Café de Flore, Café géographique, 29 avril 2014
Henry Jacolin, ancien ambassadeur, Président de l’Association internationale d’histoire des chemins de fer www.aijc-irha-aihf.com
Alain Gascon, Professeur émérite à l’Institut Français de Géopolitique de Paris 8, ancien chargé de cours à l’INALCO
Paul Véron, modérateur de la soirée, est directeur de la communication et directeur du Moyen-Orient de l’Union internationale des chemins de fer. L’Union internationale des chemins de fer est une organisation mondiale de coopération des chemins de fer, créée en 1922 au lendemain de la Première Guerre mondiale à Paris. Elle gère toutes les formes de coopération entre les chemins de fer du monde : standardisation des équipements ferroviaires et représentation du secteur ferroviaire auprès des grands organismes mondiaux.
Le chemin de fer est beaucoup plus qu’un mode de transport. Il peut être étudié sous de très nombreux angles. Les premiers chemins de fer, lents, desservant des distances courtes, ont servi à réaliser quelques prouesses techniques et à transporter personnes et marchandises entre des centres importants. Progressivement, le chemin de fer est devenu un outil d’aménagement du territoire, de contrôle des territoires, d’exercice du pouvoir et outil de stratégie militaire. Première ligne internationale entre Liège et Cologne. Puis le chemin de fer devient mode d’expression du pouvoir politique, militaire, colonial.
Henry Jacolin nous présente la voie ferrée Vienne-Constantinople, voulue par les puissances occidentales contre le vœu de l’empire ottoman.
Henry Jacolin nous a préparé trois cartes. Sur la carte des Balkans en 1875, on voit que la Turquie n’avait construit que 1 200km de voies ferrées. Ce réseau était morcelé en trois tronçons. Il était constitué par les lignes les plus faciles d’un plan global visant à relier Zagreb à Salonique et Constantinople, faute de compétences et d’argent des Ottomans et du fait du système des concessions qui construisait plus volontiers les lignes les plus rentables. Enfin ce réseau n’était pas relié à l’Europe, de peur que les idées et les armées occidentales utilisent cette voie, en dépit des ambitions européennes. La Turquie s’opposait à toute liaison à travers la Serbie, considérée comme le piémont de l’Union des slaves… Le tracé proposé de la concession de 1869 avait l’avantage de longer la frontière de l’empire austro-hongrois, ce qui permettait de surveiller la frontière. En 1875, commencent les insurrections en Bosnie-Herzégovine, qui démantèlent la ligne vers Banja Luka. La Serbie et le Monténégro déclarent la guerre (en 1877) à l’empire ottoman, suivis par la Russie et libèrent la Bulgarie et la Macédoine, imposant le traité de San Stefano 1878.
Il crée une grande Bulgarie du Danube à la Mer Egée, coupant le territoire turc en deux, et établissant un quasi protectorat russe sur la route Vienne/Budapest vers Salonique/Constantinople. Le traité ne comportait aucune clause ferroviaire. La nouvelle donne russe est considérée comme inacceptable par les grandes puissances, qui décident de réviser le traité.
Une conférence à Berlin présidée par Bismarck s’ouvre dans un climat de rivalité entre la Russie, puissance protectrice des slaves orthodoxes, et l’Autriche-Hongrie refusant que la route Vienne-Constantinople soit bloquée par les Russes. Le congrès de Berlin fait disparaître la grande Bulgarie au profit d’une Bulgarie indépendante de taille réduite, de la Roumélie sous suzeraineté turque, et d’un empire ottoman réuni, et cède de petits territoires à la Serbie Monténégro. L’Autriche-Hongrie pourra organiser des garnisons dans le Sandjak. Désormais plus rien ne pourra se faire dans les Balkans sans l’aval de l’Autriche-Hongrie. Surtout le congrès internationalise le problème des chemins de fer : le traité de Berlin de 1878 décide le principe de la construction d’une voie ferrée entre Vienne/ Budapest et Constantinople et Salonique. L’Autriche conclut aussitôt avec la Serbie la convention de juillet 1878 imposant à ce pays de construire dans un délai de trois ans un raccordement avec l’Autriche Hongrie.
Les puissances germaniques décident aussi du tracé. La Bulgarie souhaitait que la ligne aille de Sofia à Skopje pour desservir la mine de charbon de Pernik, pour avoir un accès direct à la Macédoine toujours convoitée par la Bulgarie, et enfin pour établir une liaison directe ne passant pas par la Serbie. La Turquie souhaitait un raccord de Pristina à Nis ou de Mitrovica au Nord de Nis pour que le tracé de cette ligne reste le plus longtemps possible sur le territoire turc
Les grandes puissances, voulaient que le tracé soit le plus court possible. L’Autriche Hongrie y a veillé dès la signature du traité de 1878. La convention du 9 avril 1880 fixe la jonction à Belgrade. L’Autriche-Hongrie a aussi imposé ses vues à la Bulgarie et l’empire ottoman. La convention du 9 mai 1883 précise le tracé reliant Salonique à Nis, et Nis à Sofia puis Belovo. L’Autriche et les grandes puissances ont imposé le tracé le plus court de Nis à Sofia et le plus court et le plus facile de Nis à Sofia, profitant des cours de la Morava et du Vardar, revanche de l’hydrographie sur les tracés bulgare et turc !
Restait à imposer le calendrier de la construction de la voie ferrée. La convention de juillet 1878 impose à la Serbie la construction de ses lignes dans un délai de trois ans seulement – irréaliste. La convention de mai 1883 prévoyait un délai de trois ans aussi. Le premier tronçon de Budapest à Zemun est inauguré dès 1883, mais le pont sur la Save pour relier Zemun à Belgrade n’a pu être construit qu’en septembre 1884. En Serbie les débats furent acharnés dans la chambre parlementaire, dans un climat de faillite des concessionnaires et de corruption. Néanmoins Belgrade et Nis sont reliées en 1884. Nis – Vranje est construite en 1886 et la liaison Vranje-Skopje est assurée en 1888. Quant à la construction Nis Sofia, elle est retardée par la guerre de 1885 entre la Serbie et la Bulgarie. La liaison Nis Pirot est assurée dès 1887, mais la liaison côté bulgare n’était pas prête. La situation était aussi bloquée en Roumélie (1878-1885) jusqu’à ce que la Bulgarie s’empare de toute la ligne en 1888 ouvrant la ligne de Nis à Belovo.
L’Express d’Orient a pu circuler le 13 août 1888 pour faire Paris-Constantinople, l’ancêtre de l’Orient Express ! Le temps de parcours était beaucoup plus rapide que celui du premier Express d’Orient qui passait par Bucarest et imposait deux ruptures de charge : par bac pour franchir le Danube entre Giurgiu et Ruse et par bateau pour rallier Varna à Constantinople. Au total il a fallu construire 700 km de voies ferrées durant ces dix années, grâce à une pression constante des grandes puissances, pour un tracé de 1500 km.
Paul Véron rappelle la dynamique ferroviaire en Turquie aujourd’hui : une des plus grandes dynamiques ferroviaires de construction. Le Bosphore est traversé par un tunnel ferroviaire de grande vitesse depuis 2013. Au diapason de l’harmonisation technique et de l’intermodalité. La Turquie devient une plate-forme entre Europe et Asie centrale.
Alain Gascon donne quant à lui l’exemple du Chemin de fer Djibouti- Addis Abeba dans la Corne de l’Afrique
La construction de la ligne est à replacer dans un contexte historique qui oppose les ambitions des puissances coloniales de dominer la Corne de l’Afrique à celles de l’empereur Ménélik II. Exception en Afrique, la ligne ferroviaire a contribué à la construction de l’Etat et à la sauvegarde de l’indépendance de la Grande Ethiopie de Ménélik, devenu empereur en 1889. Il avait toutes les puissances européennes à ses portes : Britanniques, Françaises, Italiennes. Ménélik voulait moderniser son pays. Il cherchait à réunir, par voie ferrée, Addis Abeba, sa nouvelle capitale à Harar (soumis en 1887) et à un port. Il augmenterait ainsi ses exportations et ses importations d’armes et de machines pour défendre ses possessions face aux Européens.
Revenons sur la construction de la ligne en quelques dates. En 1879, Ménélik prend pour principal conseiller Alfred Ilg, ingénieur suisse. En 1888, les Français fondent Djibouti. En 1894 Alfred Ilg crée, en association avec un ingénieur français, Léon Chefneux, la C.I.E. (Compagnie Impériale Ethiopienne). En 1896, les autorités françaises accordent l’autorisation de passage par la Côte Française des Somalis. En 1896 l’indépendance de l’Ethiopie est reconnue après sa victoire sur l’Italie à Adoua/Adwa. En 1897, la concession ayant été attribuée à une société française, les travaux débutent à Djibouti. Ils sont coûteux et difficiles en raison des conditions naturelles (montagnes, déserts) et des conditions humaines (hostilité des nomades afar). Conçu par les investisseurs européens pour relier Nil Blanc et mer Rouge, le chemin de fer, (négocié par le gouverneur d’Obock, M. Lagarde), relia d’abord le nouveau port de Djibouti à Dirré Dawa, une ville nouvelle sur le piémont de Harar (1897-1902). Après d’âpres tractations, portant sur la souveraineté des installations, les travaux reprennent en 1908 dans le cadre d’une nouvelle convention franco-éthiopienne et s’achèvent à Addis Abeba en 1917.
La ligne en quelques prouesses techniques et humaines. Ce chemin de fer colonial de pénétration a été construit en 20 ans seulement. C’est une ligne à voie unique et métrique longue de 784 km. Il faut vaincre des pentes de 27 pour mille en début de ligne. Sur les deux tiers de la ligne il a fallu faire face à des températures très élevées. Beaucoup d’ouvrages d’art furent construits dont un viaduc sous la conduite d’Eiffel. Une ligne télégraphique a été construite le long de la ligne. Le chemin de fer est installé sur des terrains de pacage des éleveurs somali, afar et oromo qui attaquent parfois les trains. Les nomades s’inquiètent de la concurrence portée à leur commerce caravanier. Parmi les ouvriers on a trouvé des Yéménites, des coolies, des Somalis. Parmi les cadres européens, beaucoup étaient franc maçons. Les relations entre la compagnie et les salariés sont parfois violentes.
Le chemin de fer a de nombreuses conséquences. Il a été longtemps l’entreprise industrielle la plus importante du pays. Il a introduit le salariat, la police et a fait de Dirré Dawa, la deuxième ville du pays. De 1920 à 1974 un melting pot s’est établi dans cette ville avec de nombreuses communautés. Aujourd’hui forte de 400 000 habitants, la ville a conservé un cachet européen. Aujourd’hui encore on parle le français dans le petit monde des salariés du chemin de fer. Le coup d’Etat de 1916 a été rendu possible par le chemin de fer. Tafari poursuit la modernisation engagée par Ménélik et devient en 1930 Hailé Sélassié.
Fondée en 1897, la CIE cède son nom en 1908 pour devenir la CFE (Compagnie du chemin de fer Franco-Ethiopien. En 1936 les infrastructures sont revenues intactes aux Italiens qui ont envahi le pays. En 1941 le viaduc a été détruit. Les Britanniques ont pris le chemin de fer en charge et ne l’ont rétrocédé qu’en 1946. Des syndicats de cheminots éthiopiens émergent alors. Le chemin de fer est nationalisé en 1959. Mais le déclin est irréversible dans les années 1960, quand la priorité est donnée au transit par le port d’Asäb. Les guerres qui suivent participeront largement à sa destruction. A partir de 1981, elle compagnie prend la raison sociale de CDE (Compagnie du chemin de fer Djibouto-Ethiopien. En 2004, la ligne est fermée. Divers projets visant à la privatiser ont eu lieu et à Addis Abäba reste toute une nostalgie du chemin de fer.
Cependant, l’actuel gouvernement éthiopien a décidé un plan de reconstruction de la voie dans le cadre d’un réseau de 5 500 km branché sur le port de Tadjoura face à Djibouti, desservant la capitale, le Nord et les hautes terres. La concession a été divisée en trois : Inde, Chine, Turquie ! Un autre projet est de créer un Trans-Africain, jusqu’à Dakar.
Paul Véron donne la parole à la salle, qui pose des questions tout azimut !
La première question porte sur la construction du chemin de fer jusqu’à Istanbul : les puissances germaniques décident, mais qui paye et dirige les travaux ? Les travaux ont été financés par les pays sur lesquels se trouvaient les voies. D’où les débats au Parlement serbe sur le mode de concession et de financement. Pendant les dix ans de construction entre 1878 et 1888, la Serbie et la Bulgarie n’ont pas construit d’autre ligne que les tronçons mentionnés sur la carte, faute de financements. Les antennes à partir de ces lignes n’ont pu être possibles qu’à partir de 1888.
Sur la première carte d’Ethiopie distribuée lors du café, on repère des plantations de tchat (khat), feuille broutée, drogue licite et trafic très important. Un avion d’Ethiopian Airlines en apportait tous les jours à midi à Djibouti. Les retards menaçaient la paix sociale. Lire The leaf of Allah pour connaître tous les secrets de cette plante. La culture s’étend au Kenya et jusqu’au nord de Madagascar. C’est le stupéfiant du pauvre qui assure une certaine prospérité dans la région de Harär. Les prix du café ne sont plus encadrés, donc les caféiculteurs préfèrent cultiver le khat plus rémunérateur.
Henry Jacolin a d’ailleurs assisté à la contrebande du khat sur la frontière Ethiopie Djibouti. A l’approche de la frontière, des tas de ballots sont jetés sur la ligne et certains passagers descendent discrètement. Le train continue très doucement jusqu’au poste frontière. Puis repart tout doucement, après la frontière. Les gens remontent alors avec les ballots et évitent ainsi les contrôles à la douane.
La deuxième question porte sur la place de la France aujourd’hui dans les projets ferroviaires éthiopiens. En 1969, il y avait une annexe technique à Addis Abäba, où on formait au chemin de fer. Le projet de privatisation avait été pris en charge par une entreprise française. Le projet a échoué. Les Sud-Africains, les Indiens, ont mis des bâtons dans les roues. Il reste du chemin de fer l’alliance française de Dirré Dawa (elle a de nombreux étudiants), l’alliance française de la capitale et le lycée français. Le tramway bientôt lancé à Addis Abäba est fabriqué en Chine.
Paul Véron rappelle que les accords ont été signés par différentes compagnies chinoises. La Turquie a l’axe nord. Ce chemin de fer s’intègre dans des plans panafricains à l’horizon 2030. Il faudra préparer des corridors, car les bailleurs de fonds n’interviennent que quand les projets sont assurés de trafics importants. D’où l’intégration de l’Ethiopie dans un grand plan Djibouti-Sénégal. Alain Gascon rappelle aussi l’absence de continuité dans la politique française à ce sujet.
Paul Véron souligne la politique de présence de la Chine sur tout le continent. Et d’autres ajoutent de l’Inde. Les Indiens louent les terres pour cultiver même des roses. La ruée vers les terres en Ethiopie concerne surtout les Indiens, les Coréens, les Ethiopiens des hautes terres. Ce programme ferroviaire est aussi en relation au grand plan de développement de barrages, car ces voies ferrées vont être électrifiées.
Sur le plan envisagé, la ligne existante serait doublée et une autre arriverait à Mäqälé et serait branchée sur Tadjoura. La coalition au pouvoir est menée par le front populaire de libération du Tegray, et ils veulent aussi avoir leur chemin de fer. Les Ethiopiens ont toujours essayé de diviser les différents projets pour ne jamais dépendre d’un seul interlocuteur étranger, afin de conserver un pouvoir de décision.
Denis Wolff souligne combien la construction des voies ferrées dépend d’une volonté politique très forte. Les rapports avec la géographie physique apparaissent nettement aussi, vu les difficultés de franchir les hautes altitudes. On avait eu des échos de lignes ferroviaires en difficulté en Afrique, avec remplacement par transport routier, d’où la surprise de l’existence de grands projets.
La plupart des lignes africaines sont en difficulté, sauf en Afrique du Sud. Mais, avec 90 millions d’habitants en Ethiopie, la route de Djibouti à Addis Abäba est bondée. Donc le train apparaît comme une opportunité dans un contexte de croissance démographique et de soutien de l’Union africaine. Celle-ci s’inspire de l’Europe pour maîtriser le défi de la mobilité.
Paul Véron rappelle le nombre d’accidents de la route. L’Union africaine souhaite se doter d’un réseau ferroviaire moderne en bénéficiant de l’aide de bailleurs internationaux. La contrepartie est de proposer une vision de l’avenir qui ne soit pas la simple mise bout à bout de réseaux existants, mais bien de créer des corridors et des réseaux interconnectés pour l’Afrique. L’Afrique avait peu d’échanges entre pays, entre autres pour franchissement de frontières. Pensons à la coopération entre pays du Maghreb, très poussée sur le plan ferroviaire, mais les obstacles politiques sont bien trop forts. Il faut un réseau interconnecté pour l’Afrique, développer l’interopérabilité entre tous les réseaux nationaux, tout cela accompagnant de vrais échanges de personnes et de marchandises. Mais au niveau des grands organismes politiques continentaux de l’Union africaine, il faut une inter -modalité entre autoroutes, ports, voies ferrées et aéroports.
Alain Gascon rappelle que Dubaï a payé un nouveau port à Djibouti, pour éclater les conteneurs pour toute l’Afrique de l’Est. Désormais la crise est passée par là, et ce port va devenir un port de transit pour l’Ethiopie.
Faut-il toujours des Etats forts pour construire de telles infrastructures ? De nos jours, n’y a-t-il pas un manque d’Etats forts, même en Europe ? Paul Véron est d’accord avec l’idée qu’historiquement la volonté d’Etats puissants fut décisive. La Chine a fixé comme horizon 2020 de construire 10000 km de lignes à grande vitesse. La Chine finance aussi les lignes à grande vitesse en Turquie. La Turquie, devenue une grande puissance ferroviaire, rénove tout son réseau en plus de construire 1500 km de lignes. On la retrouve en Ethiopie comme consultant ou pour assurer le génie civil. La France n’est pas absente des projets à l’étranger, souvent sur des aspects particuliers (formation des personnels, concept général de ligne), mais ce ne sont pas des sociétés françaises qui gagnent les contrats de construction, faute d’apporter suffisamment d’investissements sur place.
Maryse Verfaillie s’interroge sur le rôle de la Chine. L’électrification de la ligne de Djibouti à la capitale de l’Ethiopie va commencer grâce à la Chine. Forme de colonisation économique généralisée sur l’Afrique ? Alain Gascon rappelle que les barrages sont italiens, les turbines sont d’Alsthom, le plus grand parc d’éoliennes d’Afrique aura des éoliennes venues de France. L’Ethiopie n’a pas de complexe vis-à-vis d’autres Etats, et le nationalisme économique éthiopien est une vraie réalité. Alain Gascon souhaite bien du courage à qui voudrait coloniser l’Ethiopie. D’autant que les Ethiopiens sont des clients bien difficiles. Donc ne pas fantasmer sur la politique chinoise en Afrique. Les Ivoiriens aussi sont extrêmement sourcilleux, ils épluchent tous les projets et renvoient tout ce qui n’est pas conforme. On refait avec l’Afrique le coup du péril jaune. Les chinois ne peuvent pas tout.
Maryse Verfaillie pose une question sur le nouveau train de Dakar à Djibouti. Est-ce réaliste ? Paul Véron rappelle que les projets de la Transafricaine, pour être financés, doivent être ambitieux et constituer de grands corridors. Désormais il faut des projets cohérents, profitables, s’inscrivant sur des parcours internationaux reliant de grands centres de consommation.
Le réseau de chemin de fer éthiopien exporte principalement du café et autres produits alimentaires. Les importations sont très diverses (automobile, carburant, matériel informatique, télécoms, produits alimentaires) et bien plus importantes. Désormais privée de façade maritime, l’Ethiopie a besoin du chemin de fer pour faire venir des marchandises. Le régime politique tire sa légitimité de la modernisation. Donc le régime joue son maintien sur le développement. La route qui longe la voie ferrée est déjà empruntée par les camions, alors qu’elle est en cours de réfection. Les plates formes de l’ancien réseau seront conservées, mais les voies de 1929 vont être retirées ou doublées, et surtout à écartement normal. Construire un chemin de fer est un investissement à bien plus long terme que la construction d’une route.
Paul Véron précise que pour le continent africain, la grande vitesse (plus de 250 km/h) se limitera au Maghreb et à l’Afrique du Sud. Nulle part ailleurs les besoins de grande vitesse ne sont pas nécessaires, le critère du temps n’est pas le même sur le marché africain et les coûts de réalisation sont beaucoup plus importants en termes d’infrastructures et de matériel roulant.
Paul Véron pose une question sur la réalisation du train de Vienne à Constantinople, pour devenir une plate-forme entre Europe et Asie. Henry Jacolin précise que les voies ferrées construites par le baron Hirsch étaient construites à l’économie, courbes serrées, peu de ballast. Il faudrait tout refaire entre la Turquie et l’Europe.
Avec le tunnel du Bosphore, on peut prendre la route de la soie sud, qui est inter opérable en termes d’écartement des voies. 1,435 mètre tout le long (l’Inde et le Pakistan sont à 1,6 mètre).
Bibliographie
Hugues Fontaine, Un train en Afrique. Djibouti-Ethiopie, CFEE-Shama Books, 2012
Alain Gascon,“Addis Abäba-Djibouti : le chemin de fer qui a fait la Grande Éthiopie – Fin du chemin de fer, fin de la Grande Éthiopie ?”, in Le rôle du chemin de fer en Afrique – Privatisation du chemin de fer, aide au développement et sauvegarde de l’environnement, / C. Béranger (éd.),Paris, Sedet-Prodig, 2005.
Henry Jacolin, « L’établissement de la première voie ferrée entre l’Europe et la Turquie. Chemins de fer et diplomatie dans les Balkans », Revue d’histoire des chemins de fer [En ligne], 35 | 2006. URL : http://rhcf.revues.org/414
Compte rendu: Olivier Milhaud et Maryse Verfaillie