Café Géo animé par Lionel LASLAZ, Maître de conférences en géographie à l’Université de Savoie, membre du Laboratoire EDYTEM – UMR 5204 du CNRS.

Ce Café Géo a eu lieu le mardi 13 novembre 2012 au Pré en Bulle – 9 Lices Jean Moulin, Albi.

Présentation problématique :

Ce Café Géo interroge la finalité des espaces protégés. Ont-ils encore, pour certains d’entre eux tout au moins, des missions exclusives et radicales de protection de l’environnement, excluant les activités humaines ? Les pratiques de déplacements forcés et de « déguerpissement » mises en œuvre dans certains Etats des Suds sont là pour rappeler cette réalité, trop souvent évincée sous le sceau reluisant de la protection de l’environnement. Ou ont-ils, pour partie, pris le chemin des logiques intégratives apparues dans les années 1980 ? L’émergence des procédures participatives, la reconnaissance des « communautés autochtones », les modalités d’une « gouvernance nouvelle » ont en effet aussi concerné les espaces protégés.

Cette présentation propose un état des lieux de la protection dans le monde, en insistant sur les différentes formes qu’elle revêt et les diverses catégories d’espaces protégés qu’elle sous-tend. Ensuite, la politique des espaces protégés est étudiée en France, à travers la multiplicité des outils et dans une perspective diachronique traduisant une ouverture croissante vers les sociétés modelant ces espaces de « nature » préservée. Néanmoins, les deux réserves intégrales existant en France rappellent une vision plus radicale à des fins de suivi scientifique : sont-elles éthiquement et socialement satisfaisantes ?

La compatibilité entre usages des espaces protégés et finalités de conservation, que cette dernière soit réglementaire (du type « parc national ») ou contractuelle (du type « parc naturel régional »), est au cœur des inflexions enregistrées durant les dernières années (chartes des parcs nationaux, depuis la loi du 14 avril 2006). Ce paradigme ne renvoie-t-il pas à deux « polarités contraires » qui le résumeraient à concilier l’inconciliable ?
Compte-rendu :

Compte-rendu réalisé par Zoe AMORENA, Laurene MAS et Fabio REDONDO, étudiants en licence de géographie et d’histoire au Centre universitaire J.F. Champollion, sous la direction de Thibault COURCELLE et Mathieu VIDAL, enseignants-chercheurs et co-animateurs des Cafés Géo d’Albi.

Éléments de la présentation :

Introduction

Comme l’indique l’intitulé « une nature sous cloche ? », la présentation va s’interroger sur une des finalités des espaces protégés, en se demandant s’ils ont pour objectif, de manière exclusive ou parmi d’autres, une forme de protection relativement forte. Pour illustrer cela, une annonce récente du Parc National des Ecrins en date du 29 octobre 2012, a fait référence au classement qu’il a obtenu à l’échelle internationale pour la réserve intégrale du Lauvitel. En effet, sur la plaquette de présentation de cette dernière datée de 2010, il est mentionné : « Peut-on y aller ? Surtout pas ! L’accès est strictement interdit sauf aux scientifiques qui étudient le site avec une autorisation temporaire délivrée par le directeur du Parc national ». Il s’agit ainsi d’une forme dissuasive de protection et d’un type d’espace protégé qui est extrêmement limité en France.

Quelles sont les caractéristiques de la réserve intégrale du Lauvitel ?

Cet espace de 689 hectares s’inscrit dans la zone centrale (rebaptisée « cœur ») du Parc national des Ecrins (1973) ; autour de celle-ci, une zone périphérique, que l’on appelle « aire d’adhésion » depuis la réforme de la loi sur les Parcs nationaux en 2006. Le périmètre de la réserve intégrale, tracé en 1995, correspond aux lignes de crêtes. Il aura fallu six années de débat pour que ce projet puisse aboutir ; le site de la réserve intégrale est difficile d’accès car situé à environ 1400 mètres d’altitude et à plus de 3000 mètres pour les points les plus élevés. Il se trouve en arrière du lac du Lauvitel, un des sites les plus fréquentés du cœur du parc avec 45 000 visiteurs par an. Mais le site, qui est inscrit depuis 1941, a été classé en réserve intégrale en partie grâce à la disparition de l’exploitation forestière depuis 1922 et du pastoralisme depuis 1947. En outre, élément important dans le contexte français, ce territoire est propriété de l’Etat depuis 1977 et ne possédait donc pas de contrainte foncière. En effet, les propriétés communales ou privées constituent des obstacles extrêmement lourds dans la mise en œuvre de dispositifs de protection. Ici, l’Etat a pu saisir une opportunité avec l’acquisition du Lauvitel en 1977.

Quel est l’objectif de la réserve intégrale ?

L’objectif principal de la réserve intégrale selon la définition que nous donnent les services de l’Etat et le Parc national des Ecrins est « le suivi de la dynamique naturelle d’écosystèmes peu soumis à l’action anthropique ». Ainsi, par une interdiction d’accès, l’influence humaine doit théoriquement disparaître. Le 29 octobre 2012 donc, les services de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) ont reconnu cette réserve intégrale comme appartenant à la première catégorie d’espaces protégés définie par l’UICN, dite catégorie Ia, soit la plus stricte. On recense dans le monde environ 200 espaces protégés qui relèvent de cette catégorie et il s’agit de la première en France. C’est le Parc national des Ecrins qui a fait les démarches en faveur de cette reconnaissance, à la demande de son conseil d’administration et de son conseil scientifique. Pour autant, les différentes études qui ont été conduites sur ce secteur montrent que cet espace est un vallon typique des Alpes qui n’a rien d’exceptionnel. L’intérêt est d’analyser comment ce dernier va évoluer par rapport à ceux qui sont aussi typiques que lui et qui sont encore soumis à l’action anthropique. Cet exemple soulève ainsi des questions d’un point de vue scientifique, car on peut s’interroger sur l’utilisation de dispositifs de protection qui excluent l’homme, alors que la tendance actuelle est plutôt inverse. C’est également la philosophie qui a conduit à ce classement qui interpelle, avec l’utilisation du terme de wilderness, c’est-à-dire en français la « nature sauvage », incarnée en Amérique du nord. Mais elle est discutable car relativement peu applicable en Europe, y compris dans les Alpes.

Qu’entend-on entend par espaces protégés ?

Un espace protégé tel qu’on le propose ici (Héritier et Laslaz, coord., 2008 ; Laslaz, dir., 2012) est une « étendue délimitée, socialement investie de valeurs, pouvant comporter plusieurs « zones » correspondant à un gradient de mise en valeur du territoire ». Ce n’est pas un périmètre qui s’impose de lui-même par une certaine forme de déterminisme naturel mais c’est un choix qui a été effectué par les hommes en traçant des limites. L’espace protégé dispose parfois de plusieurs zones concentriques avec des gradients plus ou moins significatifs de mise en valeur. La zone centrale avec peu d’anthropisation et pas de présence humaine permanente et la zone périphérique qui connaît en revanche des aménagements. Ceux-là peuvent être parfois très lourds comme la zone périphérique du Parc national de la Vanoise qui est le premier domaine skiable d’Europe. Puis, les pouvoirs publics, les particuliers et les associations vont mettre en œuvre des mesures de protection qui peuvent être globales ou sur des points particuliers avec des approches différentes. Pour assurer la protection on s’appuie sur des réglementations nationales et internationales mises en œuvre à différentes échelles et par divers acteurs (associations, collectivités territoriales, ONG, etc).

Les 3 types de paradigme :

L’espace protégé n’est pas exclu des logiques humaines mais au contraire en fait partie et relève de l’aménagement du territoire. Ainsi, ces espaces protégés ont été plongés dans trois grands types de paradigmes successifs selon S. Depraz (2008) :
naturaliste-sensible (milieu du XIXe siècle), avec l’exemple du Parc national de Yellowstone qui est l’espace protégé le plus emblématique et le plus ancien. Il s’agit d’une protection « pour l’homme » car il prend en compte les besoins humains, notamment récréatifs ;
radical (milieu du XXe siècle) qui est un paradigme d’exclusion, c’est une protection « sans l’homme », on en trouve quelques traces dans le monde aujourd’hui ;
intégrateur (fin XXe siècle), soit une protection qui ne peut se faire qu’« avec l’homme ». Ces différentes tendances se croisent selon les territoires. Il y a des fluctuations dans le temps et dans l’espace de la place des sociétés au sein des espaces protégés, comme par exemple dans l’intégration des populations autochtones ou du tourisme. Ces espaces sont modelés par les diverses sociétés et ne sont pas extérieurs à leur conception, leur mode de pensée et les finalités qu’elles leur assignent.

I – Les espaces protégés dans le monde : une dominante conservationniste ?

Les espaces protégés sont classés à l’échelle mondiale selon des catégories définies par l’UICN et n’ont pas les mêmes appellations selon les pays. En 1978, l’UICN a défini six catégories qu’elle a harmonisées en 1994 et qui sont encore en révision aujourd’hui. La catégorie Ia est la plus stricte, car aucune présence humaine n’est tolérée mise à part celle des scientifiques. Elle correspond à la réserve intégrale dans le cadre français (cas du Lauvitel évoqué ci-dessus). La catégorie II est celle des Parcs nationaux. La catégorie III correspond aux monuments naturels, équivalents en France des sites classés, qui sont plus ponctuels et limités spatialement. Puis, plus on va vers les autres catégories plus il s’agit de catégories souples, avec des espaces s’orientant vers le « développement durable ». Le nombre de sites est très largement dominant dans les catégories III et IV. Mais la présence très élevée des « sans catégorie » constitue un second problème, car avec cette classification beaucoup d’espaces protégés ne relèvent pas d’une catégorie.

A partir du moment où l’on juge que la présence humaine et certains usages à l’intérieur des espaces protégés et sur leurs pourtours constituent une menace indépassable pour eux, on a des formes d’exclusion et de « déguerpissement ». Ce fut le cas dans les années 1950 où l’on a exclu de façon violente et dissuasive les populations qui vivaient à l’intérieur du périmètre du parc afin qu’elles n’aient plus d’influence sur le devenir de ces espaces. On estime que depuis ces politiques, environ 14 millions de personnes ont été déplacées de force en lien avec la création d’espaces protégés. C’est un levier géopolitique majeur pour un certain nombre d’Etats dont les pratiques sont peu démocratiques. C’est aussi un moyen de sédentarisation et de contrôle plus facile d’habitants appartenant souvent à des minorités ethniques.

Le Parc national Fanjinshan

Un exemple d’exclusion au sud-est de la Chine se trouve dans la province du Guizhou, avec le Parc national Fanjinshan traité par G. Giroir (2007 et 2008 in Héritier et Laslaz, coord.). Ce parc est consacré à la protection du singe doré dont il ne reste que 800 spécimens. Une politique répressive a été mise en place avec des violences physiques et des déplacements forcés envers deux minorités ethniques, les Miao et les Tujia. Car dans un contexte de faible développement – avec ces minorités ethniques peu développées, des densités importantes dans le milieu rural et une croissance démographique de ces populations qui ne sont pas soumises à la politique de l’enfant unique – une forte pression existe sur les milieux. C’est ce qui amène le pouvoir politique à déplacer les villages à l’extérieur du parc. Pour les populations jeunes cela fut vécu comme une opportunité de se rapprocher des principaux centres urbains de travail ; mais pour les populations plus âgées qui n’ont pas accepté ces déplacements, elles sont revenues habiter dans leur village d’origine.

Le Parc national Sanjay Gandhi

Un autre exemple extrême est celui des Parcs nationaux urbains, avec notamment les travaux du géographe F. Landy qui a travaillé sur le Parc national de Sanjay Gandhi. Cette enclave verte se situe au milieu de la mégapole de Mumbai qui compte aujourd’hui plus de 20 millions d’habitants. Ainsi, on remarque un débordement de l’espace urbain sur le périmètre protégé, même si le phénomène a tendance à s’inverser car le parc qui faisait 21 km² en 1950 en entoure aujourd’hui plus de 100. Il s’est développé en direction de la ville, mais se heurte à une prolifération de bidonvilles et d’habitats informels, mais aussi d’enclaves résidentielles aisées dites gated communities qui profitent du paysage et du cadre de vie très attractif. En 1995, on estime qu’il y a 300 000 habitants dans le Parc. En 2000, une politique d’expulsion est conduite et 46 000 logements informels et petits commerces sont évacués, avec seulement 12 000 habitants relogés. En 2011, on estime encore la présence de 150 000 personnes à l’intérieur du parc. Mais second problème, les attaques par les bêtes sauvages que contient le parc avec essentiellement des léopards qui ont tué 19 personnes en 2004. En 2008, il en restait 24, soit la plus forte densité de l’Inde.

Le Parc national de Yellowstone

Mais théoriquement, les Parcs nationaux avaient une mission de compatibilité vis-à-vis de la présence humaine avec des finalités récréatives et touristiques. En effet, la création du parc est vectrice d’attractivité touristique même si historiquement, c’est le tourisme qui a créé les espaces protégés. La majorité de ceux créés dans la deuxième partie du XIXe siècle dans l’ouest des Etats-Unis et du Canada sont les fruits d’une création impulsée par des urbains de la façade Est, qui, partis à la découverte du grand Ouest américain, vont tomber sous le charme de ces paysages et vont vouloir les préserver. Ainsi, le Parc national de Yellowstone est créé en 1872 – officiellement le premier Parc national reconnu à l’échelle mondiale – selon l’arrêté du Congrès « pour le bénéfice et l’agrément du public », c’est-à-dire des Etats-uniens. Il marque fondamentalement l’histoire et l’identité du pays, car c’est une forme d’incarnation patrimoniale appliquée à de grandes étendues qualifiées de « vierges ». Dans le même temps, on va privilégier la protection des monuments historiques en France, c’est-à-dire le patrimoine bâti et architectural. Enfin, le tourisme est aujourd’hui un véritable fond de commerce, comme à Yellowstone où ce sont de véritables complexes touristiques qui ont été créés à l’intérieur du parc avec des parkings, des restaurants et des hôtels. La logique d’aménagement en vigueur dans les parcs anglo-saxons est celle des « honey pots », c’est-à-dire que seulement certains lieux stratégiques seront accessibles aux touristes et vont perturber 5 % de la surface du parc. On la retrouve également dans l’évolution du logo du parc établi par le National Park Service qui a progressivement intégré la valeur anthropique et l’héritage amérindien avec la forme de pointe de flèche du logo.

Les premiers Parcs nationaux à l’échelle mondiale

Les premiers parcs sont créés par des Etats neufs anglo-saxons. Puis, l’éveil a lieu en Europe avec en 1909 la Suède, en 1914 le Parc national suisse et d’autres Etats. La croissance du phénomène résulte de plusieurs facteurs mais essentiellement de la mise en œuvre de politiques de création par les Etats européens dans leurs colonies. En France, on estime que le premier Parc national est celui de la Vanoise en 1963, mais comme beaucoup de métropoles européennes, elle a utilisé l’Afrique comme banc d’essai de ses politiques. Donc, en réalité, les premiers parcs se situent en Tunisie et en Algérie. Puis, à partir des années 1950/60 avec la décolonisation, chaque Etat crée comme marquage de son indépendance et de ses fonctions politiques ses propres Parcs nationaux. Les années 1970, quant à elles, amènent une montée des mouvements environnementalistes avec des grandes conférences internationales sur l’environnement, comme celle de Stockholm en 1972, et la création d’ONG qui vont suppléer les Etats défaillants dans le domaine environnemental. Actuellement, il y a environ 120 000 espaces protégés dans le monde, ce qui représente 21 millions de km² (soit deux fois la superficie du Canada) et 13 % de la surface terrestre. Les espaces protégés désignés à l’échelle internationale sont ceux reconnus par l’Unesco en tant que « Patrimoine mondial » et « Réserve de biosphère », mais aussi les zones humides au nom de la Convention de Ramsar ou les dispositifs de « Natura 2000 ». Enfin, on remarque un rattrapage des surfaces marines par rapport aux surfaces terrestres qui connaissent une augmentation très rapide dans les années 2000.

II – Les espaces protégés en France : la part belle au social ?

Le Parc national

En France la distinction entre espaces protégés peut se faire selon trois logiques. D’un côté, la maîtrise foncière incarnée par le Conservatoire du Littoral qui achète du foncier afin de protéger ; ensuite, une protection réglementaire avec des interdictions (arrêtés préfectoraux de protection de biotope par exemple) ; enfin une protection conventionnelle ou contractuelle qui fixe des objectifs à atteindre entre les différents acteurs. Toutefois, une des principales difficultés réside dans le maillage en 36 000 communes, soit 50 % du nombre de communes de l’Europe des 27. Conséquence, quand il a fallu créer le Parc national des Ecrins, il a fallu discuter avec 61 communes.
Pour les parcs nationaux, nous pouvons citer les Parcs nationaux de La Vanoise, des Ecrins (le plus vaste cœur de la métropole), des Pyrénées, des Cévennes (le seul encore significativement habité), du Mercantour (1979) et de Port-Cros. Parmi ces six parcs nationaux, cinq sont en montagne dont trois dans les Alpes. Cela est révélateur d’une idéalisation du milieu alpin comme « nature sauvage ». Puis, 10 ans plus tard, c’est la création du Parc national de la Guadeloupe (1989) en Outre-Mer. Mais la loi du 22 juillet 1960 qui permet la création des parcs nationaux est jugée plus adaptée, car trop rigoureuse et centralisatrice. Elle est modifiée en 2006 et les Parc nationaux de la Guyane et de la Réunion et le Parc naturel marin (nouvel outil créé par cette loi) de la Mer d’Iroise sont créés en 2007. Enfin, celui des Calanques est crée en 2012 et deux projets de Parc national de forêt de feuillus de plaine et de zone humide sont en cours pour 2013 ou 2014.

Le Parc naturel régional

Les Parcs nationaux étant difficiles à mettre en œuvre et contraignants, sont créés, avec la loi de 1967, les Parcs naturels régionaux (PNR). Leur mode de fonctionnement est différent puisque les Parcs nationaux ont une logique dite « descendante » que les anglo-saxons appelle top down, c’est-à-dire une création d’Etat imposée à l’échelle locale, tandis que les PNR ont une logique inverse dite « ascendante » ou bottom up. C’est la région qui fait remonter le projet à l’aide d’un Syndicat Mixte qui va regrouper les communes et les collectivités concernées. Une charte est alors mise en œuvre pour une durée de 12 ans. Elle est validée par le Conseil National pour la Protection de la Nature et le Ministère. A l’intérieur de ces PNR, le territoire rural est habité de façon permanente et leur valeur patrimoniale et paysagère est jugée moins exceptionnelle que dans les Parcs nationaux. A partir des années 1980, des objectifs de durabilité apparaissent et le « développement durable » est de plus en plus pris en compte. Cela a eu un succès considérable avec la naissance de 48 PNR sur plus de 4100 communes, 3,5 millions d’habitants et 7 millions d’hectares, soit 15 % du territoire français. Leur présence est significative en montagne comme dans les Alpes (8 PNR). En nuance de cette protection globalement souple, le Ministère peut aussi être amené à retirer le label de PNR comme ce fut le cas pour le Marais Poitevin qui est devenu un des espaces les plus marquants de l’agriculture intensive (maïsiculture) en France.

Les ZNIEFF

Une des problématique qui se pose en France est qu’un certain nombre de dispositifs ont été présentés comme étant des inventaires scientifiques mais, en réalité, ils se sont traduits par du classement, de la protection et de la réglementation. Ce fut le cas pour les ZNIEFF qui couvrent 25 % du territoire national, de 7 % de la région Limousin à 50 % de la région Rhône-Alpes. Ce zonage dit « de savoir » grâce à un inventaire, est devenu un zonage de « pouvoir » avec une réglementation (Couderchet et Amelot, 2010). Des incohérences fortes en ressortent puisque les ZNIEFF sont pilotées à l’échelle départementale puis régionale mais que certaines d’entre elles s’arrêtent brutalement aux limites administratives sans aucune cohérence. Une politique du chiffre domine, c’est-à-dire classer avant tout au maximum afin d’augmenter la surface protégée.

Le réseau Natura 2000

En France, quasiment toutes les ZNIEFF et tous les cœurs des Parcs nationaux sont classées en Natura 2000, qui couvre 18 % du territoire européen. La première difficulté concerne d’importantes dissymétries de ce réseau en termes de surface qui se traduisent par des contentieux, comme c’est le cas en Italie, en France ou en Grèce. A l’inverse, des associations de protection de l’environnement se plaignent auprès des instances européennes du retard de la mise en œuvre du dispositif et réclament une condamnation des Etats. Les périmètres de Natura 2000 peuvent aussi être visés, être considérés comme insuffisants ou dotés d’une protection insuffisamment opératoire. Cela peut aboutir à des situations de saturation des formes de protection les unes sur les autres, ce qui se traduit par un chevauchement des périmètres protégés et apporte une faible lisibilité de ces espaces protégés.

III- Intégration ou exclusion ? Les polarités contraires

En effet, on constate difficultés de compatibilité entre une logique d’intégration des activités humaines et une logique d’exclusion. C’est le cas en 2007 avec la création sur 3 îlots (Bagaud, Gabinière et Rocher du Rascas) de la réserve intégrale de Port-Cros qui possède des fonds marins justifiant ce classement. L’objectif est ainsi d’interdire les bateaux d’accoster et de limiter les zones de plongée pour ne pas perturber les écosystèmes marins. La solution qui a été mise en place est un partage de l’espace avec d’une part un site réservé à la plongée, situé sur le pourtour même de la réserve intégrale – ce qui est peu compatible – et d’autre part un site excluant toute circulation et mouillage. La transformation d’outils à la base relativement rigoureux en des outils participatifs est une réelle évolution. Ainsi, la loi de 2006 visait surtout comme objectif de changer la manière de travailler avec les Parcs nationaux, c’est-à-dire la logique « descendante » et de faire en sorte que les collectivités locales se sentent concernées par les espaces protégés.

La charte et le caractère du Parc

Tous les Parcs nationaux créés avec la loi de 2006 sont nés avec leur charte afin d’assurer une certaine réciprocité dans leurs pratiques. Puis, il a fallu définir ce que le Ministère a appelé le « caractère du parc », c’est-à-dire les aspects représentatifs de son identité. Une des grandes difficultés résulte du fait que les divers acteurs doivent s’accorder à le définir et à le respecter, toute action allant à son encontre n’étant pas autorisée. Car l’objectif de la réforme de la loi, en créant obligatoirement une charte pour chaque Parc national, est de retisser du lien entre le cœur, dont la protection est très stricte, et son aire d’adhésion. Exemple avec le Parc national de la Vanoise et ses stations de sports d’hiver : font-elles partie du « caractère » du Parc ? La réponse des associations de protection de l’environnement est évidemment négative. Enfin, pour définir la charte, des réunions ont lieu avec la population afin de prévenir des éventuelles réactions de mécontentement à l’égard de son contenu. Le but étant d’éviter des dégradations comme on a pu le voir, par exemple, dans le Parc national du Mercantour avec des graffitis anti-Parc.

Conclusion :

Il y a, aussi bien en France qu’à l’échelle mondiale, des formes de reliquat et de maintien de cette « mise sous cloche » des espaces protégés. Il reste encore beaucoup de représentations selon lesquelles on ne peut pas faire une protection efficace et solide si l’homme est présent. Par ailleurs, cela s’accompagne de systèmes politiques forts alors qu’une participation citoyenne de plus en plus attendue. Néanmoins, ces logiques participatives croissantes sont discutables, car elles fréquemment biaisées. De nombreuses questions demeurent encore sans réponse, comme celle de la participation des acteurs avec le risque que ces espaces ne représentent pas intégralement la perception des collectivités concernées. Puis, la question de la compatibilité des usages se pose aussi avec d’un côté la protection de l’environnement et de l’autre une volonté de développement économique. En effet, à partir du moment où l’on juge qu’ils ne sont pas compatibles, ils sont séparés à l’aide de logiques de ségrégation et de division du territoire. Enfin, cela pose la question des finalités que l’on assigne aux espaces protégés en tant que production sociale.

Éléments du débat :

Gérard BRIANE, enseignant-chercheur en géographie à l’Université de Toulouse-Le-Mirail :

Par rapport à cet empilement de mesures de protection, est-ce qu’on fait une évaluation des mesures de protection ? Parce que c’est bien d’empiler, mais on n’évalue pas les effets positifs ou négatifs qu’il peut y avoir.

Lionel LASLAZ: Les effets positifs peuvent être éventuellement liés à des superficies différentes, c’est-à-dire d’un périmètre de ZNIEFF qui est plus restreint qu’un périmètre de Natura 2000, et qui n’englobe pas la totalité des habitats. Ensuite, il peut y avoir dans les dispositifs réglementaires qui sont mis en œuvre, si c’est de la protection réglementaire, un certain nombre d’objectifs différents, par exemple sur un espace protégé qui va principalement protéger des milieux humides ou l’avifaune et un espace protégé qui vient se superposer et qui a des objectifs un petit peu plus généraux. On s’est rendu compte que cette zone humide et cette avifaune étaient nécessairement dépendantes du contexte de production agricole dans lequel on va faire évoluer cet espace, et qu’il fallait mettre en œuvre un certain nombre de mesures agri-environnementales par exemple. C’est ce qui s’est fait dans le cas du bocage de Champsaur du Parc national des Ecrins, un des derniers du massif alpin. Il a été mis à mal dans les années 1960/70 et a fait l’objet d’une politique de sauvegarde. Donc c’est aussi l’évolution des mesures dans le temps et la prise en compte d’enjeux non saisis initialement.

Mathieu VIDAL, enseignant-chercheur en géographie au Centre universitaire d’Albi :

On se rend compte que bien souvent les limites administratives ont leur importance, ce qui est finalement une aberration. Du coup, est-ce que les pouvoirs publics essayent d’imposer certaines choses pour qu’il y ait une logique aux différents périmètres de parcs ? Et à une autre échelle, est-ce qu’on assiste à des exemples de mise en place de Parcs naturels ou en tout cas d’espaces protégés transfrontaliers au delà de ce qui a été mis en place par l’Unesco qui n’est finalement qu’un label ?

Lionel LASLAZ: C’est une très bonne question parce qu’effectivement, d’un point de vue géographique, les logiques de protection ont très longtemps été strictement aréolaires et ponctuelles. Des logiques vont se mettre en œuvre dans le Grenelle de l’Environnement à travers la Trame Verte et Bleue. Elle a justement pour objectif de dépasser ces contingentements administratifs. Par exemple, la limite de la zone centrale n’est pas une limite administrative puisqu’elle ne concerne pas la totalité des finages communaux. En revanche, la quasi-totalité des communes des aires d’adhésion en relèvent en totalité. Pour un certain nombre d’autres types de protection, comme le cas des ZNIEFF, ce sont les services du Ministère de l’Environnement en région qui décident, la néo DREAL qui œuvre pour cela. La Trame Verte et Bleue dépend d’un Schéma Régional de Cohérence Ecologique et est établie à l’échelle d’un département. En revanche, le dépassement des frontières administratives existe tout à fait. Le premier parc transfrontalier créé en 1932 (APTF) a été créé entre le Parc national Glacier aux Etats-Unis et de l’autre côté de la frontière le Parc national des Lacs-Waterton au Canada (Héritier, 2004). Et depuis, il y a près de 700 espaces protégés transfrontaliers à l’échelle mondiale qui sont regroupés sous la forme d’aires protégées transfrontalières. Il y a eu une mode dans les années 1970/80 impulsée par les ONG et par des Etats moteurs comme l’Afrique du sud. C’était un moyen de contrôle géopolitique sur les Etats voisins dans un contexte de guerre froide, mais ces outils ont connu un essor important. Notre collègue Lucile Médina (2008) a travaillé sur ceux d’Amérique centrale et a montré les limites principales : on affiche du transfrontalier, mais en réalité, on se heurte à de la réglementation nationale. Les moyens de financement, les objectifs, les réglementations sont différents d’un Etat à l’autre. Le Mercantour, malgré sa situation peu enviable, a tenté avec son voisin qui est plutôt un modèle de Parc naturel régional de catégorie V de l’UICN, le Parc naturel Alpi Marittime en Italie, de mettre en œuvre le premier Parc européen, c’est-à-dire de fusionner les deux structures. Et cela fait 15 ans que c’est en cours mais ce n’est toujours pas opérationnel.

Suzanne DELASSUS, étudiante en géographie au Centre universitaire d’Albi :

Vous avez montré une carte qui recense tous les parcs nationaux dans le monde depuis leur création et j’ai remarqué qu’il s’agit majoritairement de pays anglo-saxons, comme l’Australie, les Etats-Unis. Est-ce que vous avez une explication pour cet engouement des anglo-saxons pour la protection de l’environnement ?

Lionel LASLAZ: C’est aussi une très bonne question, on donne les premiers éléments de réponse dans l’Atlas et dans « Les parcs nationaux dans le monde » , mais si on avait représenté tous les parcs canadiens et états-uniens avant 1900 il y en aurait eu beaucoup, il s’agit donc d’Etats neufs qui sont tous anglo-saxons, et les interprétations aujourd’hui sont relativement discutées. Je vais m’appuyer notamment sur les travaux du sociologue Jean Viard, qui a publié en 1990 « Le tiers espace : essai sur la nature », et il propose une hypothèse, très discutée par ailleurs, qui invoque l’aspect religieux. A ces yeux, tous ces Etats sont protestants, et pour lui, le protestantisme place la nature et l’homme sur un pied d’égalité, alors que le catholicisme considère, avec une hiérarchisation, que l’homme doit soumettre la nature et en quelque sorte la civiliser. Et cette idée de domination dans la religion catholique aurait conduit à une forme d’aménagement et d’artificialisation, tandis que le protestantisme se serait plutôt basé sur une forme de respect. Cela s’applique au cas européen avec la Suède par exemple. Mais après la Suède et la Suisse, on trouve l’Italie en 1922 et il n’y a pas plus catholique que l’Italie. Donc ça marche pour certains Etats mais pas pour d’autres. Le deuxième facteur explicatif c’est que dans cette période en Europe on protège du bâti et de l’urbain, ce qui a fait le cœur de la civilisation européenne, des éléments qui sont hérités d’une épaisseur historique significative. Dans ces Etats anglo-saxons, les densités sont faibles et ces Etats neufs vont coloniser d’Est en Ouest pour les Etats-Unis ou le Canada ; ces logiques de création d’espaces protégés participent d’une logique de conquête du territoire. Stéphane Héritier avait montré que pour le Canada, en réalité, la création d’espaces protégés est corrélée à la mise en œuvre des grandes infrastructures ferroviaires transcanadiennes, car au fur et à mesure qu’on équipe le territoire pour permettre cette traversée Est-Ouest, on permet aux colons qui sont installés sur la Côte Est de venir découvrir la Côte Ouest avec cette voie ferrée et des infrastructures touristiques y sont créées également. Ce sont des logiques de façonnement du territoire et de symbolique nationale. Les Parcs nationaux n’ont pas déterminé la culture française ; ce rapport à la wilderness et aux grandes étendues sauvages est beaucoup plus présent aux Etats-Unis par exemple. Il y a cette dimension culturelle, civilisationnelle forte qu’il ne faut pas oublier.

Fabio ROBERTO, étudiant en histoire au Centre universitaire d’Albi :

Nous avons vu que ces espaces sont surprotégés par un certain nombre de mesures nationales et internationales, et j’ai une question qui concerne plus la biodiversité : est-ce que vous ne pensez pas que dans ces espaces qui sont surprotégés d’une manière totalement extrême où l’homme est complètement aboli, ces milieux vont se fermer en entraînant une baisse de la biodiversité ?

Lionel LASLAZ: Si je reste sur le cas français, des milieux excluant l’homme, il n’y a que les deux réserves intégrales. Donc là, effectivement, le constat qui a été fait depuis la création des réserves intégrales, c’est une forme de fermeture du « milieu » par la forêt pour reprendre votre expression. Le cas de la réserve intégrale du Lauvitel, c’est 1195 mètres d’altitude, donc la forêt regagne du terrain mais aussi bien parce qu’on a créé la réserve intégrale que parce qu’il n’y a plus d’exploitation forestière et pastorale depuis longtemps. Ce que les scientifiques – qui sont autorisés à circuler et à entrer – étudient, ce sont notamment tous les insectes qui se développent sur le bois mort, parce que aujourd’hui, le bois mort n’est plus récupéré, alors qu’avant il y avait de l’affouage. A priori, on a un développement qui est plus intéressant de ce type d’espèces qu’on ne trouverait pas forcément hors de la réserve intégrale. Mais effectivement, ça modifie le milieu. Ne faire aucune forme d’intervention, c’est aussi une forme d’intervention, c’est faire de l’aménagement. Je n’oppose pas aménagement et protection, j’oppose équipement et protection, car la protection est une forme d’aménagement. Cela signifie que c’est une forme de pilotage de cet environnement qui a des incidences. Il peut poser problème par exemple sur la prolifération de certaines espèces faunistiques. Si l’on revient maintenant à des cas moins radicaux avec les Parcs nationaux, à l’intérieur du coeur, il n’y a pas d’exploitation forestière, car il faut une autorisation si vous voulez couper du bois. Il y a eu un gros conflit il y a quelques années dans la forêt de l’Orgère dans le Parc de la Vanoise, parce qu’il y avait des mélèzes centenaires, et donc certains étaient favorables à ce que les peuplements se régénèrent. L’ONF a dit : « on va couper les mélèzes centenaires qui commencent à s’affaiblir pour que les jeunes sortent ». Et les spécialistes d’un certain nombre d’espèces ont dit : « non surtout pas ! Car elles sont très intéressantes, il faut les garder ». Le conflit a ainsi duré plus d’une dizaine d’années. En revanche, l’activité pastorale est autorisée. C’était une des grandes hantises des habitants de l’époque, comme je vous l’ai dit, il y a des alpages, aussi bien dans les Pyrénées que dans les Cévennes, dans les Ecrins, dans le Mercantour et en Vanoise. Ce sont des espaces de production agricole très importants. Vous avez toujours la possibilité de conduire des troupeaux, il n’y a pas d’interdiction mais on se rend compte que le discours des conseils scientifiques dans les années 1960/70 est alors radicalement anti agriculture. De surcroît, il existe des formes notables de déprise. Il n’y a pas encore les labels, ce qui veut dire que l’activité agricole en montagne a beaucoup de difficultés à se maintenir et elle s’effondre. Alors le discours tenu par la majorité des membres des conseils scientifiques, c’est de dire que moins il y aura d’agriculture, mieux ça sera pour la biodiversité. Or c’est totalement faux. On s’est rendu compte que, justement, la présence d’animaux permettait l’entretien des milieux. Par exemple, le chardon bleu, qui est une espèce symbolique dans les Alpes, ne survit que dans les espaces qui restent ouverts, donc soit fauchés, soit pâturés. Alors les Parcs nationaux maintenant payent des agriculteurs pour entretenir les espaces, car sinon, ces espèces disparaissent. Ce n’est donc pas tout noir ou tout blanc, mais cela signifie que l’on est obligé d’avoir un minimum d’intervention humaine sinon ça va déréguler le fonctionnement du milieu tel qu’il a fonctionné jusqu’alors. Et puis dernier exemple, protéger les espèces faunistiques à l’intérieur du cœur c’est bien et c’est l’objectif des Parcs nationaux : la Vanoise a été créée en 1963 parce qu’il ne restait plus en France que quinze bouquetins car ils étaient chassés. Aujourd’hui, on en compte 2100 dans le cœur de ce parc, sachant que certains spécimens ont été prélevés pour être réintroduit dans les autres parcs alpins. Cela va poser la question de la régulation, car c’est une espèce interdite à la chasse.

Thibault COURCELLE : enseignant-chercheur en géographie au Centre universitaire d’Albi :

Par rapport aux zones grises qui sont sur la carte internationale des parcs nationaux, il y a encore quelques Etats – par exemple la Syrie, le Yémen, le Kazakhstan ou des petits Etats d’Amérique Centrale – où il n’y a pas encore de création de parcs nationaux, or on sait bien qu’il y a une dimension symbolique très forte pour les Etats d’en avoir. Est-ce qu’il y a des raisons particulières ou refusent-ils la création de parcs ?

Lionel LASLAZ: Oui, cela démontre ce que je disais tout à l’heure, la dimension géopolitique. Ce n’est pas la nature qui impose la création des espaces protégés, mais bien les choix politiques qui sont effectués. Si l’on regarde les couleurs du monde arabo- musulman, du Proche et du Moyen-Orient, on est globalement dans les laps de temps les plus récents pour la création de parcs nationaux. C’est aussi un phénomène que l’on avait identifié dans l’ouvrage sur les Parcs nationaux et la collègue que l’on avait sollicité pour rédiger ce chapitre, Laurence Gillot, qui travaillait sur le patrimoine archéologique, a montré que dans ces Etats du Proche et Moyen Orient, les politiques de protection se sont fortement orientées sur les héritages de la période antique et qui sont à faible naturalité ou avec une connotation de naturalité très limitée. Ceci explique que ces Etats privilégient des dimensions historiques extrêmement fortes. Et cela n’a jamais constitué dans l’essentiel du monde arabo-musulman véritablement une priorité. Alors attention, dans certains de ces Etats, vous n’avez pas de Parcs nationaux, c’est-à-dire de catégorie II, mais il peut y avoir beaucoup de catégories IV et V donc cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas du tout d’espaces protégés.

Mathieu VIDAL, enseignant-chercheur en géographie au Centre universitaire d’Albi :

J’aimerais creuser ma seconde question précédente et aller au-delà. Finalement, quelle réflexion, quelle place pour les territoires ou plutôt les espaces pour le coup, qui n’appartiennent à aucun pays sur le globe. Quelle place pour les mers, les océans et les pôles ?

Lionel LASLAZ: C’est également une très bonne question puisque pour les aires marines protégées on l’a vu, il existe ce décollage dans les années 1970. Il n’y a pratiquement aucune aire marine protégée avant celles-ci. Et depuis les années 1990, il y a un rythme de croissance rapide de leur nombre. Dans le cas de la France, je vous ai montré la lenteur avec laquelle on a créé les Parcs nationaux et les aires marines protégées. Ce sont principalement les Parcs marins. De 2006, vote de la loi, jusqu’à 2012, il en a été créé 4 et il y en a 4 qui sont sur le point d’aboutir. L’objectif est d’arriver d’ici 5/6 ans à 20 Parcs naturels marins. C’est beaucoup plus facile en catégorie V qu’en catégorie II, mais cela veut dire qu’il y a une réelle volonté politique de mise en œuvre de ces Parcs marins et aires marines protégées. Ainsi, tous les Etats se sont lancés dans cette dynamique. Et puis maintenant, on commence à regarder du côté des eaux internationales, parce que, comme ce sont des espaces qui sont désignés nationalement, qu’est-ce qu’on va faire des eaux internationales ? Et pourtant c’est l’essentiel, il y a un certain nombre de discussions actuellement pour la mise en œuvre de politiques de protection sur des périmètres très vastes. Alors, sous quelle juridiction ? Qui va gérer les eaux internationales ? C’est une problématique majeure. Si c’est du patrimoine mondial, on sait que c’est l’UNESCO, pour d’autres, c’est plus compliqué. Alors pour les pôles c’est très intéressant, le Groenland appartient au Danemark, il a le record mondial du parc national terrestre le plus vaste. Il fait pratiquement 1 million d’hectares. Pour l’Antarctique, on y consacre une double page dans l’Atlas, car c’est un cas extrêmement intéressant. Théoriquement tout est gelé, tant au sens propre qu’au sens figuré (Traité de l’Antarctique, 1959), pour encore un certain nombre d’années. Pas de prospection mais on sait qu’il y a nombre de ressources sans doute très intéressantes, et que les Etats-Unis ou d’autres Etats les convoitent et on est là aussi sur une forme de juridiction internationale. Ce qui a été mis en œuvre en Antarctique est de la catégorie Ia et Ib, c’est-à-dire de la réserve intégrale très radicale avec des périmètres qui sont notamment implantés sur la Péninsule antarctique. Dans ce secteur là, comme par hasard, c’est le secteur où se trouvent les principaux débarquements touristiques avec 25 000 touristes par an en moyenne.

Compléments :

Les Ouvrages :

> Lionel LASLAZ, Christophe GAUCHON, Mélanie DUVAL et Stéphane HERITIER (dir.), « Espaces protégés et territoires. Conflits et acceptation », Belin, coll. « Mappemonde, à paraître 2013

> Lionel LASLAZ (dir.), « Atlas mondial des espaces protégés, Les sociétés face à la nature », Autrement, 2012

> Lionel LASLAZ, Christophe GAUCHON, Mélanie DUVAL et Stéphane HERITIER (coord.), Espaces protégés, acceptation sociale et conflits environnementaux, coll. EDYTEM, Cahiers de Géographie n°10, 2010.

> Stéphane HERITIER et Lionel LASLAZ (coord.), « Les parcs nationaux dans le monde. Protection, gestion et développement durable », Ellipses, 2008

> Lionel LASLAZ, « La Meije. Un haut lieu alpin », Gap, 2007

> Lionel LASLAZ (dir.), « Pralognan, capitale de la Vanoise », L’Edelweiss, 2007

> Lionel LASLAZ, « Vanoise, 40 ans de Parc national, Bilan et perspectives », L’Harmattan, 2004

> Gérard RICHEZ, « Parcs nationaux et tourisme en Europe », L’Harmattan, 1992

Références citées dans la conférence et les questions

> Laurent COUDERCHET et Xavier AMELOT, « Faut-il brûler les Znieff ? », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Espace, Société, Territoire, document 498, mis en ligne le 05 mai 2010. URL : http://cybergeo.revues.org/index23052.html

> Samuel DEPRAZ, Géographie des espaces naturels protégés, genèse, principes et enjeux territoriaux, Armand Colin, coll. « U Géographie », 2008.

> Laurence GILLOT, « Parcs nationaux, tourisme et dynamiques territoriales au Proche-Orient et au Moyen-Orient. Regards croisés sur la gestion et la mise en valeur des espaces « naturels » », in Stéphane HERITIER et Lionel LASLAZ (coord.), 2008.

> Guillaume GIROIR, « Les impacts anthropiques dans les parcs nationaux chinois : approche géographique », Géocarrefour, Vol. 82/4 | 2007, 187-197.

> Stéphane HERITIER, 2004, « Here, at last, is Peace – Le Parc International de la Paix Waterton-Glacier et la gestion transfrontalière des espaces protégés » (Alberta, Canada – Montana, Etats-Unis), Etudes canadiennes / Canadian Studies, n° 57, décembre 2004, p. 51-71.

> Frédéric LANDY, Emmanuel BON, Marie-Hélène ZERAH, « La forêt dans la ville ? Conflits d’acteurs autour du Parc national Sanjay Gandhi de Mumbai (Bombay, Inde) », in Lionel LASLAZ et al. (dir.), à paraître 2013

> Lucile MEDINA, « L’Amitié et la Fraternité par-delà les frontières. Coopérations binationale et trinationale entre parcs nationaux des États d’Amérique centrale », in Stéphane HERITIER et Lionel LASLAZ (coord.), 2008.

> Jean VIARD, Le tiers espace : essai sur la nature, Méridiens Klincksieck, coll. « Analyse institutionnelle », 1990.

Les Cafés géographiques liés au thème :

> Lionel LASLAZ, « Parcs nationaux français : 2006, année zéro ? », compte-rendu du café géographique du 4 juillet 2010, par Stéphane Dubois

> Lionel LASLAZ, « Formes, réformes et méformes des Parcs Nationaux français », compte-rendu du café géographique du 8 mars 2006, par Yann Calbérac et Cécile Michoudet

> Samuel DEPRAZ et Stéphane HERITIER, « Des espaces naturels protégés : pour quoi faire ? », compte-rendu du café géographique du 25 février 2009, par Emmanuelle Peyvel


> Françoise GERBEAU, « Quel avenir pour les parcs naturels en France », compte-rendu du café géographique du 9 novembre 2000, par Marie-Christine Doceul

> Jean-Paul GUERIN, Serge TUAZ et Georges ELZIERE, « Les Alpes, entre promotion et protection », compte-rendu du café géographique du 26 novembre 2003, par Marc Lohez, Catherine Biaggi et François Galaup

> Gilles FUMEY, « Or vert ou or jaune pour le parc national de Guyane ? », Brève de comptoir, 12 mars 2007

> Jean-François DORTIER, Jacques GOLBERG et Jean-François STASZAK, « Y a-t-il une géographie du territoire animal ? », compte-rendu du café géographique du 22 mars 2005, par Olivier Milhaud

> « Les parcs nationaux dans le monde. Protection, gestion et développement durable » (sous la direction de Stéphane Héritier et Lionel Laslaz), compte-rendu de lecture par Bénédicte Tratnjek, 14 janvier 2011

> « La Meije. Un haut lieu alpin (Lionel Laslaz) », compte-rendu de lecture par Yann Calbérac, 29 avril 2007

> « Ours, lynx, loup : une protection contre nature ? » (Farid Benhammou et Caroline Dangléant), compte-rendu de lecture par Gilles Fumey, 4 juillet 2009

(Première publication le 13 novembre 2012, à l’url http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=2515)