« D’où vient notre carte de l’Antarctique ? Géohistoire polaire et dernier partage du monde », avec Fabrice Argounès, enseignant en géographie à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et chercheur associé à l’UMR Géographie-Cités au Bar l’Actuel (FIG – Saint-Dié-des-Vosges) le vendredi 30 septembre 2016

Pour beaucoup, la connaissance de l’Antarctique se réduit à celle d’un continent glacé autour du pôle Sud, son histoire à celle de quelques expéditions héroïques où des hommes d’exception  (Amundsen, Scott…) ont lutté – victorieusement – contre des éléments hostiles. Pas de brutalité contre des populations indigènes, pas de cupidité dans la domination territoriale. L’Antarctique serait l’exemple même de la « bonne » conquête qui n’a laissé aucune culpabilité dans la mémoire des puissances occidentales.

Pourtant l’appropriation de l’Antarctique par quelques Etats s’insère bien dans une histoire coloniale  secouée par les rivalités. Et cette histoire peut être divisée en plusieurs périodes : âge de l’exploration avant 1885, âge héroïque (1885-1922), âge mécanique (1922-1959), puis âge scientifique après la signature du Traité de l’Antarctique en 1959.

Mais comment délimiter un territoire impérial  à une époque où les cartes ne montrent qu’un tracé très approximatif des côtes et où l’intérieur n’est pratiquement pas connu ?

 

D’où vient notre carte de l’Antarctique ? Fabrice Argounès – Café l’Actuel (FIG à Saint-Dié-des-Vosges)

D’où vient notre carte de l’Antarctique ?
Fabrice Argounès – Café l’Actuel (FIG à Saint-Dié-des-Vosges)

Le Royaume-Uni, première puissance à revendiquer une souveraineté sur l’Antarctique, impose le « modèle canadien » élaboré par Pascal Poirier en 1907 pour l’Arctique. D’après sa « théorie des secteurs », chaque Etat s’approprie le territoire situé entre deux lignes tracées du pôle à la côte, un quadrant. Sur le terrain, la prise de possession se marque l’installation d’un drapeau. Et en baptisant, dès 1923, les terres connues de noms anglais, les Britanniques en font des dépendances du royaume. Cette conception est adoptée par l’Australie et la Nouvelle-Zélande, membres du Commonwealth.

En 1927 la Norvège revendique les terres qui n’ont pas de noms anglais pour leur attribuer des noms norvégiens.

Mais face à cette entente anglo-norvégienne, d’autres Etats font entendre leur voix. La France revendique les îles subantarctiques et les Etats-Unis montent en 1928, une expédition aéronavale dirigée par Richard Byrd qui installe une base américaine sur la grande barrière de Ross, ultérieurement appelée Terre Mary Byrd.

Les nouvelles technologies jouent aussi leur rôle dans les rivalités entre puissances, la radio (une première communication est établie entre les Etats-Unis et l’Antarctique en 1929), mais surtout l’aviation. Parmi les pionniers, l’Australien Hubert Wilkins survole l’Antarctique en 1928. De son avion, il balance des drapeaux comme marqueurs de souveraineté. On ironise alors sur la  « question de souveraineté par voie aérienne ». En 1938, ce sont les Norvégiens qui prennent des photos aériennes dans un but cartographique. Lors de l’expédition allemande de 1939, les juristes du  Troisième Reich affirment leur intention d’encadrer le territoire qu’ils veulent s’approprier par des tiges d’aluminium lancées d’avion.

Plus pragmatiques, Argentins et Chiliens appuient leurs revendications sur la proximité géographique.

Finalement les Etats-Unis imposent leur conception dans le Traité de l’Antarctique signé en 1959 : aucun Etat n’est souverain en Antarctique, même si sept sont dits « possessionnés », reconnus comme occupants.

Après son exposé, Fabrice Argounès est amené à préciser certains points en réponse aux questions.

A la fin du XIXème et dans la première moitié du XXe siècle, il y eut plusieurs expéditions terrestres internationales non motivées par des revendications territoriales. Une exception : celle de l’Allemagne nazie en 1938.

Quels intérêts ont pu motiver la volonté d’annexion des territoires antarctiques ?

Ils sont de plusieurs ordres :

Le principal intérêt économique  concernait la baleine dont les produits étaient très recherchés.

Un projet non abouti envisageait de raccourcir la distance entre l’Australie et l’Amérique du Sud par le survol du pôle Sud.

Pouvoir établir une « police » autour de l’Antarctique pendant la Seconde Guerre  Mondiale était aussi un enjeu stratégique à long terme.

Actuellement Russes et Chinois protestent contre le statut international de l’Antarctique alors que des juristes français proposent une division en quatre quadrants (pacifique, américain, australien, africain).

L’Antarctique est le lieu du dernier partage impérial.

Compte rendu : Michèle Vignaux