005.

3). En juin 1967, de Gaulle condamne la guerre-éclair qu’Israël vient de mener contre l’Egypte, la Jordanie et le Syrie (Guerre des six jours).

4). Le décret donnant droit au regroupement familial est adopté le 29 avril 1976 (gouvernement Chirac).Il est suspendu par le gouvernement Barre  puis consacré par le Conseil d’Etat en décembre 1978.

5). La Direction turque des affaires religieuses (Diyanet) contrôle plus de 200 mosquées en France, nommant les imams et organisant les pèlerinages à La Mecque.

6). Voir sur le site le compte rendu de Jean RIEUCAU, Mohamed SOUISSI  (sous la direction de), Les lieux symboliques complexes au Maghreb et au Machrek.

7). Le salafisme est un mouvement fondamentaliste musulman né dans les années 1920 qui prône le retour à une lecture littérale du Coran et de la Sunna. Il converge avec le wahhabisme, doctrine adoptée par la famille Al Saoud au XVIIIème siècle.

Michèle Vignaux, octobre 2020

« Page précédentePage suivante »