Mi juin 2013, la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) Paris Île-de-France et le Comité régional du tourisme Île-de-France (CRT) ont lancé un site Internet à destination des professionnels du tourisme : Do You Speak Touriste ?. Le site propose ainsi aux professionnels du tourisme des fiches par nationalité, pour les aider à se comporter de manière adéquate avec les touristes. Douche froide pour celui qui regarde ce site qui semble être une parodie de nombreux sketchs humoristiques sur les clichés nationaux.

Guide_Do_You_Speak_Touriste

Ce qui fait le touriste n’est donc pas son statut social, ses pratiques culturelles, ses propres goûts, mais sa nationalité. Tous les Japonais veulent à Paris faire du shopping dans les magasins de haute couture, et tous les Brésiliens « apprécient des idées de visites “confidentielles” ». A regarder Do You Speak Touriste ?, on apprend, sans nuance, que la personnalité du touriste est, elle aussi, fonction de sa nationalité : le touriste belge, parce qu’il est belge, est « sensible aux formules de politesse ». Les professionnels du tourisme disposent là d’un précieux outil : jusque-là, certains pouvaient s’imaginer qu’on pouvait être impoli avec un Belge, cela pourrait lui plaire !

Belges

De même, si le guide Do You Speak Touriste ? envisage que ce qu’évoque Paris aux Chinois est « le shopping de luxe avant tout », le rapport 2012 de l’Office du Tourisme et des Congrès de Paris précise que seuls 19,8 %1 des touristes chinois retiennent le shopping comme l’une des activités ayant motivé leur séjour à Paris (contre 65,4 % pour la découverte de la ville, 71,1 % pour la visite de musées et de monuments, 8,6 % pour la gastronomie et 7,1 % pour les parcs et jardins). De même, leur pratique une fois arrivés à Paris contredit le point de vue du guide Do You Speak Touriste ?. Si, en effet, 61,8 % des touristes chinois ont pratiqué le shopping (ce qui est loin d’en faire une activité unanime, telle que présentée par le guide !), c’est loin d’être leur première activité : 96,6 % d’entre eux auront visité des musées et de monuments (ce sont même eux qui ont le taux le plus important parmi tous les touristes internationaux considérés dans le rapport de l’Office du Tourisme et des Congrès de Paris) et 78,4 % ont pratiqué des activités de découverte de la ville : le shopping n’arrive donc qu’en troisième place de leurs pratiques touristiques à Paris.

Chinois

Autre incohérence, dans ce « guide pour mieux connaître la clientèle touristique étrangère », la première fiche est consacrée aux… Français ! Le tourisme intérieur est ici présenté comme un tourisme international. A moins que la province ne soit déjà « l’étranger » dans l’esprit des concepteurs de ce guide. Dans les deux cas, quelques cours de rattrapage en géographie s’imposent d’urgence.

Guide

 

Francais

 

Enfin, certains touristes sont tout simplement absents : trop peu de Suisses (794 649 en 2012 pour Paris) ou de Russes (819 570) doivent visiter Paris et l’Île-de-France pour obtenir le droit d’obtenir une fiche dans ce guide ? Pourtant, le rapport 2012 de l’Office du Tourisme et des Congrès de Paris nous apprend que les touristes suisses ou russes sont plus nombreux que les Belges (661 633) ou les Néerlandais (626 718) qui figurent, eux, dans le guide. De même, les Canadiens (569 171) ou les Australiens (549 765) n’apparaissent pas, au profit des Chinois (409 499). Là encore, le guide semble surfer sur des clichés entre les touristes « visibles » (notamment les Japonais et les Chinois) et les touristes trop « invisibles » pour apparaître dans le guide.

Au final, ce document, à défaut de donner des conseils réellement utiles pour accueillir les touristes, présente une photographie non seulement des clichés nationaux, mais aussi de la représentation du tourisme par certains acteurs du tourisme parisien. Quant aux touristes eux-mêmes, qu’ils soient étrangers ou « Français-étrangers », ils pourront être enchantés de savoir que les professionnels du tourisme savent désormais qu’il faut être poli avec un Belge, mais peut être moins, s’ils sont britanniques, qu’on leur demande leur prénom systématiquement parce que « les Britanniques apprécient d’être appelés par leurs prénoms ». Erreur d’orthographe ou précision supplémentaire : il s’agirait d’appeler chaque Britannique par ses prénoms (au pluriel). Mais surtout, arrêtons-nous sur les clichés véhiculés sur ce guide qui présente la seule nationalité comme ce qui fait la pratique touristique. On ne saurait trop que recommander aux acteurs de ce guide de (re)lire les nombreux travaux d’une géographie du tourisme particulièrement féconde, qui leur permettra de dépasser ces clichés, de comprendre les jeux d’échelles, d’entrevoir la dimension culturelle et sociale du tourisme…

Britanniques

Bénédicte Tratnjek

Quelques documents :

1 Une telle précision dans les statistiques (pourcentages avec des chiffres derrière la virgule) peut étonner : ces pourcentages ont été produits, pour ce rapport, à partir d’un échantillon de 24 800 étrangers ayant séjourné à Paris en 2011. On reproduit ici les chiffres tels que précisés dans ce rapport, davantage pour les confronter aux clichés véhiculés par le guide Do you speak Touriste ?, que pour discuter d’un tel choix de précision dans les statistiques.